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880. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

… Une pareille disposition effraie assez les esprits qui étudient les pentes du siècle, pour donner le courage de réagir contre un livre, bien plus utile à des ascètes avancés dans la voie de la perfection chrétienne qu’à des gens du monde vivant dans les réalités et les épaisseurs de ce temps.

881. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Par la manière dont le livre aurait été fait, il devait nous rappeler à l’horrible réalité qui nous menace tous si nous ne nous armons contre elle, et nous infliger cette pensée, puisque nous sommes si incompréhensiblement superficiels !

882. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Ferdinand Fabre »

Edgar Poe a écrit des Contes fantastiques avec le sentiment frissonnant de leur réalité, et un artiste qui comprend l’Église et le prêtre, et qui aurait dû aller jusqu’au bout et tout comprendre, n’ose pas faire parler franchement et distinctement un crucifix !

883. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Gautier dans un sujet comme Mademoiselle de Maupin, je demande ce qu’il devait en être dans un sujet de roman d’une réalité plus saine, et où il ne s’agirait que de sentiments naturels ?

884. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Il y aurait quelque chose de plus à faire que ses Contes, ce serait sa propre analyse, mais pour cela, il faudrait son genre de talent… Quand on résume cette curieuse et excentrique individualité littéraire, ce fantastique, en ronde bosse, de la réalité cruelle, près duquel Hoffmann n’est que la silhouette vague de la fumée d’une pipe sur un mur de tabagie, il est évident qu’Edgar Poe a le spleen dans des proportions désespérées, et qu’il en décrit férocement les phases, la montre à la main, dans des romans qui sont son histoire.

885. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Joseph Bédier, l’éminent maître dont la science et la délicatesse m’aidaient à comprendre la réalité héroïque d’aujourd’hui comme la légende épique d’autrefois.‌

886. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

La réalité historique est bien assez poignante pour que son imagination de poète ne soit nullement embarrassée de l’y découvrir. […] Cet aimable chef d’orchestre à physionomie singulière, qui réalisait pour moi seul, peut-être, l’enchantement du Songe d’une nuit d’été, en pleine réalité bête d’une soirée parisienne, j’aurais voulu l’embrasser pour le bonheur qu’il me donnait. […] On ne-pensait qu’à s’envoler et les formes sensibles des créatures correspondaient simplement pour ces amoureux expectants de l’éternité à une représentation symbolique de réalités surnaturelles dont toute chose terrestre n’était, à leurs yeux, que l’« énigmatique miroir ». […] Si ce sont là des symboles sans réalité, ils ont au moins ceci pour eux de fortifier infiniment ceux qui les portent dans leur cœur et d’être assurément plus intelligibles et plus touchants que l’ignoble mascarade fratricide de la franc-maçonnerie ! […] Je concevais très bien la poignante, la despotique substantialité du rêve et sa glorieuse primauté sur les animales et contingentes réalités de la vie sensible.

887. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Il a compris que le patriotisme, tel qu’on l’enseigne aujourd’hui, basé sur l’esprit de revanche, n’est qu’une doctrine inacceptable, et qu’il fallait voir dans la patrie autre chose qu’une réalité géographique et territoriale, qu’il fallait la comprendre comme un groupe harmonieux de traditions, de coutumes et d’institutions qui sont les formes extériorisées de tout l’esprit d’une race. […] C’est un art, enfin, qui trouve dans la réalité et dans la vie mille fois plus de beauté que dans la fiction, et dans le rêve, mille fois plus d’éclat, de variété, d’unité d’harmonie, de grandeur, de méthode, de fantaisie, de noblesse, et pour lequel il n’y a pas de sujets nobles ou ignobles, dignes ou indignes, mais seulement des artistes dignes ou indignes de les créer. » Et aux Watts, aux Burne Jones, aux Tadema, à tous ces artistes pâles et dépérissants, il oppose les Monet, les Cézanne, l’Allemand Böckline, le Norvégienf Thaulow, le Hollandais Van Gogh, ces peintres d’inspiration panthéistes qui ont fait chanter avec de nouvelles notes les riches poudroiements de la matière en fête. […] Entièrement dégagé de tout ressouvenir, de tout culte et de toute tradition religieuse, le peintre n’a considéré l’édifice que comme un fragment de nature, suivant la réalité, non suivant le dogme. […] Ce que nous montre Proudhon, c’est donc, à mon avis, bien moins la psychologie de Napoléon que, dans sa terrifiante réalité et dans son horreur barbare, le portrait de l’homme de guerre moderne, de celui que M.  […] Ses yeux ont conservé l’innocence des premiers âges où se transfigurent et s’ordonnent les plus éphémères réalités.

888. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

De jour en jour l’art diminue le respect de lui-même, se prosterne devant la réalité extérieure, et le peintre devient de plus en plus enclin à peindre, non pas ce qu’il rêve, mais ce qu’il voit. […] Il doit éviter comme la mort d’emprunter les yeux et les sentiments d’un autre homme, si grand qu’il soit ; car alors les productions qu’il nous donnerait seraient, relativement à lui, des mensonges, et non des réalités. […] De même que la création, telle que nous la voyons, est le résultat de plusieurs créations dont les précédentes sont toujours complétées par la suivante ; ainsi un tableau conduit harmoniquement consiste en une série de tableaux superposés, chaque nouvelle couche donnant au rêve plus de réalité et le faisant monter d’un degré vers la perfection. […] La seule concession qu’on puisse raisonnablement faire aux partisans de la théorie qui considère la foi comme l’unique source d’inspiration religieuse est que le poëte, le comédien et l’artiste, au moment où ils exécutent l’ouvrage en question, croient à la réalité de ce qu’ils représentent, échauffés qu’ils sont par la nécessité. […] Le terrain devient, dans une composition de ce genre comme dans la réalité, plus important que les hommes.

889. (1900) La culture des idées

Il évolue dans l’abstraction, et la vie évolue dans la réalité la plus concrète ; entre la parole et les choses que la parole désigne il y a la distance d’un paysage à la description d’un paysage. […] J’ignore leurs origines, mais elles sont postérieures aux langues classiques qui n’ont pas de mots fixes et précis pour les dire, bien que les anciens fussent à même, mieux que nous, de jouir de la réalité qu’elles contiennent. […] L’utopiste, même homme de science, même excellent observateur de menus faits, abandonne, dès qu’il veut généraliser ses idées, tout contact avec la réalité. […] La statistique est l’art de dépouiller les chiffres de toute la réalité qu’ils contiennent. […] Dans le sens de Fichte, que le moi est virtuellement toute réalité, — toujours jusqu’à preuve du contraire.

890. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Avec un sens aigu de la réalité française, l’auteur, qui ne se paye jamais de mots, analyse l’état de notre sensibilité patriotique, se penche sur la fièvre des vainqueurs épuisés. […] Ramuz a horreur d’une construction de l’esprit qui ne repose pas sur la réalité des choses. […] N’était-il pas, en pleine réalité, parmi les annonces qui vantaient une marchandise réelle, alors que la première page n’offrait que les communiqués et les articles des stratèges ? […] Poincaré qui recevait au Quai d’Orsay des écrivains suisses, et qu’il faisait part au Président des réalités communes à la France et à cette partie de la Confédération, M.  […] Que lui importait ces réalités, puisqu’il y avait un point juridique bien établi.

891. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

C’est toi qui, lorsque, perdu en Dieu, je vogue plus haut que les étoiles, plus haut que toute réalité, emplis brusquement mes yeux du spectacle des lianes enlacées aux chênes tressaillants. […] En vain, je tâchais de lui faire comprendre combien était admirable la patience de Darwin à l’affût d’une loi naturelle, en vain j’essayais de l’intéresser à ce sublime espionnage de la vie : la science, lui grognait, déclarant abominable la réalité et réclamant l’absolu. […] Pour te tirer de ces… divagations, je m’en vais te faire faire connaissance avec la réalité. […] Salut, grand ciel par qui j’ai conçu l’infini… Ô musique divine, harmonie des mondes, hymne du Grand Pan, vivifie-moi. — Je sens, j’aime, je pense à l’unisson de la Réalité ; les spectres du passé s’enfuient au geste de mon bras ; et l’aube du bel avenir règne sur mon âme. […] Les yeux de Maître Phantasm se sont ouverts à la Réalité, il affronta les deux faces de la Vie, il connaît la sagesse : j’ai donc confiance en lui.

892. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ce n’est donc pas proprement imitation, c’est réalité. […] Mais, masque ou réalité, le seizième siècle s’en inquiète peu. […] Elles n’étaient que l’image de la réalité dont le corps est en Christ ; le sacrifice de Christ les a donc abolies. […] Il ne faut pas désespérer de voir l’homme un jour nier la réalité de toute vertu….. […] D’ailleurs, plusieurs de ses pensées supposent chez lui la croyance à la réalité du sens moral.

893. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

fais-lui donc un mal que tu ne sentes pas. » Comment distinguer dans de tels mots ce qu’il faut attribuer à l’invention ou à l’histoire, à l’imagination ou à la réalité ?

894. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Mais rappelons-nous qu’il s’acharnait, comme dit Balzac, à dégasconner la cour, et nous comprendrons que le « courtisan », au nom duquel il blâmait Desportes, était pour lui un idéal plus qu’une réalité.

895. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Et c’est ce qui donne à cette histoire son intense réalité !

896. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

En effet, dans le livre de Tallemant, comme dans la réalité du reste, le xviie  siècle est la préparation du XVIIIe.

897. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Il a été le peintre à fond de ce triste roi ; mais en le peignant ressemblant, non plus à faire peur, mais à faire pitié, il a agi comme les grands peintres qui, à force d’art, savent idéaliser les réalités les plus basses, et ici ce n’est plus magnanimité d’historien, c’est de l’art, l’art de l’homme qui sait écrire.

898. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Et en de tels termes que ceux qui se moquent des mystiques auront désormais le sifflet coupé par l’opinion d’un homme de cette réalité, qui n’a voulu être, encore aujourd’hui, qu’historien !

899. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Alors on sent profondément ce que sont les Mémoires, même les plus passionnés, même les plus suspects, pour la complète intelligence de la réalité historique, et on conçoit nettement tout ce qui manquerait si on ne les avait pas.

900. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Certainement, toute altération de notion à part, c’est là un point de vue qui a sa splendeur, mais l’Histoire ne veut que le jour tel qu’il fut — terne ou brillant — des faits réels ; et ce n’est point-là la réalité, ni au xe ni au xie ni à aucun siècle.

901. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Assurément, l’apparence y est, mais Segretain a prouvé, avec la finesse d’une vue attentive qui prend garde à tout, que l’apparence fut une réalité.

902. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

— puis Vendémiaire, qui finit tout comme les Révolutions finissent ; car il n’y a que le canon pour les faire finir… Telle la dernière fresque de Carlyle, l’une des plus belles à peindre pour un homme si préoccupé, j’oserais même dire si affolé, si timbré de réalité et de vie.

903. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Vision sublime, que la réalité du Jacobinisme fit disparaître aux yeux du somnambule d’imagination qu’était Chénier en le tirant brutalement de son rêve, tandis que ce grand songeur de Lamartine ne fut jamais tiré du sien !

904. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

Mais parce qu’il y a dans l’Histoire une prise de possession qui a pu devenir une chose puissante, une immense réalité, est-ce une raison pour humilier la notion du droit devant elle ?

905. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Et, cela étant reconnu et irréfragablement certain, la Critique n’a point ici à s’occuper du génie de Balzac, incontestable comme la lumière, ni de ses Œuvres, pour lesquelles, s’il était nécessaire de les analyser et de les juger, il faudrait l’étendue d’un Cours de littérature, mais elle va s’occuper de son âme, de sa personne morale, à Balzac, aperçue, soupçonnée à travers son génie, mais vue — et pour la première fois — dans le plein jour d’une Correspondance qui montre la plus magnifique nature dans sa complète réalité !

906. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

III Telles sont cependant cette Correspondance et ces Œuvres inédites d’où l’on a tiré un Tocqueville de pure fantaisie et qui nous en ont dévoilé un autre, lequel, lui, avait la sienne, pendant que le Tocqueville de la réalité était, de fait, moins grand dans ces Œuvres inédites et cette Correspondance que dans les livres officiels, écrits laborieusement pour le public, et qu’il a lui-même publiés.

907. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que le high life est la vie des classes supérieures, qui valent mieux que les autres de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus.

908. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Il part d’une préconception qui lui appartient trop, sans justesse et sans réalité.

909. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Laissant la réalité humaine, la société et l’histoire, pour observer les premières évolutions de son esprit individuel, M. 

910. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

Nous voulons seulement indiquer quelle fut sa vraie réalité, — qu’on nous passe le mot, quoiqu’il ait l’air d’un pléonasme.

911. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Mais que ce juge vienne bientôt ou tarde, nous aurons fait ce pas, nous, que quelle que soit la réalité du mysticisme de Swedenborg, ce mysticisme n’est pas, après tout, si magnifique et si grandi Nous qui pensons que l’Église seule s’entend aux questions du surnaturel et doit seule en connaître, nous ne trouvons pas moins dans le surnaturel de Swedenborg quelque chose qui est de notre ressort, — c’est sa valeur poétique, sa valeur d’effet sur les imaginations littéraires.

912. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Je n’ai pas peur de la réalité et je ne force pas le mot qui l’exprime.

913. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Ce ne sont pas les grands artistes par la délicatesse et par la beauté pure de l’idéal, bien plus difficile à comprendre… Assurément cet idéal, que Guérin souffrait tant de ne pouvoir saisir comme il le voyait, pour l’emprisonner dans la forme vive et diaphane d’une langue digne de le contenir, cet idéal rayonne, comme un ciel lointain, à travers les paysages qu’il nous a peints ; mais il n’y rayonne que pour ceux qui savent l’y voir ; tandis que pour le plus grand nombre, que la réalité visible attire, ce qui constituera le grand mérite de ces paysages, c’est leur vie, c’est la vérité d’impression  de ces aperçus, transposés de la vision plastique dans la vision littéraire… et qui nous effacent presque du coup les paysagistes les plus vantés : Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, madame Sand, dont la seule qualité qui n’ait pas bougé dans des œuvres déjà passées est d’être une paysagiste !

914. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Ainsi, à ses propres yeux et aux yeux encharmés des hommes de son temps, elle était la réalité dont Mme de Staël avait fait le rêve, et elle était davantage encore, elle était les deux rêves à la fois de Mme de Staël, car elle avait le génie de Corinne et la beauté de Lucile Edgermond.

915. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Elle se soucie bien de la réalité !

916. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Ce n’est pas même un rêve : c’est la réalité de ces temps misérablement avilis ; c’est le rationalisme de la bête ratiocinante, et qui, toutes ses autres facultés éteintes, ne veut plus que ratiociner.

917. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Mais où Walter Scott est sublime de réalité, de nuances charmantes, de comique et de pathétique à la fois, M. 

918. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

L’un et l’autre, pour être plus réels (croient-ils), ils oublient la réalité la plus profonde, celle de la poésie, ancrée dans le fond du cœur de toute chose.

919. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

L’auteur de Guy Livingstone est idéal de sentiment et d’expression, de société et de caractère, dans un temps où nous nous mourons du mal de cœur de la réalité, qu’on nous donne pour l’art ou la vie ; il est idéal, parce qu’il est un byronien d’abord et ensuite un dandy, préoccupé, comme tout dandy, de la beauté des attitudes de son orgueil ; il l’est encore parce que tous les caractères de son roman sont pris dans un milieu humain et social exceptionnel, parce que la high life est la vie des classes supérieures qui valent mieux que les autres, de cela seul (comme le mot le dit) qu’elles sont au-dessus.

920. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Plus que jamais on risque, devant un objet qui excite tant de sentiments divers, de confondre le vrai et le voulu, la réalité et l’idéal, la science, et la pratique.

921. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Mais cette adoption factice, et qui ne sera jamais entière, ne peut avoir l’effet de la réalité.

922. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

On le voit donc : loin que cette puissance d’action, ce spectacle des réalités éclatantes, qui est l’âme de la spéculation, soit épuisé pour nous, l’Europe est plus que jamais à portée de faire de grandes choses, de s’ouvrir de nouveaux horizons, de féconder des terres nouvelles et de recueillir des fruits mûrs qui l’attendent.

923. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Nous le savons ; et qu’avant de s’appeler Émilie dans le Cinna de Corneille ou Cléopâtre dans sa Rodogune, elle a donné, dans la réalité de l’histoire, sous son vrai nom de duchesse de Chevreuse, plus d’une inquiétude au grand Cardinal. […] Pareillement on ne nie point la réalité d’un Attila, ni celle d’un Jodelet ou d’un dom Japhet d’Arménie, — quoique d’ailleurs on le pourrait, si l’on le voulait, — mais on estime que ce qu’il y a d’extraordinaire en eux les excepte et les tire hors de la nature et de l’humanité. […] Huet, Sur l’origine des Romans.] — Qu’elle a d’autre part habitué l’esprit français à traiter trop légèrement les choses sérieuses ; — et, en le réduisant à l’observation du beau monde, elle l’a détourné d’une observation plus large et plus sincère de la réalité. […] — Il semble que ce soit de la condition des personnes ; — de la nature du dénouement ; — et de la réalité des personnages dans l’histoire. — Hardy a-t-il eu le sentiment de l’importance de l’histoire dans la tragédie ? […] Essais de critique et d’histoire] — et que, de Corneille et de Racine, c’est bien Corneille qui est le « précieux ». — 3º La matière même de l’invention se déplace. — Il ne s’agit plus d’ajouter à la réalité, de l’embellir, de lui « donner le grand goût » ; — mais, de la mieux voir et de la mieux rendre. — Prédilection singulière de Racine pour les sujets déjà traités [Cf. 

924. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Et toutefois, bien des réalités présentes viennent de ce passé, si distant par les temps et par l’aspect. […] Alors l’amour se manifeste comme une réalité ; Ève l’observe, le comprend en toutes choses, elle l’exalte et le célèbre dans les fleurs, dans les souffles des airs, dans les rayons du soleil, dans « les mille voix claires des fontaines ». […] Que cet amour pourtant ne ferme pas tes yeux À la réalité du monde spacieux, Et pour mieux te garder à ton pays fidèle, Qu’il ne réduise par l’ampleur de ton coup d’aile ! […] Pourquoi se laisseraient-ils hypnotiser par leur faiblesse et l’insignifiance de leur volonté vis-à-vis de l’organisme fantastique de l’Univers, puisqu’ils ont la faculté d’apprécier en leur fragile existence un phénomène assez riche pour se suffire à lui-même et satisfaire leur ardeur, car seul il relève de la réalité ? […] Leurs héros ont une réalité frappante, précisément parce qu’ils ne se livrent pas, qu’ils conservent des coins inconnus, qu’ils sont variés, inconséquents, divers, contraires à eux-mêmes et aux apparences, comme l’est en réalité l’être humain.

925. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

La tragique réalité lui a pris tout l’âme. […] C’était pour lui, comme pour son maître Spinoza, l’accord complet de l’intelligence et de la réalité : « Adœquatio rei et intellectûs », est-il écrit dans l’Éthique. […] Cette science épouse-t-elle tout entière la réalité ? […] De la réalité de ces existences vous ne pouvez pas douter, et l’impression indiscutable de cette réalité n’est pas obtenue, comme chez un Balzac, par une minutieuse préparation, ni, comme chez un Walter Scott, par une savante évocation qui fait de l’anecdote un moment de l’histoire d’un temps. […] Ce cavalier n’est que l’image d’un des puissants du monde, qui n’a même plus devant lui la réalité des deux marbres sublimes, orgueil jadis d’une de ses maisons.

926. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Un tel caractère de réalité, de précision jusque dans les moindres détails, ne saurait appartenir à une fiction. […] La réalité ici se reconnaît à l’œil nu. […] La réalité humaine, voilà ce que, invariablement, le poète laisse debout dans son chaos ; voilà où se prend l’intérêt du lecteur. […] Quoi de plus frivole que d’enlever à ce jugement toute espèce de conséquences et de réalité, et de mettre dans la bouche du Créateur une sentence de poète ou une opinion de journaliste ? […] Tout système qui repose sur une fiction, sur un fait sans réalité, ne peut conduire que dans un défilé sans issue, et, dans sa tortueuse route, toucher le vrai chemin que pour le croiser en différents sens, mais sans s’y arrêter, sans le suivre.

927. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

C’est faire trop d’honneur à ce génie chagrin et singulier, qui peut-être n’a manqué de rien tant que de bon sens, à moins encore que ce ne soit de l’expérience de la vie, et du sentiment de la réalité. […] Non seulement la méthode ou les procédés de la critique doivent eux-mêmes varier avec l’objet, et, comme on dit, en épouser la forme au lieu de lui imposer la leur ; mais la pensée cesse d’être, en cessant d’évoluer ou de « devenir » ; et dès qu’elle ne change plus, la vie ou plutôt la réalité s’en relire. […] Si Bossuet appelle sans doute constamment à son aide l’expérience et l’histoire, et si même, plus souvent qu’il ne le croit peut-être, il part de l’observation de la réalité, cependant il ne saurait admettre que la réalité contredise en aucun cas l’Écriture, et l’histoire ou l’expérience n’ont d’autorité pour lui qu’autant que l’interprétation s’en accorde avec la lettre du texte sacré. […] Que maintenant les choses, dans la réalité, se soient ainsi passées, je n’oserais en répondre. […] Elles sont en l’air, pour ainsi parler, et situées au-dessus, si l’on veut, mais en dehors des seules réalités qui importent.

928. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

La réalité politique méconnue se venge et cruellement. […] J’ai écrit le Partage de l’Enfant, en m’appuyant sur la déchirante réalité, et ce livre, d’abord presque inaperçu, a fait ensuite son chemin en profondeur. […] C’est dommage qu’il n’ait correspondu à aucune réalité profonde ; et le transformisme pas davantage. […] Le XIXe siècle a eu la manie des majuscules, sous lesquelles se cache, en général, le minimum de réalité et de substance. […] Il y a, dans la vaste nature, des possibilités pour toutes les démonstrations, celles de l’erreur, comme celles de la réalité, celles du faux, comme celles du vrai.

929. (1911) Nos directions

la beauté, but premier, risquera fort de s’effacer bientôt pour eux, devant les clartés éclatantes de la réalité et de la vérité ! […] Ce fut moins une pièce qu’une série de tableaux d’une réalité si simple et si profonde que, dépassant le réalisme, ils atteignaient à l’épique parfois. […] La réalité purement humaine est capable de lyrisme, et non pas d’abstraction ; entre les deux il importe que l’on distingue. — L’idée en fut d’autant plus remarquée. […] Le premier, notons-le, il aura tenté d’infuser le lyrisme à la réalité moderne, au moyen, non d’une généralisation abstraite, mais de la précision et de la saveur des détails, du mouvement et de l’accent des dialogues. […] Et quand je cherche ce qu’ils leur doivent, je ne rencontre que généralités vagues, comme « la fable », « la tragédie », des titres bien plutôt que des réalités, et quelques scénarios de pièces.

930. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

George Sand a cherché toute sa vie, sans la trouver, la réalité de sa chair et ce repos momentanément absolu de sa sensibilité détendue. […] La pensée, dans cette solitude, échappe au temps, et cette impression, inexplicable plus nettement, est ici notée avec le rythme qui lui donne une réalité : Et l’instant qu’on respire est déjà du passé Qui coule en frissons doux comme l’eau sous la roue. […] Je ne souhaite pas d’autre repos que celui du sommeil de la mort. » C’est le tourment de l’attente qui fait la poésie de cette Muse ; le bonheur qu’elle espère est d’autant plus beau qu’il la fuit davantage : elle l’imagine et lui donne une réalité perpétuelle en elle-même. […] Depuis, sa vie, comme une horloge dont on oublie de remonter les poids, s’est arrêtée : elle vit désormais dans ce passé toujours présent, si présent que la poétesse en parle comme de la seule réalité immédiate : Le vent qui court, lissant les lames déferlées, Sur tes lèvres sécha leur haleine salée, Et ton baiser, ce soir, a le goût de la mer ; Il me plaît d’en garder l’âpre saveur intacte, Car l’amour dont il inscrivit l’image exacte, Serait moins pénétrant s’il n’était moins amer. […] C’est l’abnégation de sa personnalité : des réalités qu’elle cueille, elle orne les autels de ses héros de roman, ou, plutôt, leur restitue ce qu’elle leur doit, car, sans Rousseau, sans Gœthe, sans Musset, se douterait-elle que l’air est parfumé de tristesse, qu’il y a de l’amour tragique dans les êtres et dans les choses ?

931. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers nous en avertit) qu’un instant rapide et qu’un éclair : hâtons-nous de rentrer avec lui dans la pratique et la réalité. […] Ce n’est pas un morceau de rhétorique, un beau lieu-commun académique, on a la réalité grande et simple. […] Mais ce n’est pas la théorie que je discute en ce moment ; je n’ai voulu que prendre sur le fait l’idéal de simplicité et de réalité de M.

932. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

« Tu naissais cependant aux doux songes, et le premier soleil te donnait en plein dans le regard, ô Chantre aimable des armes et des amours… » Je m’arrête, mais on comprend tout ce que va gagner en poésie et en fraîcheur ce portrait de l’Arioste venant aussitôt après les teintes sévères de la réalité. […] Brutus, on le sait, près de se percer de son épée, s’écria, selon Dion Cassius : « O misérable Vertu, tu n’étais qu’un nom, et moi je te suivais comme une réalité ; mais tu obéissais en esclave à la fortune145 » Et le vieux Théophraste, comblé de jours et d’honneurs, à l’âge de plus de cent ans, interrogé par ses disciples au moment d’expirer, leur répondit par des paroles moins connues, non moins mémorables, et qui revenaient à dire qu’il n’avait suivi qu’une fumée, et qu’il se repentait de la gloire, autant que Brutus de son côté se repentait de la vertu146. […] Mais il n’en était pas ainsi chez les Anciens, accoutumés, selon l’enseignement de la nature, à croire que les choses étaient des réalités et non des ombres, et que la vie humaine était destinée à mieux qu’à la souffrance.

933. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Aucun de ces motifs n’explique la dure captivité du poète ; nous avons trop de preuves de la réalité de sa démence, nous avons trop d’indices de l’innocence de Léonora ; les deux évasions du Tasse des États de Ferrare, avant cette captivité, sont le démenti, de fait, le plus formel à ces suppositions. […] Le poète qui chante un de ces récits doit donc le chanter avec les accents et les images que la riche imagination lui prête ; mais il est tenu aussi à le chanter dans un mode sérieux, conforme à la réalité de la nature humaine à l’époque où il la met en scène, conforme surtout à la vérité des mœurs de ses héros ; en un mot, le poème épique, pour être national, humain, religieux, immortel, doit être vrai, au moins dans l’événement, dans la nation, dans le caractère et dans le costume de ses personnages. […] C’est un drame entièrement imaginaire et fantastique, qui pourrait aussi bien se jouer entre des ombres dans la lune, qu’entre des chrétiens et des musulmans dans la Palestine ; un rêve, en un mot, au lieu d’une réalité.

934. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Supprimez la dégradation de la misère, donnez des loisirs et vous aurez par milliers, dans le peuple des cerveaux bien supérieurs — parce qu’ils ont l’expérience des réalités — aux plaisantins d’Institut. […] Le fournisseur qui fabrique et livre le roman populaire, traite la fiction, comme les autres rédacteurs font la réalité. […] Le problème n’est ni plus ni moins que ce problème redoutable : la démocratie deviendra-t-elle une réalité par l’existence d’un peuple vraiment libre qui élève ses propres besoins en élevant son intelligence et sa volonté ?

935. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

La vérité est qu’une tendance sur laquelle deux vues différentes sont possibles ne peut fournir son maximum, en quantité et en qualité, que si elle matérialise ces deux possibilités en réalités mouvantes, dont chacune se jette en avant et accapare la place, tandis que l’autre la guette sans cesse pour savoir si son tour est venu. […] Il a été entendu en effet que le concomitant matériel de l’activité mentale en était l’équivalent : toute réalité étant censée avoir une base spatiale, on ne doit rien trouver de plus dans l’esprit que ce qu’un physiologiste surhumain lirait dans le cerveau correspondant. […] Bornons-nous à dire, pour ne parler que de ce qui nous semble le mieux établi, que si l’on met en doute la réalité des « manifestations télépathiques » par exemple, après les milliers de dépositions concordantes recueillies sur elles, c’est le témoignage humain en général qu’il faudra déclarer inexistant aux yeux de la science : que deviendra l’histoire ?

936. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Mais on sent ici, à travers le déguisement et l’idéal, une réalité particulière qui donne au récit une vie non empruntée. […] La fin, en effet, de ces romans intimes, puisés dans le souvenir, n’est guère jamais conforme à la réalité.

937. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Il est doux, même pour les misérables, de contempler ces félicités complètes ; elles leur prouvent que, si le bonheur est rare, au moins il est possible en ce triste monde, et que, parmi tant de mauvais rêves, il y a aussi de phénoménales réalités. […] Je méditais, les yeux baissés, en silence, mon étonnement, bien plus étonné encore lorsqu’en relevant les yeux je me trouvais en face d’une enfant de seize ans, pâle comme un spasme, calme comme l’héroïsme, belle comme l’idéal traversant la sombre réalité du temps.

938. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Il y a loin de là à Athènes, avec le Parthénon pour diadème, le ciel transparent de l’Attique pour dais, l’olivier pour ceinture, la mer étincelante pour horizon, et c’est là pourtant que l’adorateur d’Athènes, l’idolâtre de Phidias, le Winckelmann français, le lapidaire du beau dans la nature, dans la poésie, dans l’architecture, dans la statue, dans la pierre, dans la femme, dans toutes les réalités et dans tous les rêves, habite seul, jeune et grave comme un solitaire du mont Athos, dans son couvent tapissé de lambris de planches de sapin, ces lambris étant sculptés par les artistes autrefois si justement renommés de Saint-Claude pour leurs bustes de Voltaire, taillés au couteau dans la racine de buis. […] Il jeta un voile sur sa vie : il se consacra exclusivement au beau métaphysique, à cette divinité de la beauté morale, artistique et virginale, qui n’apparaît que dans la spéculation de ses adorateurs, et dont la réalité toujours incomplète, agitée, décevante, ne dérange jamais ni un trait de visage, ni un pli de la robe sur la statue idéale de l’idéale beauté.

939. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

L’enthousiasme ne sait pas choisir, il va où l’engouement de son temps le pousse, et le monde des idées est plus mobile encore que celui des réalités. […] Les témoins les plus irrécusables alors à Lauzanne, tels que le comte de Maistre et plusieurs autres personnes, également incapables d’une supercherie littéraire, en affirment l’existence entre les mains de M. de Surville longtemps avant son apparition, les traditions du Vivarais en certifient la réalité.

940. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

C’est qu’il y a une sorte de plaisir dans cette morne désespérance dont on ne peut nier la réalité paradoxale. […] Rien n’a de substance ni de réalité ; toute chose est le rêve d’un rêve ; et la Vision de Brahma est un obscur poème qu’il faut lire sous le poids d’un grand soleil, quand la tête se vide, quand la mémoire fuit, quand la volonté se dissout, quand on reçoit des objets voisins des impressions si intenses qu’elles tuent la pensée, quand on sent sur soi de tous côtés la molle pesée de la vie universelle et que le moi y résiste à peine et voudrait s’y perdre tout entier, quand la vie arrive à n’être plus qu’une succession d’images sur lesquelles ne s’exerce plus le jugement et que l’on conserve juste assez de conscience pour souhaiter qu’elle s’évanouisse tout à fait, parce qu’alors il n’y aurait plus rien, plus même d’images, et que cela vaudrait mieux.

941. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Tréguier, en peu d’années, redevint ce que l’avait fait saint Tudwal treize cents ans auparavant, une ville tout ecclésiastique, étrangère au commerce, à l’industrie, un vaste monastère où nul bruit du dehors ne pénétrait, où l’on appelait vanité ce que les autres hommes poursuivent, et où ce que les laïques appellent chimère passait pour la seule réalité. […] IV Ma mère continua ainsi : « Tout n’est au fond qu’une grande illusion, et ce qui le prouve, c’est que, dans beaucoup de cas, rien n’est plus facile que de duper la nature par des singeries qu’elle ne sait pas distinguer de la réalité.

942. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Toutes les fois que j’ai cherché à m’analyser à moi-même l’extraordinaire intensité de plénitude qui me venait des drames de Wagner, en dépit de leurs visées métaphysiques, je suis arrivé à cette conclusion : c’est que, chez Wagner, l’amour de la vie et le sentiment de la réalité sont antérieurs et restent supérieurs à toute spéculation cérébrale. […] Français, nous sommes d’une autre humeur ; nous voulons, avant tout, des faits et du mouvement et nous n’agréons le symbole qu’inhérent à la réalité.

943. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Il fut, lui, un rêveur, un amoureux du loisir, de la campagne et de l’amour ; un amoureux de la vie et qui eût préféré les réalités nobles ou souriantes à leur laborieuse imitation littéraire. […] Les réalités fatigueraient peut-être et Charles-Brun est un discoureur trop intelligent pour donner à son public autre chose que ce qu’il demande.

944. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

On croit qu’il y a des représentations de perceptions et de pensées, mais non de sentiments ; on se figure je ne sais quelles images réfléchies, je ne sais quels fantômes intermédiaires entre la réalité et la non réalité ; mais, en fait, on ne peut se rappeler une pensée qu’en la repensant, une impression éprouvée qu’en l’éprouvant de nouveau à un degré plus faible, une action accomplie qu’en la recommençant sans la continuer ni l’achever.

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