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1271. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Bourgeois, le maire de Poitiers, — ni les deux autres espions, Degranges et Méhu, — ni les personnages historiques, qu’il fallait d’autant plus intensément peindre qu’on ne les nommait pas et que leur visage devait crever le masque d’incognito que l’auteur leur attache, — ni le jeune frère de Rochereuil, — ni sa mère, — ni la femme aimée de Rochereuil, profonde comme une grisette, fusain à peine indiqué de fille facile, — rien de tout ce monde ne sort, ne se détache, mais tout reste blafard, exsangue, indécis et inanimé, sous la plume la plus mâle, la plus appuyée, la plus énergique et la plus amoureuse d’énergie.

1272. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Regardez mon âge ; je ne tiens presque plus à la vie, et déjà je touchais à ma tombe. » Socrate continue ; il parle tranquillement à ses juges ; il peint le plaisir qu’il aura de converser, dans un autre univers, avec les grands hommes de tous les temps, avec ceux qui ont été, comme lui, les victimes d’un jugement injuste, et il fait des vœux pour que ses enfants meurent un jour comme leur père, s’ils ont le bonheur d’importuner aussi les Anitus par leur vertu.

1273. (1902) La poésie nouvelle

Et, dans cette résurrection de l’ancienne légende, que de tableaux il peint, d’une grâce délicate et forte, d’une précision sûre et d’une pureté parfaite ! […] L’abominable cellule qu’il voulait peindre dans l’un de ces poèmes, — et nous perdrions notre temps à lui reprocher de l’avoir voulu peindre, — comme il en évoque, en quelque vers, toute l’horreur !‌ […] Aux paysages qu’il peint, aux fictions qu’il imagine, aux sentiments même qu’il éprouve, se mêlent, plus ou moins réalisées, les conceptions des penseurs. […] Et c’est vraiment la Flandre heureuse, la Flandre des bons pâturages et des kermesses, que peignent, d’une touche large et franche, ces poèmes excellents et tout à fait exempts de mièvrerie. […] Il ne se contentera plus de peindre la réalité, mais il va l’illuminer des lueurs fantastiques de son extraordinaire imagination.

1274. (1887) Essais sur l’école romantique

Il s’en fait et il s’en fera de nouvelles, longtemps encore, avant qu’on égale la simple pensée du peuple, qui, ne sachant peindre ni écrire, nomme Bonaparte avec je ne sais quel superstitieux mystère. […] Victor Hugo me semble avoir mieux peint Louis XI comme portrait que comme caractère. […] Il demandait à entrer dans les villes par la brèche : on lui a fait des murs de bois peints en pierre, qu’on pouvait jeter bas avec des pioches véritables. […] Victor Hugo ; des mots empruntés aux sciences spéciales, aux professions mécaniques ; une langue tirée des laboratoires de chimie et des échoppes de l’artisan, langue qui, pour vouloir tout peindre, substitue des images aux réalités, des couleurs aux pensées ; langue bariolée, éblouissante, qu’on voit avec les yeux du corps ; une palette versée sur une toile, mais non pas un tableau. […] Peu de poètes, non seulement dans notre âge, mais dans les âges passés, ont été doués, à un si haut degré, de ce talent de peindre, de colorier avec des mots.

1275. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Dans des caissons entourés de losanges et peints en bleu, on a modelé, en relief, de grandes palmettes. […] Notre philosophe, poursuivant son enquête avec une sérénité imperturbable, voulut tout voir, tout savoir, tout peindre, tout comprendre. […] Comme Balzac, que nul n’a peint plus puissamment que lui, il a tâché de faire l’histoire naturelle de l’homme. […] Elles peignent si bien son état d’âme, qu’il est nécessaire de les citer. […] Ceux-là s’y plairont qui sont retenus, dans les musées, par les vierges sages et les vieillards placides que peignaient Hans Memling et Quentin Metsys.

