Sa devise, gravée sur sa bague, était une phrase grecque qui veut dire : Souviens-toi de te méfier 38. […] Il a écrit, à propos de son dernier recueil, cette phrase mélancolique : « Je réunis ici ce que j’ai retrouvé de mes poésies, soit inédites, soit publiées çà et là dans les revues ou les journaux. […] L’univers entier se décompose, se dissout dans ces phrases, comme un bloc de métal mordu par un corrosif. […] Tous deux, en débouchant des fiasques de chianti et en découpant des grives au genièvre, daignaient ouvrir ces gazettes tumultueuses où la politique italienne éclate et tonitrue en phrases qui pourraient être signées tantôt par Cicéron, tantôt par Pasquin. […] Pouvillon n’a jamais voulu déserter le sol qui donne à ses pensées, à ses sentiments, à sa phrase un goût de terroir si savoureux.
Ceci est la dernière phrase du roman, et la seule qui puisse faire attribuer un mobile « religieux » à la vertu de la princesse de Clèves. […] Et même à l’heure solennelle et tragique de leur mort, les hommes de la Révolution font des phrases, des périodes comme Rousseau. […] Elle procède par petites phrases, parfois emmêlées, confuses, parce qu’ils sont maladroits, mais toujours analytiques. […] La phrase a été depuis bien souvent répétée. […] Mais, dans Jean-Christophe, il ne se soucie pas de la rareté du style, c’est la phrase et le vocabulaire de tout le monde, avec des négligences — et combien de longueurs !
II), et quelquefois des phrases entières. […] » Le passage souligné est la clef de tout le caractère : cette Nana, d’ailleurs, est la suite, le développement de la Nana que nous avons vue l’œuvre dans L’Assommoir : n’ayant pas assez de cœur pour être méchante, elle aurait peut-être pu prendre de la raison si elle s’était développée dans un autre milieu ; mais dans la boue où elle a poussé, elle a puisé toute une sève mauvaise Un peu plus loin, dans les notes dont nous venons de citer quelques fragments, on peut lire cette phrase profonde : « Nana, c’est la pourriture d’en bas, l’Assommoir remontant et pourrissant les classes d’en haut. […] Busnach alla le remercier ; le désir d’utiliser la situation du roman pour la scène l’avait déjà piqué ; et, plutôt comme interrogation que comme exclamation, il lança cette phrase : « Quel dommage que l’on ne puisse pas transporter cela au théâtre ! […] Ulbach ; c’est un stylo mou, qui s’en va par filandres, avec des intentions poétiques à tout propos ; les comparaisons s’entassent, les images les plus imprévues se heurtent, les phrases flottent comme des mousselines peinturlurées, sans qu’on sente dessous une carcasse solide et logique, cette carcasse résistante qui doit tout porter, et qui seule indique un écrivain de race.
Sur une phrase Sur mille personnes qui répètent si volontiers la moitié, je ne dirais pas de la pensée, car ce n’est même pas une pensée, la moitié de la phrase de Pascal : « Les fleuves sont des chemins qui marchent… », il n’en est peut-être pas une qui soit capable de la compléter : « … et qui mènent où on veut aller. » S’ils la connaissaient toute, peut-être ne la répèteraient-ils plus, car ils en verraient trop clairement l’absurdité. Cette fameuse phrase doit-elle être classée parmi les sottises échappées aux grands hommes, ou n’est-elle qu’une erreur de copiste, ou encore une chose incomplète jetée au hasard, je n’en sais rien, mais il est certain qu’elle n’a qu’une apparence de bon sens. […] Pourquoi donc cette phrase est-elle devenue célèbre ?
On dirait que je m’exhale dans chacune de mes phrases bousculées. […] Le scrupule qui interdit à l’artiste d’utiliser un style tout en surface et de se servir de phrases toutes faites, dont le sens s’est évaporé au cours des siècles, apparaît aussi légitime que l’impossibilité logique pour un philosophe d’accepter sans examen les affirmations du consentement universel. […] Voici sa phrase : « Elle est (la nature) l’incarnation d’une pensée et redevient pensée, de même que la glace devient eau et vapeur. […] Bien souvent, des Esseintes avait médité sur cet inquiétant problème, écrire un roman concentré en quelques phrases qui contiendraient le suc cohobé des centaines de pages toujours employées à établir le milieu, à dessiner les caractères, à entasser à l’appui les observations et les menus faits.
Sa phrase, courte d’ordinaire se presse, déferle. […] La phrase parlée restait comme visible dans l’air, en suspens et phosphorescente des images qui l’éclairaient. […] Elle se tapit au coin d’une phrase, elle s’embusque au détour d’un paragraphe, elle s’accroupit au bas d’une note. […] Sa phrase s’agrémentait d’un tri de mots judicieux. […] Il s’agit de la première phrase du « Duke of Portland », un des Contes cruels de Villiers de l’Isle-Adam.
