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1631. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Avec la précocité méridionale, des enfants de six ans se disent déjà des tendresses dans le langage convenu des yeux et des doigts. […] Les mots, les tours et tous les trésors du langage sont sous sa main ; non seulement il égale les plus habiles maîtres dans l’art de décrire les formes extérieures des choses, mais l’âme intérieure des choses lui est aussi visible qu’au romancier et au psychologue qui font métier de démêler et de noter les nuances des sentiments. […] Les premières religions ne sont qu’un langage exact, le cri involontaire d’une âme qui sent la sublimité et l’éternité des choses, en même temps qu’elle perçoit leurs dehors. Tout autre langage est abstrait ; toute autre représentation démembre et tue la nature vivante. […] Je pourrais même citer des arrondissements ou il suffit que les gros fermiers, les propriétaires adoptent un nom pour que les Journaliers adoptent l’autre. — Règle générale : le villageois ne reçoit conseil que de ses égaux ; il ne parle volontiers d’affaires publiques qu’avec les gens de la même condition et du même habit, qui trinquent avec lui et parlent son langage.

1632. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

nous bégayons ton langage immortel Comme un prêtre qui monte aux marches de l’autel Pour la première fois, et qui pleure et qui tremble. […] Vous n’y trouverez pas cet horrible jeune Horace, ce prêtre sans entrailles de la religion de la patrie ; ce sectaire chez qui le sentiment le plus tendre et le plus généreux affecte les formes et parle le langage de la superstition la plus féroce et la plus étroite, et qui sert Rome de la même façon qu’un sacrificateur sans sexe et sans famille servirait quelque monstrueuse et cruelle idole. […] Nous y retrouvions si bien le tour le plus récent de notre pensée et de notre langage, et, mêlées à l’observation la plus profonde, l’ironie la moins pédante, la moins appuyée, et la fantaisie la plus gracieuse ! […] Croyez-bien que, tandis qu’il s’évertue à mettre en beau langage les visions que suscite en lui l’idée de la rencontre toujours recommençante de l’Ève éternelle et de l’éternel Adam, il devient pur comme un ange et ne pense plus à mal. […] L’auteur a eu beau s’appliquer à changer le « milieu », à rajeunir le langage et l’allure de ses personnages, et emprunter à M. 

1633. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Rabelais, au quatrième livre de Pantagruel, nous montre Villon à la cour d’Édouard V, roi d’Angleterre, puis retiré à Saint-Maixent en Poitou et y faisant jouer la Passion « en gestes et langage poictevin… » Où et quand meurt-il ? […] Nous nous disons : Ces propos, ce tour de langage, ces costumes, ces sentiments, cette façon d’être spirituel et cette façon d’être tendre, tout cela c’était ce qui plaisait aux aïeux de nos grands-parents. […] Si, assez souvent, nos sentiments nous appartiennent, il arrive beaucoup plus rarement que notre langage soit bien à nous. ) Maintenant, il faut faire une distinction. […] » Ajoutez que, à partir du moment où le mari entre en scène, tout le détail de son langage et de sa conduite rappelle étrangement les gens de là-bas tels que l’ironie de quelques-uns de leurs compatriotes nous les a fait connaître, et que, n’était le tragique de la situation, certains mots et certains gestes de Malandran semblent des gestes et des mots — transposés — du béros d’Alphonse Daudet. […] Elle parle le langage de ces préjugés et de ces idées, elle en fait les gestes, et cela de bonne foi peut-être.

1634. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Rien ne les distinguait de l’ordinaire des paysans, si ce n’est qu’ils avaient peut-être un extérieur plus soigné, un langage plus choisi, fleuri même, volontiers émaillé de locutions françaises, des manières enfin et des gestes qui se sentaient d’une ancienne éducation cléricale… Venus tard aux lettres, beaucoup se décourageaient après les premières étapes ou bien étaient dissuadés par leurs maîtres de poursuivre. […] Je n’estime pas non plus excellent « changer un langage en pleurs » : Nous vous verrions, troublé de cette affreuse image, Changer bientôt en pleurs ce superbe langage. […] A la première déclaration d’Hippolyte, elle répond : « Je vous aime aussi. » Elle le dit à sa manière, elle le dit en langage choisi, elle le dit spirituellement ; mais elle le dit aussi nettement qu’on peut le dire. […] Rome, n’écoute point leur séduisant langage : Tout art t’est étranger ; combattre est ton partage : Confonds tes ennemis, de ta gloire irrités ; Tombe, ou punis les rois : ce sont là tes traités.