1276. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Supposé que ce discours fût encore plus parlant qu’il ne l’est, si je puis ainsi dire, c’est nous, modestes écrivains, et non pas un Pascal, qui ne saurions analyser ou peindre que les passions que nous avons vécues. […] Le moyen, par exemple, à Courtilz de Sandras, de peindre Mazarin sous les traits d’un prodigue, ou Ninon de Lenclos sous ceux d’une mère de l’Église ? […] Regardez-y toutefois de plus près : ce ne sont plus des caractères, c’est déjà des portraits et des tableaux de mœurs qu’ils peignent. […] « Je viens de relire Tom Jones, écrivait un jour à Walpole Mme du Deffand… Je n’aime que les romans qui peignent les caractères, bons ou mauvais. […] « Français et contemporain des amants de son temps », il n’a peint que l’amour tel qu’il le voyait faire autour de lui.

1277. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Il se peint dans ses héros, mais en noir, de telle façon que personne ne peut manquer de le reconnaître et de le croire beaucoup pire qu’il n’est. […] —  Un homme ainsi éprouvé et trempé pouvait peindre les situations et les sentiments extrêmes. Après tout, on ne les peint jamais que comme lui, par expérience1280. […] C’est le ciel comme l’imaginait saint François et le peignait Van Eyck, avec les anachorètes, les saintes femmes et les docteurs, les uns dans un paysage de rochers bleuâtres, les autres au-dessus dans l’air sublime, autour de la Vierge glorieuse, rangés par régions et flottant en chœurs. […] Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours : trop fort contre autrui et contre lui-même, et tellement effréné qu’après avoir employé sa vie à braver le monde et sa poésie à peindre la révolte, il ne trouve l’achèvement de son talent et le contentement de son cœur que dans un poëme armé contre toutes les conventions humaines et contre toutes les conventions poétiques.

1278. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Quand on a abordé quelque écrivain, on s’est attaché parfois à le peindre plutôt qu’à critiquer ses ouvrages.

1279. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

XXII On a besoin de renouveler, de rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu’on connaît le mieux et qu’on a peints, sans quoi l’on court risque de les oublier en partie et de les imaginer en se ressouvenant. — Nul n’a droit de dire : « Je connais les hommes. » Tout ce qu’on peut dire de juste, c’est : « Je suis en train de les connaître. » XXIII Assembler, soutenir et mettre en jeu à la fois dans un instant donné le plus de rapports, agir en masse et avec concert, c’est là le difficile et le grand art, qu’on soit général d’armée, orateur ou écrivain.

1280. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

Jouffroy nous a éloquemment peint ses souffrances quand elle doute, quand elle se demande avec anxiété d’où elle vient, pourquoi elle est venue, où elle va, et qu’aucune réponse ne lui est donnée à laquelle elle puisse croire avec amour.

1281. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Je ne peindrai point la religion dans les excès du fanatisme.

1282. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Nous savons que si Corneille est inégal, c’est qu’il est souvent sublime ; nous savons que si l’imagination de Molière n’est pas riche en fantaisies comme celle de Shakespeare, c’est qu’il peint la réalité comique plus fidèlement.

1283. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Musset, Alfred de (1810-1857) »

Il a su faire de beaux vers de très bonne heure ; et, encore adolescent de cœur assez avant dans la vie, il a eu toute l’ardeur de la passion quand il avait tout le talent pour la peindre.

1284. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

« Un escalier terrible : une rampe et ses supports d’arbres à peine équarris, peints rouge-sang.

1285. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité.

1286. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Et quand La Fontaine ajoute qu’il s’amuserait du conte de Peau-d’âne, il peint les effets de son caractère.

1287. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Il peint en grand maître.

1288. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Quatrième faculté d’une Université. Faculté de théologie » pp. 511-518

Et si je le peins ici avec des couleurs effrayantes, c’est qu’il faut négliger les exceptions et le connaître tel qu’il est par état, pour l’instituer tel qu’il doit être ; je veux dire saint ou hypocrite.

1289. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Huc, dans ses voyages comme dans ce livre-ci, ne nous parle que des Chinois et des Tartares ; mais ce qui est vrai de ces deux peuples l’est de toutes les populations de l’Asie, de toutes ces masses de momies peintes qui pourrissent silencieusement sur leurs bases depuis des éternités, et qui y pourriront jusqu’au jour, peu éloigné maintenant, où, touché par la main vivante de l’Occident, s’émiettera définitivement en poussière tout cet amoncellement de sanie !

