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1207. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Il fallait, pour cette délicate opération, non un prêtre sérieux de la vieille école gallicane qui aurait pu avoir l’idée de rétractations motivées, de réparations, de pénitence, non un jeune ultramontain de la nouvelle école, qui eût tout d’abord inspiré au vieillard une complète antipathie ; il fallait un prêtre mondain, lettré, aussi peu philosophe que possible, nullement théologien, ayant avec les anciennes classes ces relations d’origine et de société sans lesquelles l’Évangile a peu d’accès en des cercles pour lesquels il n’a pas été fait. […] Il prétendit, chose délicate peut-être, que la même éducation servît aux jeunes clercs et aux fils des premières familles de France.

1208. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Elles s’affolèrent de l’adolescent oriental, joli et délicat comme une fille, dont « les baisers ne piquent pas, car sa lèvre est encore imberbe ». […] Après douze mois, les Heures, aux pieds délicats, te ramèneront Adonis, tel que le voici, des rives de l’intarissable Achéron ; les Heures amies, les plus lentes entre les Déesses, mais les plus désirées, car toujours elles apportent quelque don aux mortels… — Que Cypris se réjouisse, puisqu’elle a son jeune époux !

1209. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Quelle distillation nous donnera l’essence, toujours la même, à laquelle tant de produits divers empruntent ou leur indiscrète odeur ou leur parfum délicat ? […] Ce qu’elle doit craindre aussi, c’est que les membres dont elle se compose, au lieu de viser à un équilibre de plus en plus délicat de volontés qui s’inséreront de plus en plus exactement les unes dans les autres, se contentent de respecter les conditions fondamentales de cet équilibre : un accord tout fait entre les personnes ne lui suffit pas, elle voudrait un effort constant d’adaptation réciproque.

1210. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Une question des plus délicates au sujet de ce fils de Catherine, qui fut Paul Ier, semble tranchée et résolue dans les Mémoires de sa mère et d’après l’aveu même qu’elle ne craint pas de faire tout en faveur de Soltikoff.

1211. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Après avoir donné à la revue qui paraissait sous le titre de La liberté de penser un morceau très-remarqué entre autres, De l’Origine du langage (1848), il signala bien tôt son entrée à la Revue des Deux Mondes (1851), et presque en même temps au Journal des Débats (1852), par une suite d’essais ou d’articles, parfaits, excellents, où se produisait sur maint sujet d’histoire, de littérature ou d’art, et sous une forme également grave et piquante, cet esprit savant, profond, délicat, fin, fier et un peu dédaigneux.

1212. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Mais je me hâte d’ajouter, en ce qui est des Lettres présentes que, sauf cette veine d’enthousiasme, d’inspiration quand même, de chevalerie monastique à outrance, qu’il est impossible d’en retrancher ou d’en abstraire, et qui en fait la perpétuelle singularité, il y a quantité de vues morales, fines, délicates, exprimées à ravir, et bien des conseils appropriés, — les conditions toujours étant admises et le cadre accordé ; positis ponendis, comme on disait dans l’École.

1213. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Jeune, dans un moment de frénésie, il avait coiffé sa muse du bonnet rouge ; il avait donné des gages éclatants à un parti : quoi de plus simple et de plus inévitable que ce parti, se voyant quitté, le calomniât, méconnût ses intentions intimes les plus pures, travestît grossièrement les ressorts délicats et secrets de sa conduite ?

1214. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Toute cette partie secrète de la vie politique de Mirabeau a été amplement éclaircie par la publication de sa correspondance avec le comte de La Marck, et l’on a pu établir sur cette suite de relations délicates un équitable jugement.

1215. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

A côté de cette délicieuse composition de l’Ange, le premier recueil offrait de gracieux accompagnements, comme le Dernier Jour de l’Année et ces Feuilles de Saule, où tant de vague tristesse se module sur un rhythme si délicat.

1216. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Si l’auteur a voulu montrer dans ce ministre (et il l’a voulu en effet) combien avec un esprit juste, avec un cœur pur et droit, exercé par la pratique chrétienne, guidé par les inspirations de l’Écriture, et muni d’une vigilance et d’une observation continuelles, on peut se trouver en fin de compte plus avisé que les malicieux, plus habile que les habiles, et véritablement un maître prudent et consommé dans les traverses les plus délicates de la vie comme dans les choses du cœur, il a complètement réussi.

1217. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

La tentative qui va se faire, et à laquelle tous nous coopérons dans notre mesure, est grande en soi et par les intérêts qu’elle embrasse autant que délicate et difficile.

1218. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Mais il a encore une qualité plus précieuse : c’est de juger, en somme, de la peinture en peintre, de s’intéresser à la lumière, à la couleur, de jouir de leurs combinaisons délicates ou puissantes.

1219. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Soulary de s’arrêter en deçà de la mignardise et de l’extrême subtilité et de se contenter d’être gracieux, tendre, spirituel, ingénieux, délicat.

1220. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Son âme est comme l’idéal accompli de la généralité des âmes que l’ironie n’a pas desséchées, que la nouveauté n’enivre pas immodérément, que les agitations mondaines laissent encore délicates et libres.

1221. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

François Coppée Verlaine a créé une poésie qui est bien à lui, une poésie d’une inspiration à la fois naïve et subtile, toute en nuances, évocatrice des plus délicates vibrations des nerfs, des plus fugitifs échos des cœurs ; une poésie très naturelle cependant, jaillie de source, parfois même presque populaire, une poésie où les rythmes libres et brisés gardent une harmonie délicieuse, où les strophes tournoient et chantent comme une ronde enfantine, où les vers — qui restent des vers et parmi les plus exquis — sont déjà de la musique.

1222. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Mais ce seroit peu d’avoir exposé la liberté dont jouit l’homme de Lettres, si je ne dévoilois les plaisirs délicats qui l’accompagnent à chaque instant qu’il les appelle.