1635. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Mais, nonobstant, Victor Hugo vous a donné, pour une fois, un bien beau langage. […] Les personnages ont souvent comme un langage de rêve, flottant, indécis ou brusquement capricieux, le tout dans une grâce et une aisance de vols d’hirondelles. C’est un langage, lui aussi, détaché de la terre, et qui est comme celui des nuages, des rayons et des oiseaux. […] Du talent, certes ; mais, pour parler un instant le langage des foyers de théâtre, d’« incarnation », pas pour une obole.

1636. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Royer-Collard n’a rien de ce temps-ci, disait-on ; tour de pensée et langage, il est tout d’une autre époque !  […] Dans un très bon article des Débats sur le Patelin publié par Génin (29 février 1856), je vois qu’on lui accorde aussi l’atticisme de langage.

1637. (1933) De mon temps…

Il ne m’en imposait plus, mais je goûtais fort son pittoresque cordial et bourru qui, sous des écarts de langage, dissimulait des générosités soudaines et des sensibilités inattendues. […] A cette glorification, l’Académie française n’avait pas voulu rester étrangère et m’avait fait l’honneur de me désigner pour la représenter et pour apporter l’hommage des Lettres françaises à celui qui avait su exprimer si magnifiquement, dans le langage de France, l’âme tumultueuse tour à tour et méditative des Flandres.

1638. (1925) Dissociations

C’est tout le corps qui parle et il parle un langage délicat sensible seulement à l’intelligence. […] Ainsi, en ce moment, il est question d’élargir une rue qui fait communiquer les deux rives à travers l’île Saint-Louis et des habitants de ce quartier insulaire s’insurgent contre ce que l’administration appelle, en son langage malséant, une opération de voirie, et ce qu’ils nomment, eux, une opération de vandalisme.

1639. (1896) Le livre des masques

c’est tiré des singulières Poésies : « Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l’ordre physique ou moral, l’esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu’il ne faut pas faire, les singularités chimiques du vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l’orgueil, l’inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l’absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cour d’assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d’aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les âcretés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l’enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses des camélias, la culpabilité d’un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées comme celles de Cromwell, de Mademoiselle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, — devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe souverainement. » Maldoror (ou Lautréamont) semble s’être jugé lui-même en se faisant apostropher ainsi par son énigmatique Crapaud : « Ton esprit est tellement malade qu’il ne s’en aperçoit pas, et que tu crois être dans ton naturel chaque fois qu’il sort de ta bouche des paroles insensées, quoique pleines d’une infernale grandeur. » Tristan Corbière Laforgue, au courant d’une lecture, crayonna sur Corbière des notes qui, non rédigées, sont tout de même définitives ; parmi : « Bohème de l’Océan — picaresque et falot — cassant, concis, cinglant le vers à la cravache — strident comme le cri des mouettes et comme elles jamais las — sans esthétisme — pas de la poésie et pas du vers, à peine de la littérature — sensuel, il ne montre jamais la chair — voyou et byronien — toujours le mot net — il n’est un autre artiste en vers plus dégagé que lui du langage poétique — il a un métier sans intérêt plastique — l’intérêt, l’effet est dans le cinglé, la pointe-sèche, le calembour, la fringance, le haché romantique — il veut être indéfinissable, incatalogable, pas être aimé, pas être haï ; bref, déclassé detoutes les latitudes, de toutes les mœurs, en deçà et au-delà des Pyrénées. » Ceci est sans doute la vérité : Corbière fut toute sa vie dominé et mené par le démon de la contradiction. […] Là tu vas composant ces beaux livres, honneur Du langage français et de la noble Athènes.

1640. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Accoudée sur la barre d’appui de la fenêtre, la femme d’ouvrier regarde au loin Paris qui, des hauteurs de Belleville, lui apparaît dans le lointain et lui adresse en son langage cette éloquente apostrophe. […] Il n’ose peut-être pas en langage connu appeler l’œil du Très-Haut sur la pâture des jeunes prisonniers […] Si Rabelais osait se présenter parlant le langage du savant qu’il était, avec la véritable figure que la nature lui avait donnée, on le chasserait évidemment de partout comme un usurpateur en lui disant : Vous n’êtes pas Rabelais ! […] Je vous étonne sans doute en vous tenant ce langage, mais vous reverrai-je jamais ?

