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824. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Il est des erreurs et des fautes si bien confessées qu’elles deviennent à l’instant contagieuses pour l’imagination humaine. […] Le gouverneur de la Bastille devenait à l’instant prisonnier de sa propre garnison, dont on était sûr. […] Mais, dans ses Mémoires, Retz, évincé de l’action et de la pratique, n’est de plus en plus qu’un écrivain, un peintre, un grand artiste ; il lui est impossible désormais d’être autre chose, et l’on s’arme aisément contre lui-même, contre ce qu’il aurait pu être et devenir autrefois, de cette qualité dernière qui fait à jamais sa gloire. […] Ce qui peut faire augurer que Retz, en effet, n’était guère propre à devenir autre chose que ce qu’il a été, c’est l’enthousiasme avec lequel il se laisse emporter, dès les premiers jours des troubles, à son rôle de meneur populaire. […] Quoi qu’il en soit, c’est là un beau dialogue et mené avec franchise par les deux interlocuteurs qui vont devenir des adversaires.

825. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Grimm, à peine établi en France, commença par donner dans le Mercure quelques lettres sur la littérature de son pays : il y nommait vers la fin et y saluait déjà le jeune Klopstock pour ses premiers chants de La Messiade ; il y prédisait à son pays l’éclosion d’un printemps nouveau : « C’est ainsi, disait-il, que, depuis environ trente ans, l’Allemagne est devenue une volière de petits piseaux qui n’attendent que la saison pour chanter. […] Sans fortune et sans carrière, Grimm vint à Paris, y fut attaché quelque temps au jeune prince héréditaire de Saxe-Gotha, puis devint précepteur des fils du comte de Schomberg, puis secrétaire du jeune comte de Friesen, neveu du maréchal de Saxe. […] Rousseau, qui commençait à devenir célèbre, le présenta un jour à Mme d’Épinay, aimable et spirituelle femme, très mal mariée, riche, et dont la jeunesse, dénuée de guide, s’essayait alors un peu à l’aventure : M.  […] Ce duel changea la situation de Grimm à l’égard de Mme d’Épinay : bon gré, mal gré, il était devenu son chevalier ; il en résulta pour elle un tendre embarras, qui laissa voir presque aussitôt une intime reconnaissance. […] Quoi qu’il en soit, il va devenir de plus en plus le critique ordinaire intérieur et le chroniqueur littéraire du siècle.

826. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef pose ses créatures, les façonne en un coup de main, nous explique leurs mobiles, leur caractère, et nous voilà entraînés à suivre l’existence d’un étranger, dont le visage nous est devenu familier et dont l’âme va nous être révélée jusque dans son essence. […] Cependant cette belle organisation porte un germe morbide : Bazarof réfléchit trop constamment ; ce travail d’introspection psychologique le conduit à des idées dangereuses, telles, que si son âme s’en laissait pénétrer, l’action et la vie lui deviendraient impossibles. […] Devenu précepteur chez un fonctionnaire, il y défend avec rudesse ses amis politiques calomniés par un gentillâtre de campagne. […] Et voilà que, sous son regard, un de ces monstres émerge des ténèbres, monte, monte encore, devient de plus en plus visible, de plus en plus horriblement distinct. […] Mais de nouveau la forme semble devenir plus vague, le monstre descend, regagne le fond et s’y recouche, agitant à peine sa sombre nageoire.

827. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Il en est de même des plantes : on peut citer des espèces végétales nouvellement introduites en certaines îles où elles sont devenues très communes en moins de dix années. […] Plus une espèce est vigoureuse, plus elle se multiplie, et aussi plus sa tendance à se multiplier rapidement devient puissante. […] D’un autre côté, en quelques cas assez rares, tel que l’Éléphant, par exemple, aucun individu de l’espèce ne devient la proie d’autres animaux, car même le Tigre de l’Inde n’ose que très rarement attaquer un jeune Éléphant protégé par sa mère. […] De là on peut inférer comme probable que, si le genre entier des Bourdons s’éteignait en Angleterre, la Pensée et le Trèfle rouge y deviendraient très rares ou disparaîtraient totalement. […] Chez les Coléoptères aquatiques, la structure des pieds, si bien disposés pour plonger, leur permet de soutenir la concurrence contre d’autres insectes, de chasser aisément leur propre proie et d’échapper au danger de devenir la proie d’autres animaux.

828. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Jules Lefèvre, méditant ses poëmes du Parricide et du Clocher de Saint-Marc, s’appliquait aux langues, aux littératures étrangères ; tout ce qu’il y a de poëtes anglais, allemands, italiens et espagnols, lui devenait familier ; il ne s’en tenait pas aux illustres, il s’inquiétait même des plus obscurs et des plus oubliés, comme M. […] Mais lorsque le poëte, s’enfonçant fatalement dans une passion qui lui devient un supplice et une colère, ne se borne plus à reproduire par son procédé métaphysique des sentiments assez éprouvés de tous, lorsqu’il en vient aux invectives et à ce qu’il intitule ses agonies, alors, au lieu d’un simple regret et d’une fatigue, le lecteur qui persiste se soumet à la violence la plus pénible ; ce n’est pas une douleur enveloppée de chants, ce n’est pas même une blessure vivement entr’ouverte qu’il a devant lui ; c’est une plaie toute livide, un râle d’agonisant, quelque chose qui ressemble aux symptômes d’un empoisonnement physique. […] En parlant d’une femme qui rend tour à tour son amant ou stupide ou spirituel : « Qu’elle dise au plomb de devenir de l’or ! […] Il était alors secrétaire particulier du Prince-Président ; il devint ensuite bibliothécaire de l’Élysée et des Tuileries.

829. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

La semence a fructifié ; d’imberbes professeurs, sortis du salon de madame de Staël, en ont propagé les doctrines, et, depuis que le Globe a paru, le mal est devenu effrayant. […] Mais ici les tableaux deviennent si flatteurs, les descriptions si riantes, que nous craindrions de les ternir en les remaniant, et nous nous empressons de passer la plume, ou plutôt le pinceau et la lyre à M.  […] L’ouvrage une fois reçu au théâtre, on en parlait dans tous les salons ; les lectures se renouvelaient ; on en retenait les morceaux les plus éloquents, les vers les plus remarquables ; il devenait le sujet de toutes les conversations dans les soupers, et l’auteur, promené, recherché dans Paris, subissait d’avance son immortalité. […] « S’il réussissait, au contraire, l’auteur, dès ce moment homme à la mode, prenait un rang dans la société ; un seul genre de place pouvait lui convenir : il devenait le commensal plutôt que le secrétaire d’un grand seigneur.

830. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

L’idée de la liberté anglaise devient un lieu commun de l’opinion publique ; le type de l’Anglais franc, indépendant, original jusqu’à l’excentricité, devient un type banal du théâtre et du roman. […] Elle devient le modèle sur lequel toutes les cours, toutes les classes polies de l’Europe se règlent, et c’est à son prestige, à l’autorité de nos modes et de nos opinions mondaines que notre littérature doit la moitié de son crédit. […] Ainsi par la littérature et par la société, la langue française se répand, devient vraiment la langue universelle : elle est reconnue pour le plus parfait instrument qui puisse servir à l’échange des idées.

831. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Il devient rapidement colonel. […] Triton, guéri, devient chef des piqueurs du comte, et Wolfgang passe sa vie à la chasse avec Triton. « Ce trompette, à son insu, corrompt, séduit le marquis. […] Triton n’a plus de famille ; il n’est pas rentré au village depuis les grandes guerres de la république ; il ne sait pas ce qu’est devenue sa mère. Le régiment du 1er houzards est devenu sa famille  Une nuit, Wolfgang dit au trompette de seller les deux meilleurs chevaux.

832. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Mélange de morale patriarcale et de dévotion ardente, d’intuitions primitives et de raffinements pieux comme ceux qui remplissaient l’âme d’un Ézéchias, d’un Josias, d’un Jérémie, le Pentateuque se fixe ainsi dans la forme où nous le voyons, et devient pour des siècles la règle absolue de l’esprit national. […] Israël devient vraiment et par excellence le peuple de Dieu, pendant qu’autour de lui les religions païennes se réduisent de plus en plus, en Perse et en Babylonie, à un charlatanisme officiel, en Égypte et en Syrie, à une grossière idolâtrie, dans le monde grec et latin, à des parades. […] Le judaïsme devint la vraie religion d’une manière absolue ; on accorda à qui voulut le droit d’y entrer 88 ; bientôt ce fut une œuvre pie d’y amener le plus de monde possible 89. […] Un disciple de la philosophie arabe la plus hardie, Moïse Maimonide, a pu devenir l’oracle de la synagogue, parce qu’il a été un canoniste très exercé.

833. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Chacune des pierres, chacune des briques qui les composent est un péché 513. » Le nom de « pauvre » (ébion) était devenu synonyme de « saint », d’« ami de Dieu. » C’était le nom que les disciples galiléens de Jésus aimaient à se donner ; ce fut longtemps le nom des chrétiens judaïsants de la Batanée et du Hauran (Nazaréens, Hébreux), restés fidèles à la langue comme aux enseignements primitifs de Jésus, et qui se vantaient de posséder parmi eux les descendants de sa famille 514. […] Ne rien posséder fut le véritable état évangélique ; la mendicité devint une vertu, un état saint. […] En Orient, la maison où descend un étranger devient de suite un lieu public. […] Il ne perdait aucune occasion de répéter que les petits sont des êtres sacrés 540, que le royaume de Dieu appartient aux enfants 541, qu’il faut devenir enfant pour y entrer 542, qu’on doit le recevoir en enfant 543, que le Père céleste cache ses secrets aux sages et les révèle aux petits 544.

834. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

A mesure que, dans l’échelle des êtres, la centralisation va croissant, le cerveau devient de plus en plus-dominateur. […] Grâce à ce despotisme cérébral qui s’est développé chez les animaux supérieurs, les centres de la moelle, de plus en plus dépourvus de spontanéité, sont devenus automatiques dans leur fonctionnement. […] Les organes importants du système nerveux sont des concentrations de la vie sensitive et appétitive ; le cerveau n’est qu’une concentration encore plus puissante, où la sensation devient idée, l’appétition volonté, où la vie enfin prend conscience de soi. […] Dans le premier cas, si notre moi n’aperçoit point ce qui se passe en nous, c’est que la conscience devient trop faible et trop indistincte ; dans le second cas, c’est qu’une partie du cerveau ou de la moelle épinière prend pour elle la fonction mentale ; dans le troisième cas, c’est qu’un autre moi tend à s’organiser aux dépens du moi central, qui se désorganise.

835. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Kœnig, ainsi que d’autres mathématiciens, a écrit contre cette assertion étrange ; & il a cité, entr’autres choses, un fragment d’une lettre de Léibnitz, où ce grand homme disoit avoir remarqué que, dans les modifications du mouvement, l’action devient ordinairement un maximum, ou un minimum.M. de Maupertuis crut qu’en produisant ce fragment, on vouloit lui enlever la gloire de sa prétendue découverte, quoique Léibnitz eut dit précisément le contraire de ce qu’il avance. […] Devenus tous deux les favoris d’un monarque tel que le roi de Prusse, appellés & fixés à sa cour, obligés de se voir continuellement, la mésintelligence augmenta. […] Ce globe, mal connu, qu’il a sçu mésurer, Devient un monument où sa gloire se fonde. […] Devenu libre, il alla passer quelque temps à Manheim chez l’électeur Palatin.

836. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

C’est là qu’il se produit, qu’il continue, qu’il s’étend, qu’il s’invétère, qu’il devient incurable. […] Si je viens à ressentir une grande douleur morale dans le moment où je suis occupé d’un travail intellectuel, je deviens incapable de le continuer, et si je veux m’y forcer, je ne sens mes idées ni si vives, ni si faciles, ni si suivies qu’auparavant. […] Supposez que ce trouble superficiel devienne plus profond, que mon libre arbitre soit suspendu, que mes idées, affranchies de leur discipline habituelle, se produisent fatalement, suivant une sorte d’automatisme : me voilà sur le chemin de la folie. Que ce délire momentané devienne chronique, c’est la folie même.

837. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Cet homme qui avait supporté la mauvaise fortune avec tant de courage, devint la proie d’une mélancolie profonde ; et l’indigence qui s’était un moment éloignée de lui, ne tarda pas à revenir l’assaillir ; mais il trouva dans les soins généreux de l’amitié un soulagement à ses maux. […] Ses contes, où la science des mœurs était, comme dans la société, revêtue d’expressions spirituellement décentes, devinrent une galerie de portraits frappants de ressemblance ; et dans ses tableaux malins, piquants et variés, le peintre habile eut l’art d’amuser surtout ses modèles. […] Pendant tout le temps de cette liaison, que la mort seule de Mirabeau paraît avoir rompue, il soumettait à Chamfort non-seulement ses ouvrages, mais ses opinions, sa conduite ; l’espérance ou la crainte de ce qu’en penserait Chamfort, était devenue pour l’âme fougueuse de Mirabeau une sorte de conscience. […] Cependant la tyrannie érigée par le crime, appuyée sur la terreur publique, devenait de jour en jour plus cruelle ; on signifie brusquement à Chamfort qu’il faut retourner dans une maison d’arrêt ; il se souvient de son serment : sous prétexte de faire ses préparatifs, il se retire dans une pièce voisiné, s’y renferme, charge un pistolet, veut le tirer sur son front, se fracasse le haut du nez et s’enfonce l’œil droit.

838. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Au reste, ces articles transitoires, ces stipulations de circonstance, n’ôtent rien à l’importance de l’acte en lui-même ; il est ce qu’il doit être, l’expression de la force même des choses, et il deviendra bientôt le point de départ de toutes les institutions dans lesquelles l’Europe va chercher le repos. […] J’oserais dire plus : s’il était possible, ce qui heureusement n’est pas, d’achever une constitution comme on achève un temple ou un palais, il faudrait s’en abstenir ; car que feraient nos neveux, et que deviendrait leur indépendance ? […] Les délibérations des Chambres, considérées, ainsi que nous venons de le faire, comme organes immédiats de l’opinion, la jurisprudence des tribunaux de la justice, forment un ensemble de traditions, qui devient la loi, et que le prince promulgue avec des formes établies : c’est là seulement qu’il faut puiser la raison de l’initiative royale. […] Mais cela est devenu nécessaire, parce que le marteau des hommes s’est uni au marteau du temps.

839. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

On ne le devient pas. […] Il avait l’intérêt de beaucoup de manies : il avait l’intérêt des petites boîtes, des bagues, des tableaux, des estampes, du bibelot enfin, comme on dit maintenant, et qui est devenu la manie aussi de ce pauvre vieux xixe  siècle, lequel niaise avec tous ces osselets comme Ferragus idiot avec le cochonnet, dans Balzac. […] Pâté d’ortolans, en fait d’esprit, dont les manies faisaient la croûte, il est mort enveloppé dans ses manies comme une momie (qu’il était devenu) en ses bandelettes. […] Un boulet de canon ne m’aurait pas plus surpris. » On aurait dit que ce boulet de la mort de Gray, qui n’était que d’un an plus âgé que lui et qui mourait de cette terrible goutte dont lui, Walpole, devait aussi mourir, avait, du coup, commencé la dissolution qu’il prévoyait de cette craie qu’il était devenu sous les méchancetés de la douleur et de la vie, — ou qu’il avait été toujours !

840. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Elle devint, cette fille coquette, innocemment coquette, qui aimait le monde et les propos du monde, elle devint une épouse ardemment chaste et tendrement austère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, une carmélite incomparable, qui, ne trouvant pas son ordre assez sévère, le réforma et le mit pieds nus. Elle devint cette petite fourmi, comme elle s’appelle avec une grâce d’humilité délicieuse en une femme qui avait le cœur plus grand que tous les mondes, parce que Dieu, en l’habitant, l’avait élargi, elle devint, non pas uniquement la créature d’élection et de perfection surnaturelle, dont le souvenir plane encore sur le monde ému, mais aussi la première, la plus grande, la plus auguste des supérieures d’Ordres, ornée, avec toutes les vertus du Ciel, de toutes les qualités prudentes, politiques, humaines, de la terre !

841. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

Edgar Quinet, auteur d’Ahasvérus, de Napoléon et de Merlin, qui n’a jamais pu être un poète, tout en se crevant comme la grenouille de la fable pour le devenir, a-t-il cru que ce dernier coup de tête, de se faire savant, lui serait une ressource ? […] La conception du monde n’est pas, dans le livre de Quinet, le devenir d’Hegel, la seule conception que la philosophie puisse opposer, pour l’heure, à l’idée biblique et chrétienne, les autres étant trop indécemment sottes pour compter. […] Chacun d’eux avait creusé à son image la tête du poète. » La tête est devenue, à la fois et tour à tour, Jupiter, Neptune, Pluton, Mercure, Minerve. […] Devenu le fossoyeur d’Hamlet, mais dans les cimetières antédiluviens, il est bien autrement fort que la chétive créature de Shakespeare.

842. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Ils en deviennent plus laids, mais plus drôles… Lemerre a l’impertinente originalité de publier des vers, et il pousse cette originalité jusqu’à la coquetterie. […] On aurait pu écrire : « Collationné par le bonhomme Job », et on l’aurait cru… Jamais l’admiration au regard enflammé et à l’enthousiasme aux grandes ailes, n’a mis plus de lunettes et n’est devenue plus cul-de-plomb pour chercher et voir de près les infiniment petits d’un ensemble assez beau pour les faire oublier. […] C’est Lemierre, Delille ou Palissot De Cygne de la mer Égée, il devient une fourmi d’érudit et de travailleur, tirant perpétuellement et péniblement son petit brin de paille, et c’est à navrer le cœur de tous ceux qui aiment les poètes, cela ! […] Il avait pris à Chénier, à ce Grec charmant et mélodieux, devenu, de Grec, tout à coup, Français, pathétique et méduséen, non seulement sa forme iambique, mais jusqu’à cette langue inouïe d’un cynisme ardent qui se purifie dans sa flamme ; et, le croira-t-on ?

843. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Mais, quand elle serait une erreur, elle est très puissante et très honorée en littérature, et elle y devient très vite un petit ciment presque romain de solidité… À l’heure qu’il est, où nous sommes respectueux pour si peu de choses et de gens, il n’est peut-être pas un lettré en France qui, en parlant de Le Sage, n’ôte respectueusement son chapeau : « Ah ! […] … II Il était né riche, à ce qu’il paraît, mais, dit la notice, il devint pauvre de bonne heure. […] On ne se doute pas des bâtards qu’on va mettre au monde pendant qu’on les fait… Le Sage ne se doutait pas qu’il sortirait de lui quelque chose comme Ponson du Terrail, qui est aux excréments actuels du feuilleton ce que lui-même, Le Sage, pouvait être à Ponson du Terrail… Or, ce genre qu’il a créé — le roman de feuilleton et d’aventures — est devenu la tyrannie et l’oppression de ceux-là même qui le méprisent le plus. […] Il était devenu sourd comme un pot… IV Son théâtre, car il avait commencé sa vie littéraire par le théâtre, avait fait, comme, depuis, ses romans, sa réputation.

844. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Brucker, né sur le fumier de l’incrédulité, qui ne vaut pas celui de Job, a longtemps été philosophe, mais est devenu un chrétien, avant de recevoir son coup de lumière dans l’intelligence. […] Il devint l’âme de ce journal terrible et charmant qui, chez une nation organisée comme la France, devait faire le mal le plus profond, en dévastant tout par la plaisanterie. […] Tout à coup, 1830 éclata, et quelques jours après qu’on eut bu à cette coupe de Circé révolutionnaire, le journaliste Brucker, transformé en… farouche et en garde national, demandait, à Vincennes, la tête de M. de Peyronnet, avec lequel, par parenthèse, il s’est lié plus tard ; cette tête poétique qui fait de beaux vers et qui, en envoyant son portrait à son ennemi mortel devenu son ami jusqu’à la mort, écrivait ce quatrain tourné avec la grâce qui n’empêche pas d’être un homme d’État, en terre de France :   J’entends encor l’hymne infernal, (Il faut bien dire que c’était La Marseillaise pour ceux qui ne la reconnaîtraient pas à l’épithète). […] Il eut le droit, tout laïque qu’il fût, de prêcher dans les églises et il devint l’O’Connell des ouvriers catholiques dans un pays plus heureux que l’Irlande ; un O’Connell sans les mille échos de la persécution et de la gloire, qui rapportaient à Daniel sa voix agrandie, mais un O’Connell par le genre de talent, par la manière, par cette éloquence familière et pathétique, sublime et triviale à dessein, comme l’est un drame de Shakespeare.

845. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Ce mot léger peut devenir cruel ! […] C’est la question de ce genre de roman qui menace de devenir le moule du roman au dix-neuvième siècle, et dont, à ce moment, je le veux bien, M.  […] Je le sais, et je ne m’en étonne pas ; mais qu’aujourd’hui, en plein dix-neuvième siècle, quand les passions et leur étude, et leurs beautés, et leurs laideurs, et jusqu’à leurs folies, ont pris dans la préoccupation générale la place qu’elles doivent occuper ; quand la littérature est devenue presque un art plastique, sans cesser d’être pour cela le grand art spirituel ; quand nous avons eu des creuseurs d’âme, des analyseurs de fibre humaine, des chirurgiens de cœur et de société, enfin qu’après Chateaubriand, Stendhal, Mérimée et Balzac, Balzac, le Christophe Colomb du roman, qui a découvert de nouveaux mondes, la vieille mystification continue et que la réputation de Gil Blas soit encore et toujours à l’état d’indéracinable préjugé classique, voilà ce qui doit étonner ! […] Scudéry ne serait plus monstrueux aujourd’hui, tant la faculté de production est devenue vulgaire !

846. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Prosper Mérimée, l’auteur de Clara Gazul, de Colomba et de Carmen (ses meilleurs titres, dit-on, à la renommée), avait eu la grande vocation, cette vocation dominatrice et enflammée qu’on pourrait appeler l’idée fixe sans folie, on ne l’eût pas vu, au milieu de sa vie, je ne dis pas de romancier devenir historien, par la raison très-simple que, qui sait raconter le cœur de l’homme peut bien raconter le cœur des peuples, mais de romancier devenir archéologue, philologue, antiquaire, et finir en Raoul-Rochette après avoir commencé en Stendhal… M.  […] Mérimée fut de la première levée romantique, et à dater de son théâtre de Clara Gazul, — une suite de romans dialogués plutôt que de drames, — il devint immédiatement un des esprits les plus en vue et dont la Critique espéra davantage. […] Mérimée devint un événement.

847. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Guizot, plus ferme, plus positif, et qui va au fait, est le seul dont la renommée aura réellement gagné à aborder la politique : pour lui, elle est devenue une grande carrière et le complément de sa destinée d’historien. […] Il s’est jeté dans les voies de la Congrégation et s’y est poussé en s’accrochant au pan de l’habit du duc de Montmorency, très-saint et un peu dupe ; il s’est posé en traducteur de la Bible sans savoir l’hébreu ; puis, plus tard, il est devenu l’homme de M. de Villèle, son organe, son conseiller, son flatteur. […] Quelqu’un qui l’a bien connu disait : « M. de Genoûde m’est insupportable ; ce prêtre gras me dégoûte ; sa grosse face exprime sa logique béate ; sa mauvaise foi, à la longue, a l’air d’être devenue une conviction, absolument comme un corps étranger qui, à force de séjourner dans l’estomac, s’introduirait dans l’organisation et irait se loger entre cuir et chair : … et fibris increvit opimum Pingue… a dit Juvénal. » 24.

848. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Déjà grand écuyer, il aspirait à devenir connétable, duc et pair, et Richelieu s’y refusa. […] Laubardemont, qui revient partout, et qui semble poursuivre Cinq-Mars, depuis que celui-ci l’a frappé au front d’un crucifix ardent dans l’affaire de Loudun, est un héros ignoble de mélodrame ; son fils devenu brigand et contrebandier, sa nièce religieuse devenue folle, cette scène entre tous les trois, la nuit, au milieu des Pyrénées, tout ce luxe de conceptions bizarres fait tort à la vérité.

849. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Sa collaboration devient d’autant plus difficile à saisir, qu’elle s’est fondue quelquefois dans des articles écrits avec Pierre Leroux, de telle sorte qu’on sent par moments les idées de l’un, le style de l’autre. […] Ce mot de Lundis est même devenu le terme traditionnel et consacré pour désigner ses œuvres il en est en quelque sorte le synonyme. […] Sainte-Beuve y raconte succinctement, mais avec précision, ses relations avec la nouvelle rédaction du Globe, jusqu’au moment où le journal devint saint-simonien « Je ne le quittai point pour cela, dit-il, et j’y mis encore quelques articles. » Mais, à partir de l’année 1831, il est tellement impossible de s’y reconnaître, à cause du manque de signatures, que nous avons cru prudent de nous abstenir tout à fait, à défaut d’indications suffisantes sur les véritables auteurs d’articles qui ne laissaient pas d’être très-tentants sur Mérimée, Balzac, Eugène Sue, Charles Nodier, M. 

850. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Quand les parents aiment assez profondément leurs enfants pour vivre en eux, pour faire de leur avenir leur unique espérance, pour regarder leur propre vie comme finie, et prendre pour les intérêts de leurs enfants des affections personnelles, ce que je vais dire n’existe point ; mais lorsque les parents restent dans eux-mêmes, les enfants sont à leurs yeux des successeurs, presque des rivaux, des sujets devenus indépendants, des amis, dont on ne compte que ce qu’ils ne font pas, des obligés à qui on néglige de plaire, en se fiant sur leur reconnaissance, des associés d’eux à soi, plutôt que de soi à eux ; c’est une sorte d’union dans laquelle les parents, donnant une latitude infinie à l’idée de leurs droits, veulent que vous leur teniez compte de ce vague de puissance, dont ils n’usent pas après se l’être supposé ; enfin, la plupart ont le tort habituel de se fonder toujours sur le seul obstacle qui puisse exister à l’excès de tendresse qu’on aurait pour eux, leur autorité ; et de ne pas sentir, au contraire, que dans cette relation, comme dans toutes celles où il existe d’un côté une supériorité quelconque, c’est pour celui à qui l’avantage appartient, que la dépendance du sentiment est la plus nécessaire et la plus aimable. […] L’éducation, sans doute, influe beaucoup sur l’esprit et le caractère, mais il est plus aisé d’inspirer à son élève ses opinions que ses volontés ; le moi de votre enfant se compose de vos leçons, des livres que vous lui avez donnés, des personnes dont vous l’avez entouré, mais quoique vous puissiez reconnaître partout vos traces, vos ordres n’ont plus le même empire ; vous avez formé un homme, mais ce qu’il a pris de vous est devenu lui, et sert autant que ses propres réflexions à composer son indépendance : enfin, les générations successives étant souvent appelées par la durée de la vie de l’homme à exister simultanément, les pères et les enfants, dans la réciprocité de sentiments qu’ils veulent les uns des autres, oublient presque toujours de quel différent point de vue ils considèrent le monde ; la glace, qui renverse les objets qu’elle présente, les dénature moins que l’âge qui les place dans l’avenir ou dans le passé. […] Plus ils ont de droits, plus ils doivent éviter de s’en appuyer pour être aimés, et cependant dès qu’une affection devient passionnée, elle ne se repose plus en elle-même, il faut nécessairement qu’elle agisse sur les autres.

851. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Ce repos auquel la nature nous appelle, qui semble la destination immédiate de l’homme ; ce repos dont la jouissance paraît devoir précéder le besoin même de la société, et devenir plus nécessaire encore après qu’on a longtemps vécu au milieu d’elle ; ce repos est un tourment pour l’homme dominé par une grande passion. […] L’idée qui la domine, laissée stationnaire par les événements, se diversifie de mille manières par le travail de la pensée, la tête s’enflamme et la raison devient moins puissante que jamais. […] Les aspects, les incidents de la campagne sont tellement analogues à cette disposition morale, qu’on serait tenté de croire que la Providence a voulu qu’elle devint celle de tous les hommes, et que tout concourut à la leur inspirer, lorsqu’ils atteignent l’époque où l’âme se lasse de travailler à son propre sort, se fatigue même de l’espérance, et n’ambitionne plus que l’absence de la peine.

852. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Renan est devenu, aux yeux des esprits superficiels, synonyme de scepticisme et de dilettantisme, ces mots étant pris, d’ailleurs, dans leur sens le plus grossier. […] C’est que l’ancien clerc de Saint-Sulpice n’avait point changé d’âme : il était devenu clerc de la science, voilà tout. […] Et alors, il s’est efforcé de devenir gai, crainte de tomber dans trop de tristesse.

853. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Milton devint aveugle & pauvre, comme Homère ; mais on ne l’égala jamais, de son vivant, au poëte Grec. […] Le temps & les circonstances empêchèrent ce prince d’avoir recours à plusieurs beaux-esprits, qui depuis ornèrent sa cour devenue une des plus magnifiques & des plus galantes de l’Europe. […] Ce redoutable apologiste du parlement contre son roi, plia son génie altier à servir Cromwel ; &, par une fatalité qui n’est pas rare, voulant être libre, il devint l’esclave d’un tyran.

854. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

La hantise de cette décadence était attachée, à elle, devenue presque une souffrance physique. […] Cela devint une maladie, une possession. […] La famille a pris le deuil, la jeune sœur est devenue folle, dix-neuf ans se sont passés. […] Tout cela dit très chastement par cette enfant, devenue grande comédienne, d’ouvrière en dentelles qu’elle était. […] Flammarion devient le Raphaël du voyage dans l’île d’Utopie de Thomas Morus.

855. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Et quelle rengaine cela est en train de devenir ! […] Or, vous savez ce qu’est devenu M.  […] Il est devenu le « souteneur », simplement. […] Elle est devenue insensiblement l’innocente complice de son père. […] Elle est seulement devenue plus tragique peut-être, sans cesser d’être plaisante.

856. (1890) Nouvelles questions de critique

Le jugement esthétique devient ici seul compétent. […] Aussi, tous les moyens y deviennent-ils bons, comme étant justifiés, ou excusés par l’importance de la fin. […] comment le siècle de Baour-Lormian et de Luce de Lancival est-il devenu celui de Lamartine et d’Hugo ? […] Il est temps de le montrer maintenant, et qu’après avoir été la raison de la grandeur du romantisme, le même et seul principe est devenu la cause de sa mort. […] Et l’on peut ajouter qu’en se plaçant à ce point de vue, comme elles deviennent impersonnelles — je veux dire, comme il ne s’y mêle aucune intention de flatter les manies des uns ou de déplaire aux autres, — elles deviennent en même temps plus simples et plus claires.

857. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Comme les empereurs romains, auxquels fait songer d’ailleurs sa littérature, M. de Balzac a pu dire en mourant : « Je sens que je deviens dieu !  […] Dans ces fictions toujours si voisines du léger et du profane, le Dieu de l’Évangile peut-il devenir le deus ex machina de la poésie païenne ? […] la prétention d’en compter toutes les phases, ni même d’énumérer tous les produits de cette fécondité qui devint un moment proverbiale. […] Explicable sous madame de Maintenon, elle devenait inintelligible sous les Pompadour ou les du Barry. […] Cousin pour madame de Longueville, commencé comme un paradoxe, finirait, si l’on n’y prenait garde, par devenir un lieu commun.

858. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il était devenu catholique ; et à vrai dire nous avons vu qu’il n’avait jamais cessé de l’être ; mais il l’était devenu très formellement. […] Son joli vers y devient lourd, et sa langue vive et claire y devient terne. […] indépendants sans être devenus hostiles. […] Elle l’est devenue, en partie. […] Il devint sourd.

859. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Je pense, sans le savoir à fond, que Chateaubriand vieilli, dégoûté, malheureux, consolant et consolé auprès de madame Récamier, devint le vôtre. […] Mais, devenu trop différent avec les années, il ne m’appartient aujourd’hui ni de la juger, cette moitié du moi d’alors, ni même d’essayer de la définir. […] « Que sont devenus ces amis du même âge, ces frères en poésie, qui croissaient ensemble, unis, encore obscurs, et semblaient tous destinés à la gloire ! Que sont devenus ces jeunes arbres réunis autrefois dans le même enclos ? […] On aime à travailler, mais Nelson (lisez sa Vie par l’infâme Southey), Nelson ne se fait tuer que pour devenir pair d’Angleterre.

860. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Déjà même il avait médité l’exécution de ce dessein ; et Astyage, devenu chaque jour plus odieux aux Mèdes par son excessive rigueur, le secondait. […] Si vous me refusez, les peines que vous avez endurées hier, et d’autres sans nombre, seront votre partage : laissez-vous donc persuader par moi, et devenez libres. […] C’est ainsi que Cyrus devint roi, après avoir essuyé à sa naissance et dans son éducation les divers accidents que j’ai rapportés. […] Elle donna le jour d’abord à Doriée ; devenue grosse de nouveau, elle eut ensuite Léonidas, et enfin Cléombrote. […] Léonidas et Thémistocle devinrent les deux noms de la Grèce.

861. (1925) La fin de l’art

Je rêve à un certain crayon-encre dont il y a des essais qui deviendront peut-être satisfaisants. […] Pourquoi donc cette phrase est-elle devenue célèbre ? […] Voilà encore un savant qui a été ébloui par la morale et qui s’est demandé avec anxiété ce qu’elle deviendrait si on soumettait la volonté au déterminisme des motifs. […] Puis, franchement, même du point de vue administratif, le département est devenu trop petit. […] Les combinaisons mécaniques peuvent devenir d’un réalisme absolu et satisfaire moins le sens esthétique qu’un certain désaccord entre les deux éléments spectaculaire et auditif.

862. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVI » pp. 183-185

Les chefs-d’œuvre du xviie  siècle deviennent déjà assez anciens pour que la critique s’y applique, et non plus à la manière de La Harpe pour y chercher des modèles et des exemples à proposer aux continuateurs ou imitateurs, mais d’une méthode plus érudite et scientifique, pour y étudier la langue, le vocabulaire, le texte, relever les altérations que ces textes ont déjà subies depuis près de deux siècles qu’on les réimprime, pour y noter les variantes que les auteurs eux-mêmes avaient apportées dans les éditions premières. […] Les classiques français du xviie  siècle sont déjà devenus des Anciens.

863. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 55-57

Nous n’avons sçu que trop souvent Tout ce que peut un beau visage ; Mais par un tel apprentissage, Notre cœur, devenu savant, En est aussi devenu sage.

864. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de février 1829 »

Cependant il regrette que quelques censeurs, de bonne foi d’ailleurs, se soient formé de lui une fausse idée, et se soient mis à le traiter sans plus de façon qu’une hypothèse, le construisant a priori comme une abstraction, le refaisant de toutes pièces, de manière que lui, poète, homme de fantaisie et de caprice, mais aussi de conviction et de probité, est devenu sous leur plume un être de raison, d’étrange sorte, qui a dans une main un système pour faire ses livres, et dans l’autre une tactique pour les défendre. […] Le terrain le plus vulgaire gagne un certain lustre à devenir champ de bataille.

865. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Théocrite devient Sophocle au besoin ; mais nous nous trompons, ni Théocrite n’a de telles puretés virginales au commencement, ni Sophocle n’a de telles mélancolies à la fin. […] Une fois le soir venu, quand le feu de ses paroles avec ses amis est évaporé, il devient doux et maniable, et il sent ses torts envers les autres. […] Ma mère désirait depuis longtemps avoir dans sa maison une jeune fille qui lui devînt utile, non seulement par son travail, mais aussi par son affection, et qui remplaçât auprès d’elle la fille qu’elle a malheureusement perdue ! […] et combien le génie des Goethes futurs deviendrait un puissant auxiliaire de la liberté et de la vertu ! […] La cour de Weimar, sous les auspices de ces deux amis, dont l’un prêtait sa gloire, l’autre sa puissance à une pensée commune, devint en peu d’années le foyer de l’art, du théâtre, de la renommée en Allemagne.

866. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

C’est, désormais, la collectivité elle-même, tout un ensemble d’êtres de semblable origine ou associés dans une existence commune, qui devient le véritable héros du roman. […] Elle devient infiniment douloureuse quand elle porte sur ces problèmes religieux qui ont fait de tout temps, et qui continuent de faire à travers les siècles, le fond dernier de la vie humaine. […] Le roman devait utiliser cette préoccupation devenue générale : et, tout naturellement, nous avons rencontré dans les romans de M.  […] Il lui devenait aisé de donner une forte unité à son œuvre, du jour où le respect de la tradition s’imposait à son esprit et à son cœur. […] Les figures y deviennent plus précises, plus significatives et plus originales.

867. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Conçue dans le système objectif de Renan, cette conscience momie, aux procédés froids, Madame Gervaisais n’est pas une étude plus vraie de la conversion d’une âme devenue chrétienne que l’histoire de Jésus-Christ, par Renan, n’est son histoire. […] Elle commence par être la garçonnière de mauvais ton que le stupide et grossier américanisme de notre temps a mise à la mode dans certains milieux d’esprits fourbus ; mais, peu à peu, elle se débarrasse de cette gourme odieuse et elle devient une délicieuse fille, mourant sous les voiles d’une virginité qui n’a rien aimé dans sa vie que son père. […] Les peintures sur peintures des objets physiques, les badigeonnages éternels, les enluminures acharnées et effrontées, qui fatiguent d’abord et deviennent bientôt insupportables, ne sont pas la vie et ne peuvent pas la remplacer. […] Seulement, demandez-vous ce que devait devenir pareille idée sous une plume tombée à ne plus vivre que d’aumônes et à s’éparpiller dans des renseignements ramassés de toutes parts pour elle, et non par elle ! […] Puisque l’esprit des romanciers de cette heure n’a plus assez d’énergie pour créer sans avoir un modèle sous les yeux ou dans la mémoire, et que les mannequins sont devenus de première nécessité, en littérature !

