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1423. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Cette lettre arracherait des larmes à un rocher : le père Grandet la lit tout bas sans donner aucun signe d’émotion.

1424. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

À l’approche de la nuit, à mesure que l’ombre s’épandait sur le fleuve, une plus profonde émotion nous saisissait.

1425. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Sans doute les religieux de Mœlch se transmirent l’émotion qu’ils en ressentaient en les copiant à mesure que Gerson les écrivait, et en firent passer les fragments de couvent en couvent jusqu’aux extrémités de l’Europe ; car, sans qu’ils connussent précisément le nom de cet humble hôte de leur monastère, les Consolations passèrent, grâce à eux, de royaume en royaume aux extrémités du monde.

1426. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Le prévenu est un gros homme, à épaules de bœuf, sanguin, interrupteur qui veut toujours parler, donner l’opinion de ses idées, et dont l’émotion se trahit par un croissant de transpiration sous les aisselles, sur sa blouse.

1427. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Samedi 23 août Dans un des bureaux de rédaction, où j’avais été hier, et où à peine remis de l’émotion de l’embaumement, j’avais dit qu’il m’était impossible de rédiger une note, on m’avait demandé : « Était-il grand ou petit ?

1428. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

» Gibert, avec une langue technique, qui donne les plus grandes jouissances aux amateurs de l’expression, une langue juste, précise, peinte, parle de cette voix artificielle, de cette voix de tête ou de nez, que certains chanteurs se font : voix métallique à résistance indéfinie, tandis que les voix naturelles des gens qui chantent avec l’émotion de leur poitrine, est plus vite cassée.

1429. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

C’est la littérature de la raison, du sentiment, de l’émotion par l’art, de la vérité, de la vertu, la littérature de l’âme.

1430. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Sans doute, il y a Villon, François Villon, « né de Paris emprès Pontoise », vrai gibier de potence, mais vrai poète aussi, grand poète même, oserait-on dire ; et quelques-unes de ses Ballades ne sont assurément pas pour démentir ce que ce nom de poète, quand il est mérité, signifie de grâce et de force de style, de sincérité d’émotion, d’originalité de sentiment et d’idées.

1431. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

La raison a aussi ses émotions, et c’est par frissons que se propage la lumière… M.  […] Bref, Hélène, ayant en somme l’âme fière, est guérissable, — guérissable par la vie et sous le heurt de quelque profonde émotion et elle guérira, soyez-en sûrs, le jour où elle sentira clairement qu’elle fait souffrir autant et plus qu’elle a souffert elle-même. […] La preuve, c’est qu’il se livrera au moment où il n’aura plus rien à craindre et après qu’un pauvre diable d’ouvrier (celui dont la hache a servi au crime), rendu fou par les émotions, sera venu se dénoncer lui-même. […] Or, deux ou trois fois, dans Pepa, nous pressentons l’approche d’une émotion… qui ne vient pas, dont les auteurs se sont défiés, qu’ils ont écartée de parti pris. […] Ce sont gens discrets, très sensibles au ridicule, qui ont coutume de donner à tous leurs propos un tour railleur, et qui n’osent jamais exprimer leurs émotions tout entières ou qui, peut-être, gâtés par une ironie chronique, les arrêtent à moitié chemin et comme au seuil de leur cœur… Presque aucun des personnages de Pepa, sauf Pepa elle-même, ne prend bien au sérieux ce qui lui arrive.

1432. (1923) Au service de la déesse

Car vraiment son œuvre est décourageante… » Aussitôt il ajoute : « Mais si émouvante et d’une émotion en quelque sorte spiritualisée… Nul autre n’a su comme lui agiter nos âmes et enchanter nos cerveaux !  […] Il nous est venu la curiosité de savoir si, dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut… » Ces Goncourt ne sont pas des écrivains concis. […] Nous sommes honteux d’un certain état nerveux d’émotion. […] Celle de nous qui, en somme, pesait le moins ; mais que cependant devant chaque émotion, chaque coucher de soleil, nous appelions vite, comme on met un gramme dans un plateau pour annuler dans l’autre le poids du papier-enveloppe et avoir la pesée exacte. » Vous n’y comprenez rien ? […] Giraudoux, son humeur plaisante, et qui alors est courage, le même goût de dissimuler sous les dehors de gaieté une émotion discrète et qu’on devine sans qu’elle se montre.