1641. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Le langage courant en donne la raison quand il emploie le terme de « commerce épistolaire ». […] Mme Bovary et Homais, Bouvard et Pécuchet font si bien concurrence à l’état civil que l’allusion à leur existence a passé dans le langage courant. […] Pour reproduire cette échelle de valeurs, le romancier doit mettre en scène trois séries de caractères : des avortés et des grotesques dans le fond du tableau, des individualités ordinaires dans le milieu, et, sur le premier plan, ce que le langage vulgaire appelle des héros, des natures exceptionnelles… » Il insistait sur la nécessité du trait substitué à la description pour donner une vue et un sentiment des paysages. […] Mais qui dit égotiste ne dit pas égoïste, au sens où le langage ordinaire prend ce terme. […] Nous avions comme répétiteur à Sainte-Barbe, d’où nous suivions les classes du lycée, un autre lettré, mais moins passionné de beau langage que de politique, M. 

1642. (1888) Portraits de maîtres

Chateaubriand leur ouvrit la voie de substituer aux anciennes relations un mode de récit où la nature est sans cesse observée, même dans ses moindres accidents, où la physionomie du paysage est reproduite avec un soin jaloux, le génie local des peuples sans cesse interprété par l’art de voir et d’écrire, l’impression même des climats rendue par la fidélité pittoresque du langage. […] Le courage de ses doctrines ne lui vint que dans sa dernière saison à la tribune du Sénat, et ce courage l’honore plus sûrement que des compromis de langage et des concessions mensongères. […] Voilà le langage qu’il faut faire entendre à la jeunesse. […] À la vérité la plupart des républicains ne tenaient pas un autre langage depuis Carrel jusqu’aux accusés du procès d’Avril.

1643. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

J’aurais voulu, ajoute-t-il, m’y faire voir, portant sur mon dos, quelque chose parlant aux yeux, quelque chose qui fût une marque, un signe, un langage, quelque chose pareil au joug, dont le prophète Isaïe ou Ezéchiel avait chargé ses épaules. […] Tout à coup son langage se brouille et se hollandise, ses paroles deviennent bizarres, incohérentes… Il y est question d’agents de Louis XVII, de choses horribles dont le peintre aurait été témoin… Il se lève, comme mû par un ressort : « Voyez-vous, une électricité vient de passer à côté de moi », — et il fait, avec sa bouche, l’imitation d’une balle qui siffle… Le soir, Verlaine confesse une chose incroyable. […] C’est une sœur qui a la tête d’un chancelier d’Angleterre, une sœur aux manières hommasses, au langage peuple, avec de la douceur au milieu de tout cela.

1644. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Je vais dépoüiller mon ode de tous les ornements poëtiques, en reduire éxactement le sens dans un langage sérieux et litteral ; après quoy j’ose appeller à Me D même du jugement précipité qu’elle en porte. […] Quoiqu’il en soit, dès que je ne conviens pas qu’Homere ait perfectionné l’art qu’il a inventé, Me D conclut que je le méprise ; moi qui ai avancé formellement que par une supériorité de génie il avoit saisi les prémieres idées de l’éloquence dans tous les genres ; qu’il avoit parlé le langage de toutes les passions ; qu’il avoit ouvert aux écrivains qui devoient le suivre, une infinité de routes qu’il ne restoit plus qu’à applanir ; et qu’enfin ceux mêmes qui le surpasseroient, devroient encore le regarder comme leur maître. […] Parlons le langage de Me D l’affaire est vuidée ; il n’y a plus qu’à soumettre son jugement à celui de tant de grands hommes .

1645. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Dans le langage familier, les fils disent : « My governor. » En France ils diraient : « Le banquier. » 1330.

1646. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

— « Du milieu de ces ruines, dit-il, et de ces peuples renouvelés, sortent de nouvelles langues ; le mélange de l’idiome maternel de ces peuples étrangers avec l’idiome de l’ancienne Rome donne une autre forme au langage. » — De temps en temps une armée, jadis romaine, sous la conduite d’un lieutenant de l’empereur d’Orient, vient lutter avec plus ou moins de succès contre les Lombards ou les Hérules maîtres de l’Italie.