1223. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Complice de Pierrot, il l’aide la plupart du temps à débrouiller les intrigues ; il est parfois dupe de son camarade qui lui fait faire les missions délicates, celles qui peuvent attirer des coups de bâton.

1224. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

« Que l’on admette un milieu social guerrier, Sparte par exemple, dit Guyau, et qu’il vienne à y naître, par une de ces variations fortuites que la théorie de la sélection est forcée d’admettre, un homme doué de sentiments délicats et pacifiques ; évidemment cet homme essaiera de ne point modifier son âme, de ne pas accomplir des actes qui lui répugnent.

1225. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Vous avez vu sans doute ces assemblages délicats d’aiguilles siliceuses qui forment le squelette de certaines éponges.

1226. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Le roi lui dit ces paroles qui me paraissent dignes de remarque : « Madame, je vous ai fait attendre longtemps ; mais j’ai été jaloux de vos amis : j’ai voulu avoir seul ce mérite auprès de vous. » Le compliment, dit Auger, était délicat, mais il n’était pas sincère.

1227. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Madame de Maintenon, dans son 3e entretien, répondant à une amie qui la plaignait de ne pouvoir consulter personne à la cour dans les occasions délicates, répondit : « J’ai un fort honnête homme, de très bon esprit, qui me décide de gros en gros ce que je puis faire en sûreté de conscience et ce que je dois éviter pour ne point passer les bornes de mon état.

1228. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Ajoutez le parfum d’honnêteté antique qui circule à travers ces pages et qui trouve moyen de se mêler jusqu’au milieu de la chronique scandaleuse à laquelle elles sont souvent consacrées, un profond et naïf amour des lettres et de tout ce qu’elles amènent de délicat avec elles, une bonhomie parfaite qui épouse son sujet tout entier avec tendresse et réussit, après un peu de résistance, à nous le faire aimer et embrasser jusque dans ses replis.

1229. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Dans ce conflit de deux classes, l’une envahissante, l’autre mise en état de défense par la menace d’une décadence prochaine ; de la bourgeoisie, ou, si l’on veut, de la ville et de la cour, les préférences des gens de lettres étaient pour la noblesse, à laquelle les rattachaient d’abord leur intérêt, leurs pensions, les fonctions de secrétaires, de précepteurs et de bibliothécaires, enfin l’attrait, si puissant pour des esprits délicats, de la bonne compagnie, seule capable de les comprendre et de flatter leur vanité.

1230. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Intensité de la couleur, mais intensité fulgurante, netteté coupante des lignes du dessin, inattendu et délié du détail, se dentelant et se détachant dans la transparence du récit, comme se dentellent et se détachent les rebords déchiquetés d’un édifice délicat et hardi dans la transparence de l’éther : voilà ce qui frappe d’abord dans les récits de cette visionnaire à l’œil perçant et clair qui a de l’aigle et du lynx, qui y voit grand, qui y voit petit, qui y voit pur, qui y voit tout !

1231. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Voilà le secret de son empire sur les âmes plus énergiques que délicates et de la révolte de ces dernières.

1232. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Voilà le secret de son empire sur les âmes plus énergiques que délicates, et de la révolte de ces dernières.

1233. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Il n’a rien de niais dans sa forme, qui peut être fausse et même cruelle pour les esprits délicats et fins, mais qui, du moins, a de la décision et du relief ; mais, dans sa pensée, il tient à ces badauds actuels qui rêvent une humanité nouvelle, haïssent la guerre, médisent de la gloire, repoussent toute répression un peu forte, et croient que les peuples peuvent se passer de grands hommes et sont eux-mêmes assez grands pour se gouverner parfaitement tout seuls !

1234. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

S’il en est ainsi, l’idéologie est notre philosophie classique ; elle a la même portée et les mêmes limites que notre talent littéraire ; elle est la théorie dont notre littérature fut la pratique ; elle en fait partie puisqu’elle la couronne, et l’on peindrait en abrégé son dernier défenseur, en disant qu’avec les grâces aimables, la politesse exquise et la malice délicate de l’ancienne société française, il conserva la vraie méthode de l’esprit français.

1235. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

La cité d’Alexandre unit la subtilité africaine à l’esprit délicat des Grecs, et produisit des philosophes profonds dans les choses divines.

1236. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Elle s’est formée sans doute aux dépens d’un mouvement littéraire purement français qui eût été le produit direct, délicat, peut-être exténué du xviiie  siècle finissant. […] Elle a préparé la société parisienne de la Restauration, les premiers feux du romantisme, les formes les plus délicates du libéralisme intellectuel et de l’intelligence esthétique, l’Europe paisible, concordante, tolérante et cultivée des années 1815-1848. […] Mais nous sentons en de nombreuses pages que Chateaubriand, est, comme Virgile, un génie vivant, supérieur à sa corvée, un composé délicat d’antiquaire, d’artiste et de créateur. […] Le vers de La Fontaine : « Les délicats sont malheureux », semble avoir été fait pour Joubert. […] La personne de Balzac laisse souvent (sans doute à tort) les délicats aussi froids que la personne de Victor Hugo.

