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804. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

On les supposait encore plus unis qu’ils ne l’étaient. […] Il suppose que son républicanisme prend à volonté toutes les formes : « Il a serpenté avec succès, dit-il, au travers des orages et des partis, se réservant toujours des expédients, quel que fût l’événement. » Rien ne paraît moins juste que cette assertion quand on a suivi, comme je viens de le faire, la ligne de Roederer jour par jour d’après ses écrits.

805. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Le roi commettait une erreur assez ordinaire aux souverains directeurs d’armée, erreur en partie volontaire, qui consiste à prétendre que le général a plus de troupes sous le drapeau qu’il n’y en a en effet, et que les ennemis en ont moins qu’on ne le suppose. […] Je sais que vous n’avez pas un corps de troupes suffisant pour présenter la bataille au prince de Bade, s’il est en plaine devant vous ; mais vous n’êtes point assez faible pour lui laisser prendre Landau sans y mettre quelque obstacle, ce qui se peut par plusieurs moyens différents… (Et après un aperçu de ces moyens :) Tout ce que je vous mande n’est que pour vous donner différentes vues, et vous mettre en état de faire un plan qui ne peut être autre que de secourir Landau en cas que je vous envoie suffisamment de troupes… Mais, supposé que je ne le puisse pas faire et que je sois obligé d’abandonner cette place à sa propre défense, ne pourriez-vousc, en ce cas, faire quelque entreprise qui puisse donner lieu à une diversion, ou du moins empêcher le mauvais effet que produirait l’inaction dans laquelle vous demeureriez ?

806. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Damas-Hinard croit avoir de bonnes raisons de supposer que ce mariage était le second de Rodrigue qui avait alors quarante-huit ans environ ; il y aurait eu une première Chimène. […] Il n’est pas défendu assurément de supposer que Rodrigue, qu’elle a vu à Bivar, n’a pas été sans lui plaire ; mais rien de cela ne perce ni ne se laisse deviner dans son air ni dans ses paroles ; sa franchise même éloigne le soupçon ; personne, après l’avoir entendue, n’a l’idée de sourire.

807. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Et pour n’en citer qu’un exemple, dès la seconde strophe, Corydon suppose un jeune chasseur qui dédie à Diane la tête d’un sanglier et les cornes d’un cerf ; et, si ses chasses continuent à être heureuses, il promet à la déesse, au lieu d’un buste, un socle de marbre, d’où elle s’élancera en pied avec le cothurne couleur de pourpre. […] Il suppose un pauvre jardinier qui offre au gardien de son enclos, à Priape, quelques gâteaux et une cruche de lait.

808. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Je sais bien qu’au fond et à la rigueur elle peut se défendre ; car, si vous supprimez dans l’amitié tout ce qui en fait le charme et le prix, si vous vous plaisez, par supposition, à retirer une à une toutes les qualités de votre ami ; si, au lieu d’un homme libéral et généreux, vous en faites subitement un maniaque qui tourne à l’avare ; si, au lieu d’un esprit libre, vous supposez qu’il soit devenu sectaire ; si, au lieu d’un être intelligent, vous le supposez en décadence, en enfance, et n’étant plus lui-même, il est bien clair que les conditions de l’amitié sont changées.

809. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ? […] Mais ayant en face de lui un pouvoir temporel qui se disait à tout propos très-chrétien, et un parti libéral, révolutionnaire, à qui il supposait au contraire des intentions très-antichrétiennes, il n’eut d’autre marche à suivre que d’opposer d’un côté aux champions de la souveraineté du peuple quand même la souveraineté de l’ordre d’esprit et de justice, et, d’un autre côté, de parler aux défenseurs soi-disant chrétiens de l’obéissance passive le langage catholique sur l’admissibilité des pouvoirs et la suprématie d’une seule loi.

810. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Dans la seconde, j’examinerai l’état des lumières et de la littérature en France, depuis la révolution ; et je me permettrai des conjectures sur ce qu’elles devraient être et sur ce qu’elles seront, si nous possédons un jour la morale et la liberté républicaine ; et fondant mes conjectures sur mes observations, je rappellerai ce que j’aurai remarqué dans la première Partie sur l’influence qu’ont exercée telle religion, tel gouvernement ou telles mœurs, et j’en tirerai quelques conséquences pour l’avenir que je suppose. […] Les ambitieux et les avides, tantôt cherchent à tourner en dérision la duperie de la conscience, tantôt s’efforcent de supposer d’indignes motifs à des actions généreuses : ils ne peuvent supporter que la morale subsiste encore ; ils la poursuivent dans le cœur où elle se réfugie.

811. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Supposez d’abord un très petit nombre d’hommes extraits d’une nation immense, une élection combinée, et par deux degrés, et par l’obligation d’avoir passé successivement dans les places qui font connaître les hommes et exigent, et de l’indépendance de fortune, et des droits à l’estime publique pour s’y maintenir. […] Mais à vingt-cinq ans, à cette époque précise, où la vie cesse de croître, il se fait un cruel changement dans votre existence ; on commence à juger votre situation ; tout n’est plus avenir dans votre destinée ; à beaucoup d’égards votre sort est fixé, et les hommes réfléchissent alors s’il leur convient d’y lier le leur ; s’ils y voient moins d’avantages qu’ils n’avaient cru, si de quelque manière leur attente est trompée ; au moment où ils sont résolus à s’éloigner de vous, ils veulent se motiver à eux-mêmes leur tort envers vous ; ils vous cherchent mille défauts pour s’absoudre du plus grand de tous ; les amis qui se rendent coupables d’ingratitude, vous accablent pour se justifier, ils nient le dévouement, ils supposent l’exigence, ils essayent enfin de moyens séparés, de moyens contradictoires pour envelopper votre conduite et la leur d’une sorte d’incertitude que chacun explique à son gré.

812. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Cela est plus commode pour l’attention paresseuse ; il n’y a que les termes généraux de la conversation pour réveiller à l’instant les idées courantes et communes ; tout homme les entend par cela seul qu’il est du salon ; au contraire, des termes particuliers demanderaient un effort de mémoire ou d’imagination ; si, à propos des sauvages ou des anciens Francs, je dis « la hache de guerre », tous comprennent du premier coup ; si je dis « le tomahawk », ou « la francisque », plusieurs supposeront que je parle teuton ou iroquois360. […] Avec la sensation Condillac anime une statue, puis, par une suite de purs raisonnements, poursuivant tour à tour dans l’odorat, dans le goût, dans l’ouïe, dans la vue, dans le toucher, les effets de la sensation qu’il suppose, il construit de toutes pièces une âme humaine.

813. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Il montre tout ce qui se peut montrer : mais il supprime tout ce qui ne se peut montrer, et suppose tout ce qui se peut imaginer. […] Comme il est peu guerrier, il se plaît à supposer la secrète poltronnerie du soldat : c’est un moyen de se venger des airs fendants qui l’humilient et l’intimident.

814. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Je suppose un lecteur qui connaît en gros les principaux traits de cette époque : l’œuvre de Richelieu attaquée et près de périr ; un parlement qui veut régir l’État et ne rend pas la justice ; un Condé, un Turenne menant les armées étrangères contre la France ; des finances mises au pillage ; un premier réparateur, l’Italien Mazarin, plus Français que les Français de la Fronde, mais qui se paye de ses services par des mains qui prennent tout ; que va-t-il demander à l’historien de cette époque ? […] Il a supposé un Bossuet à double visage ; théologien pour la robe et pour les honneurs, philosophe dans le fond.

815. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Les contes de Perrault, les fables de La Fontaine, à supposer qu’elles soient faites pour des enfants, quelques récits de Fénelon, voilà à peu près tout ce qu’on avait composé à leur usage, en dehors des livres de classe qui ne pouvaient point passer pour des livres d’agrément. […] On ne supposait pas qu’elles pussent avoir le moindre intérêt pour le public.

816. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

. — Supposons vaincues les difficultés que nous venons de signaler. Supposons connu jusque dans ses nuances cet état moral si malaisé à démêler : la littérature le reflète comme un miroir qui peut l’embellir, l’enlaidir ou le reproduire tel quel, mais qui en donne toujours une image plus ou moins ressemblante.

817. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Le Philosophe, ne se donne point la peine de distinguer ; il suppose que tous les Princes sont furieux, que toutes les Nations sont stupides, que tous les Militaires sont ineptes & barbares. […] Il veut à toute force me ravir le peu de mérite que les Trois Siecles supposent, & ne me laisser que les haines qu’ils m’ont attirées.

818. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

. — Supposez une société démocratique née d’une révolution qui a aboli tous les privilèges de l’aristocratie, supposez que dans cette société il y ait encore, comme dans toutes les sociétés du monde, des heureux et des misérables, des riches et des pauvres : croit-on qu’il serait difficile de persuader à ceux-ci que la pauvreté des uns et la richesse des autres sont le résultat de certains privilèges des classes supérieures, et viennent de l’oppression des pauvres par les riches ?

819. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Ces portraits et caractères composés si savamment, mais composés et concertés, auraient pris plus de naturel et de vie ; les originaux vrais auraient apparu, se seraient développés avec ampleur et abandon, et je ne sais quel charme qui leur manque ; je le suppose toujours à l’abri du trop de facilité et de laisser-aller. […] C’est supposer faite l’œuvre qu’il s’agit de faire : c’est croire les masses morales et instruites.

820. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

Le fils des bâri et L’enfant supposé (Barsaz-Breiz)60. […] Légende de NDiadiane NDiaye et l’Enfant supposé (Barsaz-Breiz).

821. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Donc on peut supposer Chapelle peut-être, ou plutôt on doit, et c’est ma conclusion très arrêtée, renoncer à donner aucun nom réel. […] La Fontaine suppose qu’ils ont été à Versailles, pour se promener d’abord et pour écouter le roman de Psyché que La Fontaine veut leur lire.

822. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Prenons un exemple déjà produit : Supposez une chambre avec un enfant qui joue, une nourrice qui le surveille, tandis que la mère est occupée à quelque ouvrage. […] Maintenant supposez qu’au lieu de dire : « Fermez cette fenêtre », la mère dise : « Fermez cette fenêtre, parce que l’enfant pourrait avoir froid. » Ne croyez-vous pas que cette fois-ci la servante ressentira comme la mère la nécessité de ce simple fait, qu’elle l’accomplira de tout cœur, qu’elle se sentira même « augmentée » par cette communion en la pensée d’autrui, qu’elle se sentira plus liée à la famille de l’entant, plus joyeuse en un mot d’agir réellement avec cette famille pour un intérêt commun ?‌

823. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Je n’aurais qu’à supposer que le soir ayant lu, avant de m’endormir, quelques pages des Analecta alexandrina, les auteurs eux-mêmes m’apparurent en songe, accompagnés de toute la foule des ombres poétiques dont le temps a dispersé les restes et nivelé les tombeaux.

824. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Nous avons foi, nous Français, dans l’un et dans l’autre de ces principes, et armés de ce double instrument de critique, nous ouvrons le premier théâtre comique venu, le théâtre d’Alfred de Musset, je suppose, et nous raisonnons ainsi : un poète comique peut paraître derrière ses personnages de deux manières : soit en faisant une allusion complaisante à lui-même, à sa vie, à son caractère, à ses goûts, soit en déployant avec coquetterie les grâces de son imagination et de son esprit.

825. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Une partie suppose l’autre ; et si un détail est vrai, tout est vrai ; car tout se tient d’un enchaînement nécessaire.

826. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

À supposer que l’esprit soit assez décidé ou assez alerte pour ne pas s’inquiéter de l’absence de plan et n’en pas ralentir sa marche, il s’exemptera de la crainte de l’erreur, mais non de l’erreur même.

827. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Croit-on que, sans les leçons des astres, sous le ciel perpétuellement nuageux que je supposais tout à l’heure, elles auraient changé si vite ?

828. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

1Or ce travail suppose l’Idée.

829. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre II. Enfance et jeunesse de Jésus. Ses premières impressions. »

L’hypothèse que nous proposons lève seule l’énorme difficulté que l’on trouve à supposer deux sœurs ayant chacune trois ou quatre fils portant les mêmes noms, et à admettre que Jacques et Simon, les deux premiers évoques de Jérusalem, qualifiés de « frères du Seigneur », aient été de vrais frères de Jésus, qui auraient commencé par lui être hostiles, puis se seraient convertis.

830. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Quelquefois, en effet, les Samaritains le recevaient mal, parce qu’ils le supposaient imbu des préjugés de ses coreligionnaires 665 ; de la même façon que de nos jours l’Européen libre penseur est envisagé comme un ennemi par le musulman, qui le croit toujours un chrétien fanatique.

831. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

De peur d’encourir l’indignation du cardinal, ou de compromettre son infaillibilité supposée en matière de goût, elle tâcha d’abord d’éluder la commission.

832. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

« Examinons, disions-nous encore, ce que c’est que l’homme ; oublions que nous sommes nous-même une de ces misérables et sublimes créatures appelées de ce triste et beau nom dans la création universelle ; échappons, par un élan prodigieusement élastique de notre âme immatérielle et infinie, à ce petit réseau de matière organisée de chair, d’os, de muscles, de nerfs, dans lequel cette âme est mystérieusement emprisonnée ; supposons que nous sommes une pure et toute-puissante intelligence capable d’embrasser et de comprendre l’univers, et demandons-nous : Qu’est-ce que l’homme ? 

833. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

Il les pleure, il s’occupe du soin d’honorer leur mémoire, il leur élève un cénotaphe : ce qui suppose un intérêt tendre, car enfin leurs corps étaient dispersés.

834. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Le peintre suppose que le souverain pontife fut trop persuadé de la présence réelle, pour être surpris des évenemens les plus miraculeux qui pussent arriver sur une hostie consacrée.

835. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Supposé même qu’on pût, après une simple lecture, donner un bon avis à l’artisan sur la conformation de son ouvrage : seroit-il assez docile pour s’y rendre ?

836. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Ciceron suppose que, generalement parlant, tout le monde en sçut assez pour lire du moins une partie de ces chants, et que par consequent ils fussent écrits la plûpart avec les accens.

837. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Son style, devenu léger, qui n’appuie jamais, même quand il pourrait appuyer, allégé encore par l’amour que je lui suppose, ressemble à ce Mercure que Shakespeare fait descendre du ciel sur le sommet d’une colline, dans la clarté pure du matin… Amoureux sans bandeau qui a l’ironie par-dessus la tendresse, et qui fait une caresse de cette ironie.

838. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Supposez Voltaire honnête homme et serviteur d’une cause de vérité, il aurait pu rire dans l’histoire de ce rire que j’appelle bienfaisant, — oui !

839. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Il n’a été que cela, en effet, cet homme qu’on a voulu bâtir de plusieurs hommes, dans lequel on s’est acharné à supposer toutes les facultés humaines réunies dans je ne sais quel chimérique et éblouissant faisceau ; il n’a été qu’un poète : mais c’est suffisant pour la gloire, un poète, cette prodigieuse anomalie entre la vie et la pensée, mené par ses passions comme tous les poètes, et dont l’existence fut d’une tristesse et d’une misère à faire pitié.

840. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Le Manfred, tout merveilleux qu’il soit, pourrait Être joué, et dans la pensée de Byron, quand il l’écrivait, il supposait un théâtre, tandis que dans la pensée de M. de Laprade les Idylles héroïques sont de la poésie lyrique au premier chef.

841. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Supposez qu’Alfred de Musset, M. de Lamartine, M. 

842. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.

843. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Conclusion »

* ** On comprendra mieux, d’ailleurs, l’étroitesse d’une conception qui attribuerait, à la seule force de l’idée de l’égalité, le développement des formes sociales que nous avons énumérées, si l’on embrasse, d’un rapide coup d’œil, la multiplicité des conditions que suppose l’existence de chacune d’elles.

844. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Tout à coup il personnifie les lois, et suppose qu’au moment même où il va mettre les pieds hors de la prison pour s’enfuir, les lois lui apparaissent et lui crient : « Socrate, que fais-tu ?

845. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Pufendorf méconnaît cette providence ; Selden la suppose ; Grotius en veut rendre son système indépendant.

846. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Tout livre suppose une part d’oubli volontaire, — et cela c’est la composition ; — une part d’oubli accidentel, — et cela ce sont les hasards de l’individualité. […] Il le juge d’après ce que cet auteur lui a appris, il lui fait la leçon monté sur ses épaules, et il laisse volontiers supposer dans cette position qu’il est plus grand que lui, qu’il en sait plus que lui, qu’il aurait mieux fait que lui. […] La critique ordinaire suppose l’œuvre faite. La critique de Valéry et de Hugo suppose l’œuvre parfaite (c’est le sens de l’ admirer comme une brute qu’on a reproché, sans le comprendre, à Hugo). Il faudrait supposer l’œuvre non encore faite, l’œuvre à faire, entrer dans le courant créateur qui est antérieur à elle, qui la dépose et qui la dépasse.

847. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Ce ravissement, d’ailleurs, nous ne saurions le traduire (à supposer que nous en eussions le talent) qu’en le faisant cesser par la même. […] Car enfin supposez que Jocelyn résiste aux objurgations de son évêque et que, dans le temps même où la persécution ensanglante l’Église à laquelle il avait promis de se dévouer, ce séminariste aille retrouver sa bonne amie. […]  » Renan, il est vrai, suppose que ces tyrans seraient bons. Il le suppose parce que cela lui fait plaisir, et bien que la nature même des moyens de compression qu’il leur prête et le fait même de tourner la science en instrument de domination et de terreur soient peut-être contradictoires à l’idée de bonté. […] C’est ce Dieu-là dont Lamartine suppose la loi enfin obéie par tous les hommes dans l’idéale cité d’Utopie.

848. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Supposons que je sois un peintre célèbre et que le chef de l’école des Rutilants me fasse l’honneur de venir poser dans mon atelier au bénéfice de la postérité. […] Paul de Saint-Victor, du moins je le suppose, les confrères du jeune écrivain n’en ont pas moins été à peu près unanimes à condamner la falsification historique dramatisée pour la scène française. […] Supposez l’acte supprimé, la portée philosophique de l’œuvre disparaît. […] André Leclerc suppose d’abord qu’il a rencontré une voix. […] Taxile Delord, auquel je supposais d’excellents yeux.

849. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

« Jamais une société n’est sortie d’une délibération. » Cette délibération suppose déjà une société parfaitement organisée. […] On prie le juge : c’est le supposer prévaricateur ; c’est être sûr qu’il l’est, et le lui dire. […] La supposer inventée, c’est supposer une idée cherchant son mot qui n’existe pas, c’est-à-dire une idée n’existant pas et voulant naître, c’est-à-dire un néant plein d’énergie. […] Supposer rien pour commencer, et ce rien, grâce à une immense bonne volonté et beaucoup de temps, insensiblement devenant tout, c’est la théorie du langage sans Dieu, comme c’est la théorie du monde sans créateur. […] Pour s’y mettre, il faudrait délibérer, et délibération suppose déjà l’homme en société.

850. (1894) Critique de combat

Pas moyen seulement de supposer qu’ils ne sont pas ressemblants ! […] Supposez que M.  […] En récrivant à sa manière la vie de Jésus, il suppose que le Christ mourant a lancé vers le ciel cinq gouttes de sang. […] faut-il supposer que M.  […] Je ne veux pas supposer que M. 

851. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Supposons même que sa plume ne soit pas de ce vil métal, encore faudrait-il qu’elle eût été arrachée à l’aile de l’aigle. […] Daudet suppose que nous connaissons maintenant à fond son héros. […] Je suppose que vous avez vu ou que vous verrez la pièce, ou que vous en avez lu l’analyse dans les journaux. […] À supposer que quelques-unes ne renonçassent point à l’amour, elles aimeront selon la nature et s’en tiendront aux unions libres. […] Supposez avec cela l’intervention d’une influence étrangère et les anxiétés de la femme accrues par des conseils ou des insinuations qui l’effrayent.

852. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Il est impossible de dédoubler notre être, de supposer qu’en nous cela seul est esthétique qui est passif. […] Au lieu de supposer un besoin ou désir suivi d’un plaisir chez le personnage en quête des halles de Paris, il ne suppose qu’une suite d’efforts, de raisonnements et de calculs : or, le raisonnement est opposé au sentiment en général, à plus forte raison au sentiment esthétique. […] Supposez, pour prendre des exemples éloignés, les grandes scènes d’Euripide et de Corneille vécues devant vous au lieu d’être représentées ; supposez que vous assistiez à la clémence d’Auguste, au retour héroïque de Nicomède, au cri sublime de Polyxène : ces actions ou ces paroles perdront-elles donc de leur beauté pour être accomplies ou prononcées par des êtres réels, vivants et palpitants sous vos yeux ? […] La grâce, en effet, suppose une certaine détente des muscles, qui ne se produit guère chez l’animal qu’à l’état de repos, de vie expansive et d’intention pacifique. […] Cette beauté-là n’est, bien entendu, qu’une condition du beau plastique, mais elle est fort estimée des artistes, parce qu’elle est essentielle et rare, et suppose une grande puissance d’observation.

853. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Supposé d’ailleurs que le progrès social fût au prix d’un sacrifice passager, qui ne coûterait rien à notre indépendance non plus qu’à notre dignité, mais seulement quelque chose à notre vanité, l’hésitation ne serait pas permise. […] Supposons que le dogme chrétien, sa métaphysique et sa morale ne soient que des « adaptations » de la philosophie grecque aux exigences du texte biblique. […] Il a besoin de le supposer pour faire son article, dont toute la force n’est faite que de la faiblesse des raisons qu’il prête à ceux contre lesquels son éloquence se déchaîne ; il le suppose donc ; et le voilà parti !

854. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Maintenant supposez que les six pièces, comédies ou drames, que j’ai données au Théâtre-Français, ne m’aient pris chacune que six semaines de composition et d’exécution, ce qui est insupportable7, mais je veux faire la part belle à M.  […] Supposez, maintenant, ce qui est tout aussi insupportable, supposez, disons-nous, que les répétitions de ces six ouvrages n’aient pris pour chacun que six semaines, vous aurez un autre chiffre de neuf mois, qui, ajouté au premier, donnera un total de dix-huit mois, c’est-à-dire d’un an et demi. […] Ce serait faire injure à ce corps, car ce serait supposer que ses membres ne lisent pas et qu’ils restent tout à fait étrangers au mouvement littéraire de notre époque.

855. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

Ces esprits, dans les théories sophistiquées et super-fines qu’ils appliquent au gouvernement de la société, supposent trop que le commun des hommes leur ressemblent.

856. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Pour prendre une comparaison tout à fait à la portée d’un respectable scholar, comme nous aimons à supposer qu’est l’auteur, c’est un peu, qu’il le sache bien, comme s’il avait avalé, sans s’en douter, Anacréon dans Arcbiloque.

857. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Aristote est dans l’ignorance la plus complète sur toutes les questions générales que l’histoire de son temps n’a point éclaircies ; il ne suppose pas l’existence du droit naturel pour les esclaves.

858. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

La poésie antique du Nord suppose beaucoup moins de superstition que la mythologie grecque.

859. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Mais la religion, dans l’acception générale, suppose une inébranlable foi, et lorsqu’on a reçu du ciel cette profonde conviction, elle suffit à la vie et la remplit toute entière ; c’est sous ce rapport que l’influence de la religion est véritablement puissante, et c’est sous ce même rapport qu’on doit la considérer comme un don aussi indépendant de soi, que la beauté, le génie, ou tout autre avantage qu’on tient de la nature, et qu’aucun effort ne peut obtenir.

860. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Quand Goethe déclare que « Klopstock n’avait aucun goût, aucune disposition pour voir, saisir le monde sensible, et dessiner les caractères », quand il trouve ridicule cette ode où le poète suppose une course entre la Muse allemande et la Muse britannique, quand il ne peut supporter « l’image qu’offrent ces deux jeunes filles courant à l’envie à toutes jambes et les pieds dans la poussière » : à ce moment-là Goethe est moins content, moins heureux, il jouit moins du plaisir de vivre, du bonheur de sentir que madame de Staël, qui traduit avec enthousiasme cette même ode, et déclare fort heureux tout ce que Goethe trouve ridicule.

861. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Au reste c’est l’éternelle antinomie : l’exercice de la vertu suppose l’homme libre, et les doctrines qui marquent le plus haut degré de l’effort moral dans la vie de l’humanité, stoïcisme, calvinisme, jansénisme, sont celles qui théoriquement suppriment la liberté.

862. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Pour tout ce qui est forme, M. de Régnier ne doit se défier que de sa facilité même, si elle est bien telle que je l’ai supposée ici — et rendre parfait ce qui l’est presque.

863. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

» Incident piquant si l’on songe que le Symbolisme est déjà en route pour s’installer triomphalement au foyer de Heredia et plus piquant encore s’il était permis de supposer que la belle ennemie éphémère des symbolistes ne fût autre que la future Madame Henri de Régnier, elle-même écrivain de grand talent et qui s’est fait une place enviée dans les lettres sous le nom de Gérard d’Houville.

864. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

On reconnaîtra, je suppose, à Lamartine un style fluide et musical, tout aussi bien que l’on convient que le fer est ductile et sonore.

/ 1858