1290. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

Le miniaturiste spirituel et fin, qui s’est tant amusé toute sa vie à nous pointiller des visages faits pour disparaître, et que le Temps indifférent devra effacer jusque de ses ivoires, à lui, Monselet, les plus soignés et les mieux peints, a compris que la miniature était chose trop petite pour contenir cette grande figure de Chateaubriand.

1291. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Le cardinal Ximénès, dont la grandeur a le pittoresque qu’ont les grandeurs du Moyen Âge, n’est pas peint : il est raconté.

1292. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Il en cite plusieurs sur Louis XI, qu’il appelle spirituellement l’échevin Louis le Onzième, et qui peignent l’homme, cet homme de bonhomie que Béranger prenait — oh !

1293. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Cette partie de sa vie qui a l’intérêt des romans où l’on a le mieux peint la lutte de l’homme contre les choses, le danger, l’obstacle, l’ennemi, fait regretter amèrement qu’aux jours difficiles où les gouvernements qu’il servit curent besoin de fortes épaules, sur lesquelles ils pussent s’appuyer, on n’eut pas pensé à la sienne.

1294. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé.

1295. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Il ne peint pas les hommes : il les raconte.

1296. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

aime à peindre, il ne lui passe jamais sur le front, comme au chantre de Rolla, de ces lueurs sublimes d’un ciel auquel il ne croit plus.

1297. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Vous rappelez-vous cette page inouïe de Jean-Paul, dont le sublime transportait madame de Staël, quand, au Jugement dernier, il peint le désespoir des âmes qui auront vécu en Jésus-Christ sur la terre et compté sur le ciel pour prix des plus cruelles vertus, lorsqu’elles entendront une voix sortant des profondeurs de l’Infini, qui criera par tout Josaphat : Vous vous êtes trompés !

1298. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Toutes ces choses, il faut les voir dans ce poème incroyable, que Raphaël essaierait peut-être de peindre, s’il revenait au monde, et où les traits pareils a ceux-ci tombent à travers des magnificences d’expressions radieuses, comme de blanches larmes divines : Puisque vous êtes beau, vous êtes bon sans doute !

1299. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Imbu et pénétré de l’esprit des anciens jours, il a les délicieuses terreurs des superstitions qu’il raconte et la faculté de peindre un merveilleux de fée avec des touches d’opale et d’aurore.

1300. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Duranty, c’est qu’il ne fait pas vulgaires les monstres qu’il nous peint avec tant de petits détails.

1301. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

Feuillet y plonge très bien, au contraire, comme nous allons le voir tout à l’heure, piquant les plus belles têtes dans la couleur, l’or et la lumière, écrivant, ce diplomate, comme un peintre, un peintre qui peindrait un vitrail !

1302. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Partout le peuple reconnaissait les images de ses grands hommes ; et sous le plus beau ciel, dans les plus belles campagnes, parmi des bocages ou des forêts sacrées, parmi les cérémonies et les fêtes religieuses les plus brillantes, environnés d’une foule d’artistes, d’orateurs et de poètes, qui tous peignaient, modelaient, célébraient ou chantaient des héros, marchant au bruit enchanteur de la poésie et de la musique, qui étaient animées du même esprit, les Grecs victorieux et libres ne voyaient, ne sentaient, ne respiraient partout que l’ivresse de la gloire et de l’immortalité.

1303. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXV. Des éloges des gens de lettres et des savants. De quelques auteurs du seizième siècle qui en ont écrit parmi nous. »

D’autres écrivains dans différents genres, tels qu’Amyot, traducteur de Plutarque, et grand aumônier de France ; Marguerite de Valois, célèbre par sa beauté comme par son esprit, rivale de Boccace, et aïeule de Henri IV ; et ce Rabelais, qui joua la folie pour faire passer la raison ; et ce Montaigne, qui fut philosophe avec si peu de faste, et peignit ses idées avec tant d’imagination.