1237. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Il est vrai que c’est à cette licence, qui confond les deux sexes, qu’on doit la galanterie, les peintures fines et délicates de l’amour, parce que les auteurs ont pour objet principal de plaire aux femmes : dans les pays où il y a des mœurs, on ne sait pas parler d’amour ; les tragédies y sont austères, les comédies grossières et peu plaisantes. […] Si nosseigneurs les courtisans ont plus insisté sur ce reproche que le parterre, ce n’est pas parce qu’ils étaient plus grands seigneurs, c’est qu’ils avaient un tact plus délicat et plus sûr de cette espèce de convenance. […] La réplique de Voltaire est encore plus flatteuse, plus spirituelle que sa première épître ; il comble le pontife des éloges les plus fins et les plus délicats. […] Voilà une idée vraiment comique, et ce qui peut lui manquer du côté de la bienséance, est adroitement sauvé par la supposition que des pareils respectables autorisent la femme à faire usage d’un stratagème si délicat. […] La comédie des Jeux de l’amour et du hasard n’est pas seulement, comme toutes les pièces de Marivaux, une surprise de l’amour ; elle offre un fond sérieux et moral ; elle touche un point délicat qui intéresse le bonheur de la vie, la difficulté de se connaître avant de s’épouser.

1238. (1902) Propos littéraires. Première série

Il y en a d’inachevés, de trop inachevés ; il y en a de fins et délicats, qui suggèrent, qui font rêver une heure, et réfléchir aussi, après qu’on a lu dix minutes. […] Rien ne lui manque de toutes les qualités aimables, charmantes, délicates et incolores. […] Paul Bourget publie aujourd’hui un petit chef-d’œuvre d’analyse morale et d’émotion délicate intitulé Deuxième amour. […] C’est ici que c’est très bien, très touchant et très délicat. […] Adrien Moreau, lui aussi, a un pinceau fin et délicat ; mais il a des idées, du goût, et il sait composer.

1239. (1903) Propos de théâtre. Première série

Remarquez-vous que des problèmes de morale excessivement délicate déjà, et qui semblent d’une conception toute moderne, sont posés dans le plus vieux théâtre que nous connaissions ? […] Couat l’a faite avec une abondance merveilleuse — admirablement portée et maniée, du reste — de renseignements, avec une sûreté d’analyse qui, souvent, m’a étonné et ravi, avec une clarté d’exposition et une bonne ordonnance qui met la lumière pleine dans les questions les plus délicates et considérées jusqu’à présent comme les plus inextricables. […] Voyez-vous, il y a un point, qui ne laisse pas d’être un peu délicat, mais que je n’hésite pas à signaler franchement, puisque Corneille y a insisté avec énergie et sans barguigner. […] Il est délicieux de générosité chevaleresque et d’amour délicat dans la mission qu’il a à remplir auprès de Bérénice. […] Et quand il est seul avec son confident, ce qui est plus significatif — parce qu’alors c’est comme un monologue et nous voyons son âme toute pure, et non pas l’âme qu’on se fait dans le monde par respect humain — il est encore d’une tendresse délicate qui est ravissante : Je vais partir.

1240. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Cette branche de l’investigation biologique est sans contredit la plus délicate et la plus difficile ; mais je la considère comme la plus féconde et comme étant celle qui peut être d’une plus grande utilité immédiate à l’avancement de la médecine expérimentale. […] Or l’organisme vivant n’est qu’une machine admirable douée des propriétés les plus merveilleuses et mise en activité à l’aide des mécanismes les plus complexes et les plus délicats. […] À mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres vivants, l’organisation se complique, les éléments organiques deviennent plus délicats et ont besoin d’un milieu intérieur plus perfectionné. […] Seulement dans les corps vivants ces conditions sont beaucoup plus complexes et plus délicates à saisir que dans les corps bruts ; c’est là toute la différence. […] Les manifestations de la vie deviennent plus variées, plus délicates et plus actives à mesure que les êtres s’élèvent dans l’échelle de l’organisation.

1241. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Il craint d’être dupe. « Mon Dieu, ma mère, ce que j’ai à vous dire est un peu délicat… Êtes-vous bien sûre que je sois le fils d’Apollon ? […] — parfum répandu de délicate chevalerie, « sublimité » de sentiment tout élégante et aisée. […] Ses sons un peu grêles ont un timbre délicat, des vibrations, un accent, de la vie enfin. […] Elle ne tarde pas à confesser ses sentiments au beau troubadour. « Je rêve, murmure-t-elle, un plaisir délicat. […] (Je ne parle pas ici de celles, plus rares, qui, ni laides ni pauvres, restent filles parce que ça leur plaît, et qui peuvent en avoir les meilleures raisons, les plus délicates, ou les plus spirituelles, ou les plus philosophiques, ou simplement les plus sensées.)

1242. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

En ajoutant qu’il a l’ironie légère et le sensualisme délicat, bien qu’un peu vif, j’aurai fait l’esquisse de son portrait. […] Il est infiniment délicat de marquer les similitudes et les dissemblances par lesquelles nous nous rapprochons ou nous nous éloignons d’eux. […] Sully-Prudhomme a accompli cette mission délicate avec un bonheur mérité. […] C’est un sentiment nouveau, plus simple, plus délicat, plus affectueux. […] Il faisait, dit-on, des soupers qui ne convenaient pas à son tempérament délicat et se promenait, non sans péril, sur Ibrahim, son cheval pie.

1243. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

. —  « L’autre secte, celle des dandies, affecte une grande pureté et le séparatisme, se distinguant par un costume particulier, et autant que possible par une langue particulière, ayant pour but principal de garder une vraie tenue nazaréenne, et de se préserver des souillures du monde. » Du reste, ils professent plusieurs articles de foi dont les principaux sont : « que les pantalons doivent être très-collants aux hanches ; qu’il est permis à l’humanité, sous certaines restrictions, de porter des gilets blancs ; —  que nulle licence de la mode ne peut autoriser un homme de goût délicat à adopter le luxe additionnel postérieur des Hottentots. » — « Une certaine nuance de manichéisme peut être discernée en cette secte, et aussi une ressemblance assez grande avec la superstition des moines du mont Athos, qui, à force de regarder de toute leur attention leur nombril, finissaient par y discerner la vraie Apocalypse de la nature et le ciel révélé. […] Il n’y en a point de si puissant ni de si délicat, de si accommodé à la complexité des choses et à la structure de notre esprit. […] D’autre part, l’histoire, le roman et la critique, aiguisés par les raffinements de la culture parisienne, ont fait toucher les lois des événements humains ; la nature s’est montrée comme un ordre de faits, l’homme comme une continuation de la nature ; et l’on a vu un esprit supérieur, le plus délicat, le plus élevé qui se soit montré de nos jours, reprenant et modérant les divinations allemandes, exposer en style français tout ce que la science des mythes, des religions et des langues, emmagasine au-delà du Rhin depuis soixante ans1422. […] Cet ordre exact, ces belles proportions, ce perpétuel souci de l’agréable et du convenable, cette architecture harmonieuse d’idées claires et suivies, cette peinture délicate de la société, cette perfection du style, rien de ce qui nous touche n’a de prise sur lui.