868. (1902) Propos littéraires. Première série

C’est ici que cela devient très embarrassant. […] L’amour devenu haine éloquente est une belle chose. […] Ce pourrait devenir une délicieuse comédie sentimentale. […] Le défaut est presque devenu une qualité. […] Le voilà devenu un révolté.

869. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Serais-je devenu insensible à vos charmes ? […] Je suis devenu chrétien. […] Ce qu’il a inspiré, et qui avait été neuf, est devenu banal. […] Étant illustre, il devient facilement populaire. […] Mais, vers les dernières années, l’empereur devient décidément insupportable.

870. (1893) Impressions de théâtre. Septième série

devenir son amant (pourquoi pas, si elle l’avait bien voulu ?  […] Il y en a même qui deviennent des chefs-d’œuvre avec le temps. […] Darcel est devenu l’amant de Mme d’Argilès. […] On devient clément à la vie quand on commence à se retirer de la vie. […] Il y a des moments où j’ai peur de devenir fou, oui, fou, et pire encore.

871. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Est-ce d’une érudition laborieuse et patiente qu’on se targuera pour devenir les précepteurs du génie ? […] Cette consolante imposture abuse le désespoir, et devient une sorte de jouissance pour le malheur. […] N’eût-il pu le remplir en nous apprenant ce que devint son héros disparu jusqu’à sa trentième année ? […] L’année 1572 devint célèbre par la publication de la Lusiade. […] dès ce moment je l’adopte pour mère ; « Oui je deviens son fils et tu deviens mon frère : « Eh qui peut trop chérir la mère d’un tel fils !

872. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Ainsi comprise, l’histoire devient un roman réel. […] Il devint ensuite préfet de Maine-et-Loire. […] Il devint le principal meneur de la révolution en Corse. […] Je deviens bête devant votre frère à force de vouloir lui plaire. […] Le baron de Gelder devint naturellement général français, comme les ducats et les rixdales devenaient des napoléons et des pièces de cent sous.

873. (1896) Écrivains étrangers. Première série

L’élève modèle devint un mauvais élève, distrait, ennuyé, indifférent désormais aux leçons de ses professeurs. […] Il était d’ailleurs devenu indifférent à une foule de choses : la musique seule l’intéressait vraiment. […] Plus tard, à la vérité, le travail lui était devenu un peu plus facile. […] Le plus souvent même il ne répliquait pas : et c’est alors que Freeman devenait enragé. […] Je ne dis pas qu’ils y seraient devenus moins intelligents, ni que leur talent s’y serait amoindri.

874. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Et, surtout, évite ces trois choses : de devenir trop gras, de prendre des actions industrielles, et de te marier. […] « Que te voilà devenue grande, Sûzel ! […] Puis, tout à coup, tout devenait blanc : c’était lui, le soleil, qui venait enfin de paraître. […] Sûzel, le voyant venir, devint toute pâle et dut s’appuyer contre le pilier ; elle n’osait plus le regarder. […] » Elle alors, levant ses grands yeux bleus comme en rêve, de pâle qu’elle était, devint toute rouge : « Oh !

875. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

Asnières deviendra port de mer. […] La profession de ramoneur est devenue une sinécure. […] Il faut faire une espèce de stage avant de devenir titulaire. […] Son ignorance même devient pour lui un brevet d’outrecuidance. […] Ses infidélités à son école deviennent plus fréquentes.

876. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Renan l’avait déjà très bien vu : il s’en fallut de peu que le monde ne devînt mithriaque ou mithraïste, au lieu de devenir chrétien. […] Mais d’hier à aujourd’hui, leur composition a varié dans une petite mesure : tel qui était employé est devenu patron ; tel qui était ouvrier est devenu entrepreneur ; tel qui était valet de ferme est devenu fermier. […] C’est ainsi que l’on devient sorcier. […] Alors, cela devient un paradis pour « Cook’s tourists ». […] N’étant plus exempts, ils sont devenus non-patriotes.

877. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Chez Kant, ces distinctions deviennent des séparations. […] Les concepts dont elles se composent deviennent inintelligibles, quand on en fait des êtres. […] Le déterminisme, en se resserrant, devient plus impénétrable et plus irréductible à la nécessité. […] Dès lors, pour devenir objet de science, l’âme devra être considérée sous le point de vue de l’étendue. […] Les impressions, en s’affaiblissant, deviennent des idées.

878. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

Ces hommes, protégés par Tibère, devinrent le fléau de l’empire. […] La bassesse devint crime d’État : on était coupable d’avoir connu, d’avoir salué le favori. […] La littérature, au lieu d’être une action, devenait une étude ; elle passait du forum dans le cabinet. […] Peut-être même les ouvrages les plus nationaux sont-ils ceux qui deviennent le plus cosmopolites. […] Enfin l’ouvrage parut ; et ce poème, devenu l’orgueil de l’Angleterre, n’obtint d’abord aucun succès.

879. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Sa mère, devenue veuve, s’était remariée en 1811 à M. de Forcade La Roquette, qui fut juge de paix à Paris pendant plus de trente ans. […] Quand il sera chef de bataillon, il visera de même, et avec la même fixité, à devenir colonel, puis quand il sera colonel à devenir maréchal de camp. […] D’une activité inconcevable, il devient minutieux. […] Qui sait ce que tout cela deviendrait sur une plus grande échelle et dans un cadre plus étendu ? […] Le duc d’Aumale devient gouverneur général de l’Algérie.

880. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Il eût fallu continuer de la même manière, faire passer sous nos yeux les systèmes vivants, comme des idées devenues des âmes. […] Ainsi, malgré Bouddha, le « vol des paille-en-queue » dans la lumière lointaine est devenu l’espérance. […] Elle est bien vague et vacillante ; souvent il a douté d’elle, et toujours il se tourne vers elle ; est-il certain que la lueur rêvée ne deviendra jamais une visible lumière ? […] Après tout, l’incrédulité est devenue chose assez banale ; mais ce qui est un moyen toujours ancien et toujours nouveau de succès, c’est le scandale. […] Au lieu de scandaliser, le livre fût du même coup devenu édifiant y il n’eût pas été pour cela plus démonstratif qu’il ne l’est.

881. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Leur organisation tout entière semble être devenue plastique, et tend à s’éloigner au moins en quelque degré de celle du type originel. […] À peine un homme sur mille possède-t-il la sûreté de coup d’œil et de jugement nécessaire pour devenir un habile éleveur. […] Peu de personnes croiront aisément combien il faut de capacités naturelles et d’expérience pour devenir même un habile amateur de Pigeons. […] — On pourrait objecter que le principe de sélection n’est devenu une méthode pratique que depuis trois quarts de siècle à peine. […] On peut attribuer quelque part à l’action directe des conditions de vie et quelque chose à l’usage ou au défaut d’exercice des organes : le résultat final devient ainsi très complexe.

882. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

La gloire de Bossuet est devenue l’une des religions de la France ; on la reconnaît, on la proclame, on s’honore soi-même en y apportant chaque jour un nouveau tribut, en lui trouvant de nouvelles raisons d’être et de s’accroître ; on ne la discute plus. […] Ce qu’il y a de singulier pourtant dans cette fortune et cette sorte d’apothéose de Bossuet, c’est qu’il devient ainsi de plus en plus grand pour nous sans, pour cela, qu’on lui donne nécessairement raison dans certaines controverses des plus importantes où il a été engagé. […] Il y devint successivement sous-diacre, diacre, archidiacre et prêtre (1652). […] Et nous, au contraire, c’est une allusion au parti qui favorisait les Espagnols, au prince de Condé qui en était devenu l’allié et le général. […] La langue de ce sermon, comme de tous les discours de ces années, est un peu plus ancienne que celle de Bossuet devenu l’orateur de Louis XIV ; on y remarque des locutions d’un âge antérieur : « Or encore que nous fassions semblant d’être chrétiens, si est-ce néanmoins que nous n’épargnons rien, etc. » Il est dit que l’exemple de la ruine de Jérusalem et de cette vengeance divine, si publique, si indubitable, « doit servir de mémorial ès siècles des siècles ».

883. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Celui qui devait être le plus animé et le plus contrasté de ses ouvrages est devenu insensiblement le plus triste et le plus funèbre. Il est intéressant de voir cette lutte des deux natures, et cette résistance de l’homme du Nord, déjà devenu si Italien, à le devenir davantage. […] Je suis toujours étonné de la singulière direction que l’on adopte pour devenir peintre : il me semble qu’elle est absurde ; car je ne peux pas me représenter un homme qui a quelque chose dans la tête, qui passe des années à copier. […] Léopold Robert avait des besoins de cœur de plus en plus timides et de plus en plus profonds avec l’âge : « Je ne peux m’expliquer, pensait-il, comment on peut trouver dans ce monde des êtres qui paraissent n’éprouver aucun besoin de nourrir le cœur. » Il craignait avec les années le refroidissement graduel de ce qui fait la vie morale : « En vieillissant, on devient d’un froid de cœur !

884. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Involontairement on se demande, en lisant sa vie et en le voyant contenu autant qu’appuyé par Mme de Maintenon et par Louis XIV, ce qu’il serait devenu à une époque où la carrière était ouverte plus largement, et où il n’y avait pas de limites aux espérances : où se serait-il arrêté ? […] Agréé toutefois de Louis XIV au début de ses conquêtes de Flandre pour son expérience et sa bonne mine, et devenu l’un de ses aides de camp, il se reprenait aux grandes espérances, lorsque l’inimitié de Louvois, qui haïssait en lui l’allié du maréchal de Bellefonds, l’arrêta de nouveau, du moins dans son avancement militaire ; car le marquis de Villars eut depuis de grandes missions et des ambassades. […] Un jour qu’un homme d’État, un homme politique comme nous dirions, s’étonnait un peu malignement qu’un guerrier sût tant de vers de comédie : « J’en ai joué moins que vous, répliqua-t-il gaiement, mais j’en sais davantage. » Supposez que le mot est dit au cardinal Dubois ou à quelqu’un de tel, il devient très joli et des plus piquants. […] Faites-les commander, prenez les officiers que vous voudrez ; et, en suivant l’armée ennemie pendant trois ou quatre jours, vous verrez ce qu’elle deviendra, et ce que vous pourrez faire sans vous commettre. » Le lendemain soir, au retour, Villars ramenant bon nombre de prisonniers qu’il avait enlevés, le maréchal lui dit : « Nous aurions été brouillés ensemble, si je ne vous avais pas donné un détachement pour suivre vos amis que vous ne sauriez perdre de vue. » En 1677, à la bataille de Mont-Cassel près Saint-Omer, commandant une réserve de cinq escadrons, Villars conseilla sur la droite des ennemis une charge qui, faite à temps, eût rendu la victoire décisive ; mais un ordre précis, apporté par l’aide de camp Chamlay, homme de confiance de la Cour, le força de s’abstenir et de se diriger ailleurs. […] Cet homme, qui à vingt et un ans était colonel et si en vue auprès des chefs, ne devint maréchal de France qu’à près de cinquante.

885. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Bonstetten, en son premier temps, aux belles années du xvie  siècle, avait eu, il est vrai, une jeunesse fervente, enthousiaste, engouée, selon la forme d’idées et de sentiments qui régnaient alors, avec des teintes de Jean-Jacques et des reflets de Werther ; mais cela lui avait passé : il s’était rassis ; il était devenu vieux ; vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, il était redevenu Bernois ou avait tâché de le redevenir, de se faire un homme sérieux, un homme politique, un bailli, un syndic ou syndicateur (comme ils disent), un aspirant au conseil souverain de son canton ; il s’acclimatait petit à petit à l’ennui ; en un mot, à l’exemple du commun des hommes, il était en train de vieillir, et il y réussissait par le cours naturel des ans et des choses, quand les événements qui, à la suite du grand mouvement de 89, bouleversèrent son pays, vinrent le secouer lui-même et le déranger, le déconcerter et l’affliger d’abord ; mais bientôt il se remit, il voyagea, il trouva des oasis et des asiles, des cercles heureux où l’amitié lui vint rendre la joie, l’espérance et l’harmonie de sentiments à laquelle il aspirait par sa nature : et c’est alors qu’il rajeunit tout de bon. […] Les Bonstetten devinrent ainsi un des six grands et vieux lignages du patriciat bernois. […] Avec des républicains, me dit un de ceux qui ont été le mieux à même de l’apprécier (le comte de Circourt), Bonstetten était gentilhomme ; avec des gentilshommes il devenait républicain. […] À dix-huit ans, le père de Bonstetten le tira de cette vie d’idylle et le plaça à Genève chez le ministre Prévost, père de celui qui devint le célèbre professeur Pierre Prévost. […] Peut-être, et c’est la solution qui nous sourit le plus, eût-il fini par se livrer entièrement aux lettres et par se fixer dès lors dans cette cité qui devint plus tard sa dernière patrie : « Mais au moins, remarque M. 

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