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781. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

J’avais connu Lamartine d’abord par lettres, puis personnellement et tout de suite fort intimement dans un voyage qu’il fit à Paris. […] Il avait le mérite dès lors de concevoir l’idée de cette Revue élevée et forte qu’il a réalisée depuis. […] J’y connus des hommes fort distingués, dont M.  […] J’ai quelquefois moi-même contribué à donner quelques notes, mais, je dois le dire, tout cela était fort sec et pas très-complet. […] Il me dit souvent : « Je reçus fort peu de témoignages d’amitié en ce moment-là ; et celui-ci était le moins obligé de tous. » M. 

782. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Sganarelle n’est qu’un fort vilain homme. […] Arnolphe, fort troublé d’abord, pense à couper court à l’intrigue. […] Nous sommes dans le salon d’une coquette, très recherchée et qui se plaît si fort à l’être, qu’elle se soucie peu de qui elle l’est. […] Tout y est troublé : les amusements innocents, l’honnête liberté des discours, les plaisirs et les projets de la famille, un mariage sortable et déjà fort avancé ; personne n’y est incommodé médiocrement. […] Aussi rien de romanesque dans ces fortes et charmantes peintures des sentiments de l’amour ; rien qui soit fait de tête, ni sur le modèle de la galanterie à la mode ; pas un trait qui n’aille à tous les temps et à tout le monde.

783. (1739) Vie de Molière

On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts, les ont cultivés malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l’éducation. […] À l’égard de son caractère, il était doux, complaisant, généreux ; il aimait fort à haranguer ; et quand il lisait ses pièces aux comédiens, il voulait qu’ils y amenassent leurs enfants, pour tirer des conjectures de leur mouvement naturel. […] Ils étaient fort différents de ceux d’aujourd’hui ; ils allaient presque toujours en robe et en rabat, et consultaient en latin. […] disait Don Juan : Si cela est, tu dois donc être fort à ton aise. […] Quin, cum it dormitum, follem obstringit ob gulam, Ne quid animaæ forte amittat dormiens ; Etiamne obturat inferiorem gutturem ?

784. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Cette seconde région qui, ai-je dit, est la moyenne, mène à l’autre, à la supérieure et sublime, qui est la région des pics, des glaciers, des resplendissants déserts, et où la rigueur du climat « ne laisse vivre que des rhododendrons, quelques plantes fortes, des gazons robustes », au bord et dans les interstices des neiges éternelles. […] Mais l’Alpe a été rude à conquérir tout entière ; les montagnes ne se laissent pas brusquer en un jour ; les René et les Childe-Harold les traversent, les déprécient ou les admirent, et croient les connaître : elles ne se livrent qu’à ceux qui sont forts, patients et humbles tout ensemble. […] Mais traversée en bien des sens et formée d’une population mi-partie française, italienne et germanique, Genève aurait fort à faire pour garder une langue pure. […] Nous supplions seulement qu’on ne l’imite pas, et qu’on n’aille pas faire un genre littéraire, une école, de ce qui, chez le libre amateur genevois, a été précisément l’absence d’école et une inspiration forte et combinée. […] Près de mourir, Töpffer reviendra sur cette idée d’assujettissement, d’acquiescement intime et volontaire qui était le trait essentiel de sa foi : « Qui dispute, doute ; qui acquiesce, croit… Je crois et je me confie, deux choses qui peuvent être des sentiments vagues, sans cesser d’être des sentiments forts et indestructibles. » Dès le temps où il visitait la Grande-Chartreuse, Töpffer, voyant ce renoncement absolu qui imprime le respect et une sorte de terreur, s’était posé dans toute sa précision le problème qui est fait pour troubler une âme préoccupée des destinées futures : le chartreux, le trappiste, en effet, le disciple de saint Bruno ou de Rancé vit chaque jour en vue de sa tombe, tandis que d’autres, la plupart, ne vivent jamais qu’en vue de la vie et comme s’ils ne devaient jamais mourir : Destinée étrange que celle de l’homme !

785. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Ils ne disaient rien que de juste et que de convenable, rien qui ne fût d’un commerce doux, facile et gai… Je sentis même une chose qui m’était fort commode, c’est que leur bon esprit suppléait aux tournures obscures et maladroites du mien ; ce que je ne disais qu’imparfaitement, ils achevaient de le penser et de l’exprimer pour moi sans qu’ils y prissent garde, et puis ils m’en donnaient tout l’honneur. […] Le vieil officier cherche à le détromper : il lui montre la différence qu’il y a entre un homme peu scrupuleux qui, dans la réalité, dans la conversation, se laisse animer et accepte les choses les plus fortes, et ce même homme, devenu tranquille, qui les apprécie en les lisant : « Il est vrai, dit-il, que ce lecteur est homme aussi : mais c’est alors un homme en repos qui a du goût, qui est délicat, qui s’attend qu’on fera rire son esprit, qui veut pourtant bien qu’on le débauche, mais honnêtement, avec des façons et avec de la décence. » C’est un éloge à donner à Marivaux que, venu à une époque si licencieuse, et lui qui a si bien connu le côté malin et coquin du cœur, il n’a, dans l’expression de ses tableaux, jamais dépassé les bornes. […] Tantôt (dans Les Serments indiscrets), c’est l’amour-propre piqué qui s’engage à l’étourdie, et qui retarde et complique tout d’abord un aveu qui allait de lui-même échapper des lèvres ; tantôt, ce même amour-propre piqué, et la pointe de jalousie qui s’y mêle (dans L’Heureux Stratagème), réveille un amour trop sûr qui s’endort, et le ramène, au moment où il allait se changer et dégénérer en estime ; tantôt (comme dans Les Sincères, comme dans La Double Inconstance), l’amour-propre piqué ou flatté détache au contraire l’amour, et est assez fort pour le porter ailleurs et le déplacer. […] Un nouveau siècle était né et avait grandi : Marivaux appartenait à l’époque de transition, à la génération ingénieuse et discrète de Fontenelle, de Mairan, de La Motte, et le monde désormais appartenait à Voltaire régnant, à Montesquieu, à Buffon, à Rousseau, à d’Alembert, à cette génération hardie et conquérante qui succédait de toutes parts et s’emparait de l’attention universelle : Marivaux a eu parmi nous, disait Grimm en 1763, la destinée d’une jolie femme, et qui n’est que cela, c’est-à-dire un printemps fort brillant, un automne et un hiver des plus durs et des plus tristes. […] Mais ce qui était bien véritable aussi et frappant, c’est que tout ainsi que Montesquieu pouvait dire : « L’esprit que j’ai est un moule, on n’en tire jamais que les mêmes portraits », l’esprit de Marivaux, à plus forte raison, devait paraître un patron d’où il avait tiré à la fin toutes les broderies et toutes les dentelles.

786. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

à plus forte raison à des officiers, qui ne doivent pas quitter leurs troupes, et moins encore des troupes de cavalerie. » — « J’ai cru, lui répondit Villars, que Votre Majesté me pardonnerait de vouloir apprendre le métier, de l’infanterie, surtout quand la cavalerie n’a rien à faire. » C’est encore à ce siège, et pour une autre action de Villars, que le roi dit de lui : « Il semble, dès que l’on tire en quelque endroit, que ce petit garçon sorte de terre pour s’y trouver. » Le maréchal de Bellefonds, ne pouvant aider son jeune parent que de ses conseils, lui donna du moins celui-ci, dont Villars profita : c’était d’apprendre le métier de partisan, et d’aller souvent faire des partis avec ceux qui passaient pour entendre le mieux ce genre d’entreprise ; car, faute d’avoir ainsi pratiqué le détail de la guerre, et de cette guerre légère de harcèlement et d’escarmouches, bien des officiers généraux, quoique braves, se trouvent ensuite fort embarrassés quand ils commandent des corps détachés dans le voisinage d’une armée ennemie. […] Et certainement rien n’est plus propre à former un véritable homme de guerre qu’un métier qui apprend à attaquer hardiment, à se retirer avec ordre et avec sagesse, et enfin qui accoutume à voir souvent l’ennemi de fort près. […] Louis XIV, la première fois qu’il le revit après cet accident, « lui fit l’honneur de lui dire qu’il avait trop bonne opinion de l’étoile du marquis de Villars pour croire qu’il eût pu périr d’une chute dans les fossés de Bâle. » Dans les années de guerre qui suivirent et qui ne se terminèrent qu’à la paix de Riswick, Villars, d’abord commissaire général de la cavalerie, puis maréchal de camp, puis lieutenant-général et gouverneur de Fribourg en Brisgau, continua de se distinguer ; mais il souffrait beaucoup de l’inaction où l’on restait trop souvent avec de fortes armées, et se plaignait de ces campagnes trop peu remplies d’événements. Il ne trouva un peu son compte qu’en servant sous Luxembourg, et en prenant grande part au combat de Leuze (1691), dont il disait avoir préparé l’occasion en même temps qu’il aida fort au succès.

787. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Tite-Live, de même, en évitant ces reliefs en tous sens qu’un Plutarque peut indiquer dans le détail et qu’on recherche si fort aujourd’hui, obéit à une pensée de peintre plus que d’orateur, à un sentiment d’accord, de composition et de nuance, qui lui fait assortir ses principales figures avec le noble monument qu’il élève. […] Je me repens, dans tout ce qui précède, d’avoir l’air de critiquer seulement un ouvrage plein de mérite, d’intérêt, où, sauf la veine trop prononcée qui le traverse, tout est instructif, agréable même, d’une science exacte, d’une forte pensée, d’une expression frappante et qui se grave. […] Taine a su rendre amusant, et même gai, un livre où sont traités des personnages en général fort graves, et où leur méthode pourtant est discutée, prise à partie et très gravement attaquée. […] J’observe que les hommes ainsi disposés sont tous plus ou moins forts ou vifs, qu’ils ont de bonne heure contracté l’habitude d’exercer l’art de la parole et qu’ils sont aussi peu méditatifs. […] Taine, le principal, et sur qui porte le fort de l’attaque et de l’assaut, est celui de M. 

788. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

 » ; et enfin ce mot qu’on a fort relevé : « Je ne connais guère l’embarras, et je ne crains pas la responsabilité. » C’est le signe d’une disposition chez lui fondamentale ; c’est le geste de son esprit, de son caractère qui se trahit et qui tranche, qui repousse et chasse, pour ainsi dire, les difficultés et leur interdit de reparaître. — Une remarque matérielle et qui n’est pas vaine vient à l’appui, le caractère de son écriture : pas une hésitation, pas une fatigue ; jamais un jambage qui bronche. […] On l’attendait à cet endroit critique de sa vie parlementaire, où la ligne de conduite qu’il suivit lui fut si fort reprochée. […] Il y réussit d’abord au-delà de toute espérance : il maria le duc d’Orléans ; il fit l’amnistie ; il rendit l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois au culte ; cependant on prenait d’assaut Constantine, on enlevait le fort de Saint-Jean d’Ulloa. […] Guizot, dans son récit animé ; ne dissimule rien de tout cela, et il nous aide vivement à nous en ressouvenir ; il réitère même, à un endroit (tome IV, page 292), un mea culpa qui ne laisserait rien à désirer, si, par un singulier retour, il ne le rétractait formellement dans les toutes dernières lignes du chapitre ; car, faisant remarquer que c’était en vue d’obtenir un gouvernement pleinement d’accord avec la majorité de la Chambre des députés qu’il s’était mis si fort en avant, dans une ligne d’opposition inaccoutumée, au risque de déplaire à plusieurs de ses amis conservateurs, il ajoute : « Dans mon élan vers ce but, ma faute fut de ne pas tenir assez de compte du sentiment qui dominait dans mon camp politique, et de ne consulter que mon propre sentiment et l’ambition de mon esprit plutôt que le soin de ma situation (que de ma et que de mon !)  […] J’ai noté cependant une belle et bonne page (tome II, p. 105), dans laquelle il caractérise ses premiers débuts à la tribune et nous fait part de ses hésitations, de sa prudence sur ce terrain tout nouveau ; car il était d’abord professeur plutôt qu’orateur politique, ce qui est fort différent.

789. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Cervantes n’est pas seulement un génie clair et net, c’est un génie littéraire et qui a fort en souci les résultats de ce genre. Tous ses autres ouvrages montrent à quel point il était un bel esprit ; Don Quichotte, en les dépassant si fort, et en leur ressemblant si peu, nous rappelle pourtant, par bien des endroits, qu’il est du même auteur. […] Un écrivain de nos jours, homme fort instruit, et particulièrement versé dans la littérature espagnole, M.  […] La critique a fort raisonné de nos jours et de tout temps sur la pensée fondamentale qui se montre ou se dérobe dans Don Quichotte, et il n’en pouvait être autrement ; c’était son droit. […] « Démontrer que Gœthe s’est inspiré de Cervantes serait déjà un sujet de critique assez piquant, mais c’est une raison plus forte qui me pousse à insister sur la filiation des deux caractères.

790. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Professeur pendant quatre années à Strasbourg, puis quatre autres années à Aix, du temps de Prevost-Paradol et de Weiss, il a, dans cette vie laborieuse de province, amassé des provisions de savoir qu’il accroît journellement et qu’il distribue désormais avec bon sens, gravité, justesse, avec un talent très-remarquable d’ordonnance et de composition, aux fortes générations d’élèves qu’il est chargé d’enseigner, les élèves de l’École normale et ceux de l’École polytechnique. […] Cette première partie seule a paru ; et elle-même se compose de trois parties inégales et fort différentes, qu’il importe de bien distinguer pour avoir l’intelligence du monument inachevé et plus grand encore par le dessein que par l’art. […] Et reprenant de nouveau l’histoire de la Création et des époques primitives, tous ces récits dont Moïse est censé avoir recueilli les traditions, Bossuet nous montre le grand Ouvrier à l’œuvre, tantôt bienfaisant et clément, tantôt terrible et jaloux, toujours efficace, présent, vigilant, vivant : on n’en saurait prendre nulle part une idée plus forte, celle d’un Dieu qui tient le monde à chaque instant dans sa main, qui ne lui laisse pas le temps de s’engourdir, qui est toujours prêt à recommencer la création, à la retoucher, à secouer son monde. […] Je dois avertir que notre prédilection française pour Florus, qui date de Tanneguy Le Fèvre, de Mme Dacier, et qui se marque jusqu’à l’excès chez Montesquieu, est fort contrariée et rabattue par le travail récent de l’érudition allemande. Si l’on prend en effet l’édition de Florus qu’a donnée en 1852 Otto Iahn d’après les manuscrits, l’auteur latin y paraît fort rabaissé, un simple abréviateur de Tite-Live, un rhéteur sans aucune originalité, imitateur de Lucain pour l’expression et de l’un des deux Sénèque pour les idées.

791. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Monselet est un croquis des mieux venus, des plus accentués, et fort ressemblant. […] Ceux qui, alléchés par le titre, venaient à lui comme à l’un des arbitres de la bonne chère étaient fort déçus. […] Monselet, au contraire, a fort cultivé cette branche. […] Quelques-uns de ces petits tableaux ont fort réussi : je ne saurais oublier, entre autres, la Bibliothèque en vacances, gaie et légère satire littéraire où nous sommes tous : je la sépare expressément des chapitres qui suivent, et où l’auteur s’est donné le plaisir trop facile de railler des hommes utiles et des savants respectables. […] Comme son Bourgoin « qui a renoncé à faire un chef-d’œuvre », il jette au vent d’heureux dons, de l’imagination, de la fantaisie, de l’esprit sans jargon, de la malice souvent fort leste, mais sans fiel : il y joint du sens, un fonds de raison, un avis à lui et bien ferme.

792. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’œuvre de Veyrat laisse fort à désirer ; mais son existence, sa destinée, sont bien celles d’un poëte, d’un des blessés du temps dans la lutte des idées, et aujourd’hui que Savoie et France ne font qu’un et que sa patrie est nôtre, il mérite d’être visité et honoré de nous dans sa tombe. […] Il lui arriva ce qui arrive à la plupart des natures ardentes qu’on veut soumettre à une règle étroite : il n’eut rien de plus pressé, quand il se crut assez fort, que de résister et de réagir ; il s’insurgea. […] Les affections les plus fortes, celles qui vivent, sont celles qui naissent dans les larmes et grandissent dans l’affliction. […] La situation étant donnée, la pièce est noble et fort belle. […] Il avait retrouvé une sœur d’une nature pareille à la sienne, mais plus forte et mieux conservée, une sœur à la Pascal, si l’on peut dire, supérieure et fondatrice d’établissements religieux, une personne des plus considérées dans son Ordre ; il lui adressa ses plus doux et ses plus intimes épanchements.

793. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Boyer est mort fort chrétiennement ; sur quoi je vous dirai, en passant, que je dois réparation à la mémoire de la Champmeslé, qui mourut avec d’assez bons sentiments, après avoir renoncé à la comédie, très-repentante de sa vie passée, mais surtout fort affligée de mourir : du moins M.  […] Si maintenant l’on m’objecte que cette théorie conjecturale serait admissible peut-être si Racine n’avait pas fait Athalie, mais qu’Athalie seule répond victorieusement à tout et révèle dans le poëte un génie essentiellement dramatique, je répliquerai à mon tour qu’en admirant beaucoup Athalie, je ne lui reconnais point tant de portée ; que la quantité d’élévation, d’énergie et de sublime qui s’y trouve ne me paraît pas du tout dépasser ce qu’il en faut pour réussir dans le haut lyrique, dans la grande poésie religieuse, dans l’hymne, et qu’à mon gré cette magnifique tragédie atteste seulement chez Racine des qualités fortes et puissantes qui couronnaient dignement sa tendresse habituelle. […] Il y a dans Bajazet un passage, entre autres, fort admiré de Voltaire : Acomat explique à Osmin comment, malgré les défenses rigoureuses du sérail, Roxane et Bajazet ont pu se voir et s’aimer : Peut-être il te souvient qu’un récit peu fidèle De la more d’Amurat fit courir la nouvelle. […] Lope de Vega eut aussi une fille, et la plus chérie, qui se fit religieuse ; il composa sur cette prise de voile une pièce de vers fort touchante, où il décrit avec beaucoup d’exaltation les alternatives de ses émotions de père et de ses joies comme chrétien (Fauriel ; Vie de Lope de Vega).

794. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Tel homme de cœur et de talent, d’Argenson, fut surnommé « la bête », parce que son originalité dépassait le cadre convenu. « Cela n’a pas de nom, cela ne ressemble à rien », tel est le blâme le plus fort. […] Les femmes qui l’ont érigée en obligation sont les premières à en sentir le mensonge, et à regretter, parmi tant de froids hommages, la chaleur communicative d’un sentiment fort. […] Après eux, Ducis, Thomas, Parny, Colardeau, Roucher, Delille, Bernardin de Saint-Pierre, Marmontel, Florian, tout le troupeau des orateurs, des écrivains et des politiques, le misanthrope Chamfort, le raisonneur Laharpe, le ministre Necker, les faiseurs de petits vers, les imitateurs de Gessner et de Young, les Berquin, les Bitaubé, tous bien peignés, bien attifés, un mouchoir brodé dans la main pour essuyer leurs larmes, vont conduire l’églogue universelle jusqu’au plus fort de la Révolution. […] C’est que le pli est trop ancien et trop fort. […] Nombre d’actions et des plus nécessaires, toutes celles qui sont brusques, fortes et crues, sont contraires aux égards qu’un homme bien élevé doit aux autres, ou du moins aux égards qu’il se doit à lui-même  Ils ne se les permettent pas ; ils ne songent pas à se les permettre, et, plus ils sont haut placés, plus ils sont bridés par leur rang.

795. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVI. Les derniers temps de la comédie italienne en France » pp. 311-338

Prenez le recueil d’Évariste Gherardi, qui nous a conservé les pièces jouées par les Italiens à l’Hôtel de Bourgogne : vous y reconnaîtrez immédiatement la tradition de la raillerie française, notre génie satirique, à travers les déguisements fort légers qu’on lui impose. […] Sachez donc que, pour parvenir en fort peu de temps, il faut être dur et impitoyable, principalement à ceux qui ont de grands biens ; il ne faut jamais donner les mains à aucun arbitrage, jamais ne consentir d’arrêt définitif : c’est la perte des études. […] fort sévèrement. […] Mais, dans mes grandes villes, il y a d’honnêtes gens, fort accommodés, qui prêtent sur de la vaisselle d’argent aux enfants de famille au denier quatre57, quand ils ne trouvent point à placer leur argent au denier trois. […] Il faut parler toujours sans rien dire pour sembler spirituelle ; rire sans sujet pour paraître enjouée ; se redresser à tout moment pour étaler sa gorge ; ouvrir les yeux pour les agrandir, se mordre les lèvres pour les rougir ; parler de la tête à l’un, de l’éventail à l’autre ; donner une louange à celle-ci, un lardon à celle-là ; enfin, badiner, gesticuler, minauder60. » L’arrivée du printemps, qui amène le départ des officiers, jette le désarroi dans le monde des promeneuses, et les force à se rabattre sur les robins et les petits collets fort peu demandés en hiver : Heureux les bourgeois de Paris, Quand le plumet court à la gloire !

796. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

La Rochefoucauld n’est qu’un spéculatif, que sa naissance, ses amitiés, les passions de sa jeunesse ont jeté dans l’action ; qui paye fort décemment de sa personne, et qui joue sa vie pour l’honneur de son nom, peut-être par dégoût pour l’action. […] Il s’y avoue mélancolique « jusqu’à ne pas rire trois ou quatre fois en trois ou quatre ans ; le visage sombre, qui le fait paraître encore plus réservé qu’il n’est ; avec un esprit que gâte cette mélancolie, et une si forte application à son chagrin que souvent il exprime assez mal ce qu’il veut dire. » Voilà qui ne convient guère à un homme d’action. […] Je l’ai dit : un esprit spéculatif, que des événements plus forts que ses penchants, des passions plus fortes que sa raison, avaient jeté dans une carrière d’intrigue et d’action. […] Ne dites pas : C’est beau de langage, mais c’est faux de pensée : ce sont là de vaines paroles ; les grands écrivains se trouveraient fort peu dédommagés du reproche d’avoir mal pensé par la louange d’avoir bien dit.

797. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Dans les premiers temps de ce séjour à Cirey, il écrivait à d’Argental, en revenant de faire un voyage de Hollande, et en nous découvrant toute sa pensée, ses affections, les parties les plus sérieuses de son âme : Je vous avoue que si l’amitié, plus forte que tous les autres sentiments, ne m’avait pas rappelé, j’aurais bien volontiers passé le reste de mes jours dans un pays où du moins mes ennemis ne peuvent me nuire, et où le caprice, la superstition et l’autorité d’un ministre ne sont point à craindre. […] Je vous avoue que je serais fort aise d’avoir courtisé avec succès, une fois en ma vie, la Muse de l’Opéra ; je les aime toutes les neuf, et il faut avoir le plus de bonnes fortunes qu’on peut, sans être pourtant trop coquet. […] On trouve dans sa correspondance de cette époque, dans une lettre au duc de Richelieu, qui est juste de cette date, une vive recommandation pour Mme de Graffigny, qui avait été fort liée avec Mlle de Guise, devenue duchesse de Richelieu. […] Je ne puis vous donner l’idée de cette sottise qu’en vous disant qu’elle est plus forte et plus misérable que son esprit n’est grand et étendu… Jugez du bonheur de ces gens que nous croyions avoir atteint à la félicité suprême ! […] Mme de Graffigny vivait donc à Paris, avec un certain état de maison, moyennant de petites pensions des cours de Lorraine et de Vienne et d’assez grosses dettes, quand la chute de La Fille d’Aristide, comédie en cinq actes sur laquelle elle comptait fort, vint lui porter un coup fâcheux : « Elle me la lut, dit Voisenon ; je la trouvai mauvaise ; elle me trouva méchant.

798. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

La vocation de Ducis fut longue à se dégager ; pour suivre ma comparaison, il était comme ces arbres forts et à l’écorce rude dont les jardiniers disent qu’ils se décident lentement. […] Nous avons besoin d’indulgence ; mais les privilèges de ces complexions fortes en rachètent tous les défauts. […] Il n’était pas de ceux à qui il faut demander une grande logique ou une suite exacte dans les idées et dans les actions : « son âme était plus forte que sa tête », et, pourvu que sa conscience fût nette, il n’en était pas à une contradiction près. […] C’était le temps où Bonaparte, qui avait fort goûté Ducis, et qui lui avait fait beaucoup d’avances pendant son séjour à Paris après la première campagne d’Italie, jusqu’à vouloir l’emmener avec lui dans l’expédition d’Égypte, fondait un gouvernement nouveau et cherchait à y rattacher tout ce qui avait nom et gloire. […] Son âme forte et riche, un peu rude de surface, n’acquit toute sa saveur et sa maturité qu’à un âge très avancé.

799. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Le point d’honneur, tel que le fixe la coutume de chaque nation, prend sur la plupart des consciences individuelles un empire souverain et on y voit l’opinion, glus forte que la nature, déformer et façonner ce qu’il y a de plus intime dans un être, ses instincts. […] Il n’est pas téméraire, semble-t-il, de penser que plus d’un de ces morts volontaires que l’on invoque a pour cause une suggestion de la coutume, qui, déplaçant le centre de gravité de l’individu, le contraint à se concevoir très différent de ce qu’il est : il sacrifie alors, de la façon la plus tragique, à cette fausse conception de soi-même sa propre personne et son instinct de conservation le plus fort. […] La notion imprimée lui confère des certitudes plus fortes que ne fait même la chose vue. […] Le Bovarysme existe, a-t-on dit, dès que l’ordre hiérarchique des énergies se montre interverti dans l’esprit et dans l’appréciation de celui qui possède ces énergies, dès qu’il préféra une énergie moins forte, à une plus forte.

800. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

D’autre part, il a semblé que s’il est aisé de classer dans le domaine de la pathologie tels cas extrêmes où la conception différente qu’un être se forme de lui-même est accompagnée d’une impuissance absolue à se réaliser, il est un nombre beaucoup plus grand d’autres cas où il est fort difficile de discerner, si l’acte, par lequel un être se conçoit autre qu’il n’est, est de nature à augmenter ou à diminuer sa puissance. […] Du fait de cette constatation, tous les cas défavorables signalés dans la première partie de ce livre, toutes les déviations et toutes les difformités morales et mentales que l’on y exposa, ne sembleront pas une trop forte rançon des bénéfices qu’il procure. […] Il n’en reste pas moins qu’il existe une pathologie du Bovarysme, c’est-à-dire que le pouvoir de se concevoir autre, dont les bénéfices sont répartis d’une façon fort inégale à ceux qui en tirent profit, est pour beaucoup d’autres individus la cause d’égarement et le principe de ruine pu de ridicule que l’on a décrits. […] C’est de cet état de fait qu’il déduit le conseil qu’il se donne à lui-même : « Sois en harmonie avec toi-même. » Cette maxime en effet, si on ne. la prend pas comme un frein trop fort de nature à paralyser le mouvement nécessaire à la vie, peut être utile à distinguer la limite où le Bovarysme cesse d’être l’expression d’un progrès normal pour dévier vers la pathologie : « Sois en harmonie avec toi-même », cela signifie avec plus de détail : Sache parmi le grand nombre de notions qui sont proposées à l’admiration de ton esprit, sache distinguer celles qui doivent demeurer pour toi de simples objets de connaissance, de celles qui peuvent être des buts pour ton activité. […] La vitalité d’un peuple semble compromise par deux mesures extrêmes : l’imitation servile de l’ancêtre et l’imitation du modèle étranger dans des proportions trop fortes et qui ne permettent plus l’assujettissement des modes de la réalité imitée à ceux de la réalité ancienne.

801. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Hugo gêne fort les deux partis, il les empêche de se bien voir. […] Il est même fort probable qu’il n’hésiterait pas à faire des cocottes de papier avec la Henriade et Zaïre une fois qu’il aurait entendu Ruy-Blas et lu les Chants du crépuscule. […] Rousseau est fort gai : tout le monde s’accorde à le reconnaître, et tout le monde s’accorde à reconnaître aussi que la gaieté est la marque d’une conscience tranquille. […] C’était, — au moral s’entend, — un petit vieillard bien conservé, portant fort correctement sa perruque à trois marteaux. […] Le petit vieillard regrettait fort l’ancien régime littéraire : — une fois par semaine, régulièrement, il venait se plaindre — poliment et spirituellement — au public que le présent ne valût pas le passé.

802. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Ma foi, qu’elle me laisse le lui dire : Dans un temps plus fort et plus organisé que le nôtre, moins dépravé par les fausses délicatesses du sophisme, c’est ce que nous devrions être tous, nous qui faisons de la critique ! […] forte, si incontestée et si tranquille, que personne ne s’étonne et ne réclame maintenant quand les plumes des petits jeunes gens et des éditeurs écrivent sérieusement « la gloire de Mme George Sand » La gloire  …… C’est quelque chose qui reste. —  Mlle Scudéry a-t-elle de la gloire ? […] Elle ne choque personne par ce grand côté de l’esprit que les forts seuls savent aimer et que les moyennes intellectuelles qui lisent, détestent. — À la place, elle a ce qui plaît, avant tout, aux moyennes, l’abondance et la facilité. […] Thiers, qui a toujours triomphé de la tête de mulet des bourgeois par le prudhommisme, Mme Sand a, pour se faire goûter d’eux, de fortes teintes de prudhommisme dans le langage, lesquelles ne me paraissent pas absolument nécessaires à la composition des styles immortels. […] Je les y trouve entassés, nombreux, à toute page, sans mélange et tellement, qu’il est impossible que le porte-plume quelconque qui s’exprime en ces termes ; qui n’a à son service, exclusivement, que ces métaphores épuisées, traînées et fourbues, puisse jamais s’appeler du nom de grand écrivain, déjà lourd à porter partout ; à plus forte raison du premier des grands écrivains français au dix-neuvième siècle, comme on l’a dit de Mme George Sand, et qui l’écrase — net !

803. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Personne ne peut lire Boileau, sinon à titre de document historique ; ses dissertations sur le vrai, sur l’honneur, sur le style, ressemblent aux amplifications d’un écolier laborieux et fort en vers. […] On trouvait fort ingénieux et fort élégant ce petit morceau de Voiture : Baronne pleine de douceur, Êtes-vous mère, êtes-vous sœur, De ces deux belles si gentilles Qu’on dit vos filles28 ? […] Elle possédait, je ne puis en douter en regardant les portraits authentiques qui sont sous mes yeux, le genre d’attraits qu’on prisait si fort au dix-huitième siècle, et qui avec de belles mains avait fait la réputation d’Anne d’Autriche. […] Ce manuscrit nous représente Coligny comme très-bien fait, sans avoir pourtant une tournure fort élégante, spirituel et ambitieux, mais d’un mérite au-dessous de son ambition.

804. (1881) Le naturalisme au théatre

Et cela semble fort naturel. […] cela est fort juste, fort raisonnable. […] Catulle Mendès est une figure littéraire fort intéressante. […] La scène est fort belle. […] Ceux-là applaudissent plus fort.

805. (1927) André Gide pp. 8-126

Il est fort substantiel et l’on y retrouve un tas de choses significatives. […] M. Paul Fort, en 1907 ou 1908. […] Les forts ont le droit et peut-être le devoir de s’en passer. « J’aime, disait ailleurs M.  […] André Gide a publié dans la même saison trois ouvrages fort dissemblables. […] André Gide écrit des choses fort piquantes, quoique souvent bien injustes.