1244. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Sans l’aiguillon de Boileau, Molière et Racine risquaient de s’égarer, ou de ne pas remplir tout leur génie, Molière en s’en tenant à la comédie bourgeoise ou d’intrigue, Racine en raffinant sur la tendresse, où le portait sa nature délicate et passionnée, tous les deux en n’acceptant pas dans toute sa rigueur la loi, imposée par l’Art poétique, de faire difficilement des vers faciles. […] Quand Boileau écrivait : Je sais qu’un noble auteur peut sans honte et sans crime Tirer de son travail un tribut légitime, c’était une justification délicate de Racine, forcé, par ses nécessités domestiques, de vendre ses ouvrages ; pour Boileau, il donnait les siens. […] L’amateur de toutes choses, La Fontaine, indiquait le délicat de tous les genres ; Boileau ramenait tout à la raison et au vrai. […] Les grandes vérités de l’art, dont la principale, Rien n’est beau que le vrai, fait le sujet de l’épître à Seignelay140; l’utilité qu’on doit tirer des critiques injustes, pour s’exciter à n’en pas mériter de justes141; l’amour de la campagne, pour s’y étudier soi-même commodément, et en devenir meilleur142; le noble témoignage qu’il se rend à lui-même des motifs qui ont conduit sa plume et dirigé sa vie143 ; l’éloge du travail et la critique de l’oisiveté144; l’amour de Dieu, selon la doctrine catholique, c’est-à-dire avec l’espoir des récompenses éternelles145 ; des remercîments délicats à Louis XIV pour les bienfaits qu’il en a reçus146 : tels sont les sujets de ces épîtres, où s’épanche une humeur pacifique et indulgente.

1245. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Cependant ses opérations les plus délicates se font par un sentiment auquel un long exercice a donné une sûreté inqualifiable. […] Par une association mystérieuse que les esprits délicats comprendront, l’enfant grotesquement habillé, qui tortille avec gaucherie sa casquette dans le temple de Dieu, m’a fait penser à l’âne de Sterne et à ses macarons. […] Je suis convaincu que ce tableau a un charme tout particulier pour les esprits délicats ; je jurerais presque qu’il a dû plaire plus que d’autres, peut-être, aux tempéraments nerveux et poétiques, à M.  […] Peut-être nos nerfs trop délicats ne peuvent-ils plus supporter un symbole trop clairement redoutable.

1246. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Et, sur sa physionomie, je suivais toutes les sensations de brave homme qui l’animaient, tous les frissons, tous délicats et mobiles reflets de son cœur ému et charmé… Il ne m’effrayait plus. […] De ces rapides réflexions Maurice conclut, à part lui, non sans grande apparence de raison, qu’il était à la fois sage et bienséant d’ajourner à une autre entrevue la partie la plus délicate de sa mission et de laisser respirer Mme de la Pave. […] Bien d’autres pages délicates et sincères seraient à citer de ce volume, et je renvoie le lecteur au charme de sa lecture. […] Solange renversa presque un de ces hommes, taillé en hercule : les mains délicates de la jeune femme avaient une puissance irrésistible. […] Exotique, une des trois nouvelles avec la Conversion, complète un volume qui sera certainement apprécié par les délicats.

1247. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Plaute en veut à l’admiration et au contentement de la foule immense ; il faut que son public s’amuse à tout prix, que sa gaieté soit affranchie de toute gêne, et, tant pis pour les délicats, s’ils s’offensent de cette verve hardie à tout dire. […] Ces délicates s’abandonnent à leur appétit glouton, et le cœur vous manque, rien qu’à les voir tremper un pain de huit jours dans un bouillon de la veille !  […] sinon cette sage prudence d’un esprit modeste et plein de réserve, qui nous défend de toucher à certains chefs-d’œuvre d’une grâce délicate et étrange, débris respectables, parfum d’un autre siècle, souvenir des vieux âges, précieux matériaux que la tourbe des traducteurs doit laisser à quelques hommes de génie, à ceux-là qui savent composer des œuvres vraiment nouvelles, avec les débris et sur les ruines d’autrefois. […] Donc, faisons trêve aux accusations de meurtre, et, s’il se peut, cherchons d’où vient donc la gaieté de cette incroyable comédie qui faisait rire, il y a trois mille ans, le peuple le plus délicat, le plus fin, le plus railleur et le plus spirituel de l’univers. […] Ce n’est pas seulement l’esprit français qui manque à la comédie grecque… elle manque de cet art aimable de ce goût exquis, et de cette fleur délicate qui ont signalé et glorifié les œuvres du grand siècle !

1248. (1905) Promenades philosophiques. Première série

L’évaluation serait délicate. […] Encore faut-il, pour cette opération délicate, que l’expert soit mis sur la voie par une expérience directe et réelle d’absorption. […] J’aime mieux une fleur qu’une fleur de rhétorique et j’estime que l’art de plaire aux imbéciles est le même que l’art de déplaire aux délicats. […] Quant aux consonnes doubles, la question est délicate. […] Ronsard, pourtant bien délicat d’oreille, obéit surtout à la sensibilité visuelle.