1433. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

  Mme de La Fayette a laissé une Histoire d’Henriette d’Angleterre aussi importante, par le style et par l’émotion, que ses romans. […] Il est vrai qu’il mettait à part les Préludes, Bonaparte, et le Chant d’amour, pièces dont il célébrait la verve et la fécondité d’émotion. […] À Montauban, devant la noblesse virgilienne des paysages parfumés de fleurs et de fruits, il se souvient de Dominique Ingres ; à Toulouse, il trouve pour nourrir son émotion les colonnes jumelles des Minimes et le clocher de Saint-Sernin ; à Cahors, en traversant la rue du Château-du-Roi, la rue des Soubirous, la rue Saint-Barthélemy, il se sent pénétré par la mélancolie du moyen âge ; à Cordes, il a des entretiens avec les gargouilles qui l’invitent du haut des murs des vieux hôtels, celui du grand-fauconnier, celui du grand-écuyer, celui du grand-veneur ; à Albi, il évoque encore le passé, et il entend tinter le marteau des chaudronniers de la rue Payrolière, il assiste aux cortèges seigneuriaux dans la rue des Nobles, aux quiproquos des commères dans la rue des Muettes ; à Nîmes, les cigales sont déjà parties lorsqu’il arrive, et il se laisse attendrir par l’automne.

1434. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Il me semble que la nature des hommes est de ne rien écouter dans l’ardeur de la passion, d’être insensible à tout ce qui la contrarie ; mais d’ouvrir les yeux à la raison et le cœur aux sentiments de l’humanité, quand l’ivresse, dissipée par une autre émotion plus forte, donne lieu à la réflexion. […] Voltaire, en passant, a toujours soin de mettre en principe qu’il n’y a que les passions violentes, les crimes, les folies, les fureurs, qui soient tragiques : il affecte toujours d’ignorer que les sentiments héroïques, les grandes vertus, les grands caractères, les actions généreuses, font éprouver un genre d’émotion plus noble, plus-doux, plus digne des honnêtes gens, plus utile aux mœurs et à la société, que cette faiblesse qui nous fait partager les tourments honteux des passions viles et basses. […] Au contraire, il ne faut point séparer l’attention d’avec l’intérêt : pour émouvoir l’âme, il faut commencer par fixer l’esprit ; et comme il n’est pas possible que l’âme éprouve une vive émotion dans tous les instants d’une pièce, il ne faut pas regarder comme perdu : pour l’intérêt le temps employé à exciter l’attention. […] L’habitude des émotions fortes rend presque insensible à des impressions plus douces : le vin le plus exquis est insipide pour un palais émoussé par des liqueurs spiritueuses ; le joueur s’ennuie dans la société la plus agréable ; il regrette les secousses que donnent à son âme les chances de la fortune. […] Le spectacle des grandes vertus cause une émotion encore plus vive que celui des grandes passions, et bien des gens qui ne sont point fort émus des amours d’Orosmane et de Zaïre, sont attendris jusqu’aux larmes par la clémence d’Auguste.

1435. (1894) Critique de combat

Parfois cependant, sous le coup d’une émotion vive, il rencontre le trait pittoresque. […] Vous vous êtes éveillée à la vie du cœur au bruit du bombardement de Paris, à la lueur de Paris incendié ; il semble que vous en ayez gardé un insatiable appétit d’émotions fortes. […] Mais ce serait un général sans soldats, si elle n’avait à sa disposition toutes les forces de la sensibilité, les émotions, les passions. […] Et le trappiste alla conter à son bœuf l’émotion dont il avait été secoué ; mais comme il avait rompu le vœu du silence, le prieur décida qu’on vendrait Martin, cause du péché.