Si le public avait la tête assez forte, il se contenterait de la vérité. » Cette phrase, à mon avis, et quoiqu’elle contienne peut-être une vérité obscure ou lointaine, n’est, elle-même, que de la littérature. […] Il se souciait de l’harmonie de la phrase plus que de l’exactitude. […] Ne le regardons pas travailler, détournons les yeux de ce sofa où il se vautre, en cherchant des combinaisons musicales pour ses fins de phrases. […] Cela n’est pas non plus sans apporter quelque secours à la clarté des phrases écrites. […] Il en est de même pour les fragments de phrase et les phrases courtes.
Voltaire, qui s’était enrichi par d’autres voies, savait très-bien l’influence de la richesse sur les mœurs de la littérature (je prends mœurs dans le sens que lui donnent les rhéteurs), et quand on venait lui faire de grandes phrases à la Jean-Jacques, il vous répondait par le Mondain.
Denis ne s’aperçoit pas que c’est lui qui parle bien souvent par leur bouche, que leurs idées si malheureusement ingénieuses, leurs phrases à contre-temps élégantes, sont les siennes, et qu’il leur suppose trop aisément sa manière délicate d’observer et de sentir.
C’est par de petites phrases exactes, menues, et assez froides quand on les isole, que M.
« Tu ne peux te figurer, écrit-il à sa sœur, combien cette simple phrase m’est allée au cœur » ; et il conclut : « Le bon moyen de maintenir le patriotisme dans le cœur des Français est de les faire voyager. » Au bout de cinq ans, il se démet de son poste pour se marier avec une jeune Anglaise pauvre, qu’il a connue à Berlin et chez qui il prenait des leçons d’anglais.
Dans l’Inde, c’est le sanscrit, avec son admirable richesse de formes grammaticales, ses huit cas, ses six modes, ses désinences nombreuses, sa phrase implexe et si puissamment nouée, qui, en s’altérant, produit le pali, le prakrit et le kawi, dialectes moins riches, plus simples et plus clairs, qui s’analysent à leur tour en dialectes plus populaires encore, l’hindoui, le bengali, le mahratthi et les autres idiomes vulgaires de l’Hindoustan, et deviennent à leur tour langues mortes, savantes et sacrées : le pali dans l’île de Ceylan et l’Indochine, le prakrit chez les djaïns, le kawi dans les îles de Java, Bali et Madoura.
A comparer ensemble les écrits, d’ailleurs si dissemblables, de Rousseau, de Buffon, de Diderot, de Thomas, on s’aperçoit bien vite que tous ces écrivains, qui furent contemporains, ont la phrase ample, périodique, largement déroulée, et l’on conclut sans témérité aucune que la prose oratoire, dans la seconde moitié du xviiie siècle, a joui d’une vogue éclatante.
Aucun Poëte n’a mieux connu, mieux éprouvé, plus vivement exprimé le sentiment ; ses Vers le respirent à chaque phrase, & ce caractere est si marqué dans ses Ouvrages, qu’on peut lui appliquer ce que disoit Horace : Invenias etiam disjecti membra Poëtæ.
Comme la phrase s’alanguit dans ces deux vers, jusqu’à en mourir, et chante l’ondulation des vagues d’étang qui déferlent silencieusement vers les berges (redoublement des l) ; comme se balancent et palpitent les ramées frôlées d’ailes d’oiseaux (les trois v du premier vers), et soudain dans le lointain éclate la fanfare sombre des cors (dort, mort) et se prolonge la plainte altière et virginale d’une qui se meurt d’avoir été chaste.
L’emploi qu’il faisoit des figures de rhétorique, son affectation à prodiguer l’antithèse & l’hyperbole, son attention ridicule à courir après l’esprit, ses grands mots, ses longues phrases, eussent gâté le plus beau génie.
Les filles des hommes célèbres qui se contentent de filer de la laine à la maison, au lieu de filer de la phrase dans les journaux et dans les livres, sont, à l’heure qu’il est, à peu de chose près, des chimères.
Gardons-nous de pousser trop loin cette attention subalterne, qui pèse les phrases dans une balance, et fait plus d’attention aux mots qu’aux idées.
De là vinrent sans doute ces phrases latines, summo loco, illustri loco nati, pour dire les nobles ; imo, obscuro loco nati, pour désigner les plébéiens : les premiers habitaient les cités, les seconds les campagnes.