1304. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Qui peint avec l’eau, comme il sait peindre les choses ? […] A New-York, et même à Boston, un bon modèle est une telle rareté que la plupart des artistes sont réduits à peindre des Niagara et des millionnaires. […] Il ne sert vraiment pas à grand’chose d’habiller en draperies grecques une jeune fille de Londres et de la peindre en déesse. […] Règle générale, les modèles sont absolument de notre siècle, et devraient être peints comme tels. […] A quoi bon dire aux Artistes qu’ils doivent s’efforcer de peindre la Nature telle qu’elle est réellement.

1305. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

On sent, même avec une oreille à demi profane, combien dans ce dialecte dorien l’ouverture des sons se prête à peindre largement les perspectives de la nature. […] C’est l’enfance de l’Orphée des bergers que le poëte s’est complu à peindre : il y a du Raphaël dans ce tableau. […] Un critique allemand a eu raison de dire que, lors même qu’on n’aurait aujourd’hui que cette seule pièce de Théocrite, on serait encore fondé à le placer au rang des maîtres qui ont excellé à peindre la vie.

1306. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

XIV Çà et là, dans le dédale de ces sentiers, de ces jardins et de ces cours, on découvre de petites habitations de hasard, à un seul rez-de-chaussée, bâties en planches de rebut des démolitions, encore peintes des diverses couleurs des lambris auxquels elles ont appartenu dans les palais ; là vivaient, dans une retraite définitive ou provisoire, quelques solitaires estropiés qui ont acquis à bas prix ce petit coin d’espace entouré d’arbustes ou de gazons. […] C’est la joyeuse ironie lyrique d’un grand poète qui s’adresse aux heureux sycophantes de son pays et de son temps ; qui leur peint en traits de Tacite et de Juvénal les angoisses d’un poète agonisant, qui s’épuise de travail, et qui, ne se trouvant pas assez de sang dans les veines pour désaltérer ses créanciers, entreprend de vendre ses vers pour un peu d’argent, et ne trouve pas assez d’acheteurs pour payer sa vie et pour racheter son honneur avant de mourir. […] Cette détonation inattendue de gaieté cruelle et d’agonie mêlées ensemble fait frissonner la peau et peint le siècle.

1307. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Une batterie de cuisine, composée de bassins de cuivre luisant comme l’or, de vastes soupières grossièrement peintes, et de grands plateaux à mettre le poisson quand on péchait tous les trois ans l’étang du moulin, complétaient cet ameublement, objet d’admiration et d’envie pour toutes les ménagères du village. […] « Je me souviens d’une figure portant un air de souffrance céleste qui me peignait une âme en purgatoire. […] La monotonie n’est pas dans la nature, elle est un nom ; l’âme douée d’une vie éternelle donne la vie à tout ce qui l’impressionne ; sa candeur n’est pas le néant, sa candeur est sa sincérité ; plus elle s’observe, plus elle se peint elle-même ; plus elle se passionne et plus elle nous intéresse.

1308. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Il n’y a d’un peu hardi que ce portrait de Papelardie, l’une des figures peintes sur les murailles du château de Déduyt ; encore l’ironie en est-elle si douce et si dérobée, qu’on pourrait n’y voir qu’une simple description : En sa main un psautier tenoit. […] Nous y reconnaissons la tradition d’une des qualités les plus goûtées de notre littérature, la grâce, dont La Fontaine a dit, comme s’il eût voulu se peindre lui-même : Et la grâce, plus belle encor que la beauté. […] Il faut laisser Faux-Semblant se peindre lui-même.

