/ 3159
778. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

N’entendra-t-on jamais que des blasphèmes contre une religion qui, déifiant l’indigence, l’infortune, la simplicité et la vertu, a fait tomber à leurs pieds la richesse, le bonheur, la grandeur et le vice ? […] Josué, Élie, Isaïe, Jérémie, Daniel, tous ces prophètes enfin qui vivent d’une éternelle vie, ne pourraient-ils pas faire entendre dans un poème leurs sublimes lamentations ?

779. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

    Vous m’entendez, je vous entends,     Il suffit. […] On entend les voix aigres des péronnelles sous ces métaphores expressives et proverbiales. […] Il faut avoir vu les pauvres gens qui vont faire du bois pour entendre ce mot : couvert de ramée ; On y envoie les vieillards ; les enfants, les femmes, tous ceux qui ne sont capables que d’un petit travail. […] On entendit, à son exemple, Rugir en leur patois Messieurs les courtisans. […] La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons, Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière, Entendit une fourmilière.

780. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Il est des inspirations presque divines qui ne nous séparent jamais de la vertu, et qui sont entendues de tous les hommes. […] Ses collègues, encore assis autour de la table verte, s’étonnent de le revoir ; mais il reprend sa place malgré leurs clameurs, et demande à être entendu. […] d’entendre enfin celui que les promesses ne purent séduire, que la pauvreté ne put corrompre, et que les menaces trouvèrent insensible ! […] On n’y entend que des cris de joie, des gazouillements et des ramages inconnus de quelques oiseaux des terres australes, que répètent au loin les échos de ces forêts. […] Mais ce silence est plus éloquent que des phrases: voilà le style sans style, le murmure du cœur muet de paroles, mais qui n’a pas besoin de paroles pour être entendu.

781. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Mais, en sortant du temple, il aperçoit un esclave qui en sort aussi, et il entend chanter un corbeau à gauche. […] Il croit entendre l’aveu du vol de la marmite. […] car s’il oubliait un instant qu’elle est là, on entendrait sa voix importune s’élever dans la salle du festin. […] Par là, je n’entends pas la sensualité seulement, mais aussi l’égoïsme. […] xxxi) parle avec enthousiasme d’une leçon de William Schlegel qu’elle a entendue à Vienne.

782. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

» répéta après moi la plus jeune, la plus douce, la plus timide voix de quinze ans, celle que je n’ai entendue que ce soir-là, que je n’entendrai peut-être jamais plus. […] XVIII Je pense sur la critique deux choses qui semblent contradictoires et qui ne le sont pas : 1° Le critique n’est qu’un homme qui sait lire, et qui apprend à lire aux autres ; 2° La critique, telle que je l’entends et telle que je voudrais la pratiquer, est une invention, une création perpétuelle.

783. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Vous m’avez invité à entendre votre pièce en qualité de critique ; par là (soyons de bonne foi), vous avez sollicité mon jugement sur elle et m’avez signifié implicitement que vous m’autorisiez à le produire, quel qu’il fût, — à la seule condition qu’il ne portât que sur votre ouvrage et qu’il demeurât purement littéraire. […] Il ne vous a pas suffi de contester, comme vous le pouviez, dans quelque journal ou dans quelque brochure, la justesse de mes critiques ; vous avez prétendu me confondre dans cette Revue même, et vous avez voulu m’y discréditer par des insinuations désobligeantes sur des faits entièrement étrangers à notre différend : j’entends mes relations personnelles avec la Comédie-Française. […] votre récente victoire a dû vous détendre), je vous répéterais, sans ombre d’ironie, ce que je disais il y a un an : « La susceptibilité des hommes de lettres est, quand on y réfléchit, bien misérable… Pourquoi tant souffrir d’appréciations qui ne nous atteignent ni ne nous diminuent dans ce qui nous devrait seul importer, j’entends notre valeur morale ?

784. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

J’entends bien que chaque Poète ne crée pas à nouveau l’univers, mais il le crée en partie pour ceux qui savent le lire et le compléter ; il le créerait totalement si son œuvre était l’Œuvre définitive à laquelle toute l’humanité travaille, et il peut même en donner une image complète dans le domaine restreint qu’il s’est choisi, si, en ces justes limites, son œuvre est parfaite. […] Cet état d’enthousiasme où l’âme entend soudain le vivant tressaut d’elle-même est une des plus nobles attitudes de l’homme et tout être capable de comprendre la beauté a dû le connaître au moins une fois. […] M. de Régnier, de plus en plus penché vers une grave mélancolie, entendait la voix de la Tristesse lui parler ; parmi les amertumes et les brutalités que lui annonçait la vie, il dut sentir trop frêle son âme nouveau-née et c’est peut-être pour la protéger qu’il voulut l’envelopper dans les plis rigides de son Art.

785. (1890) L’avenir de la science « IX »

La logique entendue comme l’analyse de la raison n’est qu’une partie de la psychologie ; envisagée comme un recueil de procédés pour conduire l’esprit à la découverte de la vérité, elle est tout simplement inutile, puisqu’il n’est pas possible de donner des recettes pour trouver le vrai. […] Je n’entends point que ce soit là une critique. […] Villemain écrivait à Geoffroy Saint-Hilaire, après avoir lu la partie générale de son Cours sur les Mammifères : « L’histoire naturelle ainsi entendue est la première des philosophies. » On pourrait en dire autant de toutes les sciences, si elles étaient traitées par des Geoffroy Saint-Hilaire.

786. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Japonisme » pp. 261-283

Enfin un jour, Hayashi, en train de visiter ma collection, tirait l’écritoire d’un tiroir, et je voyais ses doigts pris d’un tremblement religieux, comme s’ils touchaient une relique, et je l’entendais, le Japonais, me dire d’une voix émotionnée : « Vous savez, vous possédez là une chose… une chose très curieuse… une chose fabriquée par un des quarante-sept ronins !  […] À ce moment, il entendit la voix de ses enfants, et sa femme qui leur disait très bas : — « Ne faites pas de bruit, mes petits ; votre papa n’est pas bien, vous le dérangeriez. […] * * * C’est alors que Kotsuké (celui qui a commis un grand forfait, entend dans le trottinement d’une souris les pas du vengeur), tout à fait rassuré par l’indignité de la vie de son ennemi, se relâchait de la surveillance qu’il faisait exercer autour de son habitation, renvoyait une partie de ses gardes.

787. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Ils s’obstinent à ne vouloir point parler la même langue ; ils n’ont d’autre langage que le mot d’ordre à l’intérieur et le cri de guerre à l’extérieur : ce n’est pas le moyen de s’entendre. […] Ici, du moins, les adversaires peuvent espérer de s’entendre, parce qu’ils en sont dignes. […] L’esprit des peuples, en un religieux silence, entend longtemps retentir de catastrophe en catastrophe la parole mystérieuse qui témoigne dans les ténèbres : Admonet, et magna testatur voce per umbras.

788. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Ne faut-il pas entendre uniquement que c’est à l’orateur à prendre pour règle les dispositions des auditeurs, ou bien le dégré de leurs lumières ? […] Après avoir disputé longtemps, on vit que rien n’étoit éclairci, que personne ne s’étoit entendu. […] Plusieurs n’alloient l’entendre au collège royal que par esprit de plaisanterie & d’oisiveté.

789. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Quatrième faculté d’une Université. Faculté de théologie » pp. 511-518

J’entends par ses fonctions publiques, tout ce qui appartient à l’administration des sacrements, à la célébration des saints offices, aux cérémonies de l’Église, à la prédication et au chant. […] Le second professeur en hébreu prendrait ses étudiants après quelques mois de leçons de grammaire hébraïque, alors ils en sauraient assez pour entendre son explication littérale de la Bible. […] Dans une contrée où le culte oblige à la confession, qui est assez bonne quand elle est faite par un pénitent sincère et entendue par un honnête homme, et où l’on va demander au premier venu l’absolution qui est toujours mauvaise, il faut deux professeurs de la science des conseils, du jugement des actions et de la nature des réparations et expiations.

790. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Aucun procédé, aucun effort de volonté, aucune de ces comédies intérieures que l’homme se joue et qu’il appelle de l’art, n’a pu donner à l’auteur, de ces souvenirs d’Asie l’accent brisé et doux de bonheur impossible qu’on entend, mais qui ne gémit pas, sous ses phrases écrites, dirait-on, par une signora Pococurante, dans le calme et l’indifférence, ni lui faire composer à loisir ce parfum subtil qui s’en échappe et vous enveloppe bientôt tout entier… Mme de Belgiojoso a-t-elle jamais été une femme littéraire ? Nous croyons l’avoir entendu dire, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’aujourd’hui elle ne l’est plus. […] De toutes les questions que ce qu’elle voit peut remuer, elle n’en remue vraiment aucune, et elle décline même avec un mouvement charmant et une modestie qui pourrait être l’orgueil bien entendu de la femme, sa compétence à les traiter.

791. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

I C’est l’écrivain religieux, bien entendu, qu’on cherchera ici et qu’on va y trouver sous le nom de Silvio Pellico ; car, de volonté ou de nature, Silvio Pellico est un écrivain religieux, et même, à tort ou à raison, une influence pour certaines âmes. […] C’était un langage inconnu il est vrai, à la plupart de ceux qui ont fait entendre aux hommes l’éloquence de leurs chaînes et qui se sont bâti un palais de publicité avec les murs de leur prison. […] Pour la première fois donc il sortait de ce soupirail par lequel avaient passé tant de cris furieux ou sinistres une voix fraîche et pieuse, comme Dieu, en se penchant vers nous, en entend au pied de l’autel.

792. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Silvio Pellico29 [Le Pays, 6 août 1857] I C’est l’écrivain religieux, bien entendu, qu’on cherchera ici et qu’on va y trouver sous le nom de Silvio Pellico, car de volonté ou de nature, Silvio Pellico est un écrivain religieux et même, à tort ou à raison, une influence pour certaines âmes. […] C’était un langage inconnu, il est vrai, à la plupart de ceux qui ont fait entendre aux hommes l’éloquence de leurs chaînes, et qui se sont bâti un palais de publicité avec les murs de leur prison. […] Pour la première fois donc, il sortait de ce soupirail par lequel avaient passé tant de cris furieux ou sinistres une voix fraîche et pieuse, comme Dieu, en se penchant vers nous, en entend, au pied de l’autel.

793. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Francis Lacombe »

Or, l’entendre ainsi est une duperie. […] On aura remplacé des réunions anarchiques où le peuple s’occupe d’idées qu’il n’entend pas, par des réunions d’ordre et de liberté où il s’occupera de ses intérêts, qu’il entend très bien.

794. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Victor Hugo, qui allait être l’Enfant du génie, et M. de Lamartine, qui en était déjà le beau jeune homme, n’avaient pas encore fait entendre, le premier, ces cris sublimes qui ravissaient d’enthousiasme l’âme maternelle de Mme de Staël ; le second, ces soupirs du jeune homme plus puissants que les cris de l’enfant et qui enchantèrent toutes les femmes. […] Quand je dis que M. de Vigny est le Racine du Romantisme, je n’entends nullement établir de comparaison et de hiérarchie entre la littérature du xviie  siècle, qui est une chose, et celle du xixe  siècle, qui en est une autre. […] Et se dire que jamais, depuis cette incomparable poésie, écrite en 1823 (sept ans avant la Rénovation poétique de 1830), nous n’avons rien vu de cette nuance ni rien entendu de ce roucoulement !

795. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

La Critique n’a jamais dit nettement, et assez nettement pour n’y pas revenir, ce qu’elle entend par ce majestueux mot d’épique qui renferme la suprême qualité pour le poème, l’éloge suprême pour son auteur. […] Il y a un chant dans le poème qui est intitulé Le Dépouillement des Cocons, où les compagnes de Mirèio, réunies en un Décaméron laborieux et charmant, commèrent ensemble et rêvent tout haut, dans un dialogue étincelant d’images, et cette peinture dramatique de chacune d’elles montre, par le magnifique dialogue qu’elles tiennent, comme le poète entend la nuance qui diversifie ces fronts de vierge dans l’unité de la beauté et de la pudeur. […] Frédéric Mistral, qui n’entend nullement être un patoisant, et dont le génie d’expression était assez fier cependant pour avoir l’insouciance d’une question pareille, bête comme une personnalité, M. 

796. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Que si la tristesse est aussi pour lui, elle est encore plus pour l’époque qui ne l’entend plus ou qui l’entend avec indifférence. […] De pareils vers eussent fait pleurer Wordsworth s’il les avait entendus.

797. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Un pâtre, endormi sur sa tombe, s’était mis à chanter dans le sommeil ; et les bergers accourus pour l’entendre, ayant, de leur foule tumultueuse, renversé la colonne qui portait l’urne funèbre, le soleil avait vu les restes d’Orphée. […] Voilà ce que Pausanias, au second siècle de notre ère, entendait raconter par son hôte de Larisse. […] Alcman, le maître de la lyre à Sparte, celui qui fit entendre dans cette rude et guerrière cité la seule harmonie que, permettaient ses magistrats, était Lydien de naissance et semblait apporter à Lacédémone, vers le milieu du septième siècle avant notre ère, un art dont la ville de Lycurgue aurait dû se défier.

798. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Nous n’entendons que le bruit total. […] Le meunier n’entend plus le bruit de son moulin. […] Tous ne l’entendent pas de la même manière. […] Mais ce mot peut être entendu dans des sens différents. […] Il faut définir ces mots, car on s’entend difficilement.

799. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

On aime à l’entendre proclamer la félicité de notre dernier siècle, et on sourit en songeant que c’est celui même duquel nos littérateurs instruits d’il y a trente ans s’accordaient à parler comme d’une époque presque barbare. […] Expliquons-nous bien comment Naudé entendait la bibliothèque. […] Son esprit se déclare dans les motifs de ses choix ; il veut qu’on ait en chaque matière controversée le pour et le contre, afin d’entendre toutes les parties234 : ce sont des couples de lutteurs enchaînés qu’on ne sépare pas. […] Morcau se vend à la foire, j’entends les livres de philosophie, d’humanités et d’histoire. […] Pour lui, il tient à prouver aux habiles que, bien qu’homme d’étude, il entend aussi le fin du jeu.

800. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Ainsi entendue, la Poésie fut très postérieure à la forme du vers — qu’elle n’implique pas nécessairement — et aux écrivains qu’on nomme les poètes. […] N’entendons-nous point la voix aimée du Maître, et qu’elle nous dit : « Tous les arts ont une fin commune : tous ne valent que s’ils y travaillent. […] Je crois entendre la voix de Wagner, adressant à l’Art de notre temps ces ingénieuses demandes. […] Mais voici que j’entends, la voix de l’Éternelle Sagesse, de la tout-voyante Isis, en ma faveur dévoilée. […] Nous ne pourrons donc l’entendre que lorsqu’enfin le public comprendra que ce n’est qu’à Bayreuth, dans des représentations de fête, que peut être donné le Ring.

801. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Il sera entendu que la direction est la même, du moment qu’on est convenu de dire que ce sont des progrès. […] Répétons, une fois de plus, que la nature n’a rien voulu, si l’on entend par volonté une faculté de prendre des décisions particulières. […] Longtemps il avait été entendu qu’industrialisme et machinisme feraient le bonheur du genre humain. […] Mais, dans quelque sens qu’on l’entende, il n’y a pas de bonheur sans sécurité, je veux dire sans perspective de durée pour un état dont on s’est accommodé. […] On a raison, si l’on entend par là que nous laissons dormir depuis notre enfance des dispositions naturelles, et qu’il nous serait difficile de les réveiller à un certain âge.

802. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Seulement, il faudrait s’entendre. […] Elle n’entendait rien à tout cela ; lui n’entendait rien à autre chose. […] C’est entendu, c’est acquis à l’histoire. […] Mais il y avait à entendre de la musique de M.  […] Jamais, vous entendez.

803. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Un soir, les Sarrasins lui lancent à plusieurs reprises le feu grégeois, qui avait quelque chose de magique et de diabolique à ses yeux comme aux yeux de tous ceux de l’Occident : Toutes les fois que notre saint roi entendait qu’ils nous jetaient le feu grégeois, il se dressait en son lit et tendait les mains vers Notre Seigneur, et disait en pleurant : « Beau sire Dieu, garde-moi mes gens !  […] Il est bientôt débarqué et amené par l’amiralag, qui le fait chevaucher à côté de lui, jusqu’au lieu où étaient saint Louis et les autres prisonniers ; c’était un grand pavillon où les barons étaient et plus de dix mille personnes avec eux : « Quand j’entrai dedans, nous dit-il, les barons firent tous si grande joie, qu’on ne pouvait rien entendre ; et ils en louaient Notre-Seigneur, disant qu’ils croyaient m’avoir perdu. » — On trouvera peut-être que c’est là une joie bien prompte et bien vive après les pleurs et au milieu encore des plus grandes angoisses. […] Joinville avoue que, pour lui, en un tel moment, il aurait cherché en vain de quoi se confesser, il ne se souvenait d’aucun péché ; il se contente de faire le signe de la croix et s’agenouille devant un des Sarrasins qui tient une hache, en disant : « Ainsi mourut sainte Agnès. » Cependant un chevalier, son voisin, qui se souvient mieux de ses péchés, se met, faute de prêtre, à se confesser à lui Joinville, et celui-ci, après l’avoir entendu, prononce la formule : « Je vous absous de tel pouvoir comme Dieu m’a donné. » — « Mais quand je me levai de là. ajoute-t-il avec innocence, il ne me souvint plus jamais de chose qu’il m’eût dite ni racontée. » J’omets quantité d’anecdotes caractéristiques de cette croisade et qui sont devenues célèbres depuis Joinville. […] Saint Louis assemble son conseil un dimanche (19 juin 1250) : ce conseil se compose de ses frères, du comte de Flandre et autres seigneurs et barons ; il leur expose que sa mère le rappelle en France, où les affaires du royaume le réclament ; que, d’un autre côté, les chrétiens d’Orient ont encore besoin de lui, et que, s’il part, tous ceux qui sont à Acre voudront partir également ; et, les priant d’y réfléchir, il les remet à huitaine pour entendre leur avis. […] Le mot de prud’homie comprenait toutes les vertus, la sagesse, la prudence et le courage, l’habileté au sein de la foi, l’honnêteté civile et le comme il faut, tel que l’entendait cette race des vieux chrétiens dont Joinville est pour nous le rejeton le plus fleuri, et l’on définirait bien cet ami de saint Louis, qui resta un vieillard si jeune de cœur et si frais de souvenirs, en disant qu’il fut le plus gracieux et le plus souriant des prud’hommes d’alors.

804. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Mais au moment où ce défaut sommeille, en ces instants reposés où il redevient Italien, Milanais, ou Parisien du bon temps ; quand il se trouve dans un cercle de gens qui l’entendent, et de la bienveillance de qui il est sûr (car ce moqueur à la prompte attaque avait, notez-le, un secret besoin de bienveillance), l’esprit de Beyle, tranquillisé du côté de son faible, se joue en saillies vives, en aperçus hardis, heureux et gais, et en parlant des arts, de leur charme pour l’imagination, et de leur divine influence pour la félicité des délicats, il laisse même entrevoir je ne sais quoi de doux et de tendre dans ses sentiments, ou du moins l’éclair d’une mélancolie rapide : Un salon de huit ou dix personnes aimables, a-t-il dit, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi73, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. […] En cette année de Marengo et quinze jours auparavant, il assista à Ivrée à une représentation du Matrimonio segreto, de Cimarosa : ce fut un des grands plaisirs et une des dates de sa vie : « Combien de lieues ne ferais-je pas à pied, écrivait-il quarante ans plus tard, et à combien de jours de prison ne me soumettrais-je pas pour entendre Don Juan ou le Matrimonio segreto ! […] Cette conversation française, telle qu’un étranger peut l’entendre tous les jours au café de Foy et dans les lieux publics, me paraît le commerce armé de deux vanités. […] Il regrette surtout l’âge d’or de l’Italie, celui des Laurent le Magnifique et des Léon X, les jeunes et beaux cardinaux de dix-sept ans, et le catholicisme d’avant Luther, si splendide, si à l’aise chez soi, si favorable à l’épanouissement des beaux-arts ; il a le culte du beau et l’adoration de cette contrée où, à la vue de tout ce qui en est digne, on prononce avec un accent qui ne s’entend point ailleurs : « O Dio ! […] Je n’entre pas dans le point particulier du débat, et je n’examine point s’il entendait parfaitement l’idée de l’école saint-simonienne du Producteur qu’il avait en vue alors ; je note seulement qu’il revendiquait la part éternelle des sentiments dévoués, des belles choses réputées inutiles, de ce que les Italiens appellent la virtù.

805. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

La vie ne s’est montrée pour moi que trop dure depuis que je t’ai entendue pour la dernière fois. […] — J’entendis la cloche sonner pour ton jour de funérailles ; je vis le corbillard qui t’emportait lentement, et dans ma chambre d’enfant, me détournant de la fenêtre, je poussai un long, long soupir, et je pleurai un dernier adieu… Mais est-ce bien le dernier ? […] Ils voient peu de monde, ce qui me convient parfaitement ; à quelque moment que j’y aille, je trouve une maison pleine de paix et de cordialité dans tout ce qui la compose, et je suis sûr de n’y entendre aucune médisance, mais, au lieu de cela, un sujet d’entretien qui nous rend meilleurs. — Cette femme, écrit-il encore de Mme Unwin, est une bénédiction pour moi, et je ne la vois pas de fois que je ne devienne meilleur dans sa compagnie. Timide et effarouché aisément comme il l’était, il avait toujours demandé au ciel, en sortant de Saint-Alban, qu’il plût à la Providence de lui procurer un appui et une assistance de cette sorte, une mère enfin : « Qu’on est heureux, s’écriait-il, de pouvoir penser avec une ferme confiance que nos demandes sont entendues, au moment même où nous les faisons !  […] Le ver, avant pris garde à son intention, le harangua ainsi très éloquemment : « Si vous admiriez ma lampe, lui dit-il, autant que moi votre art, ô ménestrel, vous auriez horreur de me faire du mal autant que moi d’attenter à votre chanson ; car c’est la même puissance divine qui nous a appris, vous à chanter et moi à briller, afin que vous avec votre musique, moi avec ma lumière, nous puissions embellir et réjouir la nuit. » Le chanteur entendit cette courte harangue, et, gazouillant son approbation, il le laissa, comme le dit mon histoire, et il alla trouver un souper quelque part ailleurs.

806. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Il nous le décrit à la ronde, semant sa course plus libre de mille impressions qui tiennent soit aux accidents agrestes du terrain, soit aux sons qu’il entend et auxquels il est des plus sensibles, soit à la couleur variée des arbres qu’il distingue et spécifie par toutes leurs nuances ; la vie, l’intérêt, une passion tendre et profonde se fait sentir sous toutes ces descriptions desquelles on ne peut pas dire qu’il s’y amuse, mais bien plutôt qu’il en jouit. […] Pour le lire comme il faut et pour bien entendre toutes ses cordes, et aussi pour se bien rendre compte du grand succès de son poème dès qu’il parut, il convient de se rappeler les événements de ces années, la guerre d’Amérique dont l’issue humiliait l’Angleterre, les débats passionnés du Parlement, les triomphes et les crimes dans l’Inde, les premiers efforts de Wilberforce pour l’affranchissement des noirs, les dilapidations et le désordre dans les plus hauts rangs et l’inconduite du jeune prince de Galles : Cowper, en ses moments lucides et tandis qu’il composait La Tâche, voyait tout cela de loin, en gros, mais avec bien de la curiosité et de l’ardeur : « Oh ! […] Quelque corde à l’unisson avec ce que nous entendons, est touchée au-dedans de nous, et le cœur répond. […] Quel que soit le lieu où j’aie entendu une mélodie pareille, la scène m’en revient à l’instant, et avec elle tous ses plaisirs et toutes ses peines. […] Il lui semblait, au milieu de toutes ses méditations et de ses soliloques spirituels, entendre toujours une voix fondamentale et profonde, qui lui criait : « C’en est fait de toi, tu es perdu !

807. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

M. de Pontmartin dut voir souvent là, à ce foyer hospitalier et intime, le Lamennais dès longtemps déchu et non pas moins intéressant à entendre ; et je suis étonné qu’il se soit plu depuis à nous représenter « la société polie, sans acception de culte ou de croyance, laissant M. de Lamennais tomber de chute en chute dans le trou à fumier de l’impiété démagogique. […] Enfin, après une vague et partiale peinture de l’état des Lettres sous les divers régimes qui se sont succédé depuis cinquante ans, et encore sous le coup de la Révolution de Février, qui le préoccupe extraordinairement, et qui n’a été, après tout, qu’une révolution plus ou moins comme une autre, il en vient à établir son principe et à proclamer son spécifique littéraire, — le mot peut paraître assez naïvement choisi : « Il fallait, s’écrie-t-il, il fallait (au lendemain de cette Révolution) proclamer le spiritualisme chrétien dans l’art, comme le seul spécifique assez puissant pour le guérir (pour guérir l’art, entendons-nous bien), comme la seule piscine assez profonde pour le laver de ses souillures. » Remarquez-vous comme ces esprits chastes, sitôt qu’ils se mêlent de critique, sont continuellement préoccupés et remplis d’immondices et de souillures ? […] Je ne mettrai pas d’insistance à me défendre, car c’est bien moi qui représente cette neutralité que j’aimerais aussi entendre appeler tantôt impartialité, et tantôt curiosité d’intelligence et d’observation. […] Je n’ai pas voulu indiquer autre chose, et je suis persuadé que pas un de ceux qui entendent ces matières ne rira de moi. […] Mais Aurélie a entendu les paroles de son père ; et après cela, je le demande, est-elle libre ?

808. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Fromentin le sait bien ; tout en usant des acquisitions pittoresques modernes et du droit de détail qui est le nôtre, il se rattache néanmoins par des traits essentiels et par l’esprit à la grande école des Anciens, Lucrèce, Virgile, et à celle, je le répète, de Bernardin de Saint-Pierre, discrètement entendue. […] Puis tout à coup, sur un terrain plus rude et franchement stérile, sur un sol pierreux où croissent le romarin et l’absinthe et où s’agite et rampe tout un peuple de lézards, de scorpions et de vipères, il entend les alouettes, et des alouettes de France, et des rouges-gorges aussi, ces « autres chanteurs d’automne, qui leur répondent du haut des amandiers sans feuilles ». […] Pénétrer plus avant qu’il n’est permis dans la vie arabe, me semble d’une curiosité mal entendue. […] et j’entends le bruit des ses ailes, tant le silence qui se fait autour de moi est grand ! […] On n’entend plus rien.

809. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

On dira, à un moment, qu’il avait baissé ; il le donnera à entendre lui-même dans sa méfiance et son esprit de mortification ; ce n’était pas exact : son esprit n’avait pas baissé, mais son initiative, lente de tout temps, s’était ralentie encore. À tous les embarras dont le principe était en lui, il faut en ajouter un des plus singuliers et pour le moins égal : le duc de Savoie avait changé de parti ; il était en sa qualité de prince souverain le général en chef de toute l’armée, quand il y était présent ; mais il faisait toujours le même métier, un métier double ; il n’y allait pas franchement ; il s’entendait sous main avec le parti contraire et dénonçait, dit-on, nos mouvements à l’ennemi, bien que résolu dans le même temps de se battre en brave dans nos rangs et à notre tête. […] Il continuait d’ailleurs de conférer et de s’entendre en tout avec les généraux et vivait sur le meilleur pied avec eux. […] Une des curiosités de Bayle était de savoir si ces lettres étaient bien authentiques ; il en écrivit à son correspondant de Paris, l’avocat Matthieu Marais : on lui répondit que la famille les désavouait ; mais ce désaveu tout verbal ne prouvait qu’une seule chose : c’est que la famille n’entendait pas être responsable ni complice de l’impression. […] Ceux qui l’ont entendu, ont gardé le meilleur souvenir de cet Éloge véridique et approprié au sujet ; des allusions à nos récentes victoires d’Italie fournirent d’heureux mouvements à l’orateur.

810. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Cependant les termes y sont, et il est impossible de ne pas en être frappé comme d’éclairs avant-coureurs : « Il y a bien des mois que je n’entends rien de vos lectures, de vos applications : je ne vois plus rien là-dessus de l’abbé, qui tous les mois aurait dû m’envoyer vos amusements utiles et raisonnables ; tout cela me fait trembler : je vous vois aller avec une certaine sûreté et nonchalance à grands pas à vous perdre, au moins à vous égarer […] Le peu que j’entends des affaires me fait voir qu’il y en a de fort difficiles et embarrassantes. […] Marie-Thérèse voudrait à la fois que la jeune reine eût de la discrétion et de l’influence, qu’elle ne s’ingérât point dans les affaires, mais qu’elle y entrât doucement et s’accoutumât à les bien entendre : « Je vous recommande toujours la lecture, unique moyen pour nous autres, et pour former nos idées et cœurs. […] L’auguste mère voudrait donc qu’auprès du roi il y eût une épouse, compagne constante, amie fidèle, confidente sûre, entendue aux affaires, capable de raisonner de tout avec lui, et, au besoin, de le soulager, peut-être même de prendre à certains moments un ascendant salutaire. […] Ce critique, en se nommant, s’est fait connaître à moi comme un esprit sérieux et même sévère, qui n’entend pas badiner en matière morale ou historique.

811. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Il s’agit ici, en effet, de ces questions sur lesquelles la providence (j’entends par ces mots l’ensemble des conditions fondamentales de la marche de l’univers) a voulu qu’il planât un absolu mystère. […] Aucun fait historique de ce genre n’est prouvé ni dans le présent, ni dans le passé, — j’entends prouvé sérieusement, d’une de ces preuves qui excluent toute chance d’erreur, — d’une de ces preuves comme celles que M.  […] Dans un écrit intitulé : Pour la dernière fois, il fit entendre sa plainte doucement résignée : « Je ne suis pas stoïcien, dit-il, et je n’ai jamais nié que la douleur fût un mal. […] Une voix est en nous, que seules les bonnes et grandes âmes savent entendre, et cette voix nous crie sans cesse : « La vérité et le bien sont la fin de ta vie ; sacrifie tout le reste à ce but » ; et quand, suivant l’appel de cette sirène intérieure, qui dit avoir les promesses de vie, nous sommes arrivés au terme où devrait être la récompense, ah ! […] Nous entendrons toujours ces sages paroles qui semblaient, par leur calme gravité, venir du fond d’un tombeau, et nous dirons pour finir par une grande pensée de lui : « Le temps, qui est beaucoup pour les individus, n’est rien pour ces longues évolutions qui s’accomplissent, dans la destinée de l’humanité.

812. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Il veut faire entendre qu’un accord si court, observé de part et d’autre, était quasi un miracle entre princes, eu égard à la fidélité et à la bonne foi courante du temps. — Ainsi encore, quand le prince de Condé est prisonnier à Vincennes en mai 1617, ce prince est un peu étonné de voir la princesse sa femme venir adoucir, en les partageant, les rigueurs de sa prison. […] Bazin fait entendre de la sorte certaines choses, mais il ne les dit pas. […] Bazin historien ou biographe, un défaut qui ne laisse pas d’impatienter les lecteurs francs qui n’entendent rien à toutes ces ruses, c’est qu’il ne cite jamais ses sources ni ses auteurs, lui qui en fait un usage si scrupuleux pourtant, si exact et si fait pour défier la confrontation. […] Il avait eu soin de réaliser pour lui de longue main toutes ces conditions de flânerie heureuse (y compris, bien entendu, le célibat) ; et, comme ce flâneur encore qu’il a si bien décrit, il complétait la ressemblance par la crainte des visites qui retiennent chez lui l’honnête homme qui veut sortir. […] Là où il était le mieux à rencontrer et à entendre, le plus à son avantage peut-être, c’était au Cercle des Arts, son lieu d’habitude, où il venait tard et où il se plaisait assez à parler quand un petit nombre de gens d’esprit l’environnaient.

813. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Cette vérité, c’est qu’il n’y a qu’une, une seule constitution (entendez-vous bien ?) […] Je ne citerai de sa Théorie du pouvoir que deux ou trois endroits remarquables, et qui peuvent s’entendre sans recourir à la formule. […] Il n’entendait pas restreindre moins rigoureusement les arts du dessin ; il était sans pitié pour les statues : « Gouvernements, s’écriait-il, voulez-vous accroître la force de l’homme ? […] Michaud, vous devez être content, il y a de l’esprit dans notre journal. » — « Oui, répondit l’ami de M. de Bonald, et c’est précisément ce que je n’y aime pas : il y a toujours quelque chose de satanique dans l’esprit. » On croit entendre M. de Bonald lui-même. […] Mais, à côté de ces travers tout à fait désagréables du dialecticien, on aime à dégager de belles et justes pensées comme celle-ci, qu’il ne faut pas que la loi conspire avec les passions de l’homme contre sa raison  : « Ainsi, du côté que l’homme penche, la loi le redresse, et elle doit interdire aujourd’hui la dissolution à des hommes dissolus, comme elle interdit, il y a quelques siècles, la vengeance privée à des hommes féroces et vindicatifs. » La conclusion de ce traité Du divorce, adressée sous forme d’allocution aux législateurs du Code civil, est d’une grave et réelle éloquence ; l’âme de l’homme de bien et du bon citoyen s’y fait jour par des accents qui ne se laissent pas méconnaître ; on y entend ce cri vertueux et ce vœu de réparation qui s’élève de la société après chaque grand désordre, et qui ne demande qu’à être régulièrement dirigé : Commandez-nous d’être bons, et nous le serons.

814. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Et parlant du grand ouvrage que Montesquieu préparait depuis vingt ans, M. d’Argenson ajoutait : J’en connais déjà quelques morceaux qui, soutenus par la réputation de l’auteur, ne peuvent que l’augmenter ; mais je crains bien que l’ensemble n’y manque, et qu’il n’y ait plus de chapitres agréables à lire, plus d’idées ingénieuses et séduisantes, que de véritables et utiles instructions sur la façon dont on devrait rédiger les lois et les entendre… Je lui connais tout l’esprit possible ; il a acquis les connaissances les plus vastes, tant dans ses voyages que dans ses retraites à la campagne ; mais je prédis encore une fois qu’il ne nous donnera pas le livre qui nous manque, quoique l’on doive trouver dans celui qu’il prépare beaucoup d’idées profondes, de pensées neuves, d’images frappantes, de saillies d’esprit et de génie, et une multitude de faits curieux, dont l’application suppose encore plus de goût que d’étude. […] En tête de son second volume et comme à mi-chemin (la première édition de L’Esprit des lois se fit à Genève en deux volumes), il avait dessein d’abord de placer une Invocation aux Muses selon le mode antique : Vierges du mont Piérie, entendez-vous le nom que je vous donne ? […] On citera de Montesquieu, sans doute, tel chapitre où il avertit le législateur en France qu’il ne faut pas tout corriger, et combien il faut être attentif à ne point changer l’esprit général d’une nation16 ; il rapproche les Français des Athéniens, et fait entendre qu’avec les qualités et les défauts, ils doivent rester ce qu’ils sont. […] « J’entends, disait l’illustre auteur, quelques frelons qui bourdonnent autour de moi ; mais, si les abeilles y cueillent un peu de miel, cela me suffit. » Montesquieu vécut six années encore : il était vieilli avant le temps. […] Ajoutez-y ce léger accent gascon qu’il avait conservé, et vous croirez entendre Montesquieu.

815. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Je lui ai moi-même entendu raconter que, durant les premières années de son séjour à Paris, il lui était arrivé cent fois de rester plus d’un quart d’heure dans son fiacre avant de parvenir à se décider sur la maison où il devait se faire conduire d’abord. […] Necker, j’ai trouvé que c’était un casse-tête » ; et dont Voltaire écrivait dans le même temps : « Vous qui parlez, avez-vous lu le livre de Necker, et si vous l’avez lu, l’avez-vous entendu tout courant ?  […] L’ouvrage, tel qu’il était, habilement combiné, à demi entendu, à demi lu, et où il y avait de l’oratoire et du sensible entremêlés à la théorie obscure, fit la plus grande impression dans l’état des esprits, et hâta l’avènement de M.  […] Necker ne prétendait relever que de la chambre haute de l’opinion, mais est-ce que la sottise, telle qu’il l’entendait, n’y pénétrait pas tout comme ailleurs ? […] Necker appelle la « législation des sous-entendus », et il trouve des expressions pour nous la traduire : … La souveraine habileté d’une maîtresse de maison, et peut-être son plaisir, si elle est en même temps grande dame, c’est de laisser voir qu’elle entend toutes ces différences, mais de le faire avec délicatesse, afin de ne donner à personne un juste sujet de plainte.

816. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Vous y trouvez bien quelques Sapho qui y jettent un ou deux cris qu’on entend toujours, quelques âmes divines comme sainte Thérèse, qui a fait, elle, son saut de Leucade dans le ciel, mais le talent littéraire, dans son expression la plus haute, est bien plus que des émotions éloquentes, que de sublimes palpitations. […] Seulement, c’est une voix qui s’est purifiée et qui monte dans un éther où jamais jusque-là on ne l’avait entendue. […] Or qui dit promesses divines, entend la foi. […] Je n’ai rien entendu de plus déchirant d’abord et de plus consolant et de plus fortifiant ensuite que ce livre qui commence par des cris et qui finit par des cris encore, car l’Alléluia des Saints dans le Paradis est un cri ! […] On n’est pas accoutumé à entendre de tels accents dans l’Église dont elle est la fille.

817. (1929) Dialogues critiques

Paul … En furent, c’est entendu. […] Paul Bien entendu ! […] Paul Grand, c’est entendu, mais on exagère cette grandeur. […] Paul Les œuvres avant tout, c’est entendu. […] Mais un homme de lettres doit s’entendre avec des centaines de confrères.

818. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

J’aime à me retracer avec vous le lieu, l’époque, les personnes, au milieu desquels je lus ou j’entendis lire pour la première fois cette féerie du cœur et de l’imagination qu’on appelle le Roland furieux. […] On n’y entendait guère que le pas lourd et régulier du vieux majordome de la maison, qui parcourait les corridors pour porter des cruches d’eau aux portes des chambres des hôtes, et le jaillissement monotone des jets d’eau retombant en notes argentines dans les bassins de la cour intérieure. […] exclamation langoureuse qui accompagne un million de fois par heure, en Italie, le geste de la femme entrouvrant ses persiennes après la sieste ; c’était là le seul bruit qu’on entendait autour de la villa. […] …” » Ariodant renonce en apparence à se tuer ; mais le lendemain matin il disparut, au grand étonnement du roi et de la cour, sans qu’on entendît plus parler de lui en Écosse. […] On respirait à peine ; on n’entendait d’autre bruit dans la grotte que celui de la rigole qui accompagnait, comme une basse continue, la musique des vers.

819. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Et pourtant je souffrais quand j’entendais des hommes honnêtes déverser le rire, le mépris ou la colère sur ces lamentables folies ; je m’irritais quand j’entendais applaudir à de sanglantes vengeances ou regretter qu’on n’en eût pas fait assez. […] Un hasard remet un instant au pupille l’usage de sa fortune, et, bien entendu, il fait des folies ; d’où le tuteur tire un bon argument pour qu’on lui rende le soin de son pupille ! […] À entendre certains politiques, qui se disent libéraux, le gouvernement n’a autre chose à faire qu’à obéir à l’opinion, sans se permettre jamais de diriger le mouvement. […] Ils n’ont pas d’éclat extérieur, ils ne flattent pas, ils sont sérieux et sévères, ils ne rient pas, ils parlent un langage difficile et que la multitude n’entend pas, celui de la raison. […] Il faut s’entendre.

820. (1909) De la poésie scientifique

L’on est revenu aux thèmes du Romantisme, à l’anecdote égotiste sentimentale, exprimés par le vers le plus commodément classique dont la mélopée contente si directement l’oreille, élue comme suprême raison par Sully-Prudhomme  qu’il n’est quasi plus nécessaire d’écouter pour entendre : dernier mot du moindre-effort… Et M.  […] Figuration excellente en ce sens qu’elle dénonce la vérité de l’évolution de la Matière et des êtres animés, d’accord avec les théories évolutionnistes  mais la «  spirale », si elle rend compte du mouvement d’expansion, ne laisse pas entendre en même temps le mouvement de condensation qui en est la suite nécessaire, qu’on ne saurait nier dans l’ordre naturel, ni anthropologique. […] Nous n’entendons nullement étendre le mot : universitaire, à un sens général, sachant qu’il est toute une partie neuve et individuellement pensante de l’Université qui sincèrement désire se documenter, ou sait. […] « les esprits paresseux et routiniers aiment à entendre ce qu’ils entendaient hier, a écrit Alfred de Vigny  mêmes idées, mêmes expressions, mêmes sons : tout ce qui est nouveau leur semble ridicule, tout ce qui est inusité, barbare. » 10. […] « Tandis qu’avec une volonté obstinée, sans entendre les rires parfois stupides de ses critiques officiels, sans se préoccuper non plus des objections amicales, il poursuivait son labeur, quelques-unes de ses idées faisaient fortune, et d’aucuns, plus adroits, les transmuaient et déformaient à l’usage de la Bourgeoisie française ».

821. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Il ne parlait que de roses que ses petites mains cherchaient à rassembler en bouquet, pour sa bonne amie, la sœur qui le soignait, il ne parlait que de bouvreuils que ses petites mains s’efforçaient à attraper dans le vide, pour les mettre dans le giron de sa mère, et sa voix expirante répétait toutes les gaies chansons italiennes, que sa première enfance avait entendues, dans la baie de Naples. […] Il est quelque peu bibeloteur, et très amusant à entendre raconter la fabrication toute primitive des émaux cloisonnés. […] Alors pendant que, la tête basse, les yeux roulant des larmes, je tracassais, de mon bâton, les cailloux, j’entendais de Béhaine, éclater en un long sanglot. […] L’on n’entend plus que le bruit de l’effacement du morceau de gomme élastique du général Chauchard, le bruit de la taille du crayon de Popelin, le bruit du coucou, les gloussements des petits chiens, les rires étouffés des demoiselles, ainsi que dans le coin d’une classe. […] Il se saigne, à tout bout de champ… Ne me disait-il pas : « Moi je me saigne, tous les jours, et j’en arrose mes fleurs. » Il est intéressant à entendre et agréable à regarder, ce Claude Bernard !

822. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Les horripilés de la Saint-Barthélemy, qui ne parlent que des droits du peuple et de la sainteté des constitutions, oublient que le Peuple et la Royauté s’entendaient en 1572, et qu’il y avait encore de l’unité dans cette France que le protestantisme allait diviser. […] Telle est cette histoire, qui, grandement entendue, aurait suffi à la gloire d’un homme. […] À notre estime, la modestie d’Audin eut tort, et M. de Bonald, homme d’une autre époque et qui entendait la littérature comme au temps des grandes décences du siècle de Louis XIV, méconnut les nécessités de celui-ci. […] Moyen comme un autre de développer l’abnégation dans les âmes chrétiennes ; mauvais moyen de servir une cause que nos ennemis s’entendent mieux à ruiner que nous à défendre ! […] La République romaine, cet immense modèle, ne voulait entendre à rien avec ses ennemis avant qu’ils eussent mis bas les armes.

823. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Quand les nuages promènent leurs mouvants bataillons autour d’une montagne, ou plongent en se courbant entre ses cimes ; qu’on suit l’ombre et la lumière illuminant ou obscurcissant ses vallées, et qu’on entend les eaux sourdre de ses flancs, que de proportions, d’harmonies, de beauté dans cette portion de la nature promenant autour du mont immobile son éternelle mobilité ! […] L’Amérique du Nord, se dépouillant de ses forêts et de ses habitants sauvages, a fait entendre un long soupir, que Cooper a écouté et a su rendre ; l’Écosse a produit le génie observateur et pittoresque de Scott, qui, se trouvant tout formé et tout grandi, s’est ensuite transporté, quelquefois peu heureusement, hors de ses limites naturelles de temps et de pays. […] Si donc notre voix devait être entendue de ces deux grands poètes, nous dirions à l’un : « Le mystique lui-même, dans le Christianisme, ne concevait le cloître et le mysticisme qu’unis au monde. […] Puisque tout est doute aujourd’hui dans l’âme de l’homme, les poètes qui expriment ce doute sont les vrais représentants de leur époque ; et ceux qui font de l’art uniquement pour faire de l’art sont comme des étrangers qui, venus on ne sait d’où, feraient entendre des instruments bizarres au milieu d’un peuple étonné, ou qui chanteraient dans une langue inconnue à des funérailles. […] Vraiment l’admiration est naïve ; est-ce dans des maisons closes, dans des villes, que le ciel se fait voir, qu’on entend les oiseaux, qu’on voit les montagnes ?

824. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

La philosophie ainsi entendue restera-t-elle une science ? […] Après avoir vu comment la psychologie entend son objet, voyons comment elle comprend sa méthode. […] Quand un homme voit ou entend, c’est lui, c’est l’être conscient qui voit ou entend. Dire que les sens voient et entendent c’est en faire des entités, tandis que dans la réalité il y a simplement des affections mentales produites. […] Ainsi entendue, elle perdra ce caractère abstrait qui la fait ressembler si souvent à la logique.

825. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Nous lui demandions s’il ne croyait pas notre pièce, telle qu’elle était, appelée à plus de représentations que la pièce qu’il avait jouée cette semaine-là, et qui était morte au bout de trois soirées : il nous laissait entendre, d’ailleurs très poliment, qu’il ne le croyait pas. […] Nous entendîmes là, dans ce salon d’art et de libre pensée, M.  […] Mais, en vérité, en face des singulières rengaines qu’on voulait nous faire applaudir et accepter comme une transformation dans l’art, quand nous avons entendu comparer Hernani à Henriette, nous avons mis les clés à nos lèvres. […] Il était besoin, pour le tenter et peut-être réussir, de continuer à avoir pour collaborateur un poète doublé d’une oreille particulière, un original passant des heures entières, aux Tuileries, à entendre causer des bébés, pour le seul plaisir de surprendre la syntaxe de leurs phrases enfantines. […] Deux jours après, assis sur une banquette de l’escalier du théâtre, et palpitants et tressaillants au moindre bruit, nous entendions Mme Allan jeter à travers une porte qui se refermait sur elle, de sa vilaine voix de la ville : « Ce n’est pas gentil, ça ! 

826. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Je vois chez Marpon des exemplaires du 5e millier, et j’ai, chez Lefilleul, l’étonnement de voir mon livre jouir du grandissime succès de la chaise… Tout à coup, au milieu de ma contemplation, j’entends retentir le boulevard de : La Démission de Gambetta. […] Gambetta s’est calé dans l’entre-deux d’une porte et entend toute la pièce debout, en la pose d’une cariatide. […] Samedi 15 juillet Au milieu de la conversation des grandes personnes, j’entends un gamin dire à un autre gamin qui dîne à côté de lui : « Mais la densité de l’eau ?  […] Et ils entendent comme ils voient, les Indiens !  […] Le jour, où elle est venue donner la leçon à Léon, et qu’il lui a donné les deux numéros parus du journal : « Aujourd’hui, a-t-elle dit à son élève, il n’y aura pas de leçon, vous allez me traduire le roman de M. votre père. » Et derrière la porte, Daudet l’entendait rire à « Oh !

827. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Brusquement, tandis qu’on assiste à un spectacle ou qu’on prend part à un entretien, la conviction surgit qu’on a déjà vu ce qu’on voit, déjà entendu ce qu’on entend, déjà prononcé les phrases qu’on prononce — qu’on était là, à la même place, dans les mêmes dispositions, sentant, percevant, pensant et voulant les mêmes choses — enfin qu’on revit jusque dans le moindre détail quelques instants de sa vie passée. […] Mais entendons-nous bien : le souvenir dont nous allons parler sera toujours un état psychologique, tantôt conscient, tantôt semi-conscient, le plus souvent inconscient. […] Ce qui se dédouble à chaque instant en perception et souvenir, c’est la totalité de ce que nous voyons, entendons, éprouvons, tout ce que nous sommes avec tout ce qui nous entoure. […] 57 » Il entend sans doute par là qu’il éprouve un sentiment de dualité, mais accompagné de la conscience qu’il s’agit d’une seule et même personne. […] Mais que faut-il entendre ici par « attention à la vie » ?

828. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

C’est ce que n’entendent pas même ces petits fanatiques qui croient avoir tout dit quand ils ont crié : Les arts ! […] C’est une grande pitié d’entendre un bel-esprit parler de ce qu’il ne connaît pas ! […] Pourquoi conspirent-ils hautement contre Gusman chez lui, et lorsqu’il y a des gardes qui peuvent les entendre à la porte de la salle ? […] Mais c’est en vain que j’ai souvent inculqué cette maxime ; c’est celle qu’on pratique le moins : les uns veulent briller par la volubilité, par la prestesse ; les autres, par la finesse ; plusieurs, par la douceur et la délicatesse du sentiment ; ils mettent de la recherche et de la prétention à ne pas se faire entendre ; et ce qu’il y a de bien malheureux, c’est qu’en effet on les applaudit souvent quand on ne les entend pas, et parce qu’on ne les entend pas. […] Les anciens entendaient par liberté un gouvernement où il n’y avait point de roi.

829. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Dans la correspondance qu’il entretient avec lui, Voltaire le tâte souvent, et essaye de l’engager ; en 1760, après la comédie des Philosophes de Palissot, après le discours de réception de Lefranc de Pompignan, et dans ce moment le plus vif de la mêlée philosophique, Voltaire voudrait que Duclos s’entendît avec les amis et surtout qu’il agît en cour pour faire arriver Diderot à l’Académie ; c’eût été un coup de parti en effet, et une éclatante revanche : « Vous êtes à portée, je crois, d’en parler à Mme de Pompadour ; et, quand une fois elle aura fait agréer au roi l’admission de M.  […] … Les dévots diront que Diderot a fait un ouvrage de métaphysique qu’ils n’entendent point (les Pensées philosophiques, ou toute autre brochure de Diderot) ; il n’a qu’à répondre qu’il ne l’a pas fait et qu’il est bon catholique. […] L’abbé Du Resnel lui disait doucement : « Monsieur, on ne doit prononcer à l’Académie que des mots qui se trouvent dans le Dictionnaire. » L’abbé de Voisenon, qui reconnaît que Duclos était peut-être celui de toute l’Académie qui entendait le mieux la métaphysique de la grammaire, l’y trouvait « d’un caractère trop peu liant et trop républicain ». […] Un mot de meilleur ton, et trop joli pour ne pas être rappelé, est celui de la comtesse de Rochefort à Duclos, un jour que, causant avec elle et Mme de Mirepoix, il avait posé en principe qu’une honnête femme peut tout entendre, et que ce sont seulement les malhonnêtes qui font les bégueules.

830. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Ce qui est certain, c’est qu’en lisant les Commentaires de Montluc, il revit pour nous tout entier. « Il faisait beau l’ouïr parler et discourir des armes et de la guerre » ; ainsi disait en son temps Brantôme qui l’avait entendu, et nous, lecteurs, nous pouvons le redire également aujourd’hui. […] Il avoue ses opiniâtretés, ses colères, qui sentent le cheval de sang et de race : « Il ne me fallait guère piquer pour me faire partir de la main. » Quelquefois aussi, chez lui, c’était méthode et tactique ; on le verra user de sa réputation terrible pour obtenir de prompts et merveilleux résultats : ainsi, à Casal, ville presque ouverte, où il se jette (1552) pour la défendre, et où il lui fallut improviser des fortifications et de grands travaux de terrassement en peu de jours, il donnera ordre à tout son monde, tant capitaines, soldats, pionniers, qu’hommes et femmes de la ville, d’avoir dès le point du jour la main à l’ouvrage « sous peine de la vie » ; et, pour mieux les persuader, il fit dresser des potences (dont sans doute cette fois on n’eut pas à se servir) : « J’avais, dit-il, et ai toujours eu un peu mauvais bruit de faire jouer de la corde, tellement qu’il n’y avait homme petit ni grand, qui ne craignît mes complexions et mes humeurs de Gascogne. » Et en revanche, sans se fier plus qu’il ne faut à l’intimidation, il allait lui-même, sur tous les points, faisant sa ronde jour et nuit, reconnaissant les lieux, « encourageant cependant tout le monde au travail, caressant petits et grands. » Ces jours-là, où il était maître de lui-même, il savait donc gouverner les esprits autant par les bons procédés que par la crainte, et il s’entendait à caresser non moins qu’à menacer. […] Ce jour-là, il entendit quelqu’un qui disait au marquis de Saluces en le montrant : Monsieur, je connais maintenant que le proverbe de nos anciens est véritable, qui dit qu’un homme en vaut cent, et cent n’en valent pas un. […] Montluc, qui ne faisait pas semblant d’entendre, écouta la réponse du marquis : « Celui-là fera toujours bien partout où il se trouvera. » Ces petites pointes d’honneur servent beaucoup à la guerre, remarque-t-il ; et c’est pourquoi il ne se fait faute de mettre telles paroles par écrit, bien qu’elles soient à sa louange : « Capitaines, et vous seigneurs, qui menez les hommes à la mort, car la guerre n’est autre chose, quand vous verrez faire quelque brave acte à un des vôtres, louez-le en public, contez-le aux autres qui ne s’y sont pas trouvés.

831. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

Le roi, son siège fait et son coup de foudre lancé, revient à temps, cette année 1691, pour entendre la messe le dimanche de Pâques 15 avril à Compïègne, et pour faire ses Pâques le dimanche d’après à Versailles. […] Il s’y est donné aussi toute carrière pour le soupçon et pour les profondeurs mystérieuses, ayant bien soin de faire entendre que cette mort subite n’est pas venue au hasard, et laissant planer l’accusation dans un vague infini. […] Mercredi 2 avril, à Versailles. — Le roi et Monseigneur entendirent les ténèbres à la chapelle ; ensuite le roi travailla avec ses ministres. […] Même au travers du Dangeau, cela s’entend, tout crie misère.

832. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Il n’a qu’une feuille de papier et qu’une heure pour exposer le litige, battre l’adversaire et donner son avis ; s’il dit un mot qui n’aille au but, s’il prononce une phrase que le lecteur ne comprenne pas tout d’abord, il n’entend point le métier. […] Persil), ne croyez-vous pas l’entendre ? […] Toute son énergie est dans la paume de sa main dont il frappe la tribune, afin de s’animer au monologue ; toute sa mémoire est au fond du verre d’eau sucrée. » Mais je crois que nous avons changé de tribune : nous sommes à la Chambre des Pairs ; une voix sourde se fait entendre (M.  […] Il n’entend pas certaines allusions que lui font les beaux esprits convertisseurs avec qui il cause, et qui tendraient à le ramener aux effrois et aux pratiques d’un bourgeois de Paris du temps de Robert le Pieux.

833. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Je ne parle, bien entendu, qu’en général. […] Ce que la génération contemporaine pourrait faire du globe, si l’on s’entendait, est inimaginable. Et pourquoi ne s’entendrait-on pas ?  […] Cependant, nonobstant les dissidences possibles sur plus d’un point essentiel, on ne laisse pas de s’entendre en gros sur le mouvement général et complexe qui pousse et améliore la société en bien des branches, et M. 

834. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Les rares privilégiés qui ont entendu quelques parties de ces fameux Mémoires ont paru surtout enchantés et ravis d’un récit de première communion (la première communion de M. de Talleyrand !) […] Voltaire, — et j’entends le Voltaire du fond, de la pensée de derrière, tout ce qu’il y avait d’éclairé et de prophétique dans Voltaire, — eût été pour la Révolution, et je ne crois pas être loin du vrai en répondant : Talleyrand à l’Assemblée Constituante, c’est assez bien Voltaire en 89, un Voltaire moins irritable et sans les impatiences : mais aussi Voltaire avait de plus le feu sacré. […] La lecture, qui remplit plus d’une séance, fut entendue jusqu’au bout avec la plus grande faveur. […] Une manière sentencieuse, une politesse froide, un air d’examen, voilà ce qui formait une défense autour de lui dans son rôle diplomatique. » Mais dans l’intérieur et l’intimité le masque tombait ou avait l’air de tomber tout à fait : il était alors charmant, familier, d’une grâce caressante, aux petits soins pour plaire, « se faisant amusant pour être amusé. » Son goût le plus vif semblait être celui de la conversation avec des esprits faits pour l’entendre, et il aimait à la prolonger jusque bien avant dans la nuit.

835. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Gaston Paris et la poésie française au moyen âge58 I Depuis qu’on nous a fait entendre que c’étaient les privat-docenten qui avaient gagné la bataille de Sedan, beaucoup de bons esprits se sont figurés chez nous qu’un moyen indirect, mais sûr, de préparer la revanche était d’établir des textes grecs, latins ou romans ; et l’érudition a envahi la France. […] Je ne puis me tenir de détacher de la conclusion ces lignes où l’émotion de l’érudit, tout en se contenant, teint son style d’une couleur charmante : … Certes nous avons eu, depuis la Renaissance, une littérature plus belle, plus variée, plus riche pour le cœur et pour l’esprit que la poésie rude et simple de Roland ; et, quand nous revenons écouter ce langage naïf en sortant des harmonies savantes de nos grandes œuvres littéraires, il nous semble entendre le bégayement de l’enfance. […] Elle aura plus tard des accents plus souples, plus nuancés, plus délicats ; elle n’en aura jamais de plus pleins et de plus justes, ni qui se fassent entendre de plus loin… Ainsi ce prêtre austère de l’érudition a le cœur le plus sensible du monde. […] J’y ai même trouvé de quoi divaguer agréablement — j’entends agréablement pour moi.

836. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Voilà vingt ans que la place publique entend son sifflet ou son ricanement. […] Voici, pour me faire entendre et pour me divertir, un exemple que je prends parmi des milliers d’autres à cause de sa brièveté : Les catholiques exaltés sont en train de s’annexer M.  […] Il serait perdu d’honneur, j’entends d’honneur littéraire. […] Rochefort est au fond très fier de sa noblesse, et de remonter à Louis le Gros, et qu’un jour, comme on lui rappelait que sa famille avait été alliée aux Talleyrand, il laissa entendre que tout l’honneur était pour eux.

837. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Reportez-vous à la même époque en France, et vous trouverez autant de façons de construire la phrase, d’entendre l’invention de l’image, l’alliance de mots, autant de styles qu’il y a d’éminents prosateurs. […] On peut dire que la Prose, et par là j’entends une succession non interrompue de grands prosateurs, la prose ainsi comprise n’appartient qu’à la France. […] » mais il n’entendait ces mots « reine du monde » que dans un sens restreint et dangereusement exclusif. […] Ce que nous entendons dans les voix confuses de la Patrie qui se relève ce n’est pas le rossignol, oiseau des deuils et des mélancolies, c’est l’alouette, symbole ailé, mélodieux témoin de la résurrection et de l’espérance.

838. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Comme je descendais de wagon à la petite gare de Chislehurst, j’ai été tout surpris de m’entendre appeler par mon nom. […] — Entendons-nous ! […] Hervé, du Soleil, entendu dans la matière, ne prendrait-il pas l’initiative de cette proposition ? […] Elles nous brûlent notre linge toute l’année, c’est entendu. […] Une cloche se fait entendre, l’enfant l’embrasse vivement et se prépare à disparaître.

839. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Sans doute, les leçons de l’histoire n’ont guère coutume d’être entendues. […] Parigot s’entend lui-même ; nous l’entendons moins bien : il raffine trop. […] Il était homme à revenir de voyage pour s’entendre décerner un prix dans une exposition. […] C’est, bien entendu, en lettres de sang. […] Sur ce point, tous ceux qui l’ont entendu s’accordent.

840. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Ainsi entendu, — et c’est à peu près la seule façon naturelle de l’entendre, l’amour cesse de troubler l’existence, il en complète l’harmonie. […] Le monde lui appartient ; il l’exploite comme il l’entend. […] La proposition est simple et facile à entendre comme l’est toute négation. […] Un jour j’ai entendu M.  […] Fink n’est pas homme à le penser sans le dire, et Lénore ne s’effraie pas de l’entendre.

841. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIV » pp. 294-298

La politique a été très-vive ce mois-ci ; le ministère Guizot s’est trouvé plus malade qu’il ne le croyait, et il a failli succomber sur l’affaire de Taïti ; il serait même tombé s’il avait interprété le sentiment public, mais ce sont des choses que les gouvernants n’entendent pas à demi-mot. […] La voix grave de l’orateur ajoutait, nous écrit-on, à la solennité du langage, et on pouvait croire par moments qu’on entendait moins le directeur de l’Académie française s’adressant à un spirituel confrère, que le président d’une loge de francs-maçons recevant un nouvel initié.

/ 3159