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1393. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

La mesure des deux génies se trouve dans l’Œdipe même : les premiers actes de la pièce française sont aux derniers ce que Voltaire est à Sophocle. […] Quant à l’élévation du génie de Mahomet, on n’en aperçoit aucune trace dans la pièce : on n’y trouve que la bassesse infâme d’un tartuffe, qui fait sottement l’amour à une jeune fille, et séduit lâchement un jeune garçon : il n’y a pas assurément d’élévation de génie à dire à un honnête homme : Je suis un coquin, mais je suis le plus fort ; embrasse mon parti par intérêt ou par nécessité ; à moins qu’on ne trouve un génie très élevé dans le brigand qui dit au voyageur : Tu n’es pas le plus fort ; donne-moi ta bourse, si tu veux sauver ta vie. […] L’auteur de La Pucelle n’avait réussi que par des innovations dangereuses ; il était naturellement ennemi des règles et des principes, qu’il regardait comme les entraves du génie. […] Électre a de grands défauts, mais ils sont rachetés par des beautés vraiment tragiques, et ces beautés appartiennent au génie de l’auteur : les deux derniers actes sont dignes de Crébillon. […] Le génie même de Montesquieu n’a pu résister à cette épidémie ;  il ambitionnait le suffrage des beaux-esprits et des philosophes : il voulait être à la mode ; il était anglomane.

1394. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Il prépare des lecteurs aux génies puissants qui peuvent survenir. […] Ceux qui représentent le génie d’une race doivent être respectés préalablement. […] C’est le génie conservateur. […] Donc c’est un homme de génie. […] me direz-vous. — Sans doute ; ce n’est pas du tout le génie qui inspire l’amour ; c’est la conviction qu’un homme dont on partage la vie a du génie.

1395. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

En toutes choses vous possédez au plus haut degré le génie de la promptitude. […] Lamartine ne demandait rien qu’au génie. […] On sait ce que la légende et le génie ont fait de sa mémoire. […] Ainsi la postérité ballotte les épaves du génie. […] Il y a un langage propre à chaque écrivain de génie.

1396. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Et son génie n’en est pas diminué ! […] On ne saurait guère imaginer de génie plus différent de celui de Molière que le génie de Racine, à moins peut-être que les rapports ne soient plus difficiles encore à préciser entre la nonchalance épicurienne de La Fontaine et la sévérité bourgeoise de Boileau. […] Le génie même s’essaierait alors vainement à les ranimer. […] Naissance de Pascal. — Sa famille ; — son éducation ; — précocité de son génie [Cf.  […] La Fontaine n’avait point le génie du théâtre.

1397. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Tout son génie est là ; il avait une de ces âmes délicates qui, pareilles à un parfait instrument de musique, vibrent d’elles-mêmes au moindre attouchement. […] Le style explique l’œuvre ; en montrant les traits principaux du génie, il annonce les autres. […] Auprès de ce génie, on est comme au bord d’un gouffre ; l’eau tournoyante s’y précipite, engloutissant les objets qu’elle rencontre, et ne les rend à la lumière que transformés et tordus. […] Shakspeare fait tout le contraire, parce que son génie est tout l’opposé. […] Agile, impétueux, passionné, délicat, son génie est l’imagination pure, touchée plus fortement et par de plus petits objets que le nôtre.

1398. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Et Victor Hugo est cela même : c’est un bourgeois qui a du génie. […] frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. Ainsi, le génie est dans le cœur, la poésie est dans le sentiment. […] Victor Hugo eut une idée de génie. […] C’est ici, c’est dans cette dernière partie de son œuvre, que Victor Hugo réalise le plus complètement son génie.

1399. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

La vertu, ne l’oublions pas, suppose le génie. — (Décidément, M.  […] Paul Fort comme le génie verbal de M.  […] C’est donc dans ce sens qu’il manqua de génie initial et de ce feu généreux, indispensable à tout poète. […] « Son génie est un génie de destruction, nous dit l’auteur, rien de plus. Mais le génie de destruction est chose négative, c’est la négation du génie. » Il est certain que de pareilles phrases s’appliquent mieux au type du « héros guerrier », en général, qu’à Napoléon Ier, en particulier.

1400. (1925) Dissociations

Il avait du génie. […] Ils sont tous morts avant d’avoir atteint l’âge du génie militaire. […] Il y avait de l’avancement, des permutations entre génies comme entre militaires. […] Est-il choquant, ce génie ? […] Pourvu qu’elle rapporte de beaux honoraires, on y montrera toujours assez de génie.

1401. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

On a sujet d’être étonné, en voyant la variété des ressorts par lesquels le génie des modernes a multiplié au théâtre ces surprises frappantes, qui transportent l’âme des spectateurs. […] Si cette idée fût venue à un homme de génie, et qui, par l’exécution, ne fût pas demeuré au-dessous, peut-être aurions-nous une tragédie d’un genre nouveau. […] L’unique objet de leurs poètes était de produire la terreur et la pitié ; ils chérissaient un sujet susceptible de ces deux passions, et le façonnaient par leur génie. […] L’une représente les hommes tels qu’ils sont, l’autre leur donne un degré de verve et de génie de plus : ils sont tout près de la folie. […] Quel critique sera assez hardi pour assigner les bornes du génie !

1402. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

C’est leur faute, suivant nous, bien plus que celle de la nature, qui n’a jamais manqué aux grandes époques de l’humanité ; alors les hommes de génie naissent en foule. […] Je sais tout ce qui lui manque de vertus désintéressées, de croyances ardentes, de passions fortes, de génie naïf, de mœurs primitives ; je sais tout ce qui lui manque pour être un grand siècle. […] Un jour, de prêtre il est devenu tribun ; des hauteurs de sa foi il est descendu dans l’arène des controverses politiques ; un jour, le père de l’Église a mis son génie, son style, tous les trésors de sa sainte colère, au service des passions qu’il avait si longtemps réprouvées. […] Ceux même qui semblent le plus solitaires dans leur vie et dans leur génie, ne sont pas affranchis de cette loi ; ils sont de leur temps ; ils parlent un langage que comprennent les contemporains. […] Que cet intérêt en cache un autre, que l’esprit de lucre, d’abord armé en guerre, prenne ensuite le masque du philanthrope et trouve son compte à cette métamorphose ; que le génie civilisateur ne soit que l’agent et le précurseur du génie financier, qu’à cela ne tienne !