806. (1901) Figures et caractères

C’était un gentilhomme fort distingué. […] Vigny était fort spirituel. […] Tout cela se fondait en une forte intelligence générale. […] Chénier s’y montre fort préoccupé de l’Histoire des Littératures. […] Le monument est fort simple.

807. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Un jour il perd au jeu beaucoup d’argent et se trouve fort embarrassé. […] Il veut exercer une forte excitation nerveuse, agréable ou désagréable, peu importe. […] Aussi, l’effet du mode d’expression mystique sur les gens qui se laissent ahurir est-il très fort. […] A l’extase sont liées des émotions excessivement fortes dans lesquelles la plus ardente volupté se mêle à la douleur. […] Le refrain est un excellent moyen pour révéler un état d’âme dans lequel prédomine une forte émotion.

808. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Ces deux cents pages étaient si fortes qu’elles ont vaincu ces obstacles. […] Cette judicieuse et forte devise est celle que le professeur de Montpellier réclame pour la biologie. […] Un fait est là indiscutable : l’excellence de cette monarchie à fabriquer des personnalités fortes. […] Elles n’en sont que plus fortes. […] Plus un fait tragique est inattendu, plus il nous étreint d’une angoisse forte.

809. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IX. Du rapport des mots et des choses. — Ses conséquences pour l’invention »

Comment se représenter la blancheur, la longueur, la force, sans se représenter une chose blanche, longue, forte ? […] Les esprits très jeunes, et que la réflexion philosophique n’a point affinés, ont une très forte tendance à se méprendre : presque toujours ils sont réalistes, comme on pouvait l’être au temps d’Abailart et de Guillaume de Champeaux.

810. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moreau, Hégésippe (1810-1838) »

Il nous ramène l’antique périphrase de Delille, vieille prétentieuse inutile qui se pavane fort singulièrement au milieu des images dévergondées et crues de l’école de 1830. […] Ce qui n’enlève rien à sa personnalité où la fraîcheur et la grâce se mêlent aux fortes inspirations.

811. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 453-456

Quoi que votre esprit se propose, Quand votre course sera close, On vous abandonnera fort, Et, Seigneur, c’est fort peu de chose Qu’un demi-Dieu, quand il est mort.

812. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Préface »

Sa moisson a été fort riche et se trouve être fort variée.

813. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Dans cette rupture et dans cette absence de toutes les entraves, ils ressemblent à de beaux et forts chevaux lâchés en plein pâturage. […] Il aime si fort la lutte, que, publiquement au camp du Drap d’or, il empoigne François Ier à bras-le-corps, pour le jeter à terre. […] Parmi ces passions si fortes, nulle ne manque. […] Ils manifestent mieux que les autres hommes l’esprit public, parce que l’esprit public est plus fort chez eux que chez les autres hommes. […] Ils ont l’âpreté, l’acharnement, l’orgueil de grands dogues bien nourris et de forte race.

814. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Quand son ami, le docteur Riolan, publie ses Œuvres in-folio (1649), il est heureux d’en dresser lui-même la table en quelques soirées : « Et comme tout l’ouvrage est parsemé de quantité de choses fort curieuses, j’ai fait en sorte que la table en retînt quelque chose. » Cette table des matières à composer a été un de ses plaisirs2. […] Mais ce n’est pas ainsi qu’il l’entend ; car, s’il se moque des uns, il croit fort et ferme aux autres, et ce qu’il en dit, c’est par amour et gloire de son état. […] Il y a dans toute cette querelle, et dans le fatras d’écritures qu’elle produisit, des choses fort curieuses et pour l’histoire de la médecine et pour l’histoire des journaux en France. […] Gui Patin en triomphe, et avec une sorte de joie cruelle ; ses lettres de 1644 sont toutes pleines de ses bulletins de victoire : Je vous dirai, écrit-il à Spon (8 mars), qu’enfin le Gazetier, après avoir été condamné au Châtelet, l’a été aussi à la Cour, mais fort solennellement, par un arrêt d’audience publique prononcé par M. le premier président (1er mars). […] Son humeur, ses rancunes, ses préventions, ses préjugés de corps, de classe, de pays et de quartier viennent à tout moment interrompre ses parties saines et bigarrer, en quelque sorte, ses fortes et brusques qualités.

815. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

L’état extrême où Henri a trouvé et pris en main la France à la mort de son prédécesseur, la situation désespérée d’où il l’a tirée en luttant, et la situation florissante et forte où il l’a replacée, où il l’a élevée en elle-même et dans ses relations avec l’Europe, telle est l’idée du livre de M.  […] Poirson prise fort et à laquelle j’ai emprunté beaucoup, celle de Hurault Du Fay, un petit-fils de L’Hôpital, qui fit deux libres et excellents Discours sur les affaires du temps, dont le second se rapporte à l’année 1591. […] Il ne vit donc point le Henri IV du triomphe et des années de paix ; il ne put rien ajouter ni changer aux traits sous lesquels il nous l’a peint dans l’action, au plus fort des dangers et des épines. […] Si sur quelques points l’auteur est enclin et entraîné à trop accorder à Henri IV, à le faire plus libéral dans le sens moderne qu’il ne l’était, à donner une trop grande consistance à ce qui n’a été que fort court, à croire qu’il aurait tout fait s’il avait plus vécu, il y a un train général de bien-être et de félicité bien ordonnée pendant ce règne, sur quoi il est pleinement dans le vrai et ne se méprend pas ; et il nous apporte toutes les pièces à l’appui, les démonstrations victorieuses. […] [NdA] Il se retrouve comme un écho de ce gémissement universel qui s’éleva à la mort de Henri IV, dans une fort belle lettre de Bossuet à Louis XIV, du 10 juillet 1675.

816. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Dans une occasion où, la plupart des officiers de l’état-major étant en mission, Pelleport est désigné pour faire le service au quartier général pendant la nuit (à Lévico, 6 septembre 1796) : Je vis, dit-il, Masséna et Augereau rendre compte des opérations de la journée à Bonaparte et prendre ses ordres pour le lendemain : le maintien de ces deux chefs de division était fort respectueux. […] Un officier de la 18e, le capitaine Motte, commandant un fort au débouché du Tyrol, se laisse intimider par les sommations de l’ennemi, lors des premiers succès de Wurmser ; il livre le passage et se rend prisonnier de guerre : Sans cette malheureuse circonstance, le mouvement des Autrichiens eût été retardé de quelques heures. […] Ce brave homme, ne sachant que faire d’une somme aussi forte, demanda la permission de la porter à sa femme. […] Il est fort à croire que M.  […] Thiers nous a montré ce modèle accompli des modestes et fortes vertus guerrières, au tome xiv, p. 168 de son Histoire de l’Empire. — Voir aussi la Vie militaire du comte Friant, publiée par son fils (un vol, 1857), et un article au tome  xv de ces Causeries.

817. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Il était fort capable de préventions ; il en eut à certains jours contre quelques-uns de ses amis même. […] On a fort remarqué les discours qu’il prononça dans la discussion sur la loi d’élection, pour combattre la majorité qui s’obstinait à repousser la loi même proposée par le Gouvernement, et à en substituer une autre, toute dans son intérêt et à sa guise. […] Pasquier, lorsqu’il commença sa carrière de député dans la Chambre de 1815, n’était connu encore que par son habileté administrative et par ses qualités d’homme du monde et de société ; il sortait tout récemment du ministère où la confiance du roi l’avait appelé dès la seconde rentrée, et il tint même, pendant toute la durée, fort courte d’ailleurs, de ce premier Cabinet présidé par M. de Talleyrand, le double portefeuille de la justice et de l’intérieur, ce dernier à titre provisoire seulement. […] Il marqua, dès les premières discussions, par un genre de talent alors fort rare, celui d’une improvisation réelle, d’une faculté de réplique immédiate, abondante et juste. […] Une dépêche de lui, alors qu’il était ministre des affaires étrangères en 1821, tout récemment rappelée et citée devant le Sénat dans une circonstance fort particulière, est venue témoigner de cette sincérité et de cette vivacité de sentiments plus pratiquée par lui qu’affichée.

818. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Assez parlé du peintre : je m’attache au voyageur, au narrateur pittoresque, non pas au littérateur (Horace Vernet ne l’était pas), mais à celui qui avec la plume, s’il y avait été un peu plus préparé par une première éducation, aurait pu donner de fort jolis récits et croquis sous une autre forme. […] Mais savez-vous que ce récit de voyage est des plus agréables, que ces lettres forment une série intéressante, et qu’elles mériteraient fort, avec la série de lettres sur la Russie et quelques autres écrites de l’Algérie, d’être réimprimées et recueillies en un petit volume qui présenterait Horace Vernet sous un nouveau jour ? […] Il y était fort apprécié et fort désiré. […] Jusqu’à présent, le marteau a été fort, mais petit à petit le manche s’use ; les esclaves s’enrichissent, la noblesse abuse, et déjà bien des seigneurs n’osent plus aller dans leurs terres ; et dans le fond il n’y a pas une très-grande différence entre l’état de la Russie et celui de Méhémet-Ali ; on est ici, comme en Égypte, sur une boursouflure qui tôt ou tard ne pourra plus soutenir la pesanteur du fardeau. […] Il fit pour l’empereur et pour la famille impériale plusieurs tableaux et portraits qui réussirent fort et qu’on n’a pas vus ici27.

819. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Le récit de M. de Saint-Joseph, fort exact, fort circonstancié, ne manque pas d’un sentiment d’émotion qui dispose à la pitié. […] Dans ce pénible voyage vers Séville, à travers l’Estramadure, en longeant les frontières du Portugaise troisième jour après leur départ de Ciudad-Rodrigo, ils vinrent se heurter fort inopinément au quartier général de lord Wellington (sir Arthur Wellesley), qui était établi à Zarsa-la-Mayor. […] M. de Saint-Joseph nous y fait assister : « La chaleur que la saison et notre rapprochement du Midi rendaient chaque jour plus forte ; notre marche dans un pays sans routes, brûlé, sillonné par de longues fentes, où l’on eût dit qu’un vent dévastateur venait d’exercer ses ravages, l’épuisement des chevaux, nos fatigues, nos peines morales, tout nous rendit excessivement longue et pénible la petite distance de l’Alagon au Tago. […] Il ne fallait rien moins d’abord que les murs de cette forteresse pour les mettre à l’abri de tout danger : « Le jour même de notre arrivée, vers le soir, une forte rumeur se fit entendre sur la place où notre tour était située, l’air retentissait de cris tumultueux. […] 85 Elle avait la délicatesse de faire parvenir des secours au chef de guérillas, le Capucino, tombé au pouvoir des Français et détenu au fort de Joux.

820. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Guttinguer, vraie nature délicate et poétique, a été jusqu’ici fort apprécié de ses amis ; et, quoique nous pensions depuis longtemps de lui ce que nous allons en écrire, nous ne l’aurions peut-être jamais exprimé publiquement sans l’occasion de ce roman d’Arthur, de peur d’un semblant de complaisance. […] Là se disent des chants inconnus à la terre, Des chants trop forts pour l’homme, et que l’homme doit taire, Des chants que le Ciel envîrait ! […] Ainsi nul œil, Ulric, n’a mesuré les ondes De tes fortes douleurs, etc. […] Pourtant, en général, dans Arthur, le cœur est de beaucoup plus fort que la raison, que la pensée ; celle-ci, en maint endroit, est exclusive, dédaigneuse, aristocratique, légère, prenant trop ses répugnances ou ses affections pour la règle du possible, pour la mesure du vrai. […] d’assembler un volume délicieux, que d’autres, plus studieux, plus forts, n’auraient jamais écrit.

821. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

L’action, que j’abrège fort, est simple, grande et poignante, et les principaux états d’esprit qu’a dû engendrer la rencontre des deux religions y sont tous représentés. […] France-Bonnard nous racontera-t-il des histoires fort simples. […] On garde son sang-froid même dans l’observation la plus appliquée ou dans l’émotion la plus forte, et malgré soi on porte partout cette arrière-pensée que tout est vanité. […] J’ajouterai, sans crainte de me tromper, qu’elle était fort belle et de mine fière, car mes études iconographiques m’ont habitué de longue date à reconnaître la pureté d’un type et le caractère d’une physionomie. […] Sylvestre Bonnard, ne vous y laissez pas prendre ; et si vous vous attendrissez trop fort, dites-vous que cela n’est pas arrivé.

822. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Marguerite ne veut ni se tromper, ni tromper son lecteur ; ses impressions ne sont jamais plus fortes que sa raison. […] Il paraissait donc vraisemblable que le texte original avait dû être fort altéré. […] C’est la même langue, abondante, facile, sans expressions fortes, sans hardiesses, sauf dans quelques passages sur Dieu, où Marguerite, tantôt par la foi, tantôt par le sentiment, s’élève à ces pensées qui ne se rendent que par des expressions créées. […] C’est cet esprit, formé d’une sensibilité plus douce que profonde, d’une imagination plus enjouée que forte, d’une raison sûre, quoique bornée, qui fait vivre les poésies de Marot. […] La langue, proportionnée aux idées, et toujours juste n’est ni forte, ni colorée ; et, comme langue poétique, elle ne diffère encore de la prose familière que par la rime et la mesure.

823. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Il est vrai que l’art des vers est fort différent de la versification ; et, pour le dire tout de suite, c’est parce que le dix-huitième siècle les a pris l’un pour l’autre qu’on y est si peu poète. […] Mais c’est une autorité fort ébranlée, et le temps n’est pas loin où celui qui représentait à lui seul dans nos études la poésie lyrique, rangé désormais en une place proportionnée, entre le grand poète qui l’a créée en France et les hommes illustres de notre temps qui en ont déployé toutes les richesses, ne représentera plus l’ode qu’au temps où elle n’est qu’une œuvre d’imitation et l’application habile d’une recette. […] Pour se défendre d’une prévention si forte, il ne fallait pas moins que la prévention contraire ; encore était-ce trop peu que cette prévention vînt du goût, s’il ne s’y ajoutait la passion contre la personne. […] Je soupçonne fort l’illusion de la Harpe d’être intéressée. […] Il n’est pas aisé d’écrire en vers même comme Louis Racine ; témoin la Loi naturelle de Voltaire, fort au-dessous de la Religion de Louis Racine.

824. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Fils d’une race saine de paysans pratiques, il pensait fort et droit. […] Je fus assez heureux pour que le nom de mon cher ami Mallarmé, déjà si honorablement connu d’un tout petit choix d’élus parmi l’élite des raffinés et des curieux compétents, retentît cette fois un peu plus fort et allât taquiner l’oreille de la Presse. […] Dès les premiers numéros, il rétablit la vérité, alla droit au but, mit les pieds dans le plat et, fort de sa rédaction vraiment homogène, n’hésita pas à prendre l’offensive en toute témérité vraiment française, et si franche ! […] Leurs biceps ont des fûts robustes de mâtures ; Leur timbre tient son or des célestes Luthiers, Et, nourris du fort miel des doctes confitures, La Santé, sous leur peau, couve ses églantiers. […] Verlaine tenait ce renseignement de Baju lui-même, mais je soupçonne fort ces voyages d’être un produit fertile de l’imagination·du jeune pince-sans-rire.

825. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Madame de Maintenon, témoin de la scène qui se passa entre eux, en parle ainsi à madame de Saint-Géran dans une lettre du 4 mai : « Le roi eut hier une conversation fort vive avec madame de Montespan. […] « On est ici dans la plus grande joie », écrivait le 7 août madame de Maintenon à madame de Saint-Géran ; « le roi a fait un fort beau présent à madame la dauphine. […] Le roi, fort affligé, se retira à Marly : madame de Maintenon l’y suivit. […] Il est fort probable que pour déterminer le roi à l’employer comme moyen, madame de Maintenon fit tout ce qu’elle put et laissa faire tout ce qui concourait à rendre l’obstacle assez puissant pour rendre le moyen nécessaire. […] La Chaise, ni les jésuites, ni le clergé tout entier ne seraient parvenus à la faire épouser si elle n’eût charmé le roi ; et il était fort possible que sans leur secours elle réussît par l’art uni à ses charmes.

826. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Ainsi toute la gentilhommière de Philiberte parle de son mieux la langue forte en gueule des farces de Molière, mêlée au mièvre jargon des petits-maîtres. […] La Pierre de touche J’aurai fort à dire et fort à reprendre sur la Pierre de touche, de MM.  […] L’amour est plus fort que la mort ; il est plus fort aussi que l’amitié. […] Cet homme assurément aimait fort la musique !

827. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Et, en effet, il estimait fort les cafés, et il en combine étrangement le style et le ton avec ces lambeaux de Tacite et des anciens. […] Dans cette brochure si exécrable d’esprit et de tendance, il y a des parties fort gaies en effet, et spirituelles ; il y a de la vraie verve. […] Il ne s’agit, selon lui, pour que Paris ressemble tout à fait à Athènes et que les forts du Port-au-Blé soient aussi polis que les vendeuses d’herbes du Pirée, il ne s’agit que de supprimer toute police et de laisser les colporteurs crier les journaux en plein vent. […] Camille, en effet, n’était qu’une plume, une verve et une pétulance faite pour rester au service d’une tête plus forte. […] Il ne s’en tient pas là, il demande ce qui serait arrivé si, au sortir de l’Assemblée, les membres qui avaient voté pour le décret avaient été assaillis par le peuple, qui leur aurait dit : « Vous venez de nous retrancher de la société, parce que vous étiez les plus forts dans la salle ; nous vous retranchons à notre tour du nombre des vivants, parce que nous sommes les plus forts dans la rue ; vous nous avez tués civilement, nous vous tuons physiquement. » Il est vrai que Camille ajoute que si le peuple avait voulu passer de la menace à l’effet, « si le peuple avait ramassé des pierres, il se serait opposé de toutes ses forces à la lapidation ».

828. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Je vous adresse des vérités respectueuses, mais hautes et fortes, et il est digne de vous de les entendre et d’en convenir. […] On sent partout sous sa plume les jets d’une nature forte et bouillante, et comme les éclats d’une voix qui ne demande qu’à gronder et à tonner. […] Dans une courte et fort digne lettre adressée au comte de Maurepas, ami de son père, et qui, à cette date, était de fait Premier ministre, Mirabeau réclame énergiquement sa délivrance et sa liberté. […] Mirabeau répondit à cette justice tardive de son père d’une manière touchante, en demandant, lui le prisonnier du fort de Ré, du château d’If, du château de Joux, du château de Dijon et du donjon de Vincennes, lui qu’on va porter en pompe au Panthéon, en demandant, à l’heure de la mort, d’être enterré à Argenteuil entre son aïeule et son père. […] J’espère que tu le trouveras fort clair et même à la portée des gens les plus illitérés : mais pense que je ne sais me faire entendre qu’aux esprits attentifs.

829. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

La tête, déjà forte, bien au-delà des proportions ordinaires, était encore grossie par une énorme chevelure bouclée et poudrée. […] Non pas que, dans sa vie besogneuse depuis sa sortie de Vincennes jusqu’à son entrée aux États généraux, Mirabeau, pour subvenir à ses besoins de tout genre, intellectuels et autres, n’ait eu souvent recours à des expédients dont on aimerait mieux que la fortune l’eût affranchi ; mais, en mainte circonstance notable, manquant de tout, lui homme de puissance et de travail, qui ne pouvait se passer à chaque instant de bien des instruments à son usage, lui qui était naturellement de grande et forte vie (comme disait son père), manquant même d’un écu, réduit à mettre jusqu’à ses habits habillés et ses dentelles en gage, il avait résisté à rien écrire qui ne fût dans sa ligne et dans sa visée politique, à prendre du moins les choses dans leur ensemble. […] Ce qui les perdra irrémédiablement, c’est d’avoir peur des hommes, et de transporter toujours les petites répugnances et les frêles attraits d’un autre ordre de choses dans celui où ce qu’il y a de plus fort ne l’est pas encore assez ; où ils seraient très forts eux-mêmes, qu’ils auraient encore besoin, pour l’opinion, de s’entourer de gens forts. […] Le lendemain de ses saillies parfois incendiaires et de ce qu’on a appelé ses hémorragies d’orateur, Mirabeau avait fort à réparer et à s’excuser du côté de la Cour, et il ne parvenait pas à s’y acquérir une confiance qu’on ne lui eût d’ailleurs jamais accordée qu’à demi.

830. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Il se lia fort avec M. de Lamoignon, garde des Sceaux, et le servit de ses avis et de sa plume dans ses plans hardis de réforme, relativement aux corps judiciaires et aux parlements. […] Aujourd’hui, lorsqu’on veut lire le recueil des discours prononcés par l’abbé Maury à l’Assemblée constituante, on est fort désappointé. […] Un autre effet plus grave, qu’il produisait quelquefois par ces excès de parti pris, était de rejeter plus fort vers la gauche des esprits que plus de modération eût pu rallier et concilier à sa cause. […] L’abbé Maury eut les inconvénients d’une organisation forte, pleine de besoins, avide de consommation et de jouissances. […] Il appellera gredin, un moment après, l’un des grands dignitaires de l’ordre de Malte ; mais, même ce terme de valet à part, toute cette doctrine brutale sur la prééminence absolue de l’Académie française paraissait fort étrange à M. de Maistre, qui savait de quels noms s’honoraient l’Académie des inscriptions et celle des sciences.

831. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

De même lorsqu’un de nos membres blessé se cicatrise, les organes froissés se reforment lentement, les tissus se fortifient, le sang reprend son cours, le membre redevient souple et fort. […] Et pour que des résultats directs s’en laissent apercevoir, il n’en faudrait pas beaucoup, je crois, apportant autant de puissance, de véracité, de grandeur intime et de forte humanité que ce chef-d’œuvre. […] Pour dominer la vie, il la déserte ; pour être fort, il se dépouille de ses puissances ; pour être pur, il se veut anormal. […] Le hors nature veut dominer l’homme de nature, l’atrophié veut être plus fort que le sain, le serf plus véridique que le libre, le stérile plus riche que le fécond, le malade plus sain que le vivant… Il suffirait, semble-t-il, d’un moment de réflexion dans une humanité moins enténébrée de tradition, pour saisir immédiatement l’absurdité d’une telle prétention. […] L’influence du prêtre sur notre époque, bien que fort restreinte, n’en est pas moins néfaste.

832. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

La nation ingénieuse, jadis si forte, qui depuis tant de siècles a perdu son indépendance, n’avait pu sentir si près d’elle un exemple de nouveauté et d’audace comme celui de la France, sans être tentée de reprendre toutes les ambitions de la vie publique. […] Bientôt cette voix, plus austère et plus forte, atteignit à la grandeur de l’ode politique, à l’autorité de l’anathème moral fulminé même contre la gloire par une éloquente poésie. […] L’Espagne, avec son ciel, ses monuments, sa langue sonore, était comme une seconde patrie où il se reconnaissait : son esprit s’en colorait ; sa voix harmonieuse et forte en prenait tous les accents. À ces impressions du premier âge et de la guerre, aux vicissitudes de la vie privée, allaient se mêler, pour cette forte imagination, les grands spectacles de la fortune et les dernières convulsions de la gloire. […] Mais que d’autres beautés grandes et fortes naissaient de sa puissance d’impressions !

833. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Ces nouvelles sont fort diverses de ton et d’allure. […] J’en reçus une impression très forte. […] On ne l’a jamais vu ni fort triste ni fort joyeux. […] Il les renvoya et leur tourna le dos, de fort méchante humeur. […] Sans me flatter, et pour le dire en passant, je m’y vis fort malmené.

834. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

pour leur mort Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ? […] Il n’y a rien de moins vivant que la tragédie ancienne, et la tragédie ancienne est fort belle. […] C’est une marée montante un peu forte. […] ou qui le rend si fort ? […] Il croyait fort aux devins, et c’était peut-être tout ce qu’il croyait.

835. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il serait pourtant téméraire d’affirmer que la face des choses n’eût pas pu devenir différente ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que la Révolution, avec les causes qui l’ont amenée et les passions qu’elle a employées ou soulevées, devait avoir cette marche et cette issue. » Sans doute, répondrai-je, cette marche, dans son ensemble, a dû être à peu près ce qu’elle a été, cette issue a dû être possible, et j’avouerai même qu’elle était fort probable. […] de ces deux solutions si conformes mais si diversement exposées du même problème historique, l’une figure à mon esprit le spectacle de ces constructions géométriques, à la fois élégantes et hardies, qui sont nées comme de toutes pièces dans la tête de l’inventeur ; l’autre plutôt me rappelle ces mouvements gradués d’une analyse moins ambitieuse, ces transformations qu’on quitte et reprend à son gré, et auxquelles, chemin faisant, l’esprit se complaît si fort, qu’il ne se souvient du but qu’à l’instant où il l’atteint. […] Qualités et défauts, tout lui vient d’elle : forte et complexe, féconde en rapports nombreux qu’elle embrasse dans une merveilleuse symétrie, il la représente et la peint aux yeux par l’ordonnance sévère de ses formes et le mécanisme régulier de ses balancements.

836. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

« La reine, écrivit ce jour-là madame des Ursins, a fort goûté toutes les règles de Saint-Cyr ; nos dames veulent les avoir, et je les fais traduire en espagnol pour leur donner cette satisfaction. […] Ils devraient, ce me semble, laisser leurs disputes jusqu’à ce que la paix générale fût faite, et ensuite recommencer leurs guerres civiles, s’arracher leurs bonnets de la tête, s’ils en avaient envie ; mais présentement nous avons des choses plus sérieuses ; et pour moi, j’ai si fort regardé ces deux partis avec indifférence, que je n’ai pas voulu presque en entendre parler, et que je cherche toujours mes confesseurs exempts de haine ou d’amitié pour eux. » Grâce à madame des Ursins et à la reine d’Espagne, princesse remplie de force et de prudence, l’intérieur de cette cour demeura libre de toute intrigue religieuse, quoique le roi Philippe méritât d’être appelé un grand saint ; et, malgré l’exemple de la France, on n’eut à s’occuper en Espagne que des soins de la guerre. […] Accablée de dettes elle-même, « en vérité, disait-elle encore, je croirais voler sur l’autel si je recevais du roi d’Espagne. » Qu’on ne l’accuse pourtant pas d’être meilleure Espagnole que Française ; elle vous répondra « qu’elle n’oublie pas sa nation, mais qu’elle a horreur de la voir avilir ; elle aime la France, mais comme une bonne mère fait de sa fille, qui ne la flatte pas sur ses défauts. » Aussi, tout en s’apitoyant de fort bonne grâce sur ce pauvre M. de Villeroy et sur ce bon M. 

837. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Mais dans leur recherche du positif, dans leur préoccupation exclusive d’un bien-être assurément fort désirable, les inventeurs et sectateurs des systèmes dont nous parlons se sont, dès l’abord, laissé emporter à un dédain peu motivé pour les droits politiques, les institutions et les garanties, objet de combat et de conquête depuis quarante ans : peu s’en faut qu’ils ne voient dans ces profitables luttes de simples querelles de mots. […] Lancés fort avant par leurs antécédents au sein de l’association saint-simonienne, ils en ont retenu beaucoup de considérations historiques et économiques, mais en les dégageant du mysticisme dans lequel on les avait noyées. […] Mais il est évident, quoiqu’il ne se soit pas expliqué fort longuement jusqu’ici sur ce dernier point, qu’il entend parler d’une théorie en partie neuve et d’une vue qui aurait échappé jusqu’ici aux divers organes de la presse quotidienne.

838. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Sans M. de Balzac, il est fort possible que M. de Bernard eût fort longtemps tâtonné avant de trouver son genre et de savoir exploiter sa veine. […] Eh bien, pour revenir à M. de Bernard, il pourra bien être, s’il le veut, l’Améric Vespuce de cette terre dont M. de Balzac est le Christophe Colomb ; oui, l’observation du monde des dix dernières années, il la possède ; ce fond nouveau de sensibilité, de coquetterie, d’art, de prétentions de toutes sortes, ce continent bizarre qui ressemble fort à une île flottante, il y a pied et n’en sort pas.

839. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

La raison forte, l’éloquence mâle peuvent choisir, peuvent s’éclairer dans ces développements où le cœur humain se montre avec abandon. […] L’amour paternel est plus vif chez les modernes ; et il vaut mieux sans doute qu’entre le père et le fils, celui des deux qui doit être le bienfaiteur, soit en même temps celui dont la tendresse est la plus forte. […] Revenons aux observations générales, aux idées littéraires, à tout ce qui peut distraire des sentiments personnels ; ils sont trop forts, ils sont trop douloureux pour être développés.

840. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

François Ier, comme s’il l’eût compris, encourage fort les traducteurs. […] Il ne l’explique point dogmatiquement : même dans ses dissertations, à plus forte raison dans ses Biographies, il peint ; il montre les individus, les actes, les petits faits qui sont la vie, les traits singuliers qui font les caractères. […] Après l’assassinat de Henri III, son diocèse fut fort troublé par les passions religieuses, et son clergé même se révolta contre lui : on l’accusait de trop de fidélité au roi.

841. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Comme le faisait remarquer naguère et fort à propos M.  […] Charles Maurras, qui consacra au Naturisme plusieurs études fort sympathiques (dans la Revue Encyclopédique, le Soleil, la Gazette de France), n’en ait pas admiré toute la pureté. […] S’il y a dans le style de nos modernes d’évidentes fautes de goût, cela tient surtout à leur mauvaise manière d’envisager le monde, et fort peu au mépris qu’ils ont eu pour les préceptes de Boileau-Despréaux.

842. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IX. Beltrame » pp. 145-157

On le voit représenté fort exactement en tête de sa Supplica imprimée à Venise en 1634 ; nous reproduisons ce dessin. […] Pantalon, qui a justement besoin de faire réparer une serrure, arrête au passage Cintio qui est fort embarrassé, d’autant que Mezzetin le poursuit de ses quolibets. […] C’est exactement l’expression métaphorique qu’emploie Trufaldin à la scène iv du premier acte de L’Étourdi : Et vous, filous fieffés, ou je me trompe fort, Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d’accord.

843. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

 ; ou : Il est maintenant superflu de louer ce livre, puisque la voix universelle déclare toutes les louanges fort au-dessous de son mérite, etc., etc. […] Du reste, ces hautes matières ne se rattachaient pas encore très visiblement au sujet de cet ouvrage, et il eût été fort embarrassé de trouver une liaison qui l’y conduisît, quoique l’art des transitions soit singulièrement simplifié depuis que tant de grands hommes ont trouvé le secret de passer sans secousse d’une échoppe dans un palais, et d’échanger sans disparate le bonnet de police contre la couronne civique. […] Comme il paraît qu’en ce siècle tout lumineux chacun se fait un devoir d’éclairer son prochain sur ses qualités et perfections personnelles, chose dont nul n’est mieux instruit que leur propriétaire ; comme, d’ailleurs, cette dernière tentation est assez forte, l’auteur croit, dans le cas où il y succomberait, devoir prévenir le public de ne jamais croire qu’à demi tout ce que les journaux lui diront de son ouvrage.

844. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Si Phèdre a voulu faire voir qu’une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse ; il y avait une grande quantité d’images ou d’allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. […] Plusieurs personnes ne semblent voir dans cet Apologue qu’une vérité triviale, que le faible est opprimé par le fort. […] Cela dut faire grand plaisir à ce Simonide, qui était fort avare.

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