1249. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Aucun souffle ne ternit cette fleur délicate, qui répand les parfums du ciel. […] Il faut qu’il croie en Dieu et qu’il le serve à ma manière… Je ne voudrais pas être votre femme, si ce n’était pour faire ensemble notre salut. » Ce dernier sentiment avait quelque chose de délicat, que M. de Saint-Pierre ne manqua pas de remarquer dans sa réponse, mais sans s’expliquer sur l’objet principal. […] Revenue plus délicate par son éducation, et plus courageuse par son malheur même, vous l’auriez vue chaque jour succomber, en s’efforçant de partager vos fatigues.

1250. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Et dans la salle, le public riait sans s’arrêter, d’un rire délicat, français, national. […] * * * — Tout être, homme ou femme, qui aime le poisson, a des goûts délicats. […] L’esprit, pour peu qu’on l’ait délicat, se soulève plus que le cœur contre ces pages, plus pleines encore d’inepties que de crimes.

1251. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Mes trois amis à peu près également chers étaient alors trois jeunes adolescents de la plus délicate race d’esprit et de la plus haute nature d’âme. […] Ses mains étaient d’une extrême blancheur et de la forme délicate qui indique (selon ses propres idées) la naissance aristocratique. » Beyle écrit de lui : « Je rencontrai lord Byron au théâtre de la Scala, en 1816. […] XXXIV C’est dans le cours de ces dernières années de la restauration et de ces premières années du règne illettré de 1830 que je fus ébloui ou attiré tour à tour par cette foule de noms éclatants où s’égarent les souvenirs, tant l’esprit, le talent, le génie, y font foule : Casimir Delavigne ; Augustin Thierry ; Michelet, le Shakespeare du récit, qui introduit la comédie dans l’histoire ; Rémusat ; Mignet ; Alexandre Soumet ; Aimé-Martin, qui aurait mérité la gloire par sa passion des lettres ; Henri Martin, qui change les chroniques en histoire ; les deux Deschamps ; Ozanam, qui traduisait la métaphysique du Dante ; Boulay-Paty, qui traduisait l’amour et le platonisme de Pétrarque ; Musset, le Corrège du coloris sur les dessins trop voluptueux de l’Albane ; Alphonse Karr, le Sterne du bon sens et du bon cœur ; Méry et Barthélemy, deux improvisateurs en bronze qui ont fait faire à la langue des miracles de prosodie ; Laprade, qui donne à la poésie religieuse et philosophique la sérénité splendide des marbres de Phidias ; Autran, qui chante la mer comme un Phocéen et la campagne comme Hésiode ; Lacretelle l’historien, qui devint poète avec les années sous les arbres de son jardin voisin du mien, comme le bois de l’instrument à corde qui devient plus sonore et plus harmonieux en vieillissant ; Ségur, le poète épique de la campagne de Russie ; Dargaud, le second Ronsard de Marie Stuart ; Barbier, dont l’ïambe vengeur, en 1830, dépasse en virilité l’ïambe d’André Chénier à l’échafaud ; Saint-Marc Girardin, un de ces esprits délicats qui se trempent au feu des révolutions et qui passent de plain-pied d’une chaire à une tribune, transportant l’homme de lettres dans l’homme politique et l’homme politique dans l’homme de lettres en les grandissant tous les deux ; une foule d’autres, dont je n’ai pas le droit de parler parce que je ne les ai connus que par leurs noms, ou que j’ai trop aimés pour que j’en parle sans partialité !

1252. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

C’est une autre question, beaucoup plus grave et plus délicate. […] Pour Condorcet, j’en suis bien aise aussi, quoique la question soit un peu plus délicate. […] Enfin, si l’on veut savoir quelle est sur cette matière infiniment délicate et importante, puisqu’en somme il y va de l’avenir dogmatique du christianisme, l’avis actuel du catholicisme et du protestantisme, on consultera, du côté catholique, le traité du cardinal Franzelin : De divina traditione et scriptura, Rome, 1882, troisième édition, pp. 278-288 ; et du côté protestant l’intéressante brochure de M. 

1253. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Quand une civilisation, héritière des civilisations antérieures, a donné aux sens un maximum de culture et a nourri l’imagination des chefs-d’œuvres de tous les temps lorsqu’elle a enrichi sa langue d’autant d’expressions qu’il en faut pour traduire, dans leurs nuances les plus délicates, les sentiments, les passions, les pensées et les caractères quand cette langue satisfait pleinement aux exigences de la logique et à celle de l’oreille, elle atteint toute la perfection dont elle est susceptible. […] Le roman ne devrait être, à l’heure présente, qu’une œuvre choisie, bien composée, bien écrite, capable de satisfaire les délicats, comme les naïfs, parvenant à force de talent à nous émouvoir à l’égal de la réalité. […] Le sujet est délicat, scabreux même, mais Diderot, bien que poussant assez loin les détails, reste dans les limites du convenable.

1254. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Le bois de cerf est la matière ordinaire de leurs outils les plus délicats. […] Les procédés de Berthelot sont trop délicats et surtout trop coûteux. […] La seule solution qui convienne à cette question délicate, c’est le mariage précoce. […] Les hommes ne peuvent blâmer un amant délicat d’être jaloux du mari de sa maîtresse ; mais les femmes sont généralement d’un autre avis. […] Voilà expliquée la première partie du viol et son dénouement fatal, le fou sadique ayant entre les mains le cou délicat d’une petite fille sans défense.