1436. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

La ville prise, elle et sa mère se hâtaient sur la route de Lyon, quand elles rencontrèrent quelqu’un de leur connaissance qui leur annonça que Johannot était mort dans les prisons : cette nouvelle leur perce le cœur ; la mère refuse de faire un pas de plus, la fille veut aller chercher le corps de son père ; elle chemine pleurant ; puis au loin, sur la route, elle aperçoit… son père lui-même vivant et délivré ; qu’on juge des émotions de ces tragédies !

1437. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Les esprits jeunes, poétiques, exclusivement littéraires, les esprits plus ou moins féminins et non critiques, lui donnaient raison aussi par leur émotion.

1438. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Par analogie et par induction, de même que nous attribuons aux corps organisés des sensations, perceptions, émotions et autres événements semblables aux nôtres, nous attribuons à tous les corps des mouvements semblables aux nôtres.

1439. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Encore soulevé par l’émotion, son sein s’abaisse et s’élève violemment.

1440. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

En la quittant, je cherchai dans mon âme une force contre les catastrophes que j’aurais à éprouver ; ses regards avaient une expression indéfinissable que je ne leur avais jamais vue avant, j’eus de la peine à ne pas pleurer ; quand l’heure fut venue où il fallait absolument qu’elle se retirât du cercle, elle jeta sur moi un coup d’œil si doux, si honnête et si tendre, que je me sentis rempli d’émotion, d’espoir et de terreur. » Qui peut dire, après avoir lu ces lignes, que Pétrarque n’était à l’égard de Laure qu’un poète ?

1441. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

C’est lui alors qui sera grand, car il n’y a de grand dans le talent que l’émotion.

1442. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

L’Arioste (1re partie) I Sortons un moment de l’art sérieux pour donner quelques heures d’attention à l’art du badinage ; c’est le même art au fond, mais appliqué à l’amusement de l’esprit au lieu de s’appliquer à l’émotion de l’âme.

1443. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Quant à nous, qui avons vu parler devant le peuple, nous l’avons vu cent fois, ce peuple, pleurer d’émotion honnête et patriotique, comme les Romains de Cicéron.

1444. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

lisez-nous les vers que vous avez faits sur ce pauvre oiseau, lui dirent ma femme et ma nièce, émues d’avance de son émotion.

1445. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Que l’événement soit une chute d’un trône dans le cachot, ou qu’il soit une pensée de jeune fille, éclose sur son oreiller à l’heure de son réveil, dans la solitude d’une chambre haute à la campagne, et se résumant en un soupir ou en une prière ruisselante de pleurs au pied de son lit, peu importe : l’émotion est la même dans le cœur qui l’éprouve et dans le cœur de celui qui s’associe par la lecture à la force de ce sentiment.

1446. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

La douce émotion que l’on ressent au soir d’une journée bien employée respirait sur ses traits ; notre conversation roulait sur de grands et nobles sujets ; je voyais alors se montrer tout ce que sa nature renfermait de plus élevé, et mon âme s’enflammait à la sienne.

1447. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Qu’on imagine l’émotion de l’auditoire quand il frappait, comme dit Mme de Sévigné, sur ces vices assis au pied de sa chaire, qui, s’étaient introduits dans le temple sous le dehors de la piété et du recueillement.

1448. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

C’est lui qui les vivifie ; si les études en sont la base, le sentiment en est l’âme. » Et les contemporains le félicitent de faire sentir et penser le marbre, de le rendre capable d’exprimer les affections douces et tendres aussi bien que les émotions vives et fortes.

1449. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

15 février Le père Barrière des Débats nous parlait du besoin de distractions grandioses, d’émotions furibondes, dans les temps révolutionnaires.

1450. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Elle le prend, disparaît, revient les joues roses d’émotion, et murmure, en me tendant ses mains, gentiment odorantes : « “Embrassez-moi les mains, comme vous embrassez, dans les salons, les mains des dames de Saint-Pétersbourg.”