Parmi les prédicateurs de ce lieu commun, les seuls qui puissent être encore originaux, ce sont les philosophes orthodoxes décidés d’avance à opérer au milieu de leurs phrases compromettantes le sauvetage impossible de l’absolu ; ceux-là resteront toujours divertissants par le spectacle héroï-comique de leurs efforts désespérés pour échapper à la terrible loi du relatif, que cette contradiction des goûts nationaux proclame avec une évidence accablante. […] Un bretteur de qualité veut le prendre pour témoin rie son duel ; il réfléchit un instant, prononce vingt phrases qui le dégagent, et sans faire le capitan, laisse les spectateurs persuadés qu’il n’est point lèche. […] Quand Oronte vient lire un sonnet devant lui, au lieu d’exiger d’un fat le naturel qu’il ne peut avoir, il le loue de ses vers convenus en phrases convenues, et n’a pas la maladresse d’étaler une poétique hors de propos420. […] Croit-on que sans l’autorisation, sans l’ordre exprès du roi qui l’appuyait, il eût prononcé impunément une phrase comme celle-ci : Le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie ; et comme dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie 425. « Je tremble pour cet auteur, écrivait de Villiers, lorsque je lui entends dire en plein théâtre que ces illustres doivent, à la comédie, prendre la place des valets426. » Il pouvait trembler, — sans Louis XIV. […] Si le Dieu essaye de persuader que Un partage avec Jupiter N’a rien du tout qui déshonore, Sosie, qui conclut la pièce, déclare que le seigneur Jupiter « nous fait beaucoup d’honneur », mais qu’il a beau « dorer la pilule », que D’une et d’autre part pour un tel compliment Les phrases sont embarrassantes.
Malgré ses phrases sur la modération et sur la vertu, Diderot, aussi faux que Sénèque, dont il a écrit la vie, — car l’eau va toujours à la rivière et les menteurs vont aux menteurs, — Diderot, l’auteur des Bijoux indiscrets, cette saloperie, était, de nature, un cynique, qui cachait parfois son cynisme sous un grand geste de père noble ou sous une ronde bonhomie. […] On peut douter, car cet homme emporté de tempérament et de phrase, croirait-on, savait quand il le fallait être un tartufe, comme le prouvent suffisamment les notes qu’il mettait aux textes impies de ses écrits quand la peur le prenait de M. le lieutenant de police. […] Il se contentait de dire sa petite impression, puis se retirait sous ses petites phrases, petit serpent de ces petites fleurs… Diderot, lui, avait cette puissance de dire à un homme qui avait échoué : Tenez ! […] Plus de bourgeois rappelant par l’attitude de la phrase et de la pensée les bourgeois drapés, posés et idéalisés par David dans son serment du Jeu de Paume, dont, à coup sûr, Diderot eût fait partie s’il eût vécu jusqu’à la Révolution. […] Rien que cela, sous l’enjolivement des phrases, mais rien que cela… Si je voulais parler comme Diderot, je dirais que c’est l’obole dans le casque de Bélisaire.
Quelques mois après cette entrevue, Françoise écrivit de province à une de ses amies une lettre charmante qui contenait une phrase aimable à l’adresse de Scarron. […] Sévère, qui n’est qu’un honnête homme et un homme d’esprit, se croit obligé de faire des phrases : « Comprenez-vous que, lorsqu’on a le bonheur de vous posséder, on vous cède à un autre ? […] Lorsque, dans les Souvenirs d’enfance et de jeunesse de Renan, je lis cette phrase : « Je n’ai aimé que quatre femmes dans ma vie : ma « mère, ma sœur, ma femme et ma fille », j’envie le bonheur de l’homme qui peut écrire, en plein xixe siècle, une phrase comme celle-là, et de cette phrase je fais Thouvenin. […] Certaines de ses phrases font songer au « Qui te l’a dit ? […] Seigneur Dieu, donnez-lui, par pitié, quelque petit défaut, pour que nous puissions varier un peu les phrases par lesquelles nous célébrons sa gloire !
Chacun dit étonnamment ce qu’il doit dire, du premier coup, et à fond, et sans rien qui ressemble à des phrases. […] C’est cette gravité-là qui préside à l’amusante discussion de la phrase, — grosse de sous-entendus ! […] Le duc, distingué et glacé, mais adroit, en profite pour pousser plus vivement sa pointe avec des phrases empruntées aux romans du mari, ce qui est charmant. […] En fines phrases à double sens, Dangy « se paye la tête » du drôle et lui met soigneusement le nez dans son ordure. […] Et, tandis que je ne songe qu’à être puissant et riche, je fais vivre des milliers d’hommes, ce que vos phrases ni même vos aumônes ne feront jamais.
