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1879. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

En philosophie, il nous faut prendre Cousin, et laisser Maine de Biran ; surtout il nous faut écarter la plus puissante et, en tout cas, la plus féconde pensée philosophique de ce demi-siècle : je parle d’Auguste Comte ; et quelque fâcheux sort a voulu que l’école positiviste ne fournît aucun écrivain. […] Lamennais se laissa circonvenir, se soumit, se rétracta ; puis, se relevant aussitôt, il lança ses admirables Paroles d’un croyant, qui firent une sensation profonde. […] Le système électoral, souvent modifié dans ses détails par des lois de circonstance, demeurait en général organisé, de façon qu’il ne laissait arriver à la Chambre que des bourgeois de la classe aisée, gens de belle tenue et d’intelligence cultivée, qui avaient le goût des idées claires et prenaient plaisir à suivre les exercices de la parole : la Chambre des pairs était, par définition même, une sélection des classes supérieures686. […] Laissons aussi Camille Jordan690, un survivant de la Révolution, le clair et prolixe orateur des Cinq-Cents, qui n’apprit jamais à être court, mais dont l’abondance était souvent relevée d’une alerte ironie ; laissons le due de Broglie qui faisait à la Chambre des Pairs son apprentissage de doctrinaire.

1880. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

* * * « Intimes », oui, puisqu’il y découvre ou y laisse apercevoir souvent le fond même de sa pensée sur la vie. […] Ses livres laissaient loyalement paraître que le fond du « naturalisme » était la « délectation morose » des théologiens, et que l’attachement même à considérer le laid y était encore une forme détournée de l’impureté. […] L’horreur de l’universel cloaque de lâcheté, de sottise et d’impudicité qui est le monde ne lui laissait de refuges que ces étroits et secrets paradis d’entier renoncement et de pureté parfaite qui sont les couvents ; entendez les couvents intransigeants des carmélites ou des trappistes. […] Mais, comme il arrive, l’homme en lui se laisse deviner par tout ce que l’écrivain se refuse. […] Je reviens à son âme, qui était gracieuse et noble, et qui alla toujours s’embellissant. — Il faut se souvenir ici que les pages les plus douloureuses peut-être et les plus imprégnées de l’amour de la terre natale qui aient été écrites sur l’« année terrible » sont d’Alphonse Daudet. — Il ne faut pas oublier non plus que cet homme dont la sensibilité et l’imagination furent si vives et l’observation si hardie, n’a pas laissé une seule page impure ; qu’en ce temps de littérature luxurieuse, et même lorsqu’il traitait les sujets les plus scabreux, une fière délicatesse retint sa plume, et que l’auteur de Sapho est peut-être le plus chaste de nos grands romanciers.

1881. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

… Étant romancier, je préfère l’homme qui a la passion de la lecture à l’homme qui a la passion du spectacle, mais ne me laisserai-je pas séduire, comme tant de nos camarades, par les grandes batailles de la scène ? […] C’est-à-dire qu’ils ou elles s’habillent — ce qui ne laisse pas de leur donner un assez vif plaisir — ils ou elles s’habillent « pour sortir ». « Nous sortons ce soir. » Cela signifie : « Nous allons voir Guitry ou Lavallière ou Polaire. » Car ce qui intéresse nos contemporains, cher ami, ce n’est pas le théâtre, ce sont les acteurs et les actrices, leurs relations et leurs meubles, leurs amants et leurs maîtresses, leurs jupons et leurs chaussettes. […] L’amateur de théâtre est le plus paresseux des amateurs : il paie sa place et il n’a, ensuite, qu’à se laisser faire. […] Du moins, laissez-moi cet espoir… Georges Lecomte Il n’est pas douteux qu’au Théâtre, le spectateur aidé par le jeu des acteurs, la matérialisation du décor et les expressives ressources de la mise en scène, n’a pas besoin de faire, pour comprendre, un effort aussi grand que pour suivre, aux pages d’un livre, l’évolution des idées et des sentiments, l’affirmation vivante des caractères. […] « Étant romancier, je préfère l’homme qui a la passion de la lecture à l’homme qui a la passion du spectacle, mais ne me laisserai-je pas séduire, comme tant de camarades, par les grandes batailles de la scène ? 

1882. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Terni est le pèlerinage du génie ; le poète y laisse en ex-voto des vers sublimes, et il en rapporte une impression des puissances et des grâces de la nature, qui gronde aussi éternellement dans son âme que le Vellino gronde dans son abîme. […] Elle m’avait laissé une gracieuse et sublime impression. […] La nation n’eut pas la patience qui fonde et qui laisse s’user les difficultés ; elle ne donna pas le temps aux choses qui ne s’enracinent que par un peu de temps. […] Nous apprîmes avec stupeur, le lendemain, qu’elle avait expiré sans faiblesse et sans larmes, entre les regrets qu’elle laissait sur la terre et les espérances qu’elle avait depuis longtemps placées au ciel. […] Mais jamais mon amitié réelle, constante et tendre ne souffrit de cette réserve ; et quand nous nous retrouverons dans la sphère des sentiments sans ombre et des amitiés éternelles, elle reconnaîtra qu’elle n’a laissé à personne, en quittant cette boue, une plus vive image de ses perfections dans le souvenir, une plus pure estime de son caractère dans l’esprit, un vide plus senti dans le cœur, une larme plus chaude et plus intarissable dans les yeux.

1883. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

Quant à présent, afin de ne pas laisser entièrement sans démonstration une loi de cette importance, dont les applications se présenteront fréquemment dans toute l’étendue de ce cours, je dois me borner à une indication rapide des motifs généraux les plus sensibles qui peuvent en constater l’exactitude. […] (4) Les conceptions que je tenterai de présenter relativement à l’étude des phénomènes sociaux, et dont j’espère que ce discours laisse déjà entrevoir le germe, ne sauraient avoir pour objet de donner immédiatement à la physique sociale le même degré de perfection qu’aux branches antérieures de la philosophie naturelle, ce qui serait évidemment chimérique, puisque celles-ci offrent déjà entre elles à cet égard une extrême inégalité, d’ailleurs inévitable. […] J’ose ajouter, en outre, que, lors même qu’une telle entreprise pourrait être réalisée dans la suite, ce qui, en effet, se laisse concevoir, ce ne serait jamais néanmoins que par l’étude des applications régulières des procédés scientifiques qu’on pourrait parvenir à se former un bon système d’habitudes intellectuelles ; ce qui est pourtant le but essentiel de l’étude de la méthode. […] Il en résulte plus d’une fois que, contrairement à nos répartitions classiques, des questions importantes exigeraient une certaine combinaison de plusieurs points de vue spéciaux, qui ne peut guère avoir lieu dans la constitution actuelle du monde savant ; ce qui expose à laisser ces problèmes sans solution beaucoup plus longtemps qu’il ne serait nécessaire. […] Il ne s’agit ici de rien de semblable ; et le développement de ce cours en fournira la preuve manifeste à tous ceux chez lesquels les éclaircissements contenus dans ce discours auraient pu laisser quelques doutes à cet égard.

1884. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Tels ils furent, au scandale de cette pharisaïque Angleterre, dont la vertu se laisse fort bien enlever et qu’ils séduisirent et révoltèrent tour à tour. […] C’est Henri de Marsay, le Machiavel-Alcibiade, c’est Maxime de Trailles, le Mirabeau manqué, c’est la Palferine et tant d’autres, marqués tous, sans que la largeur de leur front en souffre, de ce cachet de dandysme laissé peut-être pour longtemps sur la fatuité de la société européenne, tant les hommes qui gravèrent ce cachet aux armes de l’Angleterre furent de redoutables fascinateurs ! […] je laisse là les opinions ou les intentions criminelles de Rabelais, qui dirigea son esprit, comme une catapulte, contre un ordre social magnifique et qu’on ne calomnie que parce qu’on l’ignore, mais je parle de l’essence la plus subtile de sa pensée et des influences dont elle a pénétré les générations littéraires qui l’ont suivi. […] Que de fois elle a laissé, avec une sublime indulgence, le Conte drolatique, sorti de la fantaisie d’un artiste aux intentions pures, s’enlacer aux frises de ses cathédrales et rire aussi sur ses portails ! […] Auteur, en quelque sorte, même par la mémoire qu’il a laissée, il semble faire les livres que nous faisons sur lui, puisqu’il les inspire.