1309. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Rien que des gens adroits, des malins volant le succès par le chemin de traverse de Paul Delaroche, par le drame, la comédie, l’apologue, par tout ce qui n’est pas de la peinture, — en sorte que sur cette pente, je ne serais pas étonné que le tableau à succès d’un de nos futurs Salons représentât, sur une bande de ciel, un mur mal peint, où une affiche contiendrait quelque chose d’écrit, excessivement spirituel. […] Nous avons donc revu cette maison où est mort notre grand-père, ce joli modèle bourgeois de l’hôtel du xviiie  siècle, cette façade de pierre blanche, tout égayée de serpentements de rocaille et de fleurettes, l’escalier à grands repos, la salle à manger au papier peint représentant des jardins de Constantinople peuplés de Turcs des Mille et une Nuits, la cuisine avec son puits dans une armoire et ses fusils au manteau de la cheminée, — enfin dans le jardin, la serre. […] Un salon de dentiste décoré de papier grenat à fleurs, de divans de velours de coton rouge, de glaces aux cadres sculptés à la serpe par des Quinze-Vingts, d’une pendule représentant un jeune berger donnant à manger à une chèvre, en zinc imitant le bronze, d’un plafond peint où l’on voit, comme sur le couvercle d’une boîte de dragées de la rue des Lombards, deux Amours dans une couronne de fleurs.

1310. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Dans la journée, à nous intimement, par les ombres du parc, le poète contait, en traînant un peu la jambe, son lamento de journaliste et de tourneur de meule, et sa muse exubérante et débordante, emprisonnée dans l’Officiel, condamnée à ne peindre que des murs, ou encore, disait-il, je ne peux pas dire qu’il y a un mot comme m…, écrit dessus. […] Pour notre tante, les Chinois n’étaient absolument qu’un peuple de paravent, et n’en ayant jamais vu que sur du papier peint, elle se figurait que ce peuple était une invention comique. […] Des journaux de médecins jettent à la curiosité cynique de la postérité le placenta des reines, et l’on entre en le livre révélateur de notre ami Soulié, dans le vagin de Marie de Médicis, ouvert à deux battants par l’escapement de ses entrailles majestueuses, d’où roule Louis XIII, comme en une mise bas de Gargamelle, peinte par Rubens.

1311. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Et La Trémouille répond simplement : « J’en étais sûr. » Quelle page peindrait plus fortement l’âme d’une race et d’une époque ? […] Il le peint au vif. […] Il a peint lui-même le Nabab aux prises avec ses emprunteurs et la mimique énergique de son large dos. « Ce dos, à lui seul, était d’une éloquence !  […] Du fond de ma province, où j’avais lu Peints par eux-mêmes, je m’étais fait une toute autre idée de Paul Hervieu. […] Du fond de ma province, où j’avais lu Peints par eux-mêmes, je m’étais fait une toute autre idée de Paul Hervieu.

1312. (1895) Hommes et livres

Comment peindre la civilisation du moyen âge, sans en représenter l’activité philosophique ? […] En revanche, il peint des intérieurs, des mobiliers avec le talent d’un Hollandais. […] Il y a longtemps aussi que l’on a dit que peindre les conditions, et non les caractères, était une chimère. […] On ne peint plus la vertu désespérée, on l’aime heureuse ; elle est touchante par essence, et il suffit qu’elle soit, sans agir et sans souffrir, pour que les yeux deviennent humides. […] Et même pour peindre les mœurs, il faut peindre la vie : et j’ai dit que le xviiie  siècle ne le peut pas.

1313. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

On remarquait, à travers les exclamations descriptives d’usage, bien des vers heureux et simples, de ces vers trouvés, qui peignent sans effort : Le poëte aime l’ombre, il ressemble au berger…. […] Il quitta l’Angleterre pour Amsterdam, revint à Hambourg, séjourna à Francfort-sur-le-Mein ; ses lettres d’alors peignent plus vivement son âme à nu et ses goûts, du fond de la détresse. […] Fontanes avait aussi ses retours d’Hésiode : il vient de peindre la Vénus-Junon  ; il n’a pas moins rendu, dans un sentiment bien richement antique, la Vénus-Cérès, si l’on peut ainsi la nommer ; c’est au huitième chant de la Grèce sauvée  : Salut, Cérès, salut ! […] Si l’amour de la poésie me forçait, malgré moi, de lui sacrifier quelques heures, je ne peignais que mes douleurs ou les tableaux de la campagne que j’avais sous les yeux. […] On doit peindre les massacres de septembre et les horreurs de la Révolution du même pinceau que l’Inquisition et les massacres des Seize.