Il l’était par le rythme élégant et souple de sa phrase. […] La phrase de Gautier s’inscrivait sur le papier presque sans ratures et il l’improvisait avec une singulière facilité. […] Boylesve est originaire et dont elle a la grâce noble et l’harmonie heureuse, à cette Touraine où le héros de Mon Amour nous conduit un instant et dont il nous dit, en phrases délicieuses, le charme intime et familier. […] La phrase de M. […] Lucien Corpechot a donné à son livre éloquent et sévère, où la forme s’adapte à la pensée et où la phrase a, comme dit M.
On s’arrête à cette phrase : « La condamnation sera exécutée, séance tenante, par le piquet commandé pour garder le lieu de la séance. » Et on songe avec un petit frisson qu’on entre dans le dramatique et le sommaire du siège. […] » Cette phrase me réveille, et me donne immédiatement le soupçon que Strasbourg s’est rendu : pressentiment dont j’ai la confirmation, en achetant un journal sur le boulevard. […] Tout à coup la mère, s’adressant à moi, se révèle dans cette phrase : « Quand il y a de la canonnade, vous ne me croirez peut-être pas, monsieur, mais au son, c’est singulier, n’est-ce pas ? […] Des cris, des vociférations enterrent cette phrase bourgeoise du critique, qui trouve un bon écrivain dans le père Mainbourg, et déclare détestable la prose des Mémoires d’outre-tombe. […] Je suis en chemin de fer entre trois gardes nationaux, dont chaque geste aviné est presque un coup pour leurs voisins, dont chaque phrase ne peut sortir de leurs bouches qu’accompagnée du mot : « merde. » L’un représente l’ivresse imbécile ; l’autre, l’ivresse gouailleuse et scélérate ; le dernier, l’ivresse brutale.
De là ces phrases reprises, ces mots répétés, ce style uniforme qui, sans faire grand effet au premier abord, finit par enlacer l’âme comme en un cercle magique. […] Pierre Loti s’efforce de remédier à cette pauvreté par l’abondance des qualificatifs et la savante structure d’une phrase qui paraît simple et qui est fort travaillée. […] Excellant à rendre les intuitions, sa phrase est impuissante à conclure et n’aboutit qu’au sentiment. […] On a cru généralement que l’abus des expressions recherchées, le manque de simplicité qui caractérisent sa phrase, provenaient du désir de faire de l’effet. […] Tout en revient, on le voit, à la révélation extérieure… » Il faut retenir cette dernière phrase.
La mort de sa grand’mère, dont elle raconte les derniers moments avec une douleur sans phrase et une sincérité touchante, termina la période d’initiation. […] Rien qui divise, rien que de pudique et d’attendri, rien que de noble sans effort, de beau sans emphase, de touchant sans phrase ! […] Il y eut des nuits de recueillement, de douleur austère, de résignation enthousiaste, où j’écrivis de belles phrases de bonne foi. […] Faites la charité à un gueux qui a de l’or plein sa paillasse, mais qui ne veut se nourrir que de phrases bien faites et de mots choisis… Mais, bêta, fouille dans ta paillasse et mange ton or. Nourris-toi des idées et des sentiments amassés dans ta tête et dans ton cœur ; les mots et les phrases, la forme, dont tu fais tant de cas, sortira toute seule de ta digestion.
Proportion, sobriété, décence, moyens simples et de cœur substitués aux grandes catastrophes et aux grandes phrases, tels sont les traits de la réforme, ou, pour parler moins ambitieusement, de la retouche qu’elle fit du roman ; elle se montre bien du pur siècle de Louis XIV en cela. […] Au moyen âge et même au seizième siècle, une phrase de latin copiée ou citée faisait autant partie de l’amour-propre de l’auteur qu’une pensée propre. […] — Je lis plus loin une phrase sur ces années « dont on ne s’est point encore sincèrement repenti, parce qu’on est assez injuste pour excuser sa foiblesse et pour aimer ce qui en a été cause 125. » Un an avant de mourir, Mme de La Fayette écrivait à Mme de Sévigné un petit billet qui exprime son mal sans repos nuit et jour, sa résignation à Dieu, et qui finit par ces mots : « Croyez, ma très-chère, que vous êtes la personne du monde que j’ai le plus véritablement aimée. » L’autre affection qu’elle ne nommait plus, qu’elle ne comptait plus, était-elle donc enfin ensevelie, consumée en sacrifice ?