1885. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

L’un est indépendant jusqu’à la libre critique exercée à la pointe de la plumef ; l’autre ne se montre susceptible qu’autant qu’on doit l’être quand un ami nous a jugé devant tous en des termes qui laissent à désirer. — Nous devons les retrouver l’un et l’autre en concert parfait au 18 Brumaire. […] Le futur historien de la société polie se laissait deviner au milieu de tant d’autres préoccupations sérieuses55. […] Il me laissait dans sa voiture et entrait chez Sieyès. […] C’est dans cette discussion du Code civil que Bonaparte, étonné de la force, de la logique et de l’activité de pensée, de la profonde science de Tronchet, jurisconsulte octogénaire, l’étonne bien plus lui-même par la sagacité de son analyse, par le sentiment de justice qui lui fait chercher la règle applicable à chaque cas particulier ; par ce respect pour l’utilité publique et pour la morale qui le fait poursuivre toutes les conséquences d’un principe de législation ; par cette sagesse d’esprit qui, après l’examen des choses, lui laisse encore le besoin de connaître l’opinion des hommes de quelque autorité, les exemples de quelque poids, la législation actuelle sur le point en question, la législation ancienne, celle du Code prussien, celle des Romains ; les motifs et les effets de toutes.

1886. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Et quand l’écuyer a tout dit, et la soumission inattendue des quatre rois, et leurs façons étranges, et la peine qu’il eut, lui Henri Crystède, qui savait leur langue et avait été attaché à leurs personnes, à leur enseigner les belles manières et les bienséances indispensables ; quand il les a montrés apprivoisés peu à peu et amenés à se laisser faire chevaliers de la main du roi Richard en l’église cathédrale de Dublin, puis dînant ce jour-là avec le roi ; et après qu’il a ajouté que c’était chose très intéressante et qui eût été pour Froissart tout à fait neuve à regarder : « Henri, répond Froissart, à qui l’eau est venue à la bouche d’un tel récit, je le crois bien et voudrois qu’il m’eût coûté du mien et que j’eusse été là. » C’est absolument comme quand Saint-Simon, à une certaine scène de cour (le mariage de Mlle d’Orléans avec le duc de Berry), en un moment où toutes les intrigues et les cabales étaient en jeu, nous dit : « Je n’ai point su ce qui se passa chez elle (la duchesse de Bourbon, une des ennemies) dans ces étranges moments, où j’aurais acheté cher une cache derrière la tapisserie. » Pour Froissart, qui est d’une curiosité moins compliquée et moins dévorante, ce n’est jamais derrière la tapisserie qu’il désirerait se cacher, mais bien être dans quelque coin d’où il pût voir à l’aise le devant du spectacle et de la cérémonie. Ici toutefois un autre désir se mêle à la curiosité, et la réflexion y a sa part ; il se sent à l’aise avec l’écuyer Crystède, et il le presse plus peut-être qu’il ne ferait un autre : Je veux, lui dit-il, vous demander une chose qui ne laisse pas de me faire grandement émerveiller, et que j’aimerois à apprendre de vous si vous la savez ; et vous en devriez savoir quelque chose : c’est la manière dont ces quatre rois d’Irlande sont venus sitôt en l’obéissance du roi d’Angleterre, tandis que le roi son aïeul, qui fut si vaillant homme, si craint et partout si renommé, ne les put soumettre et les a toujours eus pour ennemis. […] Quiconque raconte et expose les choses de cette sorte peut laisser à désirer d’ailleurs, pour quelques qualités qui lui manquent ; mais il a assurément de bien essentielles et grandes parties de l’historien. […] Il me semble que l’honorable érudit s’est laissé en ceci dévoyer et tromper par le détail : il s’est perdu par excès de recherches et par trop de conscience.

1887. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il existe, dans la langue française, sur l’art d’écrire et sur les principes du goût, des traités qui ne laissent rien à désirer9 ; mais il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques, qui modifient l’esprit de la littérature. […] Les tableaux du vice laissent un souvenir ineffaçable, alors qu’ils sont l’ouvrage d’un écrivain profondément observateur. […] Sans doute de tels écrits pourraient nuire à la morale, s’ils produisaient une profonde impression ; mais ils ne laissent jamais qu’une trace légère, et les sentiments véritables l’effacent bien aisément. […] Si vous laissez tout s’effacer, tout s’avilir, la force pourra dominer ; mais aucun éclat véritable ne l’environnera, les hommes seront mille fois plus dégradés par la perte de l’émulation, que par les fureurs jalouses dont la gloire du moins était encore l’objet.

1888. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

En Bourgogne, près de Châtillon-sur-Seine, « les impôts, les droits seigneuriaux et dîmes, les frais de culture partagent par tiers les productions de la terre et ne laissent rien aux malheureux cultivateurs, qui auraient abandonné leurs champs, si deux entrepreneurs suisses, fabricants de toiles peintes, n’étaient venus jeter par an quarante mille francs d’argent comptant dans le pays624 ». […] Aussi bien, en ce temps-là, toute calamité pèse sur l’avenir autant que sur le présent ; pendant deux ans, en 1784 et 1785, dans le Toulousain, la sécheresse ayant fait périr les animaux de trait, nombre de cultivateurs sont obligés de laisser leurs champs en friche. — En second lieu, quand on cultive, c’est à la façon du moyen âge. […] Le paysan est trop pauvre pour devenir entrepreneur de culture ; il n’a point de capital agricole640. « Le propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux qui n’ont que leurs bras ; il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, bestiaux, instruments et semences, d’avancer même à ce métayer de quoi le nourrir jusqu’à la première récolte. » — « À Vatan, par exemple, dans le Berry, presque tous les ans les métayers empruntent du pain au propriétaire, afin de pouvoir attendre la moisson. » — « Il est très rare d’en trouver qui ne s’endettent pas envers leur maître d’au moins cent livres par an. » Plusieurs fois, celui-ci leur propose de leur laisser toute la récolte, à condition qu’ils ne lui demanderont rien de toute l’année ; « ces misérables » ont refusé ; livrés à eux seuls, ils ne seraient pas sûrs de vivre  En Limousin et en Angoumois, leur pauvreté est telle641, « qu’ils n’ont pas, déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de vingt-cinq à trente livres à dépenser par an et par personne, je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté. […] D’ailleurs, il y a chez lui et autour de lui de grandes espaces vides que la décadence de la culture et la dépopulation ont laissés déserts.

1889. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Je laisse l’anachronisme perpétuel des costumes et des mœurs, qui n’éclate pas seulement dans les scènes comiques : si les ouvriers de la tour de Babel sont des maçons du xve  siècle, Lazare partant pour la chasse, un faucon sur le poing, sur les lèvres un refrain de chanson nouvelle, est un galant seigneur du même temps. […] Jamais ils ne donnent la sensation d’un art qui s’efforce pour ne rien laisser du caractère ou de la beauté qu’il aperçoit dans la nature. […] Mais ces artisans, ces bourgeois, n’eurent jamais, en près de deux siècles que vécut leur confrérie, une idée qui tendit à perfectionner l’art : tel ils le prirent dans le temps où ils s’associèrent, tel en somme, ou plus bas, ils le laissèrent quand ils renoncèrent à exploiter eux-mêmes leur privilège. […] Mais ce qui ne laisse aucun doute, c’est le caractère du genre.