1451. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Durant des semaines et des mois, tous les matins, tremblants d’émotion, ils dépliaient leur journal pour y lire la chute du gouvernement de décembre et leur rappel triomphal ; ils tenaient leurs malles bouclées pour le voyage.

1452. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Elle se trahit dans de rares passages où elle donne à la sévérité du style d’Aristote l’accent imprévu d’une religieuse émotion : « Même dans ceux des détails qui peuvent ne pas flatter nos sens, la nature, qui a si bien organisé les êtres, nous procure à les contempler d’inexprimables jouissances pour peu qu’on sache remonter aux causes et qu’on soit réellement philosophe.

1453. (1926) L’esprit contre la raison

Il s’agit bien ici de contester l’idée de « crise de l’esprit » brandie contre les avant-gardes qui ont érigé en valeurs l’émotion et la sensation, non sans se réserver le droit de libre examen des vérités reçues .

1454. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

En d’autres termes, nos perceptions, sensations, émotions et idées se présentent sous un double aspect : l’un net, précis, mais impersonnel ; l’autre confus, infiniment mobile, et inexprimable, parce que le langage ne saurait le saisir sans en fixer la mobilité, ni l’adapter à sa forme banale sans le faire tomber dans le domaine commun.

1455. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Tel choc brusque, telle émotion violente, sera l’événement décisif auquel ils s’attacheront : et si cet événement, en raison de son caractère soudain, se détache du reste de notre histoire, ils le suivront dans l’oubli.

1456. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

On se demande si le poëte partage absolument l’esprit du spectacle qu’il nous retrace avec tant d’émotion. […] En 1814, au Sénat, il signa la déchéance, mais ce ne fut qu’avec une vive émotion, et en prenant beaucoup sur lui ; il fallut que M. de Talleyrand le tînt quelque temps à part, et, par les raisons de salut public, le décidât.

1457. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

Quelle émotion ! […] Un jour, il y eut grande émotion dans le couvent, préparatifs de fête, tapis, guirlandes, fleurs effeuillées : l’archevêque de Paris venait visiter le couvent ! […] Il se souvenait de l’émotion brûlante qu’il avait éprouvée, lui-même, en le lisant, et qui n’avait été égalée, plus tard, par aucune autre impression de lecture.

1458. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Le plus grand seigneur du monde ne s’indignera point d’être aimé d’une bergère ou d’une esclave ; et même, — pourvu que la façon dont il en est averti implique que la bergère ne prétend rien sur lui, fût-ce en pensée, — il ne pourra concevoir sans émotion qu’il y a quelque part une âme qui est à lui sans le dire ; et, dans le moment où il le concevra, il éprouvera nécessairement pour elle un peu, un tout petit peu de ce qu’il lui inspire. […] Alors, sans doute, je n’aurais eu que toi à aimer. — En ce cas, dit Rita, je voudrais ne l’avoir jamais mis au monde. » Et un peu plus loin : « Tu ne peux pas prononcer le nom d’Eyolf sans émotion, sans que ta voix tremble… Ah ! […] Dumas de l’avoir ressentie avec une intensité particulière, et de l’avoir exprimée avec une sincérité, une candeur, une émotion, un emportement qui ne furent point égalés. […] C’est l’action pure, en dehors de toute philosophie, de toute idée morale, de toute peinture des caractères (sinon superficielle et réduite, pour les mousquetaires, à des signes particuliers, pour Cromwell et le roi, à des signes généraux très faciles et voyants), en dehors enfin de toute observation, de toute émotion, de tout style. […] Et c’est pourquoi, après lui avoir fait une cour assez vive, il se retire d’elle, subitement ; et comme elle lui demande l’explication de sa conduite (la scène se passe dans une garden-party offerte par Rennequin à la belle étrangère), Amaury lui allègue, avec une émotion de parfait comédien, qu’il a peur de ses millions et qu’il renonce à son amitié afin de conserver son estime.