Le style s’élève : avec deux mots le poëte devient éloquent, justement au sortir du ton gouailleur ; il rit et s’indigne dans la même phrase, appelle tout à la fois la grenouille « bonne commère » et « parjure » ; tant l’imagination agile est prompte à suivre les apparences changeantes des choses et les variations des sentiments. […] Mais quelles phrases traînantes ! […] Il ne se ménage pas, il ne ménage pas les autres ; il combat et il se livre ; il suit sa passion sans égard pour les règles ; il ploie le discours, il casse en deux ses phrases, il s’arrête net au milieu d’un vers ; il change d’accent à chaque minute ; voici que, pour la première fois, dans cette curie où les élèves de Quintilien modulaient adroitement les doubles trochées de leurs périodes, les voûtes renvoient les mugissements, les accents brisés et toutes les clameurs du désespoir et du combat.
Nous la croyons, au contraire, une des âmes les plus subalternes, les plus égoïstes, âme comédienne du beau, âme hypocrite du bien, âme repliée en dedans autour de sa personnalité maladive et mesquine, au lieu d’une âme expansive se répandant, par le sacrifice, sur le monde pour s’immoler à l’amour de tous ; âme aride en vertu et fertile en phrases ; âme jouant les fantasmagories de la vertu, mais rongée de vices sous le sépulcre blanchi de l’ostentation ; âme qui, pour donner la contre-épreuve de sa nature, a les paroles belles et les actes pervers. […] Il écrivit son Héloïse, roman déclamatoire comme une rhétorique du sentiment, dissertation sur la métaphysique de la passion, passionné cependant, mais de cette passion qui brûle dans les phrases et qui gèle dans le cœur. […] Est-ce au moraliste, enfin, qui ne prêche jamais la vertu qu’aux autres dans ses phrases, et qui s’enveloppe pour lui-même, pour sa conduite privée, de tous les vices du plus abject égoïsme, depuis l’abandon de son père et l’ingratitude envers sa bienfaitrice, jusqu’au déshonneur de sa concubine, jusqu’à la condamnation sans crime de ses enfants, jusqu’à la diffamation de ses meilleurs amis, jusqu’à l’invective contre la pitié même qu’on lui prodigue ?
Généralement il exprimait ses idées par de petites phrases sentencieuses et dites d’une voix douce. […] D’ailleurs, quatre phrases, exactes autant que des formules algébriques, lui servaient habituellement à embrasser, à résoudre toutes les difficultés de la vie et du commerce : “Je ne sais pas, je ne puis pas, je ne veux pas, nous verrons cela.” […] De là cette autre phrase : “Qu’est-ce que les Grandet font donc à leur grande Nanon pour qu’elle leur soit si attachée ?
Est-ce besoin incessant de l’écho et de l’applaudissement de ces salons qui lui renvoyaient tous les soirs la gloire et l’enthousiasme pour chaque phrase ? […] Et que lui faisait cet éloge, à travers les milliers de phrases que la crainte et l’espérance sont empressées à lui offrir ? […] Si le gémissement est disproportionné au malheur chez une exilée au sein de sa famille, de son opulence et de ses jardins dans l’Oasis enchantée du lac de Genève, on ne peut s’empêcher de reconnaître que madame de Staël, qui pouvait se relever de la proscription par une phrase d’éloge au despotisme, montra un véritable courage en la refusant.
Élu membre de l’Académie française, il avait écrit dans son discours de réception cette phrase, en faisant, suivant l’usage, l’éloge de son prédécesseur qui était Marie-Joseph Chénier : « La liberté est si naturellement l’amie des sciences et des lettres qu’elle se réfugie auprès d’elles, lorsqu’elle est bannie, du milieu des peuples. » Il avait eu beau prendre ses précautions, mêler à ses paroles un hommage à César ; quand l’Empereur eut entre les mains le discours qui devait lui être soumis avant d’être prononcé, il entra dans une colère frénétique. […] Quelques phrases y furent supprimées, d’autres interpolées, et peu de temps après il parut dans les provinces imprimé sous cette forme. » Mme de Staël ne fut pas mieux traitée. […] C’est la possibilité reconquise de tout dire, de mouler la phrase sur la réalité même, de reproduire la vie dans sa complexité, et, au besoin, dans sa nudité.
Du moment que, pour être un docteur renommé, il suffisait de raisonner sans faute sur des propositions acceptées sans contrôle, on pouvait se borner à entasser sans choix dans sa tête des textes problématiques, des faits douteux, des phrases vides. […] On aboutit à « une culture de pure forme », suivant l’expression du Père Beckx ; on fait des rhétoriciens brillants, des virtuoses de la phrase et de l’éloquence académique. […] Allusions délicates, périodes harmonieuses, phrases pompeuses ou finement ciselées en sont les ornements ordinaires.
et si l’on précise l’espèce, et si l’on énumère les feuilles, l’on ne fait qu’accumuler les qualificatifs ; dans « arbre » il n’y a rien autre que a-r-b-r-e ; les mots sont les signes des idées ; les signes des objets sont de la peinture ; quiconque sous les mots voit les objets, transpose ; une phrase n’est qu’une combinaison d’abstractions, et les mots ne sont que des mots. […] Ainsi son langage s’agrandira, et en outre des élémentaires littératures, dans ses phrases il y aura, non des visions ni des musiques, mais le reflet, l’écho, la correspondance de toute cette vie ; son âme d’artiste comprendra la complétude de la sensation, mais son âme de littérateur la littérarisera, et c’est ainsi qu’il verra et sentira, comme il pense, littérairement. […] Or, l’illustrera-t-on de belles phrases, de belles musiques, de belles décorations ?