1890. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

MM. de Port-Royal ne pouvaient pas méconnaître que l’enquête conduite par La Rochefoucauld aboutissait à la conclusion même qui s’ébauchait dans les notes confuses laissées par M.  […] Entre deux ordinaires, elle fait sa provision d’idées, de faits, elle leur donne forme en son esprit, et, quand elle se met à sa table pour écrire, elle peut laisser trotter sa plume. Encore soyez sûr qu’elle l’a bien en main, qu’elle la surveille, et ne la laisse pas s’emporter au hasard. […] Beaucoup d’entre eux ont laissé des lettres où revivent ces originales figures d’érudits, qui cherchèrent la vérité avec une passionnée indépendance sans cesser d’être d’humbles chrétiens.

1891. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Il ne faut pas se laisser abuser par le dernier chapitre, une collection de réflexions et de raisonnements philosophiques, où La Bruyère mêle Platon, Descartes et Pascal dans un vague spiritualisme chrétien. […] Le début du chapitre de la Ville est le sommaire d’une description faite bien des fois par nos romanciers, l’indication d’un tableau ou d’une aquarelle que nos artistes nous ont montrée bien des fois : ces lieux mondains où le tout-Paris se rassemble pour se montrer et se voir, au xviie siècle, les Tuileries ou le Cours, aujourd’hui un vernissage, une allée du Bois, un retour de courses. .Mais je ne sais rien de plus caractéristique que le portrait de Nicandre, ou l’homme qui veut se remarier455 : ce n’est pas un portrait, à vrai dire, c’est l’esquisse d’un dialogue, où il n’y a qu’à remplir les répliques de l’interlocutrice, laissées en blanc par La Bruyère, et faciles à suppléer : tout le rôle de Nicandre est noté avec une précision singulière. […] C’est un causeur : il use du privilège d’incohérence et de contradiction qu’on a toujours laissé à la conversation. […] Le tempérament de Fénelon Dans tous les ouvrages que j’ai nommés, dans tous ceux que j’ai laissés, ce qu’il y a de plus intéressant, c’est cette originale, complexe et captivante personne, si enveloppée et si équivoque avec tant de spontanéité, si peu semblable enfin à la candide et innocente figure de la légende.

1892. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Bientôt, il est vrai, les détails que l’on me donna suffirent pour lever toutes mes inquiétudes ; mais ils me laissèrent toujours le regret de voir reculée, peut-être pour longtemps, l’époque où nous pourrons nous entretenir. […] Le professorat proprement dit m’est à peine supportable, et, en supposant qu’on n’y reste pas toujours, il faut au moins y passer longtemps, La philosophie seule me sourirait, encore faudrait-il me laisser faire, et ils ne me laisseraient pas. […] Pas une âme humaine à qui je puisse ouvrir mon cœur, bien plus, avec qui je puisse avoir de ces conversations qui, pour être indifférentes, ne laissent pas de délasser l’esprit et de satisfaire au besoin de société.

1893. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

dont cette idée a été la fantaisie, qui l’a prise ou plutôt s’est laissé prendre par elle, et n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans un livre. […] Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. […] En Angleterre, pays de commerce, on prend un contrebandier sur la côte de Douvres, on le pend pour l’exemple, pour l’exemple on le laisse accroché au gibet ; mais, comme les intempéries de l’air pourraient détériorer le cadavre, on l’enveloppe soigneusement d’une toile enduite de goudron, afin d’avoir à le renouveler moins souvent. […] Vous lui imputez à forfait l’isolement où vous l’avez laissé !

1894. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

On lui reproche cependant un peu de sécheresse, & ce nombre infini de récits consécutifs, qui ne donnant rien à la représentation, laissent sans occupation un des principaux sens, par l’organe duquel les hommes sont le plus facilement touchés, celui de la vue. […] Mais la lecture laissa appercevoir des défauts qui échappent presque toujours à la représentation. […] Tantôt ce sont des figures outrées qui font un galimatias des termes pompeux de ciel, de soleil & d’aurore ; tantôt ce sont des saillies du Capitan Matamore, des mouvemens rodomonts qui ne laissent pas véritablement d’avoir de la grandeur & de la force, mais qui sont trop opposés aux usages, pour qu’ils puissent être goûtés des François. […] La traduction en vers par M. l’Abbé du Resnel, est une preuve de la ressource qu’un homme d’esprit & de goùt peut trouver dans l’élégante clarté & dans la douce énergie de notre langue ; mais son but semble avoir été plûtôt de se faire lire par les François qui exigent l’ordre & la clarté dans un ouvrage traduit, que de laisser à son auteur l’air étranger qui ne peut souvent lui être conservé qu’aux dépens de la justesse & de la saine élocution.

1895. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

Les musulmans qui, auraient dû, semble-t-il, inspirer fortement la littérature merveilleuse des noirs, n’y laissent au contraire que de rares traces d’influence. […] Le vainqueur laisse sur place ses sandales et ses bracelets (Le boa du puits — Samba Guénâdio Diêgui) ; son couteau (Les 2 Ntyi) ; son chien (B. […] Dans tous ces contes, il en coûte la vie à qui, détenteur de ce secret, se laisserait aller à le révéler. […] Les thèmes favoris sont : 1° Celui des 3 puits dont 2, communiquant entre eux, représentent les puissants de la terre qui laissent à l’écart le troisième, lequel symbolise les pauvres gens.

1896. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

I En 1840, la Revue des Deux-Mondes publiait, dans un article signé d’un nom célèbre, des fragments littéraires laissés par un jeune homme né pour la gloire et mort obscur. […] On la revoit telle qu’elle fut toujours, ses chastes bras suspendus au cou de son frère, dans ces lettres où elle a laissé un peu de l’immortalité de son âme, avant de la porter au ciel. […] À sept heures, elle causait en famille, mais ne laissait jamais l’ouvrage. […] Elle y avait laissé son père et elle eut bientôt à y ramener son frère mourant.

1897. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Aux armes, puisque la défection des frères allemands ne laisse pas d’autre ressource pour abattre les prétentions du Kaiser à l’hégémonie. […] » Cette phrase prise isolément supprimerait le problème que nous examinons ; le contexte pourtant ne laisse aucun doute. […] Si tu les avais vus pendant l’attaque de l’autre jour, c’étaient d’autres hommes ; on voyait dans leurs yeux de la joie et presque de l’enthousiasme, et je t’assure qu’ils ne songeaient plus alors à se plaindre de la longueur de la guerre, mais que tous se laissaient prendre à l’intérêt passionné de la grande partie qui se joue.‌ […] Ami, laisse ta logique, tes systèmes naïfs et bornés ; à ce degré, c’est un chant qui seul te traduirait.

1898. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Les feuilletonistes ont, presque tous, un sens exact du mouvement dramatique ; une science de l’horrible et du terrifiant ; une adresse à démêler les écheveaux ; une habileté à laisser pour morts, sur le champ de bataille de l’action, des héros qui ressuscitent pour de longues destinées ; un doigté dans l’usage du point de suspension ; une fidélité au type honorable des bonnes mères, des petites ouvrières laborieuses et des amours éternelles, qui ne sont pas des qualités si méprisables qu’on le croit. […] Et comme cette distraction occupe à peu près tout le loisir que laissent le travail, la promenade et le cabaret, il s’ensuit que c’est l’éducation populaire elle-même, l’instruction des adultes, qui est faite par le roman-feuilleton. […] Je le dis avec une entière conviction : il faudrait avoir du peuple une insultante idée pour se résigner à le laisser indéfiniment victime des lectures qu’on lui sert. […] Laissons dire volontiers que les fautes de goût abondent dans le détail, et notamment dans la légende des chapitres qui s’intitulent : « Que Mgr Bienvenu faisait durer trop longtemps ses soutanes ; — Fin joyeuse de la joie ; — Vagues éclairs à l’horizon ; — Madame Victurnien dépense 35 francs pour la morale ; — Comment Jean peut devenir champ ; — Dans quel miroir M. 