1647. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Lié avec Vaugelas, Balzac, D’Ablancourt, plus tard avec Boileau et La Fontaine, il faisait autorité en matière de langage et de goût.

1648. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Hugo, traînent pendant longtemps des lambeaux de langage classique, des oripeaux d’élégance banale ; tous, même le maître, ont peine à dépouiller ce vêtement suranné, fripé, qui se colle à leur pensée735.

1649. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

La modernité, c’est encore ce qui, dans les cervelles, a l’empreinte du moment où nous sommes ; c’est une certaine fleur de culture extrême ou de perversion intellectuelle ; un tour d’esprit et de langage fait surtout d’outrance, de recherche et d’irrévérence, où dominent le paradoxe, l’ironie et « la blague », où se trahit le fiévreux de l’existence, une expérience amère, une prétention à être revenu de tout, en même temps qu’une sensibilité excessive ; et c’est aussi, chez quelques personnes privilégiées, une bonté, une tendresse de cœur que les désillusions du blasé font plus désintéressée, et que l’intelligence du critique et de l’artiste fait plus indulgente et plus délicate… La modernité, c’est une chose à la fois très vague et très simple ; et l’on dira peut-être que la découverte de MM. de Goncourt n’est point si extraordinaire, qu’on avait inventé « le moderne » bien avant eux, qu’il n’y faut que des yeux.

1650. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Le drame musical parle le langage du chant ; ses personnages sont des Types, présentés dans leur seule essence ; le tout, un tableau idéal, le Mythe universel.

1651. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

La forme extérieure d’un roman commence au style, et aimer un certain style, c’est pour un lecteur éprouver que les conditions de sonorité, de couleur, de précision, de grandeur et d’éloquence, suivant lesquelles les mots ont été choisis et assemblés, sont celles qui réalisent ou du moins qui ne choquent pas son idée vague de la propriété et de la beauté du langage, idée qui lui est personnelle, qui le caractérise puisque son voisin peut ne pas la partager, qui fait donc partie du cours de ses pensées et aide à le définir.

1652. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Les brahmanes, prêtres de la religion et gardiens des mœurs, n’auraient pas permis sans doute qu’on donnât en spectacle à la multitude, comme on l’a fait malheureusement en Grèce, à Rome et chez nous, des passions féroces et des attentats odieux reproduits en langage et en action sur la scène, et propres à dépraver les imaginations d’un peuple religieux.

1653. (1914) Boulevard et coulisses

Dans le langage familier, on se plaît à appeler ces périodes des périodes de transition, ce qui est une expression qui ne signifie pas grand’chose, car elle peut s’appliquer à peu près à toutes les époques, et, par exemple, on l’applique communément aujourd’hui à la nôtre.

1654. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Il est très possible que des formes, aujourd’hui généralement considérées comme de simples variétés, soient plus tard jugées dignes d’un nom spécifique, comme il en serait par exemple de la Primevère et du Coucou ; et en ce cas le langage scientifique se mettrait d’accord avec la langue vulgaire.

1655. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

En même temps que le style, les sujets se trouvaient changés ; il resserrait et ennoblissait le domaine comme le langage du poëte, et consacrait ses pensées comme ses paroles. […] Quand la débauche, —  par des regards impurs, des gestes immodestes et un langage souillé, —  mais surtout par l’acte ignoble et prodigue du péché, —  laisse entrer l’infamie au plus profond de l’homme, —  l’âme cadavéreuse s’infecte par contagion, —  ensevelie dans la chair et abrutie, jusqu’à ce qu’elle perde entièrement — le divin caractère de son premier être. —  Telles sont les lourdes et humides ombres funèbres — que l’on voit souvent sous les voûtes des charniers et dans les sépulcres, —  attardées et assises auprès d’une tombe nouvelle, —  comme par regret de quitter le corps qu’elles aimaient503.

1656. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Exprimées en langage exact, de telles idées paraissent changer de physionomie et n’être plus elles-mêmes ; la précision est contraire à leur nature : la mobilité universelle ne saurait s’exprimer sans contradiction par des signes déterminés. […] Pour mesurer la force de leur esprit et même la valeur exacte de leurs doctrines, il faudrait entrer avec eux dans leurs études spéciales, les voir aux prises avec les faits, les idées, les mœurs, les œuvres d’esprit, le langage, les croyances : c’est par là qu’ils intéressent et qu’ils remuent.