Il ne s’échauffe guère que vers cinq heures, quand il s’est mis au travail à midi… Il ne peut écrire sur du papier blanc, ayant besoin de le couvrir d’idées, à l’instar d’un peintre qui place sur sa toile ses premiers tons… Soudain, comptant le petit nombre de gens qui s’intéressent aux choix d’une épithète, au rythme d’une phrase, au bien fait d’une chose, il s’écrie : « Comprenez-vous l’imbécillité de travailler à ôter les assonances d’une ligne ou les répétitions d’une page ? […] Il y a souvent comme la tombée d’une larme au milieu d’une de ses blagues, et presque toujours, au bout d’une de ses phrases attendries, un strident rrrr, qui semble la crécelle de l’ironie. […] Voilà l’important : des phrases bien faites, et encore quelques métaphores ; oui, quelques métaphores, ça pare l’existence… — Markowski, Markowski, qu’est-ce que c’est que ça ?
On dirait que son enthousiasme n’a qu’un certain nombre de phrases clichées et de moules, et que ces phrases une fois écrites, et que ces moules une fois remplis, il est obligé de recommencer mécaniquement un tel travail. […] Encore une fois, les phrases de M.
Faut-il que les raisons de cour, les protections, certains emplois déjà occupés, le grand âge, de longs mais froids services… Il s’embrouille dans sa phrase (ce qui lui arrive quelquefois quand les phrases sont longues), et il ne l’achève pas ; mais il suit très bien sa pensée, et il veut dire ce qu’il redit souvent encore ailleurs en des termes que je résume ainsi : « Les hommes à la guerre sont rares ; avec mes défauts, je crois en être un ; essayez de moi. » Villars, à la tête d’un détachement considérable et par le fait général en chef, investi de la confiance du roi, ne songe qu’à la justifier.
M.Mignet, on l’a vu, distingue dans l’histoire deux portions, l’une plus fixe et comme infaillible, qui tient aux lois des choses, et l’autre plus mobile, plus ondoyante, qui tient aux hommes : or on peut observer que souvent il exprime bien fortement la première et lui subordonne trop strictement la seconde ; et cette inégalité n’a pas lieu seulement (comme il serait naturel de l’admettre) dans la conception et l’ordonnance générale du tableau, mais elle se poursuit dans le détail, elle se traduit et se prononce dans la marche du style et jusque dans la forme de la phrase. […] mais en réalité nous ne nous arrangerions pas mieux, si nous y étions condamnés, de l’ordinaire du style écrit de ce temps-là que de l’ordinaire du régime politique de ce grand règne. — Cela est très-vrai. » (Longueur rebutante de phrases et enchevêtrement continuel, amphibologie de sens, manque de précision, de netteté, etc., etc.)
Ainsi pas une phrase qui ne sente en plein l’église ; pas une qui ne porte la soutane. […] oui, l’homme est ainsi fait, Rufin Capdepont, plus faible, eût été plus modéré peut-être… » Et quelle pédanterie naïve dans ce tour de phrase : « Sa tête surtout paraissait transfigurée.
Avec son vocabulaire opulent et varié d’où surgissent à chaque phrase les mots strictement choisis, avec sa claire vision de paysages fondus, ses images dorées, ses plastiques ondulantes ou sévères, M. de Régnier a le goût qui distingue, élit, compare et dispose ; il a l’instinct souverain de l’ordonnance qui assigne à ses poèmes la solidité du verbe immobilisé comme un marbre. […] Je retrouve cette phrase que j’écrivais dans la Wallonie en 1890 : « Le lyrisme doit découler de M. de Régnier comme le vin d’une amphore.
Ce qu’il faut admirer encore, c’est la patience de la duchesse de Septmonts écoutant jusqu’au bout cette confession délirante que toute femme bien née aurait coupée net à la première phrase. […] Il a des parties communes et des morceaux boursouflés, des phrases toutes faites et des mots redits.