1899. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Une jeune fille, nièce de Mme Daubenton, ayant été saisie d’un évanouissement près d’une salle d’étude où était Vicq d’Azyr, celui-ci accourut, prodigua ses soins à la jeune malade, et lui inspira un soudain intérêt qui se consacra bientôt par un mariage : ce mariage dura peu, et la mort de la jeune femme laissa Vicq d’Azyr veuf, et libre de nouveau, ce qui ne nuisit pas à ses succès dans le monde : mais il avait acquis l’amitié de Daubenton et les moyens, grâce à lui, d’étendre ses recherches d’anatomie sur les animaux étrangers. […] Tant que la Société de médecine fut peu considérable, et qu’elle ne consista qu’en une commission de huit médecins, établie pour correspondre avec les médecins des provinces sur tout ce qui avait rapport aux maladies épidémiques et épizootiques (arrêt du Conseil du 29 avril 1776), on la laissa faire ; mais dès qu’on s’aperçut qu’elle prenait de l’extension, et que cette société, créée originairement pour s’occuper des bêtes, en venait à se mêler non moins activement de ce qui tient à la santé des hommes, la faculté de médecine de Paris prit l’alarme, et fit ce que feront toujours les vieilles corporations en face des institutions nouvelles. […] Pour n’en citer qu’un échantillon, voici ce qu’on lit dans un Dialogue entre Pasquin et Marforio, composé aussi bien que bon nombre de ces pamphlets d’alors, par Le Roux des Tillets, jeune médecin de la Faculté et des plus ardents, ancien ami intime de Fourcroy qu’il ne laisse pas de déchirer, et s’acharnant aussi sur Vicq d’Azyr.

1900. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Il faudrait seulement conserver les unités, pour ces gens difficiles et amoureux de la vieille poétique, qui, sans les unités, seraient au désespoir de se laisser attendrir ou amuser. […] Ramond, âgé de vingt-deux ans, fut un des pionniers qui ont laissé trace82. […] Quant à ceux qui ont atteint quelques-unes des hauteurs du globe, je les appelle en témoignage : en est-il un seul qui, à leurs sommets, ne se soit trouvé régénéré et n’ait senti avec surprise qu’il avait laissé au pied des monts sa faiblesse, ses infirmités, ses soins, ses inquiétudes ; en un mot, la partie débile de son être et la portion ulcérée de son cœur ?

1901. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

C’est à cela que se réduit le peu qui nous a été laissé sur lui. […] Pour moi, ce dernier mot d’un esprit, même quand je serais parvenu à réunir et à épuiser sur son compte toutes les informations biographiques de race et de famille, d’éducation et de développement, à saisir l’individu dans ses moments décisifs et ses crises de formation intellectuelle, à le suivre dans toutes ses variations jusqu’au bout de sa carrière, à posséder et à lire tous ses ouvrages, — ce dernier mot, je le chercherais encore, je le laisserais à deviner plutôt que de me décider à l’écrire ; je ne le risquerais qu’à la dernière extrémité. […] Si l’on ôte quelques passages où la simplicité est affectée et la sagacité raffinée, on croit entendre un des anciens jurisconsultes ; Montesquieu a leur calme solennel et leur brièveté grandiose ; et du même ton dont ils donnaient des lois aux peuples, il donne des lois aux événements… Suivant moi, pour que le livre sur Tite-Live fût entièrement vrai (car il l’est sur presque tous les points, et pleine justice est rendue d’ailleurs à l’historien), il eût suffi de laisser au sens du génie oratoire, du génie de l’éloquence déclaré dominant chez lui, la valeur d’un aperçu littéraire, sans lui attribuer la valeur d’une formule scientifique ; il eût suffi enfin de ne pas inscrire à la première ligne de cette étude, de n’y pas faire peser le nom et la méthode de Spinosa, de ne pas rapprocher des termes aussi étonnés d’être ensemble que Spinosa et Tite-Live.

1902. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Il me paraît surtout avoir plus d’un rapport avec ce dernier, avec le philosophe de Béziers, de qui Marmontel nous dit que « ce que l’âge lui avait laissé de chaleur n’était plus qu’en vivacité dans un esprit gascon, mais rassis, juste et sage, d’un tour original, et d’un sel fin et doux18 ». […] Qu’elle se maintienne et roule quelque temps, elle aura bientôt tout le monde à sa suite. — J’ai vu, disait quelqu’un, la naissance de plusieurs bruits de mon temps ; et bien qu’ils s’étouffassent en naissant, nous ne laissions pas de prévoir le train qu’ils eussent pris s’ils avaient vécu leur âge. […] Il a, sur nos écrivains du grand siècle, et sur Boileau notamment, considéré comme auteur de satires, des opinions qui ne laisseraient pas de surprendre si on les citait, et qui ne me paraissent pas manquer de vérité dans leur entière indépendance.

1903. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

En se remettant à ce travail ancien et en reprenant les choses où il les avait laissées, à dater du xvie  siècle, l’historien a un peu changé de méthode et d’allure. […] Un aperçu piquant qu’on saisit en l’air et qu’on attrape à la volée, une anecdote d’alcôve, n’est point une raison sérieuse, et il faudrait laisser à la porte de la sévère histoire toutes ces sciences conjecturales et qui sont à naître ou à peine nées encore. […] Je conçois qu’un historien n’entre aucunement dans ces détails beaucoup trop particuliers ; mais, en jugeant un prince qui est mort si jeune et qui n’a laissé que des espérances, il n’est que juste cependant que le souvenir d’une telle enfance et de l’effort heureux qui y triompha ait son écho et son retentissement rapide jusque dans les pages de l’histoire.

1904. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Halévy, secrétaire perpétuel. »

Patin, prenant au sérieux la gageure et se piquant d’émulation, se mirent de leur côté à l’œuvre, et composèrent un petit opéra de Pygmalion, qui alla jusqu’à être mis en répétition à je ne sais quel théâtre, mais que diverses circonstances leur firent laisser là, puis oublier. […] Halévy, dans une de ses Notices et sous le couvert d’un autre nom d’artiste, a laissé échapper quelque chose de sa douleur personnelle et de son secret : « Il y a, dit-il à propos de l’organiste Frohberger, il y a des artistes d’un caractère heureux, pour qui le souvenir des succès d’autrefois est si plein de douceur, qu’ils ne s’en séparent jamais, et qu’ils trouvent dans ce souvenir, quelque ancien qu’il soit, du bonheur pour toute leur vie. […] si l’on est d’un art particulier, tout en restant le confrère et l’ami des artistes, savoir s’élever cependant peu à peu jusqu’à devenir un juge ; si l’on a commencé, au contraire, par être un théoricien pur, un critique, un esthéticien, comme ils disent là-bas, de l’autre côté du Rhin, et si l’on n’est l’homme d’aucun art en particulier, arriver pourtant à comprendre tous les arts dont on est devenu l’organe, non-seulement dans leur lien et leur ensemble, mais de près, un à un, les toucher, les manier jusque dans leurs procédés et leurs moyens, les pratiquer même, en amateur du moins, tellement qu’on semble ensuite par l’intelligence et la sympathie un vrai confrère ; en un mot, conquérir l’autorité sur ses égaux, si l’on a commencé par être confrère et camarade ; ou bien justifier cette autorité, si l’on vient de loin, en montrant bientôt dans le juge un connaisseur initié et familier ; — tout en restant l’homme de la tradition et des grands principes posés dans les œuvres premières des maîtres immortels, tenir compte des changements de mœurs et d’habitudes sociales qui influent profondément sur les formes de l’art lui-même ; unir l’élévation et la souplesse ; avoir en soi la haute mesure et le type toujours présent du grand et du beau, sans prétendre l’immobiliser ; graduer la bienveillance dans l’éloge ; ne pas surfaire, ne jamais laisser indécise la portée vraie et la juste limite des talents ; ne pas seulement écouter et suivre son Académie, la devancer quelquefois (ceci est plus délicat, mais les artistes arrivés aux honneurs académiques et au sommet de leurs vœux, tout occupés qu’ils sont d’ailleurs, et penchés tout le long du jour sur leur toile ou autour de leur marbre, ont besoin parfois d’être avertis) ; être donc l’un des premiers à sentir venir l’air du dehors ; deviner l’innovation féconde, celle qui sera demain le fait avoué et’reconnu ; ne pas chercher à lui complaire avant le temps et avant l’épreuve, mais se bien garder, du haut du pupitre, de lui lancer annuellement l’anathème ; ne pas adorer l’antique jusqu’à repousser le moderne ; admettre ce dernier dans toutes ses variétés, si elles ont leur raison d’être et leur motif légitime ; se tenir dans un rapport continuel avec le vivant, qui monte, s’agite et se renouvelle sans cesse en regard des augustes, mais un peu froides images ; et sans faire fléchir le haut style ni abaisser les colonnes du temple, savoir reconnaître, goûter, nommer au besoin en public tout ce qui est dans le vestibule ou sur les degrés, les genres même et les hommes que l’Académie n’adoptera peut-être jamais pour siens, mais qu’elle n’a pas le droit d’ignorer et qu’elle peut même encourager utilement ou surveiller au dehors ; enfin, si l’on part invariablement des grands dieux, de Phidias et d’Apelle et de Beethoven, ne jamais s’arrêter et s’enchaîner à ce qui y ressemble le moins, qui est le faux noble et le convenu, et savoir atteindre, s’il le faut, sans croire descendre, jusqu’aux genres et aux talents les plus légers et les plus contemporains, pourvu qu’ils soient vrais et qu’un souffle sincère les anime.