1403. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Philippe était digne par son génie et par son caractère d’être le père d’Alexandre. […] C’était certainement, en effet, le plus étonnant spectacle que la Providence ait jamais offert aux hommes sur un point presque imperceptible du globe, que d’avoir non pas donné à un petit peuple une telle réunion de vertus, de talents et de génies dans ces grands hommes, mais que d’avoir donné à ces grands hommes, dans Athènes, quatre cents ans avant Jésus-Christ, un peuple capable de les discuter et de les admirer. Reverra-t-on jamais une telle époque, où tant de génies concentrés dans une petite ville étaient le premier miracle, et où un peuple plus miraculeux était digne de les voir, de les entendre et de les admirer, lors même que ses passions civiques et religieuses pouvaient de temps en temps, témoin Socrate, témoin Démosthène, témoin Aristote lui-même, les forcer à accepter ou à se préparer la ciguë ? […] Il ne faut pas chercher en lui, excepté la sagacité et la justesse d’idées, les perfections de forme de Platon, de Cicéron, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, génies employés à fasciner les hommes par l’agrément. […] Il cherche à relever le sophisme par la raison, mais il ne peut, malgré son génie, prévaloir sur l’égalité divine.

1404. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Quel génie pour être un poète ; quelle foudre d’instinct renfermer : simplement la vie, vierge, en sa synthèse et loin illuminant tout. […] Ce don enfin du génie et de la gloire. […] vous-mêmes, vous faites sans cesse des acquisitions nouvelles ; est-ce sans bénéfice que vous pouvez comparer vos désirs avec ceux de tant de siècles d’œuvres et de génie ? […] La Chine et le Japon, en nous initiant à leur génie, l’ont perdu. […] La gloire n’est pas une récompense égoïste : c’est la condition sans laquelle le génie resterait stérile.

1405. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

C’est que le génie a deux natures : flamme dans la tête de l’homme, chaleur dans le cœur de la femme. […] Elles se sont trompées de génie. […] L’enthousiasme qui extravague entre ciel et terre sur des flots d’images, d’apostrophes, d’éjaculations, n’est au fond qu’une sublime démence du génie. […] Le génie sait voir les choses les plus communes sous un aspect qui ne frappe pas les hommes ordinaires, et c’est cet aspect qu’on appelle poésie. » Elle poursuivit sa lecture sans s’interrompre jusqu’au passage où Ménélas raconte à ses hôtes ses propres voyages. […] Que celui qui nie la poésie lise l’Odyssée, et, s’il n’est pas converti au génie d’Homère, qu’il soit maudit de tous ceux qui ont une imagination et un cœur !

1406. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Il a vraiment du génie. […] Je crois que, pour être général en chef, il faut être égoïste ; moi, je ne puis pas l’être ; j’aime mes soldats et je souffre de leurs maux. » Nommé par le général Bugeaud au commandement supérieur de Milianah (juin 1842), avec trois bataillons sous ses ordres, soixante cavaliers, de l’artillerie, du génie, « enfin une petite brigade, complète et organisée », il s’exerce à l’administration, à la conduite de la guerre ; il gagne en expérience, en aplomb ; il fait son apprentissage de commandant en chef : « Si jamais je suis général, j’arriverai tout formé. » Dans les expéditions qu’il dirige alentour, il y a tel petit combat « où il y a tactique en miniature et combinaison de trois armes ». […] Il y a une mosaïque (car on est, à Orléansville, sur une ancienne ville romaine), une mosaïque admirable, qui servait d’enseigne au tombeau de saint Reparatus : « Je veux, dit-il, dans un sentiment de Génie du christianisme que nous lui retrouverons plus tard, je veux faire bâtir l’église chrétienne au-dessus. […] Au bivouac de Raz-Gueber, en pleins Nemenchas, il rencontre des ruines de temples chrétiens : son imagination s’exalte, ce rayon de Génie du christianisme, auquel nous l’avons déjà vu enclin et accessible, revient le frapper : « J’ai un aumônier, l’abbé Parabère, que je viens de faire recevoir chevalier de la Légion d’honneur devant la deuxième brigade. […] [NdA] C’est le même sentiment qu’exprime héroïquement Hector (au commencement de la tragédie de Rhésus d’Euripide), lorsqu’on vient l’éveiller de nuit pour lui annoncer que le camp des Grecs s’illumine de tous côtés de feux, ce qui est probablement le signal du départ : « Ô mauvais génie, s’écrie-t-il, qui m’arrache mon festin de lion au plus beau moment, avant que j’aie pu exterminer, balayer l’armée des Grecs tout entière avec cette lance que voilà ! 

1407. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

. — Au total, il apprend la langue faite, comme un vrai musicien apprend le contre-point, comme un vrai poète apprend la prosodie ; c’est un génie original qui s’adapte à une forme construite pièce à pièce par une succession de génies originaux ; si elle lui manquait, il la retrouverait peu à peu ou en découvrirait une autre équivalente. […] Probablement il improvise chaque fois une phrase nouvelle, comme un musicien de génie. — En effet, la fixité de la langue, la régularité et le retour exact des mêmes sons à propos de la même chose sont des raidissements, des appauvrissements et des décadences après l’exubérance, la variété, l’invention intarissable et toujours nouvelle des commencements. […] Il y a dans toute langue une couche de mots qui peuvent être appelés purement émotionnels : cette couche est plus ou moins, grande suivant le génie et l’histoire de chaque nation ; elle n’est jamais cachée entièrement par les couches postérieures du langage rationnel ; la plupart des interjections, beaucoup de mots imitatifs appartiennent à cette classe ; leur caractère et leur origine sont parfaitement manifestes, et personne ne peut soutenir qu’ils reposent sur des concepts généraux. […] Or il n’y a là qu’une différence de degré, analogue à celle qui sépare une race bien douée, comme les Grecs d’Homère et les Aryens des Védas, d’une race mal douée, comme les Australiens et les Papous, analogue à celle qui sépare un homme de génie d’un lourdaud.