Dans un endroit des Cacouacs, il est parlé de la géométrie : Fréron, en rapportant cet endroit, a ajouté une note dans laquelle il cite un de mes ouvrages, pour faire connaître que l’auteur a voulu me désigner en cet endroit, quoique la phrase qu’il rapporte ne se trouve dans aucun de mes ouvrages. […] C’est Boissy d’Anglas qui nous le montre ainsi, et Chateaubriand achève le portrait en ajoutant : « Mais, à la première phrase qui sortait de sa bouche, on sentait l’homme d’un vieux nom et le magistrat supérieur. » Sa conversation était riche, nourrie, abondante ; il savait tout, ou du moins il savait beaucoup de tout, et cela sortait à flots avec une vivacité et une profusion qui rendait sa parole aussi piquante qu’instructive.
Puis une trop belle syntaxe, une syntaxe à l’usage des vieux universitaires flegmatiques, une syntaxe d’oraison funèbre, sans une de ces audaces de tour, de ces sveltes élégances, de ces virevoltes nerveuses, dans lesquelles vibre la modernité du style contemporain… et encore des comparaisons non fondues dans la phrase, et toujours attachées par un comme, et qui me font l’effet de ces camélias faussement fleuris, et dont chaque bouton est accroché aux branches par une épingle… et toujours encore des phrases de gueuloir, et jamais d’harmonies en sourdine, accommodées à la douceur des choses qui se passent ou que les personnes se disent, etc.
En juillet 1914, quand la question serbe s’est posée, on est parti du vote de la fédération parisienne, où l’on a voté à la quasi-unanimité la grève générale en cas de guerre, et quelques jours après, fin juillet, à Lyon, Jaurès lançait la fameuse phrase que si la guerre arrivait tout de même, la France se souviendrait non point de son alliance avec l’empire russe, mais de son contrat avec l’humanité. […] » Cette phrase prise isolément supprimerait le problème que nous examinons ; le contexte pourtant ne laisse aucun doute.
Tout récemment, dans les feuilles d’un roman non encore publié, qu’une bienveillance précieuse m’autorisait à parcourir, dans les feuilles de Lélia, nom idéal qui sera bientôt un type célèbre, il m’est arrivé de lire cette phrase qui m’a fait tressaillir de joie : « Sténio, Sténio, prends ta harpe et chante-moi les vers de Faust, ou bien ouvre tes livres et redis-moi les souffrances d’Oberman, les transports de Saint-Preux.
Rien que ses propres phrases textuelles ne saurait rendre l’idée qu’elle avait du roi ; il est bon d’en citer quelque chose ici comme digne préparation à la scène finale qui eut lieu trente ans plus tard.
Dites que notre littérature s’est gâté le style, qu’elle s’est chargée d’abstractions genevoises et doctrinaires, de métaphores allemandes, de phraséologie drôlatique ou à la Ronsard ; et quatre ou cinq noms qu’à l’instant tout le monde trouvera, vous rappelleront les écrivains les plus vifs, les plus sveltes et dégagés, qui aient jamais dévidé une phrase française.
Le mouvement de la phrase et du développement, chez M.
Montaigne, qui fourmille d’images spirituelles à chaque phrase, a soin de rendre son trait aussi court que possible.
Mais au cours d’une phrase surgit un mot qui tire le narrateur hors de sa voie : autre écart, autre retour brusque, pour s’égarer encore bientôt.
Je ne sais quelle gêne, quelle incertitude vous envahit, vous empêche de vous livrer tout entier à votre œuvre : je ne sais quelle appréhension de ne faire que du provisoire, vous poursuit dans la moindre de vos phrases, vous glace, et vous empêche de rien écrire d’une main ferme et hardie.
Il moule sa phrase sur sa pensée, l’étire, l’élargit, la courbe, la brise, selon son besoin, non selon la grammaire.
Charles Vignier comparait le poète à un magicien qui préside aux incantations en marmottant des mots de cabale et qui échoue si « le vers ou la phrase maléfique ne sont figés dans leur impermutable expression ».
Quand je me rappelle que telle Lettre Provinciale a été refaite jusqu’à treize fois ; quand je vois surchargé de ratures le brouillon d’une fable de La Fontaine ; quand je pense à l’implacable, acharnement avec lequel Rousseau et Flaubert retournaient une phrase dans leur tête pour la rendre conforme à leur idéal esthétique, je me dis qu’au nombre des influences qui développent les facultés contenues dans l’organisme initial, qui font sortir la fleur et le fruit du germe où ils étaient cachés, cette action de la pensée sur la pensée ne saurait être laissée de côté comme une quantité négligeable.
De serviles compilateurs de phrases, d’une langue qu’on a bien de la peine à entendre, plus amateurs des mots que des choses, osèrent se donner pour des oracles en fait de prononciation.