1314. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Quand il parle, sa figure s’anime, et il peint par son geste tout ce que lui représente son imagination… Il est toujours animé de l’enthousiasme qui caractérise les vrais poètes, et la sensibilité la plus vive et la plus aimable règne dans tout ce qu’il dit. […] Il peignait le public comme un cerbère à cent têtes toujours prêt à mordre et à se réjouir du malheur des autres… Il nous parla de Corneille avec un enthousiasme vivement senti… Il s’étendit beaucoup, particulièrement, sur la tragédie d'Héraclius dont l’intrigue, si vaste et si compliquée en apparence, se réduit cependant à un seul point, et présente à la fois un chef-d’œuvre d’étendue et de simplicité.

1315. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Un peintre d’attributs, qui était occupé au haut de son échelle à peindre l’enseigne d’un charcutier, voit l’accident ; il se précipite et relève Horace, qui n’est pas blessé : celui-ci, pour remerciement, veut lui mettre dans la main une pièce d’or. — « Oh ! […] donnez-moi votre palette. » Et, montant à l’instant à l’échelle, il achève le saucisson et autres objets que le confrère était en train de peindre : cela fait, il lui rend les armes. — « Monsieur Vernet, lui dit solennellement le peintre, en les recevant, ce pinceau et cette palette seront transmis à mes enfants comme mes titres de noblesse. » On ajoute que l’enseigne s’est vue longtemps rue Dauphine.

1316. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Elle s’est peinte de sa propre main de façon à ne pas donner envie de recommencer après elle. […] Avec quelle satisfaction souriante elle se peint à sa petite table, dans ce cabinet que Marat appelait un boudoir, écrivant, sous le couvert du ministre, la fameuse lettre au Pape !

1317. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

On commença par toute la France, dit un des biographes de Rabelais47, à chercher le sens caché de ces livres de « haute graisse, légers au pourchas et hardis à la rencontre », que Rabelais compare à de petites boîtes « peintes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, et renfermant les fines drogues, pierreries et autres choses précieuses. » Ce fut à qui romprait « l’os rnedullaire », pour y trouver « doctrine absconse, laquelle », disait Rabelais, « vous revelera de très-hauts sacrements et mystères horrifiques, tant en ce qui concerne nostre religion qu’aussi l’estat politique et vie oeconomique48. » Cette recherche mécontenta les catholiques ; Rabelais ne leur avait rien épargné de ce qui pouvait se dire, jusques au feu exclusivement ; elle désappointa les partisans des idées nouvelles, que Rabelais n’attaquait pas, mais qu’il défendait encore moins. […] Le mot étudier est trop faible pour peindre cette ardeur de curiosité avec laquelle il se jeta sur tout ce qui avait été retrouvé de l’antiquité, philosophie, morale, médecine, anatomie, astronomie, marine, guerre, jeux, gymnastique, tout jusqu’à ces raretés de bibliographie qui ont été le produit de quelques cerveaux malades.

1318. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Le bleu, c’est jalousie, et la mer en est peinte. […] Il peignit par ces traits généraux et sommaires sous lesquels nous apparaît la nature extérieure.

1319. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Un autre poète du temps, Jean Sirmond, dans d’excellents vers latins, salue en Balzac la personnification de l’éloquence : « Telle apparaîtrait, dit-il, l’Éloquence, heureuse de se faire voir sous ses propres traits, si elle descendait du ciel, soit pour accabler le crime, soit pour diviniser la vertu8. » Il peint l’étonnement de la cour, entendant cette parole si vive et ce qu’il appelle les miracles de la déesse de la persuasion. […] J’excepte pourtant la lettre sur le siège de Corbie, où le cardinal de Richelieu est peint dans la grande manière de Balzac, et avec une aisance dans le relevé, qui a manqué à Balzac.

1320. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

 » Rien n’est grand ni petit devant mes yeux géants ;  » La goutte d’eau me peint comme les océans ;  » De tout ce qui me voit je suis l’astre et la vie ;  » Comme le cèdre altier, l’herbe me glorifie ;  » J’y chauffe la fourmi, des nuits j’y bois les pleurs,  » Mon rayon s’y parfume en traînant sur les fleurs. […] Alfred de Musset mêle à tous ses amours cette soif d’idéal que ne peuvent éteindre les « mamelles d’airain de la réalité » ; il va jusqu’à la prêter à son don Juan idéalisé, et il nous peint le désir cloué sur terre, Comme un aigle blessé qui meurt dans la poussière, L’aile ouverte et les yeux fixés sur le soleil.