1905. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Chacun, en ces suprêmes instants où la volonté trop faible laisse flotter les rênes, s’en va en imagination à son penchant favori, à son délire préféré. […] Que quelques fautes inévitables dans un si vaste travail, et inséparables de la manière même adoptée par l’historien ; des redites ou ce qui semble tel, et qui tient à un besoin extrême de clarté ; quelques inexactitudes sur des points accessoires et qu’on pouvait fort bien laisser de côté, pures inadvertances, sans effet sur l’ensemble, et qui tiennent encore à l’excellente habitude de ne parler qu’avec des données positives et avec des faits, non avec des phrases ; le tout si réparable dans une seconde édition : que ces taches légères n’aillent pas obscurcir dans notre esprit, quand nous jugeons de tout le monument, la grandeur du dessin, la noblesse et l’aisance de la distribution, la lucidité des exposés, la lumière des tableaux, l’ouverture et la largeur des horizons. […] Elle se défend d’elle-même, parce qu’elle se fait accepter de tout lecteur, parce qu’elle est facile, agréable, et qu’elle court, qu’elle entre aisément, parce qu’elle dit ce qu’elle veut dire ni plus ni moins, qu’elle vous livre tout uniment, quoique souvent avec bien de la vivacité, le fait ou la pensée, et qu’elle ne laisse chemin faisant aucun point vague ; aucun recoin obscur.

1906. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Je me laisse aller à faire de la rhétorique à propos d’un livre qui y provoque, et j’allais oublier l’action. […] Mieux vaut, ce me semble, laisser ces sortes d’histoires où on les trouve. […] C’est au sortir de là qu’Hamilcar se met à visiter sa maison qu’il a depuis si longtemps quittée, et ses magasins, ses entrepôts, ses cachettes secrètes, les caveaux où gisent accumulées des richesses de toute sorte qui nous sont énumérées avec la minutie et l’exactitude d’un inventaire : exactitude est trop peu dire, car nous avons affaire ici à un commissaire-priseur qui s’amuse, et qui, dans le caveau des pierreries, se plaira, par exemple, à nous dénombrer toutes les merveilles minéralogiques imaginables, et jusqu’à des escarboucles « formées par l’urine des lynx. » C’est passer la mesure et laisser trop voir le bout de l’oreille du dilettante mystificateur.

1907. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Don Quichotte relu tout naturellement, lorsqu’on vient de lire une notice exacte de la vie de l’auteur, ne laisse guère de difficulté dans l’esprit. […] A vrai dire, si j’oublie tout ce que la critique a fait de raisonnements et de théories à ce sujet, si je me laisse tout simplement aller à l’impression de ma lecture, je n’aperçois rien de si mystérieux ni de si profond. Nulle part ce premier et principal dessein qu’a l’auteur de railler les livres de chevalerie, de les décrier et d’en ruiner l’autorité dans le monde et parmi le vulgaire, ne se perd de vue ni ne se laisse oublier ; il est ramené sans cesse.

1908. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

La rive gauche du Rhône, rivale et jalouse de la Garonne, avait dès longtemps secoué la suprématie nominale du poëte d’Agen, et ne lui avait laissé, à proprement parler, que son royaume d’Aquitaine : l’honneur de Jasmin est d’avoir provoqué du moins cette insurrection et ce réveil. […] Je laisse aux Legonidec, aux Le Huërou, s’il en existe encore, et à leurs successeurs, je laisse à mon savant confrère, M. de La Villemarqué, de décider si le breton en est pur et classique, s’il est digne du siècle d’Arthur.

1909. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Alexandre, Annibal, César, ces géants de la guerre, dépassèrent en tous sens et brisèrent bientôt ce cadre brillant et proportionné de la Grèce, que Pallas dominait du front, que remplissait si bien un Épaminondas, et où l’idée de patrie était toujours présente : ils poussèrent l’art terrible à ses dernières limites et ne laissèrent rien à perfectionner après eux. […] Ce n’est pas nos… de professeurs de Brienne qui nous auraient, dit mot de cela. » Puis, après avoir écouté encore,, tout d’un coup interrompant et prenant feu : « Mais comment Fouché laisse-t-il imprimer de pareils livres ? […] Un Français, Guibert, parla de lui aux Français avec feu, avec savoir, avec éloquence ; mais, dans ses laborieux traités, il fit presque aussitôt fausse route, s’enfonça dans les détails de tactique et d’ordonnance, dans l’école de bataillon, et laissa de côté les grandes vues.

1910. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Delavigne ; elle le dit, et il se laissa aller à le croire. […] Delavigne, en quittant la France, n’est pas une Marie Stuart qui laisse un trône pour aller chercher un autre trône, une prison et un échafaud ; comme il n’est pas même un mélancolique Byron qui fuit, en haine de la société, pour aller errer par le monde et s’immoler finalement à une cause sainte ; comme il est tout simplement un amateur, un artiste, faisant, par un beau temps, une courte traversée, je ne m’intéresse à ses adieux élégants et un peu fastueux qu’autant qu’ils me rappellent des adieux de famille, et en vérité je n’y peux rien voir de plus grave. […] Si peu d’œuvres modernes laissent sur une impression semblable, que c’est un éloge tout particulier qu’on doit d’abord à M.

1911. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Il lui faut, pour l’exercer, un énorme effort, une contention qui fait saillir les veines de son front et le laisse brisé de fatigue. […] Laissez-moi croire que le bon Flaubert préféra ce mode si simple, mais rare, de guérison, parce qu’il avait horreur de la trachéotomie. »19 Il en coûte donc à l’artiste de sortir brusquement des spectacles expurgés de la rue ou de la maison, pour scruter sans délais des nudités douloureuses, écouter des plaintes voilées, rauques ou lointains, flairer des relents de cadavre, se pénétrer enfin de tout ce cortège lamentable et mesquin de la souffrance vulgaire ; toutes choses auprès desquelles, avons-nous dit, le professionnel ne peut rester indifférent que parce qu’il les regarde mais ne les voit pas 20. […] Et les odeurs mêmes que nous mettons dans l’eau prennent, il nous semble, cette fade et nauséabonde odeur de cérat… Il nous faut nous arracher de l’hôpital et de ce qu’il laisse en vous, par quelque distraction violente. » 23 Cette réaction au contact de la réalité dolente, est surtout l’apanage des sincères, des vibrants, des profonds artistes… « Lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux. » 24 Ce dernier desideratum n’est plus du tout celui d’Hector Malot dont les procédés de documentation, évidemment du meilleur réalisme, s’accordent le plus joliment du monde avec un très avéré désir de publicité, de succès.

1912. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Il me faut laisser tous ces représentants de la philosophie du dernier siècle, pour regarder seulement les grands littérateurs, ainsi replacés dans leur milieu. […] Il a laissé des Mémoires (édit. […] De l’Hist. de France, 9 vol. in-8, 1859-67). — La Chalotais (1701-1785), procureur général au parlement de Bretagne, a laissé des Comptes rendus des constitutions des Jésuites (1761-1762), un Essai d’éducation nationale (1763) et un Exposé justificatif (1766-1767) contre le duc d’Aiguillon, gouverneur de la province, qui l’avait fait emprisonner dans la citadelle de Saint-Malo, Lettres de la Chalotais au duc d’Aiguillon, par H.

1913. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Ce qui ne faisait pas une moindre différence, et qui ne laisse pas de surprendre au premier coup d’œil, c’est cette espèce de commerce dévot, sans rien de sensuel, on veut le croire, mais trop propre à faire jaser et sourire, entre l’abbé de Ciron, ancien prétendant, et Mme de Mondonville, jeune encore. […] Il existe une Histoire, en deux volumes, de la congrégation de l’Enfance, écrite par un avocat d’Avignon, Reboulet : ces volumes, qui ne manquent pas d’intérêt, ni même de quelque agrément de narration, sont malheureusement très peu sûrs, et on y a relevé tant d’inexactitudes et d’impossibilités, l’auteur dans sa Réponse s’est défendu si faiblement et s’est laissé voir, de son propre aveu, si léger, si peu scrupuleux en matière de critique historique, qu’on ne saurait guère les considérer que comme un roman, mais un roman théologique et dressé au profit des ennemis de l’Enfance. […] On envoya des maçons alors pour la détruire et n’en pas laisser pierre sur pierre : elles continuèrent de se rassembler pour prier sur les décombres.

1914. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Laissons ces esprits sans amour et sans flamme, sans désir ; ce sont les tièdes : ils manquent du feu sacré dans les lettres. […] Ponocrates laisse donc le jeune Gargantua suivre quelque temps son train accoutumé, et Rabelais nous décrit cette routine de paresse, de gloutonnerie, de fainéantise, résultat d’une première éducation mal dirigée. […] Je m’imagine que, quand on essaie de le tirer ainsi à soi, Rabelais se laisse faire et qu’il y va, mais pour en rire.

1915. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Au retour, il eut une place dans les bureaux de la Guerre, ou du moins on lui laissa les appointements sans les fonctions ; il était incapable de ce genre d’assujettissement. […] Dans son Œdipe chez Admète, où il confond deux actions distinctes, deux tragédies, celle d’Alceste voulant mourir pour son époux, et celle d’Œdipe expirant entre les bras d’Antigone, Ducis a plus que des mots ; il a, au troisième acte et au cinquième, des tirades pathétiques, une touche large, comme lorsque Œdipe, s’adressant aux dieux, les remercie, jusque dans son abîme de calamités, de lui avoir laissé un cœur pur : C’est un de vos bienfaits que, né pour la douleur, Je n’aie au moins jamais profané mon malheur… On s’explique aussi très bien le succès de son Othello, représenté pour la première fois en 1792, et parlant comme un soldat parvenu qui sert avec désintéressement la République et n’a rien à envier aux grands : Ils n’ont pas, tous ces grands, manqué d’intelligence, En consacrant entre eux les droits de la naissance : Comme ils sont tout par elle, elle est tout à leurs yeux. […] Ducis, demandé après la pièce, eut la faiblesse de se laisser amener sur le théâtre : il prenait ces ovations au sérieux dans sa cordialité naïve.

1916. (1903) Zola pp. 3-31

Il confessait que la seule chose à faire et qu’il reconnaissait qui eût été très intéressante à faire, il ne la faisait point et la laissait à faire à un autre. […] Mais dans ces mêmes auteurs, ou encore mieux dans leurs imitateurs ridicules, le mot cru et gros, la couleur violente et aveuglante, la description acharnée qui ne demande à l’intelligence aucun effort et qui fait simplement tourner le cinématographe, le relief des choses, cathédrale, quartier, morceau de mer, champ de bataille, aussi l’imagination débordante et enlevante, qui vous entraîne vers des hauteurs ou des lointains confus comme dans la nacelle d’un ballon, toutes ces choses qui ne demandent au lecteur aucune collaboration, qui le laissent passif tout en le remuant et l’émouvant ; aussi et enfin une misanthropie qui ne donne pas ses raisons et qui ne nous fait pas réfléchir sur nous-mêmes, mais seulement flatte en nous notre orgueil secret en nous faisant mépriser nos semblables sans nous inviter à nous mépriser nous-mêmes : voilà ce que le lecteur illettré de 1840 voit, admire et chérit dans les romantiques ; voilà la déformation du romantisme dans son propre cerveau mal nourri, dans la misère physiologique de son esprit. […] Mais il faut qu’on sente chez le satirique un désir vrai, sincère et vif de corriger ses concitoyens en leur peignant leurs défauts ou leurs vices ; et il faut bien avouer que dans les livres de Zola on ne le sentait nullement, mais seulement une haine cordiale et un mépris de parti pris pour ceux dont il avait le malheur d’être né le compatriote, ou à peu près le compatriote ; et cela ne laisse pas d’être un peu désobligeant et un peu coupable.

1917. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

I La lecture des romans de Flaubert, faite du point de vue qui vient d’être indiqué, laisse peu de chose à dire sur le Bovarysme des individus, en tant qu’il donne naissance au relief comique des personnages6.Flaubert se complète ici par Molière : Le Bourgeois gentilhomme, Les Précieuses ridicules, Les Femmes savantes nous montrent autant de cas de Bovarysme dont la démonstration est trop aisée pour qu’on y insiste. […] La croyance chez Sganarelle qu’il peut inspirer l’amour et la certitude où on le voit d’être aimé pour lui-même expliquent seules qu’il soit aveugle à la grossièreté des ruses où il se laisse prendre. […] Enfin si par hasard son admiration s’adresse à quelque objet admirable en vérité, il peut se faire que des hommes éminents se laissent prendre à sa mimique.

1918. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Mais, cette hétérogénéité une fois reconnue, on peut se demander si les représentations individuelles et les représentations collectives ne laissent pas, cependant, de se ressembler en ce que les unes et les autres sont également des représentations ; et si, par suite de ces ressemblances, certaines lois abstraites ne seraient pas communes aux deux règnes. […] Mais la pensée collective tout entière, dans sa forme comme dans sa matière, doit être étudiée en elle-même, pour elle-même, avec le sentiment de ce qu’elle a de spécial, et il faut laisser à l’avenir le soin de rechercher dans quelle mesure elle ressemble à la pensée des particuliers. […] Cette science, en effet, ne pouvait naître que le jour où l’on eut pressenti que les phénomènes sociaux, pour n’être pas matériels, ne laissent pas d’être des choses réelles qui comportent l’étude.