Par exemple, les versificateurs sans génie qui écrivent des opera, ne sçavent autre chose que de retourner ces phrases et ces expressions si souvent rebattuës, que Lulli réchauffoit des sons de sa musique, pour parler avec Despreaux.
Seulement il fait quelquefois des phrases comme celle-ci, qui ne sont pas de tout le monde : « La France fit de son échine adulatrice le premier degré de cette unité de foi où le monarque voyait pour lui l’échelle du ciel. » Quand on veut être insolent pour Louis XIV, il ne faut pas être grotesque, ou l’on manque l’insolence… Le sens d’historien, qui est très vif chez de Lescure, le fait entrer en plein dans l’histoire, et sur La Grange-Chancel il en a partagé les émotions.
Tel est le genre de phrases et d’odieux baragouin qu’on peut cueillir à pleines plates-bandes dans la partie de cette Correspondance où Madame Sand n’est que l’obscure Aurore Dudevant, et où, comme elle le dit avec une originalité si puissante, elle ne s’est pas encore « embarquée sur la mer orageuse de la littérature ».
Dans un sujet comme celui-ci, où des phrases brillantes à faire étinceler devaient tenter sa pensée, il n’a pas succombé à cette tentation vulgaire, et il s’est plus préoccupé d’être critique que de se montrer écrivain.
Que de phrases, à chaque instant, lui échappent comme autant d’aveux de sécheresse, d’égoïsme et de cruauté ! […] Il s’en alla bravement, en souffrant plus ou moins, mais non sans faire de très belles phrases : car il demeura en correspondance avec ses amis, qu’il revit un peu plus tard, et conserva avec eux des relations assidues et cordiales, malgré la publication de Werther, qu’on eut quelque peine à lui pardonner. […] Dans une lettre (en français) de Merck à sa femme, en effet, nous trouvons cette phrase suggestive : « Goethe est déjà l’ami de la maison, il joue avec les enfants et accompagne les enfants de madame avec la basse (le violoncelle). […] On ne trouverait pour soutenir son assertion qu’une nouvelle phrase de Merck dans une autre lettre à sa femme (14 février) : « Il [Goethe] se détache de tous ses amis et n’existe que dans les compositions qu’il prépare pour le public. […] Et dès lors, pendant plusieurs années, on pourra relever, dans les lettres, des phrases qui semblent tirées du volume, sur la mélancolie des choses, l’horreur de vivre, la misère de l’homme.
Sa phrase est nette, son image est saillante ; il sait ce qu’il veut dire, il va où il veut aller. […] Elle causait doucement, et on eût dit qu’elle comptait sur les finesses infinies de sa physionomie pour achever ses phrases. […] s’écria-t-elle d’une voix brève, résolue, impérieuse, — plus une phrase… plus un mot… plus rien ! […] » il ne trouve à lui répondre que cette phrase : « Ton meurtre est-il donc une solution ? […] Quant au style, pas de « mots d’auteur », pas de phrases à panaches.
Le verbe mord âprement et profondément le cuivré de la phrase, et la pensée l’illumine. […] Il n’écrit pas davantage pour uniquement sertir dans l’or des phrases creuses les joyaux du verbe éblouissant et nu. […] La phrase est souple sans clownerie, sonore sans déclamation, et pleine d’images heureuses qui se gravent dans l’esprit. […] Et l’on sent bien souvent passer la phrase des grands écrivains : un son que nous n’entendons plus, presque jamais plus, et où notre esprit s’émerveille. […] J’ai lu, à ce propos, des phrases admirables et dignes d’entrer, encore tout humides d’encre, dans l’impartiale et définitive Histoire.
On n’a plus le temps de polir une phrase, de la tailler comme une pierre précieuse. […] De malheureuses phrases contre les prêtres et les rois, sorties de la plume d’un rhéteur qui ne les destinait qu’à être applaudies dans un souper, vingt ans plus tard armaient des mains meurtrières. […] Les noms qu’on cite dans ces phrases où l’on veut résumer brièvement la valeur poétique de l’époque sont toujours les mêmes, et la pléiade n’a pas augmenté le nombre de ses étoiles. […] Auguste Vacquerie pourrait dire comme Joubert : « S’il est un homme tourmenté par la maudite ambition de mettre tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase, et cette phrase dans un mot, c’est moi. » Cette sobriété mâle, sans complaisance pour elle-même, et qui s’interdit tout ornement inutile, l’auteur de l’Enfer de l’esprit et des Demi-teintes l’apporte dans tout ce qu’il fait. […] Parmi tous ces poëtes dont nous avons analysé les œuvres, lequel inscrira son nom dans la phrase glorieuse et consacrée : Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset ?