/ 2008
914. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Plaisir ou étude, il veut que chaque chose qu’on fait, on la fasse bien, on la fasse tout entière et en son temps, sans se laisser distraire par une autre : Quand vous lisez Horace, faites attention à la justesse de ses pensées, à l’élégance de sa diction et à la beauté de sa poésie, et ne songez pas au De homine et cive de Pufendorf, et, pendant que vous lisez Pufendorf, ne pensez point à Mme de Saint-Germain ; ni à Pufendorf quand vous parlez à Mme de Saint-Germain. […] Il est à présent à l’école ; mais comme ici on ne songe pas à former les mœurs ou les manières des jeunes gens, et qu’ils sont presque tous nigauds, gauches et impolis, enfin tels que vous les voyez quand ils viennent à Paris à l’âge de vingt ou vingt et un ans, je ne veux pas que mon garçon reste assez ici pour prendre ce mauvais pli ; c’est pourquoi, quand il aura quatorze ans, je compte de l’envoyer à Paris… Comme j’aime infiniment cet enfant, et que je me pique d’en faire quelque chose de bon, puisque je crois que l’étoffe y est, mon idée est de réunir en sa personne ce que jusqu’ici je n’ai jamais trouvé en la même personne, je veux dire ce qu’il y a de meilleur dans les deux nations.

915. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

M. de Bonald avait donc bien près de quarante ans, et il n’avait pas songé à écrire ni à devenir auteur. […] comment songer à poursuivre sa démonstration didactique en un tel exemple ?

916. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Meyerbeer, ce grand dramatiste, et qui songe à tout, n’a eu garde d’omettre un effet qui rentre si pleinement dans le domaine musical, et, M.  […] À peine admis à l’Académie française, il avait songé aux moyens de corriger et d’améliorer le Dictionnaire, et cette pensée le porta à s’occuper des origines de la langue ; c’est ainsi qu’il fut insensiblement conduit à rechercher ce qui restait des anciens troubadours, et bientôt, l’horizon s’étendant devant lui, il découvrit tout un monde.

917. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Le plaisir que j’en ai éprouvé, je ne puis vous l’exprimer, mais je puis vous peindre la douleur et l’affliction que j’ai ressentie en me reportant au temps présent, et voyant disparaître cette atmosphère lumineuse qui un moment avait apparu à mes yeux et venait de s’évanouir comme un songe. […] Veut-on savoir, par exemple, comment il apprécie tout d’abord le politique en Bonaparte, lorsque, lié au siège de Toulon et depuis avec les révolutionnaires ardents, Robespierre jeune et autres, plus terribles pourtant de nom que de fait, le futur César les domine déjà et songe à se servir d’eux pour les chances possibles : Éloigné par caractère de tous les excès, dit Marmont de Bonaparte, il avait pris les couleurs de la Révolution, sans aucun goût, mais uniquement par calcul et par ambition.

918. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Vieux, ayant passé une journée, à Auteuil, à dire des folies avec Mme Helvétius, à lui conter qu’il voulait l’épouser et qu’elle était bien dupe de vouloir être fidèle à feu son mari le philosophe Helvétius, Franklin écrit le lendemain matin de Passy, à sa voisine, une très jolie lettre, dans laquelle il suppose qu’il a été transporté en songe dans les champs Élysées ; il y a trouvé Helvétius en personne, qui s’y est remarié, et qui paraît très étonné que son ancienne compagne prétende lui être fidèle sur la terre. […] « J’approuve, pour ma part, qu’on s’amuse de temps en temps à la poésie, dit-il, autant qu’il faut pour se perfectionner le style, mais pas au-delà. » Il a pourtant lui-même, sans y songer, des formes d’imagination et des manières de dire qui font de lui non seulement le philosophe, mais quelquefois le poète du sens commun.

919. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker, l’amour excessif de la louange, le culte de l’opinion qu’il ne songeait alors qu’à suivre et à satisfaire, sans paraître soupçonner à quel point elle était vaine et mobile. […] Necker, en présence de cette opinion dont il ne se défiait pas, songeait sans doute avant tout à faire le bien, à condition qu’il le ferait à son plus grand honneur personnel et à sa plus grande gloire.

920. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Arnault ne ressemblent pas à d’autres ; il les conçoit à sa manière et en invente les sujets ; il ne songe point à imiter La Fontaine, il songe à se satisfaire et à rendre d’une manière vive un résultat de son observation propre ; il obéit à son tour d’esprit, à son jet d’expression, et on ne peut s’étonner si, comme lui-même l’avoue, « l’apologue a pris peut-être sous sa plume un caractère épigrammatique ».

921. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

“Je me flâte, dit-il, qu’on trouvera de la conformité entre les unes & les autres (les Panégyriques) entre ma théorie & ma pratique, & d’autant plus, peut-être, que j’ai moins songé à y en mettre. […] Il faut les avoir étudiées, se les rappeller encore dans les intervalles du travail, & n’y plus songer pendant le travail même.

922. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Nous ne connaissons exactement aucun des obstacles qui arrêtent son développement progressif, et l’on ne peut s’en étonner si l’on songe combien nous sommes ignorants à cet égard, même en ce qui concerne l’Humanité, que nous connaissons cependant mieux qu’aucune autre espèce. […] J’ai calculé, principalement d’après le nombre très réduit des nids du printemps, que l’hiver de 1854-55 détruisit les cinq sixièmes des oiseaux sur mes propres terres ; et l’on voit que c’est une somme de destruction effrayante, lorsqu’on songe qu’une mortalité de dix pour cent est extraordinaire dans les épidémies humaines.

923. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Il est de la race du grand poète, impie au stoïcisme, qui disait : « Je les attends, les plus enragés stoïques, à leur première chute de cheval. » Ce n’est qu’un épicurien, sentant trop la douleur pour la nier, — mais un épicurien de la Pensée, un voluptueux de l’Idéal et de la Forme, ayant la sensibilité nerveuse de la femme et l’imagination des poètes qui s’ajoute à cette sensibilité terrible… Et, dans les livres où il parle de ses souffrances avec une expression tout à la fois délicieuse et cruelle, il ne songe pas une minute à se poser comme un résistant de force morale et de volonté héroïque… En ces livres, parfumés de douleur, il n’est que ce qu’il a été toute sa vie, dans ses livres de bonheur et de jeunesse, — c’est-à-dire bien moins une créature morale qu’une charmante créature intellectuelle, intellectuelle jusqu’au dernier soupir. […] Et quand on songe que de tels supplices sont mêlés, dans cette Correspondance, à d’ignobles questions d’argent, à des possibilités ou à des perspectives de misère pour la femme qu’il aime, quand il ne sera plus, à des débats honteux d’affaires et de famille, toute cette prose abjecte jetée à travers la poésie de ces nobles et grandioses souffrances, le cœur se soulève, il semble que toute cette Correspondance soit, par toutes ces basses horreurs, profanée !

924. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Quelques autres images du poëte de Tibur, cette courtisane, ces amis qui, fuyant avec la Fortune, disparaissent quand l’amphore est vide, vous faisaient songer seulement à d’humbles catastrophes de la vie privée sous les Césars. […] « Nous étions encore près de la mer, tels que le voyageur qui songe au départ, et déjà marche dans la pensée, mais demeure immobile : tout à coup, de même qu’au malin, à travers de lourdes vapeurs, Mars vers le couchant reluit d’un rouge écarlate, au-dessus de l’Océan ainsi se leva, et puissé-je la voir encore !

925. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

La littérature dramatique a été prise au dépourvu ; on lui demande presque le contraire de ce qu’on était accoutumé à désirer d’elle depuis longtemps ; on lui demande des émotions vives, profondes et passionnées, mais pures s’il est possible, et, dans tous les cas, salutaires et fortifiantes ; on lui demande, au milieu de toutes les libertés d’inspiration auxquelles le talent a droit et qui lui sont reconnues, de songer à sa propre influence sur les mœurs publiques et sur les âmes, de se souvenir un peu, en un mot, et sans devenir pour cela trop sévère, de tout ce qui est à guérir parmi nous et à réparer.

926. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Il vient de faire un tableau peu flatteur de la Cour de Louis XV, et des intrigues qui s’y croisent : « C’est au milieu, dit-il, de ces luttes sourdes et intestines que parut Marie-Antoinette, parée de sa candeur, de ses quinze ans, de sa beauté et de cette noblesse native, tempérée de sensibilité, qui, sans qu’elle y songeât, lui donnait un si grand air et la rendait si touchante.

927. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Sainte-Beuve, signalons nous-même deux articles qui auraient leur place marquée ici et que nous n’avons pu y insérer parce qu’ils n’étaient plus notre propriété ; quelqu’un, dont le concours bienveillant et actif a considérablement favorisé et facilité nos recherches, nous recommandait longtemps à l’avance de ne pas les oublier : il s’agit d’une dernière étude sur Madame Tastu composée en 1869 pour la Galerie des Femmes célèbres ; et de Jugements et Témoignages sur Le Songe et sur Gil Blas dictés en 1863 pour une édition de Gil Blas.

928. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Parlerai-je maintenant de la partie la moins importante et aussi la plus faible de l’ouvrage, du style, auquel on dirait que l’auteur n’a pas songé ?

929. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Il me semble qu’il faut du courage à l’écrivain presque autant qu’au guerrier ; l’un ne doit pas plus songer aux journalistes que l’autre à l’hôpital.

930. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Songeons que Lamarck.

931. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Et je songeais que la petite danseuse mourrait, et que Kouroukakalé mourrait aussi, et que je mourrais « pareillement… » Quant au prochain récit de M. 

932. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Savoir est de tous les actes de la vie le moins profane, car c’est le plus désintéressé, le plus indépendant de la jouissance… C’est perdre sa peine que de prouver sa sainteté ; car ceux-là seuls peuvent songer à la nier pour lesquels il n’y a rien de saint. » L’Avenir de la Science est un livre de foi, car je ne connais point de livre où le scepticisme et le dilettantisme mondains soient traités avec un mépris plus frémissant de colère.

933. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

Ces messieurs du protocole y songent, tandis que de bonnes âmes proposent qu’en révérence de tant d’amis couronnés, nous grattions les murs de nos monuments et l’Arc de Triomphe, pour en déloger quelques inscriptions suspectes et nous adjurent de voiler la nudité indécente du groupe de Rude que d’honnêtes et pieux regards ne sauraient contempler sans rougir… On sent bien à toutes ces controverses dont les journaux de l’époque sont pleins que nos dirigeants nous ont amenés à un point culminant de notre histoire.

934. (1890) L’avenir de la science « XIV »

Quelle rage de songer qu’avec les sommes que la sotte opulence prodigue selon son caprice on pourrait remuer le ciel et la terre !

935. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Déclarons-le bien vite et dès à présent, dans tout ce qu’on vient de lire comme dans tout ce qu’on va lire encore, l’auteur de ce livre, et cela devrait aller sans dire, est aussi loin de songer à lui-même qu’aucun de ses lecteurs.

936. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Qu’on y songe cependant, ce n’est point seulement un programme littéraire, c’est encore une politique et une sociologie.

937. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

Quand on songe que Bagnoli, Le Maître, Arnauld, Nicole, Pascal, s’étaient consacrés à l’éducation de la jeunesse, on aura de la peine à croire, sans doute, que cette éducation est plus belle et plus savante de nos jours.

938. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Il semble lui dire : Jeannette est douce et sage ; elle fera ton bonheur ; songe à faire le sien… ou quelque autre chose sur l’importance des devoirs du mariage… Ce qu’il dit est sûrement touchant et honnête.

939. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

Dénué de guide et de maître, il avoit fait déja des progrès surprenans dans la géometrie, sans qu’il eut songé à étudier une science.

940. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Le monde ne connoissoit gueres alors le genre de comique noble qui commet ensemble des caracteres vrais, mais differens, de maniere qu’il en resulte des incidens divertissans, sans que les personnages aïent songé à être plaisans.

941. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Il lui semble qu’il n’existe qu’une forme de société possible : la sienne, et il ne songe pas à se fatiguer l’imagination à rêver d’une autre organisation sociale.

942. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XV »

Lorsqu’il s’éveilla, un sentiment de bien-être inonda son âme ; il songea que la crise principale de cette aventure était enfin passée.

943. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

A cette époque et avant que la politique s’en mêlât, elle et son frère, et cette jeune cabale, déjà décidée à l’être, ne songeaient encore, est-il dit158, qu’à faire briller leur esprit dans des conversations galantes et enjouées, qu’à commenter et raffiner à perte de vue sur les délicatesses du cœur. […] Un jour, à Moulins, au milieu d’une lecture de piété, « il se tira (c’est elle-même qui parle) comme un rideau de devant les yeux de mon esprit : tous les charmes de la vérité rassemblés sous un seul objet se présentèrent devant moi ; la foi, qui avoit demeuré comme morte et ensevelie sous mes passions, se renouvela ; je me trouvai comme une personne qui, après un long sommeil où elle a songé qu’elle étoit grande, heureuse, honorée et estimée de tout le monde, se réveille tout d’un coup, et se trouve chargée de chaînes, percée de plaies, abattue de langueur et renfermée dans une prison obscure. » Après dix mois de séjour à Moulins, elle fut rejointe par le duc de Longueville, qui l’emmena avec toutes sortes d’égards dans son gouvernement de Normandie. […] Encore une fois, je ne demande point pardon pour le négligé du récit ; tout indigne qu’on est, quand on s’est plongé à fond dans ces choses, on se sent tenté plutôt de dire comme Bossuet parlant du songe de la princesse Palatine : Je me plais à répéter toutes ces paroles, malgré les oreilles délicates ; elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrois ne parler plus que ce langage.

944. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Entre un politique et un utopiste, il y a la différence du songe à la réalité, c’est-à-dire d’une ombre à un monde : l’un plane dans les régions du possible ou de l’impossible (car ces songes, si l’utopiste est absurde, sont bien souvent même des impossibilités) ; l’autre marche sur le sol inégal, raboteux et résistant des choses humaines. […] Or, du jour où l’homme s’est uni à la femme, il a senti doubler en lui l’instinct de la propriété, car, ce qu’il s’appropriait pour un, il a fallu songer à l’approprier pour deux, c’est-à-dire pour lui et sa compagne. Et, du jour où il a eu un fils, il a senti tripler en lui l’instinct sacré de l’appropriation, car, ce qu’il s’appropriait pour deux, il a fallu songer à se l’approprier pour trois ; et, quand la famille a multiplié encore par la fécondité de sa compagne, il a senti multiplier d’autant l’instinct, et, disons plus juste, le droit de son appropriation.

945. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

« Il songeait à la grandeur et à la présence de Dieu ; à l’éternité future, étrange mystère ; à l’éternité passée, mystère plus étrange encore ; à tous les infinis qui s’enfonçaient sous ses yeux dans tous les sens ; et, sans chercher à comprendre l’incompréhensible, il le regardait. […] Enfin Victor Hugo a senti le vide d’un livre où le prolétaire lit, où le démagogue pense, où l’ouvrier songe. […] XIV Qui n’a pas senti, souffert, pensé, songé, sur tant de misères ?

946. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Une statue polychrome, ainsi, ressemble trop, par sa matière, aux modèles qu’elle recrée : dès lors nous ne pouvons la recréer vivante : nous songeons involontairement que, si ressemblante de matière à un homme réel, cette statue a sur lui une infériorité ; le défaut de ne se point mouvoir. […] Il soupire profondément comme réveillé d’un songe qui l’emportait bien loin des objets présents. […] Elle lui rappelle « qu’il est maudit … qu’il lui appartient de par tous les pouvoirs des anathèmes éternels … qu’il n’avait que faire de songer à un monde qui le répudierait avec horreur s’il pouvait y rentrer à jamais !

947. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Admirablement préparé à une telle œuvre par un long commerce avec la science et par ses travaux personnels sur la métamorphose des plantes, sur l’anatomie comparée, sur l’optique, Goethe ne cessait pas de songer à ce poème, qui est resté à l’état de fragment, mais qu’Alexandre de Humboldt considérait comme devant être une des plus puissantes créations de cette pensée souveraine dans toutes les régions de l’esprit. […] Sainte-Beuve ne semblait pas le croire, et il a porté un jugement bien sévère et décourageant sur les tentatives de ce genre ; c’est à propos d’une idée émise par Chênedollé, qui aimait à expliquer le médiocre succès du Génie de l’Homme (un autre Hermès, achevé celui-là) en se disant à lui-même que le temps n’était pas venu d’appliquer la poésie aux sciences, que la science était encore trop verte, trop jeune, que dans l’état des choses actuelles, elle n’était pas encore nubile et qu’il ne fallait pas songer au mariage. […] Le Mal, qui épie jalousement chaque astre aspirant à la vie, songe à lui composer, de toutes les infortunes qu’il peut concevoir, le plus sombre destin.

948. (1922) Gustave Flaubert

En Égypte il songe bien à un roman sur l’Égypte antique, mais ne lui donne pas le moindre commencement d’exécution. […] Je songe devant ce curé à Bournisien et à l’Enterrement d’Ornans. […] C’est après avoir terminé Madame Bovary que Flaubert songe à Carthage. […] « Il songea à la personne même de Frédéric. […] On songe à la Devinière de Rabelais, et on ferait le voyage, là aussi, Un cœur simple en main.

949. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Un peintre, avant de songer à la composition d’un tableau déterminé, se plaît au jeu des couleurs, simplement parce qu’il s’agit de couleurs. […] Avec l’air de frapper des médailles, de buriner des emblèmes, de tracer des inscriptions, il fait sentir, rentrer en soi, penser. — Régnier fait songer au Luxembourg. […] La pensée n’est qu’un songe de sentiment, un sentiment éteint, une vie pâle et faible33. […] Cette clarté est si fine, si légère, si ténue qu’elle fond parfois tous les tons dans une sorte de buée lunaire qui fait songer aux féeries anglaises. […] Hélas est-il en nous deux fois le même songe !

950. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Songer que cet homme qui n’eut jamais ni femme, ni maîtresse, qui mourut vierge, dit-on, qui mena une vie purement mécanique, a eu l’audace de disserter sur les mœurs ! […] De tous les grands pessimistes, Pascal seul paraît logique ; mais il était chrétien, il songeait à des plaisirs futurs, il se réservait. […] Songée dans l’oxygène et dans l’ozone, sa philosophie a vraiment des vertus respiratoires. […] Du Bellay aurait songé à cela. […] Songez qu’il a créé des manières de dire telles que « Faire sensation » !

951. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Ceux-ci ne songent seulement pas que c’est-là un vol manifeste qu’ils font à la propriété de l’Auteur. […] songe que ce n’est qu’à ce titre que tu auras quelque droit à leur attention ; méfie-toi de ton desir, il est dangereux, si tu ne te sens cette vertu courageuse, rayon bienfaisant de la Divinité. […] Peintre manieré, il a fait des vers qui sont des beautés de cabinet ; c’est une espece de guillochis précieux, élégamment admirable ; mais ce ton est petit & insupportable à mon oreille, quand je songe au langage des passions & à la présence auguste d’un peuple assemblé. […] Ces mots peignent naïvement ; & ceux qui les entendent, ne songent point encore à les soumettre à la froide analyse de la critique. […] Un songe funèbre, des reconnoissances, des récits ; voila, à-peu-près, tout ce qu’il est permis d’employer.

952. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Son compte rendu du Songe d’une nuit d’hiver était une excellente plaisanterie spirituelle dans la forme et sensée ; au fond il y a aussi deux ou trois mots fort jolis dans l’analyse de la Reine de Lesbos. […] Comme on lui demandait s’il ne songeait pas à retourner, le soir même, coucher chez le docteur Blanche (la maison de santé où on l’avait installé depuis quelques mois) ! […] Le jour où ils y songeaient le moins, ils trouvèrent Gérard tranquillement assis sur une borne du Pont-Neuf, mangeant des pommes d’api avec la douce insouciance de Diogène. […] Mais toujours expéditif, il est le premier écrivain qui ait songé appliquer à l’imitation littéraire le décalquage de la potichomanie. […] Quand on a écrit le deuxième acte du Songe d’une Nuit d’été, quand on a fait preuve d’idées pour son propre compte, on ne s’amuse pas à sculpter les formes d’autrui.

953. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Au retour de l’ordre, chacun songea d’abord à avoir un état, l’ambition fut une fièvre. […] Je dis qu’un tel spectacle est touchant, qu’un tel plaisir dramatique est possible ; que cela vaut mieux sur le théâtre qu’en épopée ; qu’un spectateur non hébété par l’étude des La Harpe ne songera nullement à se tenir pour choqué des sept mois de temps et des cinq mille lieues d’espace qui sont nécessaires. […] 3º On dit qu’un habitant de cette Philadelphie que je regrettais ne songe qu’à gagner des dollars, et sait à peine ce que veut dire le mot ridicule. […] « En 1787 personne ne songeait à applaudir la liberté ; aujourd’hui il serait à craindre que ce mot ne devînt un drapeau. […] D’un autre côté, si jamais nous avons la liberté complète, qui songera à faire des chefs-d’œuvre ?

954. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Il ne songe point à représenter les Grecs comme aventureux, désintéressés et héroïques. […] Il vit en songe la foudre tomber sur la maison de son père et l’embraser. […] Ils songent à bien imiter la nature, et non à faire impression sur le lecteur. […] Le lecteur verra si je songe au temps présent ; j’y pense autant qu’au Japon et au Mexique. […] La vie réelle semblait un songe.

955. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Jamais on n’a songé à mettre le vautour au-dessus de l’aigle ; c’est renverser toutes les notions humaines ! […] Je songeais à Dante appelant César au secours de l’Italie dévorée par les discordes intestines. […] On ne s’habitue pas tout d’un coup à ces éternelles séparations, et, dans les premiers moments, on a plus besoin d’y songer que d’en parler. […] Il en avait pris la donnée, et, frappé du parti qu’on en pouvait tirer, il avait improvisé, sans y songer, un chef-d’œuvre. […] Un peu de contradiction lui faisait grand bien, et tout mon tort avec lui fut, je crois, de l’écouter toujours sans songer à le combattre.

956. (1890) Nouvelles questions de critique

Lecocq, nous faudra-t-il songer, avant de l’oser dire, que Beethoven était Allemand ? […] Songez plutôt à Chapelain, ce grand érudit, et rappelez-vous Charles Perrault, qui n’était point une bête ! […] Est-ce à Stendhal qu’il songe peut-être ? […] Pellissier, sur le Mouvement littéraire au XIXe siècle, je ne puis m’empêcher de songer que c’était le lieu de le dire. […] Par exemple, on ne saurait douter que, s’il y eut jamais un idéaliste dans l’art, ce soit l’auteur de la Tempête et du Songe d’une nuit d’été.

957. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Rousseau l’avoue sans détour : « l’oisiveté me suffit, et pourvu que je ne fasse rien, j’aime mieux rêver éveillé qu’en songe. […] Avant d’avoir sérieusement commencé l’épreuve de la vie, il en était fatigué, et ne voyant aucun intérêt digne de l’y rattacher, il songeait, comme il y songea, dit-on, plus tard, dans le désastre de sa fortune, à mettre un terme à ses jours. […] Le salut lui apparaît quand il renonce à le chercher en lui-même, quand il songe sérieusement à ses semblables. […] Que l’on songe aux impressions de terreur ou de pitié qui agitèrent les flancs des femmes romaines pendant qu’elles portaient ces hommes dans leur sein ! […] Une lettre écrite par le peintre Charlet, lettre dont l’authenticité ne peut être contestée, nous apprend même que Géricault a plus d’une fois songé au suicide, et que sans la vigilance de ses camarades, il est probable qu’il eût accompli son sinistre projet.

958. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Songez enfin que les scrupules de conscience et la sévérité des puritains sont alors choses odieuses, qu’on les tourne en ridicule sur le théâtre, et mesurez la différence qui sépare cette Angleterre sensuelle, débridée, et l’Angleterre correcte, disciplinée et roidie, telle que nous la voyons aujourd’hui. […] J’ai pris l’habitude du désespoir, comme un galérien tanné celle de son aviron. » En cet état, les membres, comme ceux d’un supplicié, tressaillent encore, mais la sensibilité est usée ; le misérable corps ne remue plus que machinalement ; il a trop souffert. —  Enfin, le fossoyeur vient avec des bourreaux, un cercueil, et on chante devant elle son service funèbre. « Adieu, Cariola, songe à donner à mon petit garçon un peu de sirop pour son rhume, et fais dire à la petite fille ses prières avant qu’elle s’endorme… À présent, à votre volonté. […] Sa Victoria Corambona prend pour amant le duc de Brachiano, et dès la première entrevue songe à l’issue76 […] Ainsi conçu, l’amour devient une chose presque sainte : le spectateur n’a plus envie de faire le malin et de plaisanter ; elles songent non à leur bonheur, mais au bonheur de celui qu’elles aiment ; c’est le dévouement qu’elles cherchent, et non le plaisir. « On m’appela en hâte, dit Euphrasie à Philaster en lui contant son histoire87, pour vous entretenir ; jamais homme, —  soulevé tout d’un coup d’une hutte de berger jusqu’au trône, —  ne se trouva si grand dans ses pensées que moi. […] Comment se fait-il que l’âme se donne ainsi tout entière, sans hésitation, sans réserve, et ne songe plus qu’à se prosterner et s’anéantir comme en présence d’un Dieu90 ?

959. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Il faut songer à l’influence qu’un esprit excellent, ferme, sans complaisance, supérieur par la raison, peut exercer même sur des hommes qui le surpassent par l’étendue et la fécondité du génie. […] Beau type de poète, surtout si l’on songe que Boileau en avait pris les traits dans sa propre vie, et qu’il se donnait lui-même en exemple à des poètes pour lesquels chacun de ces traits était un reproche. […] Nous voyons, vers la fin de la vie de La Fontaine, Racine et Boileau le décider à mettre au feu un conte qu’il songeait à adresser au grand Arnauld, qui l’avait loué de ses fables. […] C’est l’erreur que je fuis, c’est la vertu que j’aime : Je songe à me connaître, et me cherche en moi-même. […] Quoi qu’il en soit, il n’y a guère que les poètes, ou les critiques intéressés à relever le drapeau de Pradon, qui pourraient songer à mettre Boileau au-dessous de Regnier.

960. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Je reviens au cardinal de Bernis que je n’avais pas songé d’abord à prendre si politiquement, ni d’une manière si grave ; je reviens au caractère général qui m’avait d’abord attiré vers sa personne et dont je ne me laisserai plus détourner même par les grandes affaires et les controverses très vives où son nom se trouve mêlé. […] M. de Choiseul épiait (et sincèrement, on peut le croire,) les occasions de l’obliger en cour et de le servir : il eut de bonne heure l’idée de lui faire avoir la résidence de Rome ; mais il fallait préparer les voies : De mon côté, lui écrivait Bernis (14 mai 1759), je ne songe qu’à m’attacher à mon état et à mettre dans les partis que je prendrai à cet égard le temps, les réflexions et la droiture qui conviennent à mes principes et à mon caractère… Je serai toujours prêt à servir le roi quand vous croirez que je puis lui être utile.

961. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Après la Terreur, il se retira quelque temps à sa maison de campagne de Chaudon et ne songea qu’à y vivre caché, selon sa maxime « qu’un sage (au sens complet qu’il donnait à ce mot) était un homme qui prenait autant de soin à cacher ce qu’il avait, que les autres en prennent pour montrer ce qu’ils n’ont pas ». […] Je ne trouve pas qu’à cet égard ses contemporains distingués aient assez songé à profiter de lui.

962. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Dès l’abord on voit le marquis d’Argenson se plaindre de son frère, qui songe avant tout à se pousser dans le monde et à faire son chemin par ce que l’autre appelle les petits moyens ; qui s’est fait moliniste (lui libertin) pour plaire au vieux cardinal et pour obtenir une bonne partie des fonctions essentielles dont on dépouille, sous prétexte de jansénisme, le chancelier Daguesseau : Que je suis malheureux, s’écrie-t-il, d’avoir un frère qui ne songe qu’à lui, qui ne veut que pour lui, qui est en tout le centre de son cercle !

963. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Les adversaires s’emparèrent de ce mot échappé à sa plume, pour mettre l’abbé dans son tort ; on supposa malignement qu’en écrivant cela il songeait à Mme Dacier. […] L’abbé de Pons ne songe même pas aux langues étrangères vivantes, et il en laisse passer le vrai moment : il n’a jamais observé l’enfant à cet âge où il aime à répéter tous les sons, et où tous les ramages ne demandent qu’à se poser sur ses lèvres et à entrer sans effort dans sa jeune mémoire.

964. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Dans une lettre écrite de Paris au poète Gray (25 janvier 1766), lettre toute émaillée de portraits et qui fait songer à la galerie de la Fronde de Retz, ou plutôt encore aux portraits de haute société de Reynolds et de Gainsborough, après avoir peint de sa touche la plus vive la duchesse de Choiseul et sa belle-sœur, la duchesse de Grammont, et bien d’autres, il continuait ainsi : « Je ne puis clore ma liste sans y ajouter un caractère beaucoup plus commun, mais plus complet en son genre qu’aucun des précédents, la maréchale de Luxembourg. […] J’avais songé à réunir quelques-uns des mots justes et concis qu’on a d’elle, et puis je me suis aperçu que de les citer trahirait peut-être mon dessein.

965. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Les deux ou trois plâtres antiques qu’on voyait dans sa chambre quand on y allait, il ne songea à les y placer que depuis qu’il en eut besoin pour les jeter à la tête des gens. […] Or, il arriva qu’en voulant préluder au concerto de Weber, je me laissai entraîner, sans m’en apercevoir, à la fantaisie ; tout à coup je songeai que je ferai plaisir à Vernet en prenant ces deux thèmes, et je me mis à les travailler pendant un moment avec fougue.

966. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Don Carlos crut voir, de plus, ce religieux lui apparaître en songe et lui dire qu’il ne mourrait pas cette fois. […] Cela dura peu ; il revint à l’idée de se détruire, et, n’ayant pu y parvenir par excès de jeûne, il songea à le faire par excès de manger, ce qui était plus dans sa nature et dans ses goûts.

967. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

pourquoi pense-t-il de la plupart des architectes modernes les mieux établis et les plus favorisés que ce sont gens qui, pleins des formes du passé, — d’un passé lointain, — et obéissant à une idée préconçue, procèdent dans leur œuvre du dehors au dedans, font d’abord une boîte pour les yeux, un couvercle de grande apparence selon les règles dites du beau, et qui ne songent qu’ensuite et secondairement à ce qui sera à l’intérieur, à ce qui doit s’y loger, y agir, s’y mouvoir et s’en accommoder ? […] ils ont aimé l’uniformité, la régularité en tout temps et en tout lieu ; eux aussi, ils auraient pu dire, comme un illustre préfet moderne : « Il entre toujours les trois quarts au moins d’administration dans ce qu’on appelle architecture », quoiqu’encore dans leurs villas, leurs thermes, leurs basiliques, ces mêmes Romains aient songé principalement, et largement pourvu à la destination, à la commodité présente et à l’usage.

968. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Je dis décembre 1636, comme la date la plus probable ; d’autres ont dit novembre : personne, dans le temps même, n’a songé à noter le jour exact de cette victoire. […] Le comte et don Diègue ne songent guère d’abord qu’à se louer, et don Diègue a commencé même assez doucement avec le comte en lui demandant d’accepter son fils pour gendre.

969. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

Ce fut (chose assez piquante) pendant cette suite de marches destinées à couper à l’ennemi les moyens de subsister et à l’obliger à la retraite, que les amis de Catinat en Cour, M. le Peletier, Mme de Noailles, songèrent à le marier et lui en firent des propositions, même des instances. […] Leganez et Caprara84 étaient d’avis de se retirer par Orbassan, mais le duc dit qu'il fallait bien boire le vin tiré et que, puisqu’il y avait au moins autant de péril à ne pas combattre qu’à combattre, le temps était cher et qu’il ne fallait plus songer qu’à mettre l’armée en bataille.

970. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Et pourtant je sens la force ou plutôt l’agrément des raisons qu’on m’oppose ; je le sens si bien, que je suis tenté parfois de m’y associer et de pousser aussi mon léger soupir ; tout en marchant vers l’avenir, je suis tout prêt cependant, pour peu que j’y songe, à faire, moi aussi, ma dernière complainte au passé en m’écriant : Où est-il le temps où, quand on lisait un livre, eût-on été soi-même un auteur et un homme du métier, on n’y mettait pas tant de raisonnements et de façons ; où l’impression de la lecture venait doucement vous prendre et vous saisir, comme au spectacle la pièce qu’on joue prend et intéresse l’amateur commodément assis dans sa stalle ; où on lisait Anciens et Modernes couché sur son lit de repos comme Horace pendant la canicule, ou étendu sur son sofa comme Gray, en se disant qu’on avait mieux que les joies du Paradis ou de l’Olympe ; le temps où l’on se promenait à l’ombre en lisant, comme ce respectable Hollandais qui ne concevait pas, disait-il, de plus grand bonheur ici-bas à l’âge de cinquante ans que de marcher lentement dans une belle campagne, un livre à la main, et en le fermant quelquefois, sans passion, sans désir, tout à la réflexion de la pensée ; le temps où, comme le Liseur de Meissonier, dans sa chambre solitaire, une après-midi de dimanche, près de la fenêtre ouverte qu’encadre le chèvrefeuille, on lisait un livre unique et chéri ? […] Je me réservais, dans cette réimpression, de mettre le nom de la personne à laquelle j’avais songé par contraste ; mais je ne le ferai point, et par une très bonne raison : c’est que le portrait a cessé pour moi d’être exact et ressemblant.

971. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

Commencez, monsieur, par le faire marcher à pied du rendez-vous jusqu’en Flandre. » La proposition ne laissa pas de m’étonner, mais je n’osai rien dire. » A un moment toutefois, le jeune homme insinue qu’il lui semblerait plus joli d’être dans la cavalerie ; sur quoi il se voit rembarré de la bonne manière, et le roi s’adressant de nouveau à M. de Schulenburg : « Au moins, monsieur, je ne veux absolument pas que vous souffriez que dans la marche l’on porte ses armes ; il a les épaules assez larges pour les porter lui-même, et surtout qu’il ne paye point de garde, à moins qu’il ne soit malade et bien malade. » — J’ouvris les oreilles, et je trouvai que le roi, que j’avais toujours trouvé si doux, parlait comme un Arabe ce jour-là ; mais quand je songeai que je n’avais plus de gouverneur, j’oubliai tout, et j’étais persuadé qu’il n’y avait rien au-dessus. » L’indépendance ! […] Mais, même en tenant compte de la fantaisie qui évidemment y a eu très grande part et qui s’y donne toute carrière, le comte Vitzthum croit avoir trouvé le sens et le but de l’ouvrage : selon lui, lorsqu’il le composa, Maurice, qui avait l’œil sur le Nord et qui était dans le secret de certains projets menaçants, songeait surtout à une guerre éventuelle en Pologne et à la manière de l’y conduire : Mes Rêveries seraient donc moins un traité théorique qu’un mémoire ad hoc pour un but spécial déterminé, un ensemble de notes et d’instructions adressées au roi Auguste, son père, et qui reviendraient à cette conclusion : « Si vous voulez faire la conquête de la Pologne, voici comment il faut organiser votre armée : donnez-moi carte blanche et quarante-cinq mille hommes, en deux campagnes, sans livrer une seule bataille, je vous rendrai maître de la république ; cela ne vous coûtera pas un sou. » — Ce point de vue ingénieux et nouveau, qui donnerait une clef à une production un peu bizarre, me paraît exagéré et ne saurait guère s’appliquer qu’à deux ou trois chapitres du livre : l’exemple de la Pologne et les plans de guerre qui s’y rapportent ne viennent à l’auteur que chemin faisant.

972. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Heureux songe, si ce n’est qu’un songe !

973. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

1843 Les critiques de nos jours, ceux qui, depuis une vingtaine d’années déjà, ont commencé de se produire et de battre le pays, songent tous plus ou moins à se recueillir, à ramasser ce qu’ils avaient lancé d’abord à l’aventure, à se refaire, pour le reste de la marche, un gros assez imposant de ces troupes légères qui n’avaient donné dès le matin qu’en éclaireurs et comme en enfants perdus. […] Magnin ait songé à sauver ce qui, intéressant et toujours agréable aujourd’hui, sera piquant et curieux pour l’avenir.

974. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Il pousse plus d’un bout de texte en un sens auquel on n’avait pas songé, et il lui fait rendre de subtiles nuances ; il a des impatiences et des éclairs d’interprétations qu’après tout, en ces matières humaines si complexes, un esprit supérieur a peine à s’interdire, et que le talent se plaît à exprimer. […] La jeunesse imprévoyante et frivole se rit encore de ces aberrations, mais ne les partage plus ; Astyle raille Gnathon sans songer à devenir son complice.

/ 2008