1408. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

L’Allemagne, avec son génie, si pliant, si large, si prompt aux métamorphoses, si propre à reproduire les plus lointains et les plus bizarres états de la pensée humaine ; l’Angleterre avec son esprit si exact, si propre à serrer de près les questions morales, à les préciser par les chiffres, les poids, les mesures, la géographie, la statistique, à force de textes et de bon sens ; la France enfin avec sa culture parisienne, avec ses habitudes de salon, avec son analyse incessante des caractères et des œuvres, avec son ironie si prompte à marquer les faiblesses, avec sa finesse si exercée à démêler les nuances ; tous ont labouré le même domaine, et l’on commence à comprendre qu’il n’y a pas de région de l’histoire où il ne faille cultiver cette couche profonde, si l’on veut voir des récoltes utiles se lever entre les sillons. […] Quoique nous ne puissions suivre qu’obscurément l’histoire des peuples aryens depuis leur patrie commune jusqu’à leurs patries définitives, nous pouvons affirmer cependant que la profonde différence qui se montre entre les races germaniques d’une part et les races helléniques et latines de l’autre, provient en grande partie de la différence des contrées où elles se sont établies, les unes dans les pays froids et humides, au fond d’âpres forêts marécageuses ou sur les bords d’un océan sauvage, enfermées dans les sensations mélancoliques ou violentes, inclinées vers l’ivrognerie et la grosse nourriture, tournées vers la vie militante et carnassière ; les autres au contraire au milieu des plus beaux paysages, au bord d’une mer éclatante et riante, invitées à la navigation et au commerce, exemptes des besoins grossiers de l’estomac, dirigées dès l’abord vers les habitudes sociales, vers l’organisation politique, vers les sentiments et les facultés qui développent l’art de parler, le talent de jouir, l’invention des sciences, des lettres et des arts. —  Tantôt les circonstances politiques ont travaillé, comme dans les deux civilisations italiennes : la première tournée tout entière vers l’action, la conquête, le gouvernement et la législation, par la situation primitive d’une cité de refuge, d’un emporium de frontière, et d’une aristocratie armée qui, important et enrégimentant sous elle les étrangers et les vaincus, mettait debout deux corps hostiles l’un en face de l’autre, et ne trouvait de débouché à ses embarras intérieurs et à ses instincts rapaces que dans la guerre systématique ; la seconde exclue de l’unité et de la grande ambition politique par la permanence de sa forme municipale, par la situation cosmopolite de son pape et par l’intervention militaire des nations voisines, reportée tout entière, sur la pente de son magnifique et harmonieux génie, vers le culte de la volupté et de la beauté. —  Tantôt enfin les conditions sociales ont imprimé leur marque, comme il y a dix-huit siècles par le christianisme, et vingt-cinq siècles par le bouddhisme, lorsque autour de la Méditerranée comme dans l’Hindoustan, les suites extrêmes de la conquête et de l’organisation aryenne amenèrent l’oppression intolérable, l’écrasement de l’individu, le désespoir complet, la malédiction jetée sur le monde, avec le développement de la métaphysique et du rêve, et que l’homme dans ce cachot de misères, sentant son cœur se fondre, conçut l’abnégation, la charité, l’amour tendre, la douceur, l’humilité, la fraternité humaine, là-bas dans l’idée du néant universel, ici sous la paternité de Dieu. —  Que l’on regarde autour de soi les instincts régulateurs et les facultés implantées dans une race, bref le tour d’esprit d’après lequel aujourd’hui elle pense et elle agit ; on y découvrira le plus souvent l’œuvre de quelqu’une de ces situations prolongées, de ces circonstances enveloppantes, de ces persistantes et gigantesques pressions exercées sur un amas d’hommes qui, un à un, et tous ensemble, de génération en génération, n’ont pas cessé d’être ployés et façonnés par leur effort : en Espagne, une croisade de huit siècles contre les Musulmans, prolongée encore au-delà et jusqu’à l’épuisement de la nation par l’expulsion des Maures, par la spoliation des juifs, par l’établissement de l’inquisition, par les guerres catholiques ; en Angleterre, un établissement politique de huit siècles qui maintient l’homme debout et respectueux, dans l’indépendance et l’obéissance, et l’accoutume à lutter en corps sous l’autorité de la loi ; en France, une organisation latine qui, imposée d’abord à des barbares dociles, puis brisée dans la démolition universelle, se reforme d’elle-même sous la conspiration latente de l’instinct national, se développe sous des rois héréditaires, et finit par une sorte de république égalitaire, centralisée, administrative, sous des dynasties exposées à des révolutions. […] Posez ici que la seconde dépend en partie de la première, et que c’est la première qui, combinant son effet avec ceux du génie national et des circonstances enveloppantes, va imposer aux choses naissantes leur tour et leur direction. […] Il y eut une de ces concordances lorsque, au dix-septième siècle, le caractère sociable et l’esprit de conversation innés en France rencontrèrent les habitudes de salon et le moment de l’analyse oratoire, lorsqu’au dix-neuvième siècle, le flexible et profond génie d’Allemagne rencontra l’âge des synthèses philosophiques et de la critique cosmopolite. Il y eut une de ces contrariétés, lorsqu’au dix-septième siècle, le rude et solitaire génie anglais essaya maladroitement de s’approprier l’urbanité nouvelle, lorsqu’au seizième siècle le lucide et prosaïque esprit français essaya inutilement d’enfanter une poésie vivante.

1409. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il veut fuir l’ingrate Ausonie ; Des talents il maudit le don, Quand touché des pleurs du génie, Devant le chantre d’Herminie Paraît le chantre de Didon : « Eh quoi ! […] XXVI Bonaparte avait calculé si juste avec les amis de Chateaubriand que le Génie du Christianisme parut le soir même du jour où les autels publics furent réinstallés par lui, au milieu d’une pompe militaire, à Notre-Dame. […] Le livre de Chateaubriand était une solennité aussi, la solennité du génie d’apparat. […] Mais, en dépit de toutes les menaces et de toutes les injures, l’opinion préparait ce retour salutaire, et secondait les pensées du génie qui veut reconstruire l’édifice social. […] Je conclus qu’un bonheur aussi constant n’est point l’effet de cette puissance aveugle et capricieuse qu’on appelle la fortune : Alexandre dut ses succès à son génie et à la faveur signalée des dieux.

1410. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Assemblons, s’il se peut, tous les fruits dans notre collecte finale, et n’en écartons aucun ; mais que chaque nation conserve, dans celle émulation commune, le coin de génie qui lui est propre. […] La répétition, la reprise de domus alta à la fin d’un vers et au commencement du vers suivant a paru avec raison un de ces accents particuliers au génie du poète, et que même l’œil ne retrouverait pas dans Racine. […] Mais n’allez point pour cela appeler Virgile un « compilateur de génie », comme je vois que l’a fait tout récemment un professeur de rhétorique, d’ailleurs fort estimable, et qui a cru bien dire ; tout mon sens critique se révolte contre une pareille appellation qui tend à confondre le vulgaire et le rare, le grossier et le délicat, l’engeance des Trublet et la famille des Virgile, et à méconnaître une des formes les plus fines, une des sources les plus secrètes de l’invention poétique. […] Pitt n’avait pas de parti, pas d’amis politiques ; mais il était si populaire, on avait une si grande idée de son génie, il exerçait un tel ascendant dans la Chambre des communes, qu’il aurait pu former un ministère, en faisant, comme avait fait George Grenville, une scission dans le parti whig, un tiers-parti comme nous dirions.

1411. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il ne faut pas demander aux hommes de ce temps-là une critique historique bien profonde en ce qui concerne l’Antiquité : il y a bien loin, comme l’on peut penser, de Saint-Évremond à Niebuhr et à Monvnsen ; mais, au sortir des doctes élucubrations du xvie  siècle, et en se débarrassant du matériel de l’érudition et des questions de grammaire, il y eut alors quelques hommes de sens qui raisonnèrent à merveille sur les données générales qu’on avait à sa portée et sous la main : on dissertait volontiers sur le caractère des Romains et des Grecs, sur le génie de César et d’Alexandre. […] Ses Réflexions sur les divers génies du peuple Romain dans les différents temps de la République sont d’un esprit éclairé, sensé, philosophique et pratique à la fois, qui s’explique assez bien ce qui a dû se passer dans les âges anciens par ce qu’il a vu et observé de son temps, et par la connaissance de la nature humaine : partout où il faudrait entrer dans les différences radicales et constitutives des anciennes cités et sociétés, il est insuffisant et glisse. […] Mais, tout rabattu, il reste vrai que Saint-Évremond débarrasse l’histoire du fatras des commentateurs, va droit à l’esprit des choses, cherche moins à décrire les combats qu’à faire connaître les génies ; n’admire que ce qui lui paraît à admirer. […] Il lui demande plus de vérité, de vraisemblance historique, d’observer le caractère des nations, de tenir compte du génie des lieux et des temps : peu s’en faut qu’il ne réclame en propres termes un peu de couleur locale.

1412. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Pour revenir à Perse, le critique, après l’avoir accusé d’avoir trop tôt produit, et avoir pris de là occasion de s’emporter contre les gens sans génie qui écrivent trop jeunes ; après l’avoir de plus accusé (par une singulière contradiction) d’avoir peu produit et de manquer de qualité abondante et fécondante, déclare qu’il ne se serait jamais élevé bien haut, et qu’il était né sans génie. […] Une des choses qu’on apprend le mieux en profitant de l’expérience, c’est le mélange en tout, le faux et le vrai, le bon et le mauvais, se rencontrant, se contredisant, et pourtant… étant, comme dirait La Fontaine : dans un individu, un défaut radical n’empêchant pas de grandes qualités et de vrais talents en lui à côté, au sein de ce défaut, et ces grands talents ou ce génie n’empêchant pas le défaut de revenir les gâter et y faire tache : c’est là l’homme et la vie. […] Mais ne posez pas les limites, ne criez pas contre l’exception, car de l’exception seule naîtra le talent, le génie.

1413. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Là est la distance qui sépare Louis XIV de Richelieu et des vrais génies. […] Un homme de passion et de génie sortit de ces flots par lesquels il avait sauvé son pays, et c’est Guillaume III qui a suscité Marlborough et tous les succès de la reine Anne. […] On arrive, en continuant de rêver, à se dire que la société est une invention, que la civilisation est un art, que tout cela a été trouvé, mais aurait pu ne l’être pas ou du moins ne l’être qu’infiniment peu, et qu’enfin il y a nécessairement de l’artifice dans ces génies dirigeants. […] La figure intellectuelle de Sieyès paraît avoir eu de tout temps un attrait singulier pour la pensée de M.Mignet, et nul certainement plus que lui n’aura contribué à faire apprécier des générations héritières et de l’avenir les quelques idées immortelles de ce génie solitaire et taciturne.

1414. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Dans l’étude de certains États, qui par leurs circonstances, encore plus que par leur petitesse, sont dans l’impossibilité de jouer un grand rôle au-dehors, et n’offrent point au-dedans de place qui puisse contenter l’ambition et le génie, il faudrait observer comment l’homme tend à l’exercice de ses facultés, comment il veut agrandir l’espace en proportion de ses forces. […] Les hommes, privés d’occupations fortes, se resserrent tous les jours plus dans le cercle des idées domestiques, et la pensée, le talent, le génie, tout ce qui semble des dons de la nature, ne se développe cependant que par la combinaison des sociétés ; le même nombre d’hommes divisé, séparé, sans mobile et sans but, n’offre pas un génie supérieur, une âme ardente, un caractère énergique ; tandis que dans d’autres pays, parmi les mêmes êtres, plusieurs se seraient élevés au-dessus de la classe commune, si le but avait fait naître l’intérêt, et l’intérêt l’étude, et la recherche des grands moyens et des grandes pensées. […] Ces différentes réflexions conduiraient enfin au principal but des débats actuels, à la manière de constituer une grande nation avec de l’ordre et de la liberté, et de réunir ainsi la splendeur des beaux-arts, des sciences et des lettres, tant vantées dans les monarchies, avec l’indépendance des républiques ; il faudrait créer un gouvernement qui donna de l’émulation au génie, et mit un frein aux passions factieuses ; un gouvernement qui put offrir à un grand homme un but digne de lui, et décourager l’ambition de l’usurpateur ; un gouvernement qui présenta, comme je l’ai dit, la seule idée parfaite de bonheur en tout genre, la réunion des contrastes.

1415. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

À cette fécondité contribuent trois ou quatre générations d’écrivains : et l’on aperçoit parmi les jeunes génies qui surgissent des esprits mûrs, lentement formés et fortifiés dans les troubles efforts de l’âge précédent. […] Toutes mondaines d’origine, elles manifestent le pur génie du monde et sa naturelle direction. […] De temps à autre, il allait à Rome, pour le service du roi, et montrait dans les négociations, dans les conclaves, que son génie ne s’était pas affaibli. […] En une chose, cette femme de sens eut du génie : c’est en matière d’éducation.

1416. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

En sorte que, dès les premiers essais qu’ils feront, les romantiques en arriveront tout simplement à organiser le drame chacun selon son tempérament et son génie. […] Tout le génie et toute la vertu dans la plus grande bassesse sociale : voilà Ruy Blas. […] Il a le génie des préparations, si l’on entend par là, non les préparations morales qui font apparaître la vérité des effets dramatiques, mais les indications de faits qui doivent servir à faire basculer soudainement l’intrigue. […] Lire toute la page, qui finit ainsi : « Ce serait le rire, ce serait les larmes ; ce serait le bien, le mal, le haut, le bas, la fatalité, la Providence, le génie, le hasard, la société, le monde, la nature, la vie ; et au-dessus de tout cela on sentirait planer quelque chose de grand ! 

1417. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Aux quels le présent confère un droit, supprimé pour la famille, de fils exclusifs du génie. […] Le génie, du reste, se servit de la langue, et des idées en cours, avant d’y mettre le sceau. […] À nul égard, le génie ne peut cesser d’être exceptionnel, altitude de fronton inopinée dont dépasse l’angle ; cependant, il ne projette, comme partout ailleurs, d’espaces vagues ou à l’abandon, entretenant au contraire une ordonnance et presque un remplissage admirable d’édicules moindres, colonnades, fontaines, statues — spirituels — pour produire, dans un ensemble, quelque palais ininterrompu et ouvert à la royauté de chacun, d’où naît le goût des patries : lequel en le double cas, hésitera, avec délice, devant une rivalité d’architectures comparables et sublimes. […] La nature n’engendre le génie immédiat et complet, il répondrait au type de l’homme et ne serait aucun ; mais pratiquement, occultement touche d’un pouce indemne, et presque l’abolit, telle faculté, chez celui, à qui elle propose une munificence contraire : ce sont là des arts pieux ou de maternelles perpétrations conjurant une clairvoyance de critique et de juge exempte non de tendresse.