1657. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Pendant un séjour à Hyères pour une convalescence trop provisoire, il se sentit touché des entretiens d’un prêtre, qui lui parla un langage d’affection et de charité : J’ai trouvé dans le curé d’Hyères, écrivait-il à son jeune frère du second lit (M. de Forcade), un prêtre comme je les comprends et les aime.

1658. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Il connut Victor Hugo de bonne heure, à la suite d’un article qui n’était pas sans réserve, si je ne me trompe, sur Han d’Islande ; il découvrit vite, au langage vibrant du jeune lyrique, les dons les plus royaux du rhythme et de la couleur.

1659. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Je n’en ai pas encore vu un s’échauffer contre un soldat-paysan, et j’ai vu en même temps un air de respect filial de la part de ces derniers… C’est le paradis terrestre pour les mœurs, la simplicité, la vraie grandeur patriarcale : des paysans dont l’attitude devant les seigneurs est celle d’un fils tendre devant son père, des seigneurs qui ne parlent à ces paysans dans leur langage grossier et rude que d’un air bon et riant ; on voit un amour réciproque entre les maîtres et les serviteurs »  Plus au sud, dans le Bocage, pays tout agricole et sans routes, où les dames voyagent à cheval et dans des voitures à bœufs, où le seigneur n’a pas de fermiers, mais vingt-cinq à trente petits métayers avec lesquels il partage, la primauté des grands ne fait point de peine aux petits.

1660. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Mes sentiments sont tout autres et me dictent un autre langage.

1661. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

c’est toi qui les as unis, premièrement par la proximité du domicile, ensuite par les liens du mariage, et enfin par la conformité du langage et de l’écriture !

1662. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Leur langage est sublime ; mais, si vous vous taisez, il n’échauffe point le cœur.

1663. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Combien, par exemple, ces admirables oraisons funèbres, où Bossuet a commenté la mort dans un si magnifique langage, sont loin de ce que réclamerait notre manière actuelle de sentir, à cause du cadre délimité et précis où la théologie avait réduit les idées de l’autre vie.

1664. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Il superpose à la partition des images riches et évocatrices et décrit même un véritable tableau, traduisant en un langage pictural la musique de son futur beau-fils : « éclat éblouissant de coloris », « regards éblouis », jusqu’à l’assimilation de la mélodie à une fleur « monopétale ».

1665. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Dans cette hypothèse, le mouvement serait une transposition des éléments sensationnels et appétitifs en langage visuel et tactile ; il serait un extrait des sensations mêmes et appétitions, et une expression spatiale de leurs rapports24.

1666. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Le mythe est le germe commun de la religion, de la poésie et du langage : si tout mot est au fond une image, toute phrase est au fond un mythe complet, c’est-à-dire l’histoire fictive des mots mis en action.

1667. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

XXI La plus belle scène du quatrième acte est celle où le grand-prêtre, avant de couronner Joas dans le temple, sonde l’esprit de l’enfant, et lui enseigne, dans un langage bien hardi devant Louis XIV, les devoirs des rois devant Dieu et devant leur peuple.

1668. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

L’introduction est déjà hérissée d’une foule de distinctions, fines et vraies, mais subtiles en apparence, exprimées avec une brièveté quelquefois énigmatique et dans un langage qui, par sa sévérité et sa bizarrerie, rappelle trop souvent la scholastique.

1669. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

— Et quel inconvénient ce vice et cette barbarie de langage et de style ont-ils pour l’avenir ?

1670. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

C’est la chose la plus merveilleuse que vous ayez jamais vue. » Tout accoutumé qu’il fût aux excentricités de son ami Legrand, Poe fut frappé de l’exaltation de sa parole quand il parla de ce scarabée, que Jupiter, aussi exalté que son maître, disait, dans son langage de nègre : « être d’or, d’or massif, dedans et tout, excepté les ailes », et qui pesait autant que s’il avait été de métal.

1671. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

C’est en un mot tout ce que le langage populaire appelle corps aristocratiques, d’un mot très impropre ; car une aristocratie c’est une oligarchie ; c’est, au milieu d’un peuple, un certain nombre d’hommes qui concentrent en eux, à l’exclusion des autres, les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif ; et les corps intermédiaires n’ont nullement ce caractère et ne doivent pas l’avoir. […] De ces dogmes à proscrire, l’intolérance est certainement le plus odieux, mais il faut le prendre à sa source ; car les fanatiques les plus sanguinaires changent de langage selon la fortune et ne prêchent que patience et douceur quand ils ne sont pas les plus forts. […] I). — Mais ceci est le langage d’un libéral, langage qu’il est arrivé à Auguste Comte de parler quelquefois. […] Il y a donc entre le polythéisme et l’Etat antique beaucoup plus de rapports secrets, intimes et profonds qu’on ne croit, et rien n’est plus naturel que l’horreur et la terreur de l’État antique en présence de là religion nouvelle qui seule entre toutes les religions attaquait le polythéisme lui-même et son principe. — Bossuet, que Voltaire a trop méprisé et n’a pas assez lu, a vu ces choses parfaitement et les expose en un langage qui a sur celui d’Auguste Comte quelques avantages de clarté et d’agrément : « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu.

1672. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

III Qui sait si ce langage caché dans une lettre confidentielle, emmiellé de choses flatteuses, court à l’endroit des critiques, développé aux louanges, n’eût pas ramené Quintius à lui-même, et changé la vanité qu’il avait de ses avantages mondains en une confiance virile en ses qualités ? […] Rousse, la revue de sa vie politique, dans ce langage sobre, correct, robuste, passionné et contenu qui est son caractère, son tempérament, tout son être ? […] IV C’est à peu près le langage que me tenait le grand physiologiste Claude Bernard, mon collègue au Sénat, mon confrère à l’Institut, et mon ami.

1673. (1913) Poètes et critiques

Entre la manière raffinée de la plupart de nos faiseurs de vers et la verve un peu grosse, la bonhomie un peu basse, des meilleurs de nos chansonniers, Maurice Bouchor a su garder une mesure bien rare ; il a eu l’heureux privilège de trouver un langage qui, sans rien sacrifier du sérieux de l’idée ou de la vertu poétique, ne cesse pas d’aller au cœur et à l’intelligence de l’enfant. […] Dans ses études sur les contemporains ou sur les auteurs du passé, Jules Lemaître a déployé, légèrement et sans effort, une habileté infinie à s’exprimer lui-même avec son naturel flexible et onduleux, avec la délicatesse subtile de sa pensée et la grâce de son langage ; il a fait, on l’a dit souvent, de la critique d’impressions : qui pourrait s’étonner qu’elle ait, de bonne heure, abouti au roman, au théâtre ? […] Et certes, si Verlaine a dû quelques indications à Desbordes-Valmore, il était beaucoup plus d’accord, de sentiment et de langage, avec Shakespeare, lorsque, aussitôt après avoir transcrit ces vers délicieux, il modulait subtilement quelques préceptes de son art, en homme parvenu à comprendre tout le sens de cette règle des anciens : « La poésie est la musique. » Mais ce n’est pas chez les anciens, c’est dans un des sonnets du Pèlerin féru d’amour (The passionate Pilgrim) qu’il avait trouvé la formule.

1674. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Les raffinements du langage et de la pensée amollirent la noble muse de Pindare ; les subtilités l’étiolèrent, la galanterie l’affadit. […] On a quelques lettres de Henri II à sa favorite : elles respirent une servitude passionnée : jamais le sigisbéisme italien n’a parlé plus humble langage : « Madame, je vous suplye de me mander de vostre santé… afin que, selon cela, je me gouverne. […] Ce n’était plus le même homme. « Il ne veut pas quitter ce portrait, — dit Mme d’Aunoy17 — il le met toujours sur son cœur ; il luy dit des douceurs qui étonnent tous les courtisans, car il parle un langage qu’il n’a jamais parlé ; sa passion pour la princesse luy fournit mille pensées qu’il ne peut confier à personne ; il luy semble que l’on n’entre pas assez dans ses impatiences et dans le désir qu’il a de la voir ; il luy écrit sans cesse, et il fait partir presque tous les jours des courriers extraordinaires pour luy porter ses lettres et luy rapporter de ses nouvelles. » L’amour l’avait transfiguré : l’idiot pensait, le muet parlait, le somnambule se réveillait en sursaut.

1675. (1897) Aspects pp. -215

Infatigablement, sous couleur de patrie, mais en réalité pour maintenir son privilège, elle enseigne le culte de la mort. « Voici des armes, prêche-t-elle aux enfants, apprenez à vous en servir le mieux possible de façon à supprimer autrui s’il habite de l’autre côté de la rivière et s’il ne parle pas le même langage que vous. » Bien plus, ces Maîtres exultent quand leurs chimistes leur découvrent un nouvel explosif capable de détruire d’un seul coup des centaines d’hommes. […] Herzen dit d’un de ses articles : « C’est le langage d’un homme libre. […] Edmondo de Amicis : « Pour bien écrire, il faut aimer la vie. » Puis il ajoutait, presqu’anxieux : « À force de vouloir ciseler, polir, broder et peindre, à force de demander aux mots d’exhaler l’odeur des choses, de nous ingénier à rendre tous les sons, nous nous sommes forgé un langage conventionnel, un jargon littéraire qui nous est propre et qui ne pourra longtemps plaire parce qu’il n’est pas la beauté mais la mode, parce qu’il n’est pas la force mais l’effort, un langage qui vieillira infailliblement et deviendra intolérable aux générations futures.

1676. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Mais, ne serait-il question que de littérature et ne songerait-on qu’à mesurer la distance parcourue du point de départ au point d’arrivée du grand poète, cette correspondance renferme un puissant élément d’intérêt : il est curieux de voir l’adolescent qui écrira la Légende des siècles parler dans ses premières lettres ce reste de langage du xviiie  siècle, défiguré par la phraséologie de la Révolution, pénétré des élans attendris que Jean-Jacques avait mis à la mode. […] À propos de la critique de ses droits et aussi de ses devoirs dont il est beaucoup parlé aujourd’hui, qu’il me soit permis de répondre par ces quelques lignes à une assez juste protestation contre les intempérances de langage de quelques écrivains qui croient devoir s’ériger en juges sévères de leurs confrères : Le critique insolent, grossier, se fait plus que rare aujourd’hui parmi ceux qui ont un véritable talent ; quelques mécontents, ou de n’en avoir pas, ou de croire qu’on le méconnaît, tentent, il est vrai, d’attirer l’attention par des éclats de paroles dont l’indifférence a bientôt fait justice ; laissons-leur, comme disait Musset, cette sorte d’intrépidité qui ne doute de rien et qui n’est que trop facile : le courage des gens mal élevés. […] Avec une candeur qu’on ne saurait supposer à un homme qui avait assez vu de la vie pour la connaître, il déclaré, dans ses Mémoires qui viennent de paraître, qu’il avait pris toutes les précautions de langage pour adoucir sa pensée. […] Fould s’en aperçurent bien vite et, meilleurs courtisans, plus diplomates que le duc, ils arrivaient toujours à faire triompher leurs idées, M. de Persigny apportant toujours, dès les premiers mots d’une discussion, tant de violence de langage que ses causes, si bonnes fussent-elles, étaient régulièrement perdues d’avance.

1677. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

» Fontenelle, plus positif, se fit des élèves, à souhait, de quantité de marquises auxquelles il donnait plus d’une leçon de physique, d’astronomie et de fin langage.

1678. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Avec un art admirable, Tennyson en a renouvelé les sentiments et le langage ; cette âme flexible prend tous les tons pour se donner tous les plaisirs.

1679. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Les femmes, auxquelles on s’efforçait de plaire, n’entendaient pas le langage savant.

1680. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Est-ce qu’il y a plus de langage dans un mot écrit que dans un trait peint ?

1681. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

L’Esprit lui parle un langage lyrique comme les étoiles du firmament, mystérieux comme les sept sceaux de l’abîme.

1682. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Un vrai poète homérique en ce temps-ci ; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d’un caillou de la Crau ; un poète primitif dans notre âge de décadence ; un poète grec à Avignon ; un poète qui crée une langue d’un idiome comme Pétrarque a créé l’italien ; un poète qui d’un patois vulgaire fait un langage classique d’images et d’harmonie ravissant l’imagination et l’oreille ; un poète qui joue sur la guimbarde de son village des symphonies de Mozart et de Beethoven ; un poète de vingt-cinq ans qui, du premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et mélodieux, une épopée agreste où les scènes descriptives de l’Odyssée d’Homère et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé de Longus, mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l’aveugle de Chio, est-ce là un miracle ?

1683. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Quant à l’histoire, à l’éloquence, au drame, qui demandent un langage clair comme le fait, évident comme le regard, rapide et foudroyant comme le coup du verbe humain sur l’âme, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, le Portugal paraissent plus aptes à ces trois fonctions de la parole que l’Allemagne.