1255. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Ailleurs, je tombe sur une expression que je reconnais : cou délicat ; elle est jolie : Flaubert l’a déjà prise à André Chénier. […] Albalat oublie de préciser ce point délicat. […] Il en est de délicates qui accepteraient plus volontiers lame — arme que infâme — gamme. […] Alors, consacré par le trucage, l’art délicat et ingénieux d’aujourd’hui prendra peut-être sa place dans le roulement des séries. […] Qu’il est donc difficile de toucher à une langue aussi délicate que le français, aussi sensible, aussi fière !

1256. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Fernand Vandérem note que l’admiration de Dominique vous classe parmi les gens délicats, ce qui n’est pas de soi malveillant, mais ne fait pas paraître très enviable une délicatesse si classée. […] Ils eurent deux fils : l’aîné, Charles, solide, simple, pratique, brave homme, qui fut médecin comme son père, et Eugène, garçon délicat et féminin, aimant, joyeux et fin. […] Que Fromentin n’ait que du talent, que l’orientalisme n’ait bénéficié chez personne d’un sursaut de génie, et qu’il ne se soit incorporé à l’art supérieur qu’en se confondant dans le romantisme, c’est d’ailleurs ce qui paraît évident, mais qui n’est pas une raison pour ne point goûter à leur place ces genres mineurs et délicats. […] Ce style se développe avec quelque lourdeur et quelque lenteur, mais sa substance est saine, forme une épaisseur d’eau transparente où le regard aperçoit jusqu’au fond les créations délicates de la vie intérieure. […] Telles phrases du Journal noua représentent à peu près ce qu’a dû dire l’âme d’Amiel à ce moment délicat : « Mon âme balance entre deux, quatre, six conceptions générales et antinomiques, parce qu’elle obéit à tous les grands instincts de la nature humaine, et qu’elle aspire à l’absolu, irréalisable autrement que par la succession des contraires.

1257. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Et je me suis rappelé un petit fait, terriblement éloquent, dont j’ai été presque témoin et qu’il faut que je vous conte : Dernièrement une dame de ma connaissance, qui a une petite fille de santé chétive et trop délicate pour suivre des cours au dehors, fait mettre cet avis dans le Figaro : « On demande institutrice pour donner leçons de français dans une famille ». […] Mais l’inexactitude du souvenir était ici charité ; et, d’ailleurs, le sentiment de toute la lettre était d’un cœur très bon et très délicat. […] Nous avions avec nous des jeunes femmes et des fillettes en toilette claire, rieuses et florissantes de santé, d’une santé propre et soignée, délicate dans sa fraîcheur : une santé de riches. […] Commandez que l’on grave sur le piédestal, dans un médaillon, le délicat profil du poète, que nous pourrons ainsi voir de près. […] Je ne croyais pas non plus, quand j’ai lu vos premiers écrits, que la politique pût jamais tenter un artiste aussi délicat et aussi dédaigneux que vous.

1258. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Sur l’importance de bien choisir son bâton d’encre de Chine, ce compagnon, cet ami fidèle qui doit vivre autant et plus que nous, il y a, par exemple, des pages bien délicates et sensibles, dont je veux extraire ici quelque chose, d’autant plus qu’elles ne seront pas reproduites dans l’édition de Paris. […] Toute la première partie de l’histoire est aussi vraie que touchante et délicate ; je hasarderai une seule critique sur la fin.

1259. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Malgré tout ce que dit de délicat madame Lenormant sur la nature purement éthérée de la passion de madame Récamier et de M. de Chateaubriand à cette époque, il est certain pour moi que cette passion avait ses accès, comme toute fièvre des âmes qui communique sa fièvre aux paroles. […] Elle peut y croire, nous n’y croyons pas ; madame Récamier ne pouvait pas, en matière si délicate, ouvrir son cœur à sa jeune nièce.

1260. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

L’Auteur de la nature a établi que cette douleur serait plus forte à mesure que le dérangement serait plus grand : or, il est évident que les grands corps et les fibres grossières des peuples du Nord sont moins capables de dérangement que les fibres délicates des peuples des pays chauds ; l’âme y est donc moins sensible à la douleur. […] « Dans les pays du Midi, une machine délicate, faible, mais sensible, se livre à un amour qui dans un sérail naît et se calme sans cesse, ou bien à un amour qui, laissant les femmes dans une plus grande indépendance, est exposé à mille troubles.

1261. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Schlegel) était alors d’autant plus délicate que les facultés rationnelles étaient moins développées. […] Une analyse peu délicate, peu soucieuse de la différente physionomie des faits, pourrait l’affirmer.

1262. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

On peut imaginer qu’en un milieu guerrier et rude comme Sparte, il vienne à naître, par une de ces variations fortuites que la théorie de la sélection est forcée d’admettre, un enfant doué de sentiments pacifiques et délicats que l’éducation ne sera pas parvenue à étouffer. […] Pour la peinture, il faut que ceux qui l’aiment possèdent de délicates sensations visuelles correspondant au dedans à une organisation parfaite et à un développement extrême des appareils récepteurs de sensations colorées, dont un beau tableau doit être le résumé harmonieux.

1263. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Musset et Balzac, dans leurs œuvres de première jeunesse, essayèrent de faire revivre « la philosophie moqueuse » (Mardoche et Jean Louis), qui choquait les sentiments délicats de Mme de Staël et de ses contemporains : ils se sont empressés de renoncer à leur tentative. […] Senancour, qui vécut quelque soixante-seize ans triste et solitaire, avait une nature délicate, morbide, terne ; il épanchait mélancoliquement son ennui.

1264. (1914) Boulevard et coulisses

Paris avait une certaine sensibilité particulière qu’on ne trouvait que chez lui, une façon de voir les choses, de concevoir la vie, de juger qui était sa marque ; il avait un ton plus délicat et plus vif qu’ailleurs, une élégance plus fine. […] Sous l’influence de son éducation, de ses traditions, le public français cultivé réclame à la littérature des émotions à la fois délicates et profondes ; il les lui réclame sous une forme dépourvue de grossièreté et de pédantisme également, ou alors, l’excellent reportage des journaux et le cinématographe lui suffisent.