1459. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

C’est tout autre chose quand la critique suit immédiatement la lecture ou l’audition : car, alors, l’émotion que nous a donnée le livre ou la pièce fait encore vraiment partie de notre vie au moment où nous les jugeons : elle peut même nous paraître le fait le plus notable de notre journée, et, en tout cas, elle est aussi importante à nos yeux que la plupart des ennuis ou des plaisirs privés que cette journée nous apporta. […] S’il n’avait voulu que nous exposer un malentendu intellectuel, sentimental, et peut-être charnel, entre deux époux qui ont, commencé par s’aimer, on verrait ce que vaut l’histoire, ce qu’elle contient d’émotion et de vérité. […] Et pourtant la salle était comble, et l’on riait autour de moi, l’on se mouchait d’émotion ; et la Comédie-Française, ayant eu le cynisme de faire entrer cette pauvre pièce dans son répertoire, en est récompensée par le plus fructueux succès. […] Dupont oubliant les phrases préparées, et tout l’entretien se réduisant à des banalités, sous lesquelles on sent seulement un peu d’embarras et d’émotion ; si bien que M. 

1460. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

» Il revoyait toutes les femmes qui lui avaient donné de l’émotion dans sa jeunesse, « mademoiselle Galley, mademoiselle de Graffenried, mademoiselle de Breil, madame Basile, madame de Larnage, mes jolies écolières, et jusqu’à la piquante Zulietta ». […] Elle n’avait guère de la sensibilité que le nom : c’était surtout l’application à paraître éprouver jusqu’à l’excès les émotions altruistes, parce qu’on tenait cet excès pour honorable. […] Mais, — douloureuse comme elle est, et préparée par la douleur, — elle sent, en entrant dans l’église, une sorte d’émotion qu’elle n’avait jamais éprouvée… Puis, le jour sombre de l’église, le profond silence des spectateurs, le cortège de ses parents… tout donne à ce qui va se passer un air de solennité qui l’excite à l’attention et au respect : La pureté, la dignité, la sainteté du mariage, si vivement exposées dans les paroles de l’Écriture, ses chastes et sublimes devoirs, si importants au bonheur, à l’ordre, à la paix, à la durée du genre humain, si doux à remplir pour eux-mêmes : tout cela me fit une telle impression que je crus sentir intérieurement une révolution subite.

1461. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

De même Don Juan, ayant vu deux jeunes fiancés ravis d’amour l’un pour l’autre, dira : « La tendresse visible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l’émotion ; j’en fus frappé au cœur et mon amour commença par la jalousie. […] Il a abandonné Elmire ; elle revient à lui, elle le supplie, elle pleure, il lui joue une comédie de scrupules religieux ; elle se retire ; elle revient plus tard, pleurante encore et lui demandant pour seule faveur de s’amender ; elle s’en va pour toujours : « Sais-tu bien, Sganarelle, dit Don Juan, que j’ai encore senti quelque peu d’émotion pour elle, que j’ai trouvé de l’agrément dans cette nouveauté bizarre, et que son habit négligé, son air languissant et ses larmes ont réveillé en moi quelques petits restes d’un feu éteint ?  […] Au quatrième, il traîne son passé de libertin ; il voit revenir à lui ses anciennes maîtresses et il les reçoit sèchement, il les écoute avec cet ennui morose qui se marque par le monosyllabisme des réponses et, quoiqu’il se sente repris pour elles d’une velléité de retour et d’une émotion rétrospective, il ne leur dit rien. […] Ce qui le prouve, c’est et son émotion et qu’il n’y cède pas ; son émotion, il est bien loin de ce qu’il était quand tout amour satisfait était pour lui enterré à jamais ; — qu’il n’y cède pas, son cœur est assez desséché pour qu’à la fois il ne soit plus touché que par choc en retour du passé et pour que, en présence d’une sensation nouvelle, il ne bondisse pas sur elle, comme il faisait autrefois, et dise : « A quoi bon ? 

1462. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Intérêt, vie, émotion, mouvement, dépendent de ce qu’on y a mis de talent. […] La véhémence et l’émotion dépendent du resserrement, de l’énergie intérieure, du développement sobre. « La véritable éloquence, a dit Pascal, se moque de l’éloquence. » On n’imitera donc l’amplification de Cicéron qu’avec une extrême réserve. […] Alphonse Daudet n’en parlait qu’avec une émotion stupéfaite. […] Cette abondance tonitruante glace l’émotion pour vouloir l’outrer.