1418. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Ainsi, dans ces dernières années, Boileau s’est presque vu chasser du Parnasse, pour n’avoir pas réuni en lui l’invention d’Homère et de Shakspeare, le génie comique de Molière et la sensibilité de Virgile. […] Il reste de tout cela, comme impressions dernières, l’idée de ce que chacun doit à l’État et de ce que l’État doit à tous, le patriotisme, le goût du grand, qui est l’utile sous sa forme la plus élevée, l’admiration pour les grands hommes, avec une justice particulière pour ceux qui ont le génie du gouvernement, et qui sont chargés de la triple tâche de conserver, de faire marcher et de perfectionner la machine. […] Il y a là encore des portraits, ceux de nos pères par l’esprit, de ces beaux génies qui, selon les paroles de Voltaire, « ont préparé des plaisirs purs et durables aux hommes qui ne sont point encore nés. » Rien n’a vieilli des jugements sommaires et pourtant si pleins qu’il en a portés ; la critique la plus profonde ne réussit qu’à nous en donner les motifs. […] Et pourtant, dans la passion de l’incrédule, l’impartialité du génie se fait jour par moments, et de la même plume qui rapetissait les choses il a tracé des personnes des portraits qui les grandissent.

1419. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Les Goncourt s’inquiètent de l’intrusion de la femme dans la vie de l’artiste, lui reprochent d’amollir les courages, d’éteindre l’inspiration, d’étouffer le libre génie. […] Ce Narcisse qu’ils croient un legs des anciens âges, c’est « le cadeau des temps futurs », son baiser est celui du génie. […] Ils ont, d’ailleurs, pour se consoler, le certificat de génie qu’il leur décerne, à son insu, quand après avoir rappelé ces paroles de Nietzsche : « Le meilleur auteur est celui qui a honte d’être un homme de lettres. […] Écris avec ton sang et tu apprendras que le sang est esprit. » Il ajoute : « Le génie créateur est l’homme tragique, le poète hermétique qui délivre au monde le livre vivant, le message qui lui a été confié à sa naissance et qui a été imprimé dans tout son être. » Les chefs de file du mouvement symboliste, Baudelaire, Verlaine, Laforgue, Samain, comme d’ailleurs tous les poètes dignes de ce nom, n’ont jamais fait autre chose.

1420. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Elle crut trouver en Crébillon un génie et l’honora. […] Quand le roi de Prusse fit avec faste à d’Alembert une pension modique, comme Louis XV se moquait devant elle du chiffre de cette pension (1 200 livres), mise en regard des termes de génie sublime qui la motivaient, elle lui conseilla de défendre au philosophe de l’accepter, et d’en accorder une double : ce que Louis XV n’osa faire par principes de piété, à cause de l’Encyclopédie. […] Il n’aurait pu le trouver que dans une belle femme, et ces rencontres-là, d’un génie de Richelieu en un corps de Pompadour, ne sont peut-être pas dans l’ordre des choses humaines possibles. […] En général, les Amours se retrouvent sous toutes les formes, et Le Génie militaire lui-même est représenté en Amour, méditant devant des drapeaux et des canons.

1421. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Tandis que ceux du second rang ont le pouvoir de se diversifier en imitant des modèles différents, le grand homme, qui n’imite point, demeure asservi à la loi impérieuse de son génie. […] Tout fragment d’un Rembrandt, d’un Mozart, d’un Shakespeare, d’un Corneille porte l’empreinte de ce joug : quelles que soient, dans ces productions diverses du génie, l’abondance des développements de second plan et la variété des sujets, un mode de vision tyrannique s’y fait toujours sentir. […] L’homme est vide absolument : mais, soutenu par l’instinct de conservation qui lui interdit de se prendre, en mépris, il parvient à représenter son personnage de penseur et de politique avec une économie de moyens qui touche au génie. […] À posséder les résultats du labeur accompli au cours d’une longue civilisation par le génie de ses meilleurs représentants, quelques-uns des plus médiocres parmi les derniers venus prennent le change sur leur propre valeur ; ils se gonflent, comme d’un mérite individuel, des conquêtes intellectuelles dues à l’élite de l’espèce et dont ils bénéficient en vertu d’un privilège commun à toute l’Humanité.

1422. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

À Zürich, il vit Gessner, et il l’eût volontiers opposé en exemple, dit-il, aux petits Pindares de toutes les nations en le leur montrant dans sa simplicité, sa candeur, et avec ces vertus douces qui accompagnent si bien un aimable génie. […] Il aurait voulu, cette fois encore, concilier dans une œuvre littéraire le génie de ses deux patries, l’Allemagne et la France. […] Ainsi, parlait le naturaliste philosophe un an avant que parût le Génie du christianisme.

1423. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — II » pp. 76-92

. — Pascal, au génie sévère et à l’imagination sombre, le connaît peu ; il en parle comme de l’auteur d’un beau roman, il ne voit en lui que le père des mensonges. […] Je ne connais que Virgile ; — et un peu Homère. » Il est vrai qu’il écrivait cela avant d’être chargé de l’éducation du dauphin ; dans le cours de cette éducation il eut des loisirs, et il put se remettre à cette lecture, moins faite pourtant que celle d’un David pour son génie. […] Enfin, il manquait surtout un Virgile, c’est-à-dire ce génie à la fois imitateur, inventif et composite, qui, venu à l’heure de la maturité d’une langue et de la domination universelle d’un peuple, fond et combine toutes choses, souvenirs, traditions et espérances, avec un art intérieur accompli, dans un sentiment présent et élevé.

1424. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres complètes de Saint-Amant. nouvelle édition, augmentée de pièces inédites, et précédée d’une notice par M. Ch.-L. Livet. 2 vol. » pp. 173-191

Boileau, à ce sujet, a dit de Saint-Amant : Ce poète avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, et il a même quelquefois des boutades assez heureuses dans le sérieux : mais il gâte tout par les basses circonstances qu’il y mêle. […] C’est ainsi que dans une peinture large et libre où on lui permettrait bien des tons, il trouve moyen d’en assembler d’impossibles à concilier et qui se heurtent. « Il a du génie, mais point de jugement », disait de lui Tallemant des Réaux, singulièrement d’accord en ceci avec Boileau. […] On était loin sans doute alors de ce grand moment de renaissance pittoresque et historique où Chateaubriand devait écrire ses admirables pages sur Rome et la campagne romaine : mais Poussin n’était-il pas là, qui à cette heure y traçait tant de graves et doux tableaux, ce même Poussin, parent en génie de Corneille, et qui, ayant reçu Le Typhon ou la gigantomachie, poème burlesque de Sçarron, écrivait : « J’ai reçu du maître de la poste de France un livre ridicule des facéties de M. 