1684. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Nous avons assisté de nos jours, dans un pays aussi lettré que Rome, dans des temps aussi révolutionnaires que le temps de Cicéron, à des scènes d’éloquence aussi décisives que celle du sénat romain, entre des hommes de bien, des hommes de subversion, des ambitieux, des factieux, des Catilinas, des Clodius, des Cicérons, des Pompées, des Césars modernes ; nous avons assisté, disons-nous, aux drames les plus tumultueux et les plus sanglants de notre époque : mais nous n’avons jamais entendu des accents où la colère et le génie oratoire, le crime ou la vertu vociférés par des lèvres humaines, fussent autant fondus en lave ou en foudre dans des harangues si ardentes d’invectives, si solennelles de vertu et si accomplies de langage !

1685. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Là, tu estimes à son prix la vaine renommée que donnent les hommes à ceux qui, dans le langage terrestre, cadencent le mieux leur pensée, ou qui, se sentant plus forts que le vulgaire, parlent en images fortes comme eux, et s’expriment en images pénétrantes et neuves, au lieu de balbutier des pensées communes dans un jargon tout fait !

1686. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Il y avait le vénitien, mais c’était si frêle et si doux que cela ne pouvait être susurré que par des lèvres de femme, cela répugnait à la virilité des héros ; il y avait le milanais, c’était mêlé d’allemand et de français, plus jargon que langue ; il y avait le génois et le piémontais, cela n’avait ni syntaxe, ni accent, ni sens, patois de peuples qui ne s’appartiennent pas et qui s’entendent entre eux contre leurs conquérants par signes plus que par le langage.

1687. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Son langage ému nous émut tous et nous ne fîmes, nous, qu’applaudir et confirmer ses raisons : « Que m’importe ce que vous penserez de moi !

1688. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il parut content de ces réponses, qu’il traduisait dans son langage, en leur donnant plus de précision que je n’avais pu leur en donner. — Comme remarque générale, je dirai que dans toute cette conversation j’eus à admirer la variété de ses paroles d’approbation : rarement, en écoutant, il restait immobile ; il faisait un mouvement de tête significatif, ou disait : oui, ou : c’est bien, et d’autres phrases de ce genre.

1689. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Ce n’est donc point, pour parler le langage de la mécanique, la « force potentielle », mais sa transformation en force vive et en mouvement qui cause le plaisir, pourvu que cette dépense n’excède pas la réparation nécessaire à la « survivance de l’individu ou de l’espèce. » En fait, toute action normale et proportionnée d’un nerf suffisamment nourri cause de la jouissance.

1690. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Oui, nous sommes de ce monde, nous en avons le langage, les gants, les bottes vernies, et cependant nous y sommes dépaysés et mal à l’aise, comme des gens déportés dans une colonie, dont les colons n’auraient que les dehors à notre portée, mais l’âme à cent lieues de la nôtre.

1691. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Et cependant dans l’ensommeillement de ses pas, de ses mouvements, de sa pensée, quand, un moment, il secoue sa léthargie, le vieux Théo réapparaît, et ce qu’il dit, de sa voix assoupie, avec des ébauches de gestes, semble le langage de son ombre — qui se souviendrait.

1692. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Le peintre vous exhibe ses tableaux, commentant, de temps en temps, son explication par la mimique d’un développement chorégraphique, par l’imitation, en langage de danseuse, d’une de leurs arabesques, — et c’est vraiment très amusant de le voir, les bras arrondis, — mêler à l’esthétique du maître de danse, l’esthétique du peintre, parlant du boueux tendre de Velasquez et du silhouetteux de Mantegna.

1693. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, Qui plane sur la vie et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes !

1694. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Tolstoï échoue de même et se récuse devant les passions de l’intelligence ; l’ambition, l’amour de l’or, de la domination, ne tiennent aucune place dans ses livres ; les solutions logiques des perplexités humaines, ces magnifiques efforts de l’esprit tâchant de concilier en un système cohérent ses besoins et ses notions sont débattus à peine, dans Anna Karénine notamment, et avec le langage grossier d’un homme qui n’a pu s’élever à les comprendre.

1695. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

D’ailleurs la chasteté du langage heureusement introduit dans l’histoire et dans la poésie par une religion plus pudique, défendait à Boileau ces nudités de la chair, scandales de l’esprit comme des yeux.

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