1919. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Maintenant cette Espagne généreuse, qui a laissé déjà échapper une fois l’empire du monde, a repris ses fonctions naturelles dans la société. […] À chaque âge il y a des rois qui gouvernent, des généraux qui gagnent de grandes batailles, des poètes et des philosophes qui laissent un nom, des savants qui étendent le domaine des sciences ; et, autour des rois, des générations obscures qui s’éteignent au pied du trône ; et, autour des grands capitaines, des soldats sans renommée qui ont acheté de leur vie la gloire de leur général ; et, autour des poètes, des philosophes, des savants, une multitude vaine et tumultueuse qui a honoré de ses suffrages le fruit de tant de veilles, sans laisser elle-même aucune trace dans la mémoire des hommes.

1920. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Elle se soucie plus de tranquillité que de vérité… Mais nous sommes en France, dans un pays qui lui a laissé parfaitement tout dire, pendant trente ans, depuis Indiana jusqu’à ses Mémoires, et qui aux jours les plus durs, a répété ces mots ou l’équivalent de ces mots, flatteurs encore, quand son scepticisme les a dits : « Elle peut avoir de mauvaises opinions, mais il faut convenir qu’elle a diablement de talent, cette femme !  […] Ma foi, qu’elle me laisse le lui dire : Dans un temps plus fort et plus organisé que le nôtre, moins dépravé par les fausses délicatesses du sophisme, c’est ce que nous devrions être tous, nous qui faisons de la critique ! […] Il se laissa enguirlander par l’auteur d’Indiana comme un chevreau par une Bacchante.

1921. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Rollinat, c’est de ne laisser personne tranquille, c’est de tourmenter violemment les imaginations. […] Il y en a une surtout, parmi les pièces laissées dans ce sombre volume et qui y font tache : La Belle Fromagère, qui a produit sur certaines âmes, et c’était ces âmes-là auxquelles le poète des Névroses aurait dû tenir le plus, un effet de dégoût si profond et si invincible, que ces âmes poétiques, dignes d’apprécier les beautés et les hardiesses du livre, l’ont fermé pour ne plus jamais le rouvrir. […] Il fallait laisser les fromages à M. 

1922. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Dans la Vraie Histoire comique de Francion, composée par Charles Sorel, sieur de Souvigny, vers 1622, on trouve ce passage caractérisant la lutte de Malherbe contre Ronsard et son école : « Un poète récita de ses vers et je pris beaucoup de plaisir à voir sa contenance… Or, les poètes présents émirent de grosses disputes pour beaucoup de choses de néant où ils s’attachoient et laissoient en arrière celles d’importance. […] À la vérité, Racine dans les Plaideurs, Corneille, parfois même Boileau, s’étaient laissés aller de temps à autre à ce déplacement de la césure, mais sans se rendre compte de l’avantage et de l’utilité d’une telle licence. […] Laissons-nous persuader Au souffle berceur et doux Qui vient à tes pieds rider Les ondes de gazon roux.

1923. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Supposons qu’un historien accepte cette idée générale ou toute autre, et la développe, non pas en termes généraux, comme on vient de le faire, mais par des peintures, par un choix de traits de mœurs, par l’interprétation des actions, des pensées et du style, il laissera dans l’esprit du lecteur une idée nette du dix-septième siècle ; ce siècle prendra dans notre souvenir une physionomie distincte ; nous en discernerons le trait dominant, nous verrons pourquoi de ce trait naissent les autres ; nous comprendrons le système des facultés et des passions qui s’y est formé et qui l’a rempli ; nous le connaîtrons, comme on connaît un corps organisé après avoir noté la structure et le mécanisme de toutes ses parties. […] Ailleurs il insiste sur cette maladie, et jure de nouveau qu’elle ne laissa « presque aucune trace. » C’est que l’affaire est grave, et que M.  […] Faites d’un orateur un historien : il laissera de côté les traits distinctifs et les caractères propres du temps qu’il décrit ; son récit deviendra un panégyrique et une leçon.

1924. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Puisse aussi quelque homme instruit et laborieux, voué à l’étude de Paris et de ses monuments, ne pas laisser périr la rue Saint-Thomas-du-Louvre sans en donner une description et une histoire fidèle à l’époque de son plus grand éclat49 !  […] Et d’un autre côté, si ce monde qui doit faire place à un monde nouveau laissait un trop riche héritage, il empêcherait que le nouveau ne s’établit. […] II Tel est cet orateur que l’imagination poétique et l’esprit d’érudition ont promené dans l’érudition et égaré dans la philosophie, qui, après avoir voyagé parmi divers systèmes et hasardé un pied, et même deux pieds, dans le panthéisme, est venu se rasseoir dans les opinions moyennes, dans la philosophie oratoire, dans la doctrine du sens commun et des pères de famille ; qui, pensant faire l’histoire du dix-septième siècle, en a fait le panégyrique ; qui, croyant tracer des portraits et composer des peintures, n’a su que recueillir des documents et assembler des textes ; mais qui, dans l’exposition des vérités moyennes et dans le développement des sujets oratoires, a presque égalé la perfection des écrivains classiques, et qui, par la patience de ses recherches, par le choix de ses publications, par la beauté et la solidité de ses monographies, a laissé des modèles aux érudits qui continueront son œuvre, et des matériaux aux philosophes qui profiteront de son travail.

1925. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Je laisse parler Duclos, le meilleur témoin de ce temps ; La Motte, dit-il, Saurin, Maupertuis, étaient les plus distingués de chez Gradot. […] Dans son jugement de Rhadamiste, qui parut en brochure, le critique, après avoir reconnu qu’il y a dans la pièce des traits hardis, heureux, et des situations intéressantes, se met à la suivre scène par scène et à démontrer les invraisemblancesk, les incohérences du sujet, l’action peu liée, les caractères peu soutenus ; il n’en laisse à peu près rien subsister : Enfin, dit-il, je n’ai pas d’idée d’avoir jamais lu une tragédie plus embarrassée, plus fausse, et moins intelligible ; j’ai l’avantage de pouvoir dire ici tout ce que je pense, sans crainte de faire tort à l’auteurl ; car, ou je m’égare dans le jugement que j’expose, et en ce cas le public le vengera de moi, ou le public déférera à mes remarques, et en ce cas même il en rejaillira beaucoup de gloire à M. de Crébillon : on estimera à la vérité un peu moins sa pièce, mais il paraîtra d’autant plus grand, qu’il aura mieux trouvé l’art de fasciner les esprits, en leur cachant les défauts de sa tragédie à force de splendeur et de magnificence.

1926. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Restait à savoir si elle désignerait elle-même les deux tiers à conserver, ou si elle laisserait le choix aux assemblées électorales. […] Mais le jeune Bonaparte, choisi par Barras pour veiller à la défense de l’Assemblée, ne se laissa pas prendre au dépourvu ; il manœuvra autour des Tuileries avec autant de résolution qu’au milieu d’un champ de bataille, et, selon l’expression de M. 

1927. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Cet homme, naguère si grand et si utile, d’un caractère fort, d’un génie profond et spécial, mais à idées fixes, irritable d’orgueil aussi bien qu’étroit d’intelligence, s’était laissé circonvenir et duper par la faction astucieuse qui rôdait autour de Moreau, achetait Pichegru et conspirait contre la république. […] Du moins nos pères furent bien excusables de s’y méprendre, et il est beau de voir avec quelle indulgence, dictée par une raison impartiale et supérieure, le jeune historien leur pardonne de s’être jetés dans fies bras du héros, et de s’être laissé enivrer à tant de gloire.

1928. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier y a été sévère, et il a paru toutefois à beaucoup de lecteurs trop préoccupé d’un soin qu’il vaut mieux laisser aux autres. […] Nous avons regretté aussi qu’en insistant avec raison sur l’importance de l’idée et de la vérité, lorsqu’on écrit, et sur la part très secondaire qu’il faut laisser aux mobiles personnels, M. 