1463. (1894) Études littéraires : seizième siècle

» C’est elle encore, mais aidée et renforcée pour ainsi dire par un profond et ardent sentiment du devoir, qui lui inspire ces belles paroles où l’on trouve non seulement la conviction, l’autorité et l’élévation, ordinaires à Calvin, mais encore l’émotion sacerdotale et la véritable ampleur oratoire : « Il n’y a ici ni exception ni privilège pour grands ou pour petits, pour riches ou pauvres.

1464. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Sa voix était grave, douce, timbrée comme l’émotion voilée d’une confidence.

1465. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

« Puisque le but du poète doit être de nous procurer le plaisir qui vient de la pitié et de la terreur, il est clair qu’il faut qu’on trouve ces émotions dans les choses même que son œuvre nous représente.

1466. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

Roi de Morven, sauve-moi de la fureur de mon père. » « Le jeune héros, sans crainte et sans émotion, s’avance accompagné de ses guerriers.

1467. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Pieux comme un ange, romanesque déjà, jusqu’à apprendre par coeur Théagène et Chariclée, très sensible à la beauté de la terre et du ciel : les sept Odes sur Port-Royal sont des paysages d’une forme puérile mais d’une émotion vraie.

1468. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Mais nous ignorons complètement ce que fut la distribution des rôles, la composition de la salle et l’émotion de l’auditoire.

1469. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

. — Le goût français du xviie  siècle ne s’accommodait pas d’exhibitions aussi violentes, et préférait, en toutes choses, aux sensations matérielles les émotions morales. […] Ce fut au milieu de ces émotions diverses qu’arriva le Cid, et nulle pièce n’était mieux faite pour profiter de l’exaltation de l’esprit public. […] » — Le vieil Horace l’interrompt et, avec une émotion contenue, mais d’autant plus touchante, lui répond : Ah ! […] Vous avez vu aussi quelle émotion et quelle émeute, quel enthousiasme d’un côté, de l’autre quelle tempête de critiques, cette dernière pièce, si neuve, si hardie, souleva contre son auteur.

1470. (1903) Propos de théâtre. Première série

Arréat nous analyse, ou simplement nous rappelle, et je me disais, quitte à me dire autre chose demain ; mais, pour le moment, cette impression est chez moi très forte : « Ce n’est pas tant la sympathie de l’homme pour l’homme, comme on a dit, qui est le fondement de l’émotion dramatique, c’est plutôt la curiosité de l’homme à l’égard du problème moral. » Cet homme que je vois sur la scène, et qui me ressemble comme un frère, est-il libre de faire sa vie ; dispose-t-il de lui-même, domptera-t-il ses passions ? […] Le chœur y est, comme chez les Grecs, le peuple même, mêlé à l’action (et beaucoup plus que dans nombre de tragédies grecques), sentant, traduisant et renvoyant toutes les émotions du drame, aidant aux péripéties et au dénouement par la pitié qu’il inspire aux combattants et l’ardeur dont cette pitié les anime. […] Les Grecs eux-mêmes, bien moins sensibles que nous à l’intérêt de curiosité, et beaucoup plus à l’émotion artistique, ne mettent point de chœur après la conclusion. […] L’art du lyrique dans le drame moderne est là : faire sortir le lyrisme des passions exaltées des personnages eux-mêmes ; avoir ainsi l’avantage de la poésie lyrique, grandeur des images, puissance du mouvement, émotion qui échauffe ou qui attendrit ; avoir de plus le contrecoup, sur l’action, des passions des personnages accrues par cette secousse ; par surcroît garder le chœur, non pas tant pour chanter, rôle qu’il ne peut plus guère soutenir, que pour encadrer le tableau scénique d’une décoration mouvante et pittoresque.