1425. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Le géomètre, qui a le génie des hautes sphères et l’imagination froidement sereine dans l’étendue, n’a pas été lui-même sans se représenter quelquefois Newton ou Lagrange dans la méditation d’un problème. […] Il se dit qu’il avait sa fatalité et qu’elle était bonne ; il s’abandonna à la fortune et à son bon génie. […] Tantôt ils se flattent de ne rien devoir qu’à leur mérite, à leur vertu, sans rien laisser au hasard ; tantôt ils sont plus fiers de paraître tout devoir au hasard qu’à leurs qualités propres : c’est qu’il semble alors qu’un génie suprême, l’âme même des astres et de l’univers s’occupe d’eux, — change et incline l’ordre général pour eux.

1426. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Cela est-il bien conforme au caractère présumé des chefs signalés par Polybe et au génie de ces guerres violentes ? […] La bête furieuse l’enveloppait du battement de ses ailes ; il l’étreignait contre sa poitrine, et à mesure qu’elle agonisait, ses rires redoublaient, éclatants et superbes comme des chocs d’épées. » Est-ce donc que le génie d’Hannibal appelle avec lui l’idée d’une si fabuleuse enfance ? […] Et puisqu’il s’agit de serpent, remémorons, à titre de peinture, celui du Génie du Christianisme, qui est aussi malin et plus convenable que celui de Salammbô.

1427. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Un jeune et brillant génie, une âme d’artiste, un second Mozart, a été découvert dans les campagnes de Dalmatie par un dilettante effréné, le chevalier Carnioli : celui-ci l’enlève, le fait élever, le couve, le patronne et, avant de le lancer, le promet d’avance à tous d’un air de mystère ; il en est fier et glorieux comme de son œuvre et de sa conquête. […] Sibylle, je l’admets, est une imagination poétique, un génie naturel comme il s’en rencontre, hardi, élevé, plein d’essor : quand le curé veut lui apprendre son catéchisme, elle raisonne, elle veut savoir le pourquoi des choses ; elle force le bonhomme à se remettre à ses auteurs et à étudier. […] Sa brusque et sèche intolérance m’en a rappelé d’autres du même genre, dont j’ai été quelquefois témoin en effet dans le monde de ce temps-ci, dans le même monde que voyait Sibylle ; mais les femmes qui s’y abandonnent ne brillent, en général, ni par la supériorité de l’intelligence, ni par les lumières : ce sont pour l’ordinaire de petits génies qui s’imaginent se grandir en se raidissant.

1428. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Deux grands précurseurs y avaient puissamment contribué, et, avec la perspicacité du génie, avaient préparé cette popularité immense, — Chateaubriand et Byron, mais surtout Byron. […] Le Grec a le génie du commerce ; il aurait fallu à la Grèce pour sa prospérité, non quelques îlots dépouillés ; mais les vraies îles. […] Après l’habile Capo d’Istria, trop homme de cabinet pourtant, trop habit noir pour la Grèce, et si odieusement frappé au début de sa mission pacificatrice, il n’y a eu d’homme d’État que Coletti, celui-ci tout à fait selon le cœur et le génie du pays et du peuple, le seul Grec de ce temps-ci qui, selon la parole de M. 

1429. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Le génie grec y domine : c’est tour à tour une scène à la façon d’Euripide, un petit tableau à la manière de Simonide, ou bien la mélancolie voluptueuse d’Anacréon, de Tibulle et d’Horace. […] Il est une secrète alliance entre la nature et le génie. » M. […] Les talents poétiques et littéraires d’aujourd’hui (sans parler des autres, politiques et philosophes) sont soumis à de redoutables épreuves qui furent épargnées aux beaux génies du siècle de Louis XIV, et il est bien juste de tenir compte, en nous jugeant, de ces difficultés singulières qu’on a à subir.

1430. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Si l’esprit humain n’avait pas marché pendant les siècles même durant lesquels on a peine à suivre son histoire, aurait-on vu dans la morale, dans la politique, dans les sciences, des hommes qui, à l’époque même de la renaissance des lettres, ont de beaucoup dépassé les génies les plus forts parmi les anciens ? […] Car il ne faut pas oublier le principe que j’ai posé dès le commencement de cet ouvrage ; c’est que le génie le plus remarquable ne s’élève jamais au-dessus des lumières de son siècle, que d’un petit nombre de degrés. […] Arrêtons-nous cependant à l’époque qui commence la nouvelle ère, à dater de laquelle peuvent se compter, sans interruption, les plus étonnantes conquêtes du génie de l’homme ; et, comparant nos richesses avec celles de l’antiquité, loin de nous laisser décourager, par l’admiration stérile du passé, ranimons-nous par l’enthousiasme fécond de l’espérance ; unissons nos efforts, livrons nos voiles au vent rapide qui nous entraîne vers l’avenir.

1431. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Dans la première moitié du xviie  siècle, après Malherbe, et hors de la poésie dramatique, trois noms se détachent, exprimant autre chose que les divers aspects de la mode et de l’esprit mondain : Balzac, Chapelain, Descartes, très inégaux de génie, très inégalement aussi dépendants du monde, ont été trois modificateurs influents des formes et des idées littéraires. […] Ce ne fut pas un génie inventif. […] Puis il avait, à défaut du génie, l’esprit juste, le goût assez fin.

1432. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

La personne de l’homme, si noble de prestance et si vénérable qu’elle pût être au premier aspect, devait par instants s’animer et se réjouir aux mille saillies de ce génie intérieur, de cette belle humeur irrésistible qui s’était jouée dans son roman, ou plutôt dans son théâtre. […] Nous avons d’avance dans une vue et une gaieté de génie ce que plus tard Jean-Jacques étendra dans l’Émile en le systématisant, et Bernardin de Saint-Pierre dans ses Études de la nature en l’affadissant. […] Son français sans doute, malgré les moqueries qu’il fait des latinisants et des grécisants d’alors, est encore bien rempli et comme farci des langues anciennes ; mais il l’est par une sorte de nourriture intérieure, sans que cela lui semble étranger, et tout, dans sa bouche, prend l’aisance du naturel, de la familiarité et du génie.

1433. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Exception encore pour Victor Hugo, dont la Légende des Siècles, malgré les faiblesses dans l’unité, montre ce souci également, — chez ce génie divinateur si plein d’intermittents souffles d’avenir qu’il ne sut formuler. […] Et ils sont cela, ces poètes d’imagination qui sonne creux, ces philosophes prisonniers de l’atavisme et posant en principe leur caprice, ces scientifiques puérils et contents : quand la lumière aveuglante a surgi des nues mauvaises déchirées par les génies Lamarck et Darwin ! […] » quand a été proclamée sur ce siècle l’éternelle loi de l’Évolution des êtres, du Transformisme révélateur d’où une Philosophie enfin rationnelle était à faire surgir… Et ils continuèrent à mesurer sur leurs doigts des lignes plus ou moins longues d’écriture, sous prétexte de Rythmes et de musique verbale : quand sortait de ses certaines expériences sur les Harmoniques, Helmotz — montrant, en synthèse, qu’aux voyelles et aux instruments de musique sont et sont mêmes ces harmoniques, et donnant à en tirer la loi d’une musique verbale…   Contre tous ces poètes (exceptés sont ces génies instinctifs dont il est dit qu’ils firent, à des époques d’instinct et de non-savoir, leur devoir), contre !