1265. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Le chimiste de l’âme auquel on aurait confié cette préparation délicate serait un peu désappointé, il est vrai, quand viendrait le moment de vider sa cornue. […] Mais il devient plus délicat, comme nous le disions, quand il décèle une particularité de caractère en même temps qu’une habitude professionnelle.

1266. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Celui dont elles ont jugé la sensibilité et les connaissances proportionnées à leur tempérament et à leur caractère ; celui auquel elles ont révélé les secrets d’une constitution faible et délicate ; celui qu’elles ont en même temps chargé de la conservation de leurs enfants, et des mains duquel elles les ont reçus, est devenu pour ainsi dire nécessaire à leur existence ; le perdre est un malheur qu’elles ressentent vivement : que l’on juge d’après cette réflexion des regrets que la mort de M. 

1267. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Il l’expliqua un jour très gaiement, et avec beaucoup d’imagination et d’esprit, au roi Henri II, qui, au retour de ce siège, l’accueillit comme il devait et l’entretint longuement durant cinq heures d’horloge, se faisant tout raconter, et ses harangues, et ses ruses, et le détail des souffrances, mais le roi ne pouvait, malgré tout, concevoir encore comment il avait su s’accorder si bien et si longtemps avec une nation étrangère et délicate, surtout en de pareilles détresses.

1268. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

— En résumé, à lire les vers et même la prose de M. du Camp, que je n’ai pas l’honneur de connaître, je me dis : Ce doit être une nature forte, franche, un peu rude et dure de fibre, un peu crue, courageuse, véhémente, violente même, mais qui croit avoir plus de haine quelle n’en a, car elle est généreuse ; une nature plus robuste que délicate.

1269. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Enfin, on demandait une nouvelle ou pathétique, ou délicate, ou piquante, dont le sujet naturellement était laissé à l’inspiration des concurrents.

1270. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Dans sa jeunesse, et à l’époque de sa liaison avec Vauvenargues, c’était un jeune homme studieux, aussi lettré que modeste, animé de sentiments délicats et tendres, religieux ou susceptible de revenir à la religion.

1271. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

L’abbé Le Dieu, ancien secrétaire de Bossuet, étant allé visiter Fénelon à Cambrai en septembre 1704, fut invité à dîner et à souper avec le prélat, et il nous a laissé un détail minutieux de tout ce dont il fut témoin en ce palais où régnait la politesse : « M. l’archevêque, dit-il, prit la peine de me servir de sa main de tout ce qu’il y avait de plus délicat sur sa table ; je le remerciai chaque fois en grand respect, le chapeau à la main, et chaque fois aussi il ne manqua jamais de m’ôter son chapeau, et il me fit l’honneur de boire à ma santé. » Du temps de M. de Luynes, il paraît que l’usage ordinaire de dîner le chapeau sur la tête subsistait encore, puisqu’il remarque qu’on se découvre quand on dîne avec le roi.

1272. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Aujourd’hui, que l’enveloppe délicate et frêle qu’usait et dévorait une pensée si fervente s’est brisée, je me rends mieux compte que jamais de ce qui me frappa alors ; et certes mon respect pour l’homme ne diminue pas.

1273. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Boileau est l’homme du goût littéraire et classique, le satirique judicieux qui s’attaque surtout aux livres et aux formes en usage au moment où il paraît, et qui se rattache à la tradition délicate et saine de la belle Antiquité.

1274. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Il était fier, et avec raison, de cette découverte : « Auparavant, disait-il, les chimistes ressemblaient à des architectes qui, pour connaître un édifice, auraient commencé par le démolir et auraient prétendu ensuite juger de sa structure intérieure d’après la nature, le nombre et le poids des matériaux bruts, au lieu que maintenant, dans bien des cas, on peut saisir la constitution intime des corps sans les endommager, et distinguer les propriétés essentielles des particules mêmes en situation. » — Se plaignant que les chimistes tardassent trop à user de ce nouveau moyen d’investigation délicate : « Les chimistes ne sont que des cuisiniers, disait-il encore ; ils ne savent pas tirer parti de l’admirable instrument que je leur ai mis entre les mains. » Mais, enfin, il y eut de jeunes et habiles chimistes qui en essayèrent et qui donnèrent à M. 

1275. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Mais même, quand la science des esprits serait organisée comme on peut de loin le concevoir, elle serait toujours si délicate et si mobile qu’elle n’existerait que pour ceux qui ont une vocation naturelle et un talent d’observer : ce serait toujours un art qui demanderait un artiste habile, comme la médecine exige le tact médical dans celui qui l’exerce, comme la philosophie devrait exiger le tact philosophique chez ceux qui se prétendent philosophes, comme la poésie ne veut être touchée que par un poète.

1276. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Cependant je ne veux pas nier que Arndt, Kœrner et Rückert ont eu quelque action. » Ici le bon Eckermann eut une distraction, et sans trop y penser, mettant le doigt sur un point délicat, il dit à Gœthe : « On vous a reproché de ne pas avoir aussi pris les armes à cette époque, ou du moins de n’avoir pas agi comme poëte. » Gœthe, touché à un endroit sensible, tressaillit un peu, et, tout ému, il trouva, pour répondre, de bien belles et hautes paroles : « Laissons cela, mon bon !

1277. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

La Madeleine du Mystère ne recherche l’entière perdition que dans l’ordre de l’esprit ou des sens délicats.

1278. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Une des parties les plus délicates de sa tâche était de faire exécuter, à l’égard des protestants, si nombreux dans ce pays, les édits gradués qui tendaient à multiplier les conversions anodines et qui acheminaient peu à peu à la grande et fatale Révocation.