1471. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

La valeur, très variable, en est proportionnelle à la puissance d’émotion qui est en chacun de nous et à notre aptitude à jouir du beau dans l’univers physique. […] Dans tout cela, nulle volupté précise, rien de l’émotion spéciale que peut donner le spectacle d’une nudité féminine : le poète est saisi, devant cette chair de jeune fille, de la même ivresse vague et sacrée qu’en présence de la mer infinie, des beaux promontoires, des forêts profondes ou des montagnes qui sont l’ossature de la planète… Mais revenons aux tyrans-dieux.

1472. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Balzac regretta toujours la perte de cette première œuvre qu’il esquisse sommairement dans Louis Lambert, et il raconte avec une émotion que le temps n’a pas diminuée la confiscation de la boîte où était serré le précieux manuscrit : des condisciples jaloux essayent d’arracher le coffret aux deux amis qui le défendent avec acharnement ; « soudain attiré par le bruit de la bataille, le Père Haugoult intervint brusquement et s’enquit de la dispute. […] Il s’affligeait de ne plus sentir ce frais étonnement des émotions et des choses qu’on n’éprouve qu’une fois, et sa pensée y revenait sans cesse. […] Une fantaisie lui passait par la tête, une émotion par le cœur : il l’exprimait et n’y pensait plus. […] Lamartine fit paraître son Jocelyn, tendre et pure épopée de l’âme, où ne sont pas racontées les brillantes aventures d’un héros, mais les souffrances obscures d’un humble cœur inconnu, délicat chef-d’œuvre plein d’émotion et de larmes, d’une blancheur alpestre, virginal comme la neige des hauts sommets, où aucun souffle impur n’arrive, et où l’amour qui s’ignore lui-même, tant il est chaste, pourrait être contemplé par les anges. […] Tout le monde pleurait ou sanglotait convulsivement, et cependant ceux qui marchaient derrière ce corbillard étaient des philosophes, des artistes, des écrivains faits à la douleur, habitués maîtriser leurs âmes, à dompter leurs nerfs et ayant la pudeur de l’émotion.

1473. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Où est l’agrément de la vie dans tout cela, et l’émotion, et la sensation ? […] L’amour de Dieu est un sentiment ; c’est la transformation d’une croyance en un sentiment, d’une idée en une émotion. […] Mais Sainte-Beuve n’était qu’un homme de sensibilité, inquiète à la vérité, mais fort ordinaire, et il croyait un peu trop que c’était faire acte de poète que d’avouer avec candeur des sentiments et des émotions assez vulgaires et connues de tout le monde exactement.

1474. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Je n’ai pas souci, je n’ai pas besoin de ses émotions. […] En nous bornant à la littérature, je crois bon et délicieux pour tout le monde de se laisser gagner par l’émotion du poète ou du romancier, de s’identifier même en imagination à leurs personnages ou à eux-mêmes. […] Car il n’éprouvait pas cette répugnance des têtes trop pensantes, ni cette inaptitude aux activités vulgaires, que son émotion ennoblissait pour lui-même et pour ses lecteurs. […] Mais celle d’Emma Bovary cause une émotion plus poignante et plus profonde.

1475. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Il ne sera peut-être pas sans intérêt de le rechercher aujourd’hui que les vacances des tribunaux ont créé une trêve dans ces émotions de cour d’assises et de police correctionnelle. […] Un tout jeune homme, Francis Valigny, atteint de ce qu’on a nommé la maladie du siècle, l’ennui, le doute, l’orgueil, croyant à la fatalité, pressentant et appelant la passion, rencontre une femme belle, romanesque, ennuyée, avide d’émotions, qui, d’un seul regard, fait de lui son esclave. […] Le caractère de cette femme, dont la conduite n’a d’autres mobiles que l’ennui et le besoin d’émotion, est admirablement décrit. […] Berryer ait été ému en se voyant entouré d’amis et en jetant un regard rétrospectif sur sa longue et honorable carrière ; il est peu d’entre nous qui, à sa place, n’eussent été ainsi troublés ; mais, quand on se rappelle que pendant cinquante ans il a porté la parole dans des causes où la fortune, l’honneur ou la vie de ses clients étaient enjeu, sans que jamais l’image, l’accent ou le geste lui aient fait défaut, on est tenté de se demander ce qu’est au fond cette éloquence d’avocat qui disparaît devant une émotion vraie.