1434. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Je défie le génie même de la peinture et de la sculpture de tirer parti de ce système de mesquinerie. […] Ceux-ci regardent les premiers comme des têtes étroites, sans idées, sans poésie, sans grandeur, sans élévation, sans génie, qui vont se traînant servilement d’après la nature qu’ils n’osent perdre un moment de vue. […] Qu’est-ce que cela signifie, sinon que la peinture d’histoire demande plus d’élévation, d’imagination peut-être, une autre poésie plus étrange ; la peinture de genre, plus de vérité ; et que cette dernière peinture, même réduite au vase et à la corbeille de fleurs, ne se pratiquerait pas sans toute la ressource de l’art et quelque étincelle de génie, si ceux dont elle décore les appartements avaient autant de goût que d’argent ?

1435. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Plus de sagesse dans l’un, plus d’enthousiasme dans l’autre ; ce sont deux tours de cervelle, deux momens de génie tout à fait opposés. […] C’est le génie qui fait la belle esquisse, et le génie ne se donne pas ; c’est le temps, la patience et le travail qui donnent le beau faire, et le faire peut s’acquérir.

1436. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

Albalat, dit la Nouvelle Revue internationale, n’a pas la prétention d’infuser le génie aux intelligences médiocres ; il a seulement voulu mettre en lumière les règles générales qui sont à la portée de toutes les intelligences. […] Albalat, dit la Nouvelle Revue internationale, n’a pas la prétention d’infuser le génie aux intelligences médiocres ; il a seulement voulu mettre en lumière les règles générales qui sont à la portée de toutes les intelligences. […] La plupart des Manuels et des Cours de littérature ont été faits par des professeurs qui ne passent point pour des prosateurs de génie, et personne, que je sache, n’a jamais trouvé cela singulier.

1437. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Suffit-il de les montrer partout comme nobles, héroïques, généreux, pleins d’éloquence, de vertu et de génie ? […] Ces mots magiques, nul raisonnement, nulle science ne les découvre ; ils sont le langage de l’imagination qui parle à l’imagination ; ils expriment un état extraordinaire de l’âme qui les trouve, et mettent dans un état pareil l’âme qui les écoute ; ils sont la parole du génie ; ils ne sont donnés qu’à l’artiste, et changent la triste langue des analyses et des syllogismes en une sœur de la poésie, de la musique et de la peinture. […] Le fond de la vraie beauté, comme de la vraie vertu, comme du vrai génie, est la force.

1438. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Les hommes se mettent beaucoup trop en frais, ce me semble, pour admirer le génie de l’homme, c’est-à-dire pour s’admirer eux-mêmes. […] Esprits immortels de Rome et surtout de la Grèce, Génies heureux qui avez prélevé comme en une première moisson toute heur humaine, toute grâce simple et toute naturelle grandeur, vous en qui la pensée fatiguée par la civilisation moderne et par notre vie compliquée retrouve jeunesse et force, santé et fraîcheur, et tous les trésors non falsifiés de maturité virile et d’héroïque adolescence, Grands Hommes pareils pour nous à des Dieux et que si peu abordent de près et contemplent, ne dédaignez pas ce cabinet où je vous reçois à mes heures de fête ; d’autres sans doute vous possèdent mieux et vous interprètent plus dignement ; vous êtes ailleurs mieux connus, mais vous ne serez nulle part plus aimés.

1439. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Les grands administrateurs et hommes d’État qui ont une idée de bon sens ou de génie à faire prévaloir et qui y réussissent, n’évitent pas pour l’ordinaire l’inconvénient d’insister sur toutes les parties de cette idée, et de la pousser, du moins en théorie, jusqu’à des extrémités qu’elle ne comporte pas. […] Le bon sens, non moins que le génie, quand il s’applique à quelque grand résultat philosophique ou politique, est sujet à cet excès : Jefferson n’y a pas échappé, à sa manière.

1440. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier a dit en parlant de madame Roland : « Cette femme de génie assujettie à un homme médiocre. » Or, M. Roland, sans être un homme de génie, était un esprit rare et un plus rare caractère.

1441. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Il désira à cet effet une entrevue avec les deux fondateurs du journal : mais le temps n’était pas mûr ; on ne s’entendit pas ; l’homme de génie avait vu plus loin et plus vite que les deux rédacteurs dans les conséquences de leur marche et dans la portée de leurs idées. […] Il a mis six ans à parcourir l’intervalle que le génie de Saint-Simon voulait, il y a six ans, lui faire franchir du jour au lendemain.

1442. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Le marquis d’Argenson définissait notre duc et pair « un petit dévot sans génie et plein d’amour-propre ». Mettons à part le génie littéraire que d’Argenson ne pouvait soupçonner : la vie et les écrits de l’homme démontrent la justesse de ce jugement.

1443. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Le Trissin, ce génie créateur qui ouvrit à sa nation la carrière de tant de genres de littérature, est aussi le premier qui ait porté la lumière jusques sur des choses qui ne sont pas du ressort de l’imagination. […] Le judicieux Du Marsais, un des hommes qui a le mieux entendu le génie des langues, & qui a porté plus loin l’esprit de discussion & d’analyse dans toutes les parties grammaticales, a fait voir qu’en matière d’orthographe, si l’usage étoit un maître dont il convint en général de respecter les loix, c’étoit le plus souvent aussi un tyran dont il falloit sçavoir à propos secouer le joug.

1444. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

Rien ne naît de rien dans ce monde, pas même le génie : quand vous apercevez un grand monument littéraire, soyez sûrs qu’il n’est pas isolé, et que derrière ce monument il y a une littérature invisible par la distance dont ce monument est le chef-d’œuvre, mais non le commencement. […] Nous prendrons en main tour à tour une de ces œuvres, nous en traduirons les principaux textes, en faisant goûter les beautés et en indiquant les imperfections, et nous nous rendrons compte ainsi des trésors d’intelligence, de sagesse et de génie que possède l’homme intellectuel au temps où nous vivons.

1445. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Je veux, dit le dieu de la guerre… Cette idée de représenter tous les dieux, ou tous les génies, ou toutes les fées qui se réunissent pour doter un prince de toutes les qualités possibles, est une vieille flatterie, déjà usée dès le temps de La Fontaine. […] Les historiens remarquent seulement qu’il avait la figure ordinaire, et par conséquent peu digne de son rang, de son âme et de son génie ; mais il était loin d’avoir un extérieur rebutant.

1446. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Cette dernière nature, ou cette nature de la société, est la plus belle : le génie en est l’instinct, et la vertu l’innocence, car le génie et la vertu de l’homme civilisé ne sont que l’instinct et l’innocence perfectionnés du Sauvage.