1321. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Leurs vertus sont peintes avec d’autant plus de sincérité qu’elles respiroient dans la personne du peintre, ainsi que dans ses écrits. […] Il exprime les différens caractères par des traits fermes, énergiques & précis qui peignent l’ame même ; ses descriptions vives & animées entraînent le lecteur.

1322. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Je trouve nos démocraties d’un intérêt poignant, travaillées par le terrible problème de la loi du travail, si débordantes de souffrance et de courage, de pitié et de charité humaines, qu’un grand artiste ne saurait à les peindre, épuiser son cerveau ni son cœur. […] Peindre de la vie signifie de plus en plus prendre part à l’action.

1323. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Le vœu secret du romancier paraît être toujours de peindre des êtres d’émotion plus que d’action, des amoureux plutôt que des lutteurs. […] En faisant vivre dans le roman quelques-uns de ses habitants, on a l’impression réconfortante que l’on peint un état social qui a peu varié, qui se modifie lentement, et que les scènes qui sont vraies aujourd’hui resteront longtemps vraisemblables.

1324. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Non, Indiana n’était pas une œuvre isolée, née d’un concours de circonstances fortuites, et qui ne dût pas avoir de sœur ; non,  l’auteur n’était pas seulement doué d’une âme qui eut souffert et d’un souvenir qui sût se peindre.

1325. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Chacun a admiré en lui cette audace et cette puissance de tout fouiller et de tout peindre, d’égaler sa voix qui gourmande au mugissement de la clameur publique, de monter son harmonie sifflante au diapason des barricades ou de l’émeute, de manière à être entendu.

1326. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Ce qu’il peint de préférence ce sont les sentiments les plus ordinaires et les mœurs les plus modestes.

1327. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

» Deux anecdotes, du genre de celles qu’il ne faut pas accepter comme historiques, mais qui se proposent de rendre un trait de caractère en l’exagérant, peignaient bien ce défi jeté à la nature.

1328. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Le premier discours est en partie le résumé, et en partie le développement d’une conversation sur la grandeur du caractère romain ; Balzac y peint, d’après Polybe et Tite-Live, l’âme d’un citoyen de la république ; après l’avoir montré impénétrable à la vanité, à la peur, à l’avarice, ensuite sensible à la faveur de l’étranger, ou d’un usurpateur, il le fait voir à la dernière épreuve de sa vertu ; c’est l’injustice de la république à son égard. « La république, madame, ne le peut perdre, quelque négligente qu’elle soit à le conserver ; il souffre non seulement avec patience, mais encore avec dignité, ses mépris et ses injustices.

1329. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

On reconnoît si le poëte a choisi un objet touchant et s’il l’a bien imité ; comme on reconnoît sans raisonner si le peintre a peint une belle personne, ou si celui qui a fait le portrait de notre ami l’a fait ressemblant.

1330. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Seulement, nous croyons qu’alors, dans cette vaste galerie qui s’appelle l’histoire d’une société, il y aurait — si on recommençait de la construire sur nouveaux frais et de la peindre — deux frères mosaïstes qui feraient leur pan de lambris ou de plafond avec une distinction très rare, et que la Critique devrait apprécier.

1331. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Pourquoi Rembrandt n’a-t-il pas peint Philippe II ?

1332. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Il admire beaucoup le vers sublime (ce détail le peint assez bien) : L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux !

1333. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

Il s’agit de porter un jugement de penseur sur Nelson, après l’avoir peint en artiste.

1334. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

Il s’agit de porter un jugement de penseur sur Nelson, après l’avoir peint en artiste.

1335. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Il faudrait s’indianiser par l’étude, perdre de la netteté de sa pensée, s’émousser et s’abaisser au niveau de l’engourdissement d’un peuple qui s’est peint tout entier dans le cadre de cet axiome : « Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, mort que vivant ! 

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