1476. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

« Il y règne un ton de mollesse et de grâce, et cette vérité de sentiment si difficile à contrefaire84. » Je ne les conseillerais pas à de beaux-esprits qui ne prisent que le compliqué, ni aux fastueux qui ne se dressent que pour de grandes choses ; mais les bons esprits, e t qui connaissent les entrailles (pour parler comme Aïssé elle-même), y trouveront leur compte, c’est-à-dire de l’agrément et une émotion saine.

1477. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Ne peut-il tenir autant d’émotion, de trouble, de douleur, de faiblesse et d’effort, et de « drame » enfin, dans l’examen de conscience d’un catholique tenté que dans le monologue d’Auguste ou dans celui d’Hermione ?

1478. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

L’admiration n’est souvent qu’un ravissement passager et stérile ; les plaisirs de la raison ont leur sécheresse : les émotions du cœur sont seules fécondes et durables.

1479. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Il lui lut le rôle, qu’elle écouta avec une émotion profonde et toujours croissante ; quand il eut fini, elle se jeta dans les bras de son mari, M. 

1480. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Il y a une truculence de nature dans Flaubert, se plaisant à ces femmes terribles de sens et d’emportements d’âme, qui nous semblent devoir éreinter l’amour à coups de grosses émotions, de transports brutaux, d’ivresses forcenées.

1481. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Je revois, avec une émotion attendrie, les êtres aimés et le milieu de mes habitudes de préférence : cette salle à manger et ce cabinet de travail.

1482. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

  Mais le déterministe, même lorsqu’il s’abstient d’ériger en forces les émotions graves ou états profonds de l’âme, les distingue néanmoins les unes des autres, et aboutit ainsi à une conception mécaniste du moi.

1483. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Une émotion pourra produire le même effet 60.

1484. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Ces joies visuelles, ces émotions cérébrales, pourtant, ne devaient pas lui être refusées. […] Succession d’images sentimentales, d’analogies inattendues que tisse entre elles une logique secrète. « De grandes ressemblances balafrent le monde et le marquent… Elles assortissent ce qui est petit et ce qui est immense… D’elles seules peut naître toute nostalgie, tout esprit, toute émotion », dit l’auteur, révélant ainsi la partie la plus originale de son art poétique qui mêle les choses, les gens, la nature dans une atmosphère de sympathie et de délicatesse.

1485. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Jamais émotion ne fut plus légitime, si jamais erreur judiciaire ne fut plus déplorable. « D’un bout de l’Europe à l’autre », c’est le cas de le dire, le scandale en retombe sur la magistrature entière, et voici que tout le système du droit criminel de France en est remis en question. […] 2º Les Origines du drame bourgeois. — Le premier succès de La Chaussée : La Fausse Antipathie, 1733 ; — et que son idée n’a pas tant consisté à « mélanger » les genres, — qui l’étaient déjà dans la comédie de Marivaux, — qu’à prendre au sérieux, — et à tourner au tragique bourgeois ; — les mêmes événements de la vie commune dont Dancourt, Destouches et Marivaux avaient déjà fait la matière de leur théâtre. — Comment cette idée se précise dans Le Préjugé à la mode, 1735 ; — dans L’École des amis, 1737 ; — et dans Mélanide, 1741. — Il s’agit de procurer le même genre d’émotion que la tragédie : — sans décor historique ; —  sans personnes princières ; — et sans passions trop violentes. — Que cette conception ramène la comédie au roman ; — et qu’en effet les comédies de La Chaussée ne sont que des romans ; — en attendant le drame de Diderot et celui de Beaumarchais. — De l’idée singulière que La Chaussée a eue de tenter en vers ce genre de drame ; — et quand on considère les sujets qu’il a traités [Cf. 

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