1447. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Ils ont dit que ce n’était pas là le sujet, et on leur a répondu qu’ils reprochaient à l’élève d’avoir eu du génie. […] Moette est un bon élève, et si le concours est sujet à l’erreur et à l’injustice, ce n’est jamais au point d’exclure l’homme de génie, et de donner la préférence à un sot décidé sur un habile homme.

1448. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIV »

Ce que nous demandons avant tout au style, c’est l’originalité, la vie, le relief, la création, l’image, et c’est pour cela que Molière, Sévigné et Saint-Simon restent pour nous de vrais écrivains, et que nous avons mis notamment le génie de Saint-Simon hors de pair. […] Les qui et les que sont dans le génie de la langue classique du dix-septième siècle, c’est entendu.

1449. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Quand on sort du lyrisme historico-révolutionnaire de Michelet, ou du piétisme jacobin de Bûchez, et de tant d’autres histoires où les événements et les hommes sont grossis et grandis comme si on les avait soufflés, il est bon de revenir au génie comique de l’histoire, au terrible irridebit du bon sens, à la gaieté vengeresse, et à l’éventrante piqûre d’épingle qui dégonfle l’homme et l’événement et les réduit à leur normale platitude. […] IV Mais, encore une fois, si cette biographie d’un homme qui a droit, sinon à la statue en pied de l’histoire au moins à la médaille de la biographie, si tout ce travail sur François Suleau est très élevé de renseignement, de vue et d’accent, et si l’écrivain qui l’a publié y a montré des aptitudes et des facilités vers l’histoire, grave ou tragique, telle qu’elle est le plus généralement conçue et réalisée par MΜ. les historiens ordinaires, je ne m’en opiniâtre pas moins à croire, ainsi que je l’ai dit au commencement de ce chapitre, que le vrai génie spécial de l’auteur Ombres et vieux murs, que son originalité la plus vive, serait, son genre d’esprit donné, la mise en scène ou en saillie de l’élément comique ou ravalant qui ne manque pas dans l’histoire, et qu’il saurait fort bien en dégager, ainsi que l’attestent les excellentes variétés historiques qu’il nous a mises sous les yeux, titres réveillants en tête : La Lanterne, Le Rhum et la Guillotine, Le Lendemain du massacre, etc., tous épisodes ou mosaïques d’anecdotes dont il faut juger par soi-même en les lisant et dont l’analyse, d’ailleurs, ne donnerait qu’une très imparfaite idée.

1450. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

         Le buste Survit à la cité, du buste ou du camée, dans lesquels ce grand condensateur résorbe violemment un génie fait pour les plus robustes et les plus vastes dilatations, M.  […] Théophile Gautier représentait glorieusement l’école volontaire de la poésie travailleuse et, qu’on nous permette le mot, rageuse au travail, qui pose assez insolemment pour soi-même et pour le génie, que la Poésie est le résultat d’une poétique, la langue touchée, de telle ou telle façon, comme un piano, et qui croit simplifier et réaliser tout par des règles.

1451. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Si le livre que nous annonçons était une œuvre considérable, d’une santé robuste, d’une musculature de génie, par conséquent fort capable de résister tout seul à l’étranglement du silence, je m’en inquiéterais moins et je le laisserais peut-être sur les rayons de son éditeur, entre les deux volumes qui le pressent à gauche et à droite, bien sûr qu’on n’étouffe pas le génie si aisément entre deux platitudes.

1452. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Héroïsme, christianisme, jansénisme, mysticisme, fondus ensemble par le génie de Corneille, comme il serait intéressant de les démêler un à un dans Polyeucte ! […] Corneille opérait ici dans le sens de son génie, étant de ces écrivains dont la fécondité d’invention verbale est peut-être le don caractéristique entre tous. […] Et bien loin enfin de nier les droits du génie, c’est au génie, quand ce n’est pas au simple talent, que nous rapportons l’origine, sinon de toutes les transformations, du moins de toutes les grandes révolutions de l’art. […] et l’intérêt même de sa réputation, ses amis, ses goûts, sa jeunesse, son génie, tout enfin ne devait-il pas le pousser du côté de la nouveauté ? […] Encore une fois, le génie ne serait pas le génie s’il n’y entrait une part d’inconscience.

1453. (1903) Propos de théâtre. Première série

Ils avaient plus de sagesse, de bon sens, de génie et d’esprit. […] Chaque peuple comprend le génie d’un autre ; et c’est excellent ; chaque peuple garde son génie et le goûte plus que celui d’autrui ; et cela est excellent aussi. […] Il ne faut pas mesurer la grandeur de l’esprit à la grandeur du génie. […] Molière, lui, était une belle intelligence, et un incomparable génie littéraire, mais ce n’était peut-être pas un puissant génie philosophique. […] Racine avait du génie comique.

1454. (1910) Rousseau contre Molière

C’est très curieux, et il faut que Molière y ait fait diligemment attention ; ou plutôt il était guidé par son génie infaillible pour ce qui est de la peinture des caractères ; mais quasi jamais Alceste n’est furieux uniquement pour quelque chose qui le concerne ; il l’est quasi toujours et pour une chose qui le concerne et pour une cause d’intérêt général. […] C’est la pièce la plus immorale de Molière, comme, du reste, c’est celle où il a montré, je ne dirai pas le plus de génie, mais certainement le plus de talent. […] Il est moyen de caractère et de conscience, comme il est au plus haut faîte comme génie littéraire ; et, comme un homme moyen, du reste très fin et très perspicace, le burlesque des hommes le frappe plus que leur turpitude et en vérité l’offense plus parce que son esprit est plus délicat que sa conscience. […] « J’aurais trop d’avantages si je voulais passer de l’examen de Molière à celui de ces successeurs qui, n’ayant ni son génie ni sa probité, n’en ont que mieux suivi ses vues intéressées [le désir du succès à tout prix], en s’attachant à flatter une jeunesse débauchée et des femmes sans mœurs. […] et qui ne peut pas lire une page de Molière sans y trouver son antipode, son antipathie et son antagoniste. — Et telle est l’attitude, bien naturelle, de ce bohème romanesque devant cet épicier de génie.

1455. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Rien, si ce n’est son lucide génie. […] Mais Jean-Jacques était un Huron de génie. […] Et le génie, qu’est-ce qu’il deviendra pendant que j’aurai de l’ordre ?  […] Il veut écrire ; il s’imagine avoir du génie et croit dur comme fer que c’est la faute de sa mère et de sa sœur si ce génie ne peut se manifester. […] » Je ne comprenais le génie que sous la forme littéraire.

1456. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Cependant on conviendra que ceci n’est guère dans les habitudes des hommes de génie. […] Il est absolument contraire à son talent, à la nature de son génie. […] Ils touchent au génie. […] Pour Sainte-Beuve il semble bien, tout d’abord, que Corneille ait été un homme de génie sans doute, mais encore un génie de second ordre. […] Pour lui, Racine est infiniment droit, mais sans génie.

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