1929. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Ce dernier, dans l’ouvrage qu’on vient de publier, et qui est l’extrait d’une Correspondance écrite par lui pendant ces deux dernières années, laisse percer à chaque page ce caractère originel du satirique et du poète. […] Heine, dans sa fertile et magique exubérance, a des allures bien moins françaises ; sa pensée, au lieu de traverser un peu vite, en s’en colorant, les jets irrésistibles qui naissent à chaque pas, se laisse prendre à cette efflorescence, et s’égare comme à plaisir, et monte dans l’air sur chaque fusée ; elle a peine ensuite à reprendre le fil du chemin, ou du moins on a peine à le reprendre avec elle.

1930. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Et d’ailleurs les circonstances politiques devenant de jour en jour plus pressantes, le principe, qui n’aurait dû servir que d’instrument à prendre ou à laisser, devenait lui-même une arme de plus en plus chère, un glaive de plus en plus indispensable et infaillible ; le but lointain d’association et d’unité s’obscurcissait derrière le nuage de poussière que soulevaient les luttes quotidiennes ; car le Globe s’y lança sans hésiter dès que les besoins du pays lui parurent réclamer une pratique plus active ; mais ses tentatives de science générale y perdirent d’autant ; ce sentiment inspirateur, cette tendance générale et ce but d’avenir que nous signalons plus particulièrement ici s’éclipsèrent devant une application directe à la situation politique du moment, et, dans la préoccupation naturelle des rédacteurs comme du public, notre journal parut se réduira au travail du principe de liberté jouant et frappant dans toutes les directions. […] Nous désirions qu’il prît la tête du progrès ; qu’il ne laissât pas la société, un instant unie dans une sympathie héroïque, se débander de nouveau et se dissoudre ; qu’il gardât, quelque temps du moins, leur prestige à ces idées de liberté qui n’avaient pas encore failli.

1931. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Il tire constamment l’âme et l’esprit au dehors ; il ne laisse pas l’homme rentrer en lui-même, élaborer une lente et solide pensée. […] Mieux vaudrait, comme Spinoza, polir des verres de lunettes : au moins, cela laisse l’esprit intact, et il gagne même au repos.

1932. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Combien de fois, les physiciens, rebutés partant d’échecs, ne se seraient-ils pas laissés aller au découragement, s’ils n’avaient eu, pour soutenir leur confiance, l’exemple éclatant du succès des astronomes ! […] Certes, ce point de vue n’est pas le mien ; moi, au contraire, si j’admire les conquêtes de l’industrie, c’est surtout parce qu’en nous affranchissant des soucis matériels, elles donneront un jour à tous le loisir de contempler la Nature ; je ne dis pas : la Science est utile, parce qu’elle nous apprend à construire des machines ; je dis : les machines sont utiles, parce qu’en travaillant pour nous, elles nous laisseront un jour plus de temps pour faire de la science.

1933. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

Les maisons, à ce qu’il semble, ne différaient pas beaucoup de ces cubes de pierre, sans élégance extérieure ni intérieure, qui couvrent aujourd’hui les parties les plus riches du Liban, et qui, mêlés aux vignes et aux figuiers, ne laissent pas d’être fort agréables. […] Au nord, les montagnes de Safed, en s’inclinant vers la mer, dissimulent Saint-Jean-d’Acre, mais laissent se dessiner aux yeux le golfe de Khaïfa.

1934. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Quand je me rappelle que telle Lettre Provinciale a été refaite jusqu’à treize fois ; quand je vois surchargé de ratures le brouillon d’une fable de La Fontaine ; quand je pense à l’implacable, acharnement avec lequel Rousseau et Flaubert retournaient une phrase dans leur tête pour la rendre conforme à leur idéal esthétique, je me dis qu’au nombre des influences qui développent les facultés contenues dans l’organisme initial, qui font sortir la fleur et le fruit du germe où ils étaient cachés, cette action de la pensée sur la pensée ne saurait être laissée de côté comme une quantité négligeable. […] Et pourtant des observateurs à déductions précipitées 23, remarquant que des écrivains d’une même époque ont laissé des œuvres très différentes d’idées, de formes, de caractères, en ont conclu que l’influence de ce milieu-là était capricieuse et fugace, qu’elle n’existait pas pour un grand nombre de talents notables et pour la plupart des génies suprêmes.

1935. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Mais laissez-lui à la fois cette enveloppe matérielle des sens qui le dégrade, et cette pensée parlée qui le divinise, ce n’est plus ni un vermisseau ni un Dieu, c’est un homme, c’est-à-dire un être complexe et énigmatique, qui fait pitié quand on le regarde ramper, qui fait envie et gloire quand on le regarde penser. […] Les langues, comme des urnes brisées dont on transvase la liqueur pour la verser dans d’autres urnes, se transmettent de l’une à l’autre une faible partie de la littérature sacrée ou profane qu’elles contenaient ; elles en laissent fuir la plus grande partie dans l’oubli ; puis naissent, de la décomposition de ces langues mortes, d’autres langues formées de leurs débris.

1936. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Pajou » pp. 325-330

Où sont ces hommes qui ont pris le parti de se laisser mourir ? […] Laissez à notre imagination le soin de baptiser vos ouvrages, elle s’en acquittera bien.

1937. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Tâchez de me l’envoyer, je vous laisse le maître des conditions… " je cours chez Le Moine, je lui fais part de ma commission. […] Moette, honteux de son élection, a été un mois entier sans entrer à la pension, et il a bien fait de laisser à la haine de ses camarades le temps de tomber.

1938. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Cette expression laisse encore voir les traits du caractere particulier de Jules II. […] Ne désabusez pas si-tôt un jeune artisan, trop prévenu sur la consideration que son art mérite, et laissez-lui croire du moins durant les premieres années de son travail, que les hommes illustres dans les arts et dans les sciences, tiennent encore aujourdhui le même rang dans le monde qu’ils y tenoient autrefois en Grece.

1939. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

versus… etc. les vers des prêtres saliens ont leur chant affecté, et comme leur institut vient du roi Numa ; ce chant montre que les romains tout feroces qu’ils étoient alors, ne laissoient point d’avoir déja quelque connoissance de la musique. […] Enfin l’expression versus habent carmen ne laisse aucun doute sur la signification que doit avoir le mot carmen dans le passage de Quintilien, et dans les vers d’Ovide.

1940. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

J’apprécie cette marque d’estime qui, même réfutés, laisserait encore à mes livres quelque mérite. […] J’apprécie cette marque d’estime qui, même réfutés, laisserait encore à mes livres quelque mérite.

1941. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

On la lui laissa, en effet. […] Ils laissaient ses œuvres dormir dans les éditions de Hollande.

1942. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Une lettre de la Bruyère, retrouvée par Destailleur, ajoute son intérêt à cette réimpression et montre à quel point le fidèle annotateur a poussé l’investigation ; car de tous les hommes peut-être qui tiennent une grande place dans les chroniques de l’Esprit humain, La Bruyère est celui qui a le moins laissé transpirer sa vie. […] Avec un peu de hardiesse, un peu de confiance dans un esprit qu’il n’a pas assez tiré des brassières des La Harpe, des Auger et des d’Olivet, et qui aurait pu très bien se mouvoir tout seul, Destailleur nous aurait donné un commentaire qui aurait valu par le renseignement ce que son édition vaut par la correction du texte et l’exactitude méthodique des tables, et sa publication n’eût rien laissé à désirer.

1943. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Très inférieur à Daniel de Foe par le génie, Swift a cette ressemblance avec Daniel de Foe qu’il n’est guères célèbre maintenant que par son Voyage en Lilliput, comme Daniel par son Robinson Crusoé ; mais, comme Foe, il n’a pas laissé sous les yeux indifférents des hommes qui ne lisent point un tas de chefs-d’œuvre : les Mémoires du capitaine Carleton, la Vie de Roxane, l’Histoire d’un cavalier, le Colonel Jacques, l’Histoire politique du Diable, etc., etc. […] Machiavel, le sphynx de Florence, a laissé un doute sur le sérieux de son Traité du Prince.

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