1279. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Cette justice rendue au plus méritant et au plus délicat des sacristains, nous entrerons dans la chapelle et nous reparlerons un peu, s’il vous plaît, d’Eugénie de Guérin.

1280. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Que de particularités délicates, habilement indiquées ou sous-entendues !

1281. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Et osera-t-on bien comparer aussi, du plus loin qu’on veuille s’y prendre, à cette dame plus que vulgaire de Tourvoie, Mme de Montesson, qui tenait dans les dernières années la Cour du duc d’Orléans et qui réussit à être épousée ; celle-ci, une vraie madame de Maintenon en diminutif, un parfait modèle de maîtresse de maison dans la plus haute société, faible auteur de comédies sans doute, mais actrice de salon excellente, ingénieuse dans l’art de la vie et dans la dispensation d’une fortune princière, personne « de justesse, de patience et de raison », qui ne pouvant, sur le refus du roi, être reconnue pour femme légitime, sut par son tact sauver une position équivoque, éviter le ridicule et désarmer l’envie, saisir et observer, en présence d’un monde malin et sensible aux moindres nuances, le maintien si délicat d’une épouse sans titre ?

1282. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Il n’est pas moins vrai que le jeune abbé malgré lui, fier et délicat comme il était, dut ressentir avec amertume l’injustice des siens : quoique d’un rang si distingué, il entrait dans le monde sous l’impression d’un passe-droit cruel dont il eut à dévorer l’affront ; il se dit tout bas qu’il saurait se venger du sort et fixer hautement sa place, armé de cette force qu’il portait en lui-même, et qui déjà devenait à cette heure la première des puissances, — l’esprit si la théologie avait pu être en passant une bonne école de dialectique, il faut convenir encore que cette nécessité où il se vit aussitôt de remplir des fonctions sacrées, sans être plus croyant que l’abbé de Gondi ; que cette longue habitude imposée durant les belles années de la jeunesse d’exercer un ministère révéré et de célébrer les divins mystères avec l’âme la moins ecclésiastique qui fût jamais, était la plus propre à rompre cette âme à l’une ou l’autre de ces deux choses également funestes, l’hypocrisie ou le scandale.

1283. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Meynert, poursuivent aujourd’hui ces recherches anatomiques au moyen de préparations délicates et de forts grossissements, et certainement ils ont raison : car la géographie de l’encéphale est encore dans l’enfance ; on en démêle à peu près les grandes lignes, deux ou trois massifs notables, l’arête du partage des eaux ; mais le réseau des routes, des sentiers et des stations, l’innombrable population remuante qui sans cesse y circule, y lutte et s’y groupe, tout ce détail, prodigieusement multiple et fin, échappe au physiologiste.

1284. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

C’est une œuvre de combat, venue après la défaite : œuvre d’un esprit vigoureux et pénétrant, mais systématique, partial, fermé à tout ce que son parti pris ne l’autorise à comprendre, juge délicat des œuvres qu’il se reconnaît le droit d’admirer.

1285. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

Si vous avez affaire à une nature fine, délicate et sensitive, l’enfant ne se laissera toucher que par ce qui convient à sa propre sensibilité et est susceptible de l’intéresser ; si vous avez affaire à une nature apathique et flegmatique, l’appel au sentiment restera lettre morte.

1286. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Le critère de l’artiste est le sentiment, son but un plaisir délicat.

1287. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Une personne d’un esprit aussi délicat que juste, et qui l’a bien connue, disait de Mme Récamier : « Elle a dans le caractère ce que Shakespeare appelle milk of human kindness (le lait de la bonté humaine), une douceur tendre et compatissante.

1288. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Le succès de son Caprice a fait honneur, je ne crains pas de le dire, au public, et a montré qu’il y a encore de l’émotion littéraire délicate pour qui sait la réveiller.

1289. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le cardinal de Retz. (Mémoires, édition Champollion.) » pp. 238-254

Les taxes, c’est là le point délicat et auquel il faut toujours revenir dès qu’on veut organiser un ordre quelconque au lendemain d’une révolte, et le premier cri de toute révolte est de se faire au nom d’un soulagement le plus souvent impossible.

1290. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Anselme avait, je l’ai dit, l’âme tendre, la conscience délicate ; ces reproches de son père et ceux qu’il se faisait à lui-même le portèrent à un grand parti : il résolut de quitter le pays ; accompagné d’un seul clerc pour serviteur, il traversa le Mont-Cenis ; épuisé de fatigue et défaillant, on raconte que, pour réparer un peu ses forces, il ne trouvait à manger que la neige du chemin : Un âne portait leur mince bagage ; le serviteur inquiet chercha s’il n’y trouverait pas quelque nourriture, et, contre son attente, il trouva du pain blanc qui leur rendit la vie.

1291. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

C’est un très-bel usage en Allemagne que celui d’envoyer les pièces des procès les plus compliqués, les plus délicats, à quelque faculté de droit d’une université, en supprimant le nom des parties, et faisant ainsi juger le procès sous des noms supposés par la faculté ; c’est-à-dire par une assemblée de jurisconsultes, qui, ne connaissant aucun des intéressés, sont nécessairement exempts de tout soupçon de partialité, de tout parti, de toute passion quelconque qui se glisse quelquefois dans les jugements des hommes les plus intègres d’une manière imperceptible, et à eux-mêmes inconnue.

1292. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Delacroix, qui a l’esprit assez assoupli pour l’embrasser entière, une besogne bien délicate et compliquée, mais bien intéressante.

1293. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Ceci est l’indice d’une âme délicate ; — et la vraie poésie a fait des âmes délicates ses vases de prédilection. […] De ces pauvres petits, nés avec une complexion délicate, la plupart sont morts avant l’expiration des mois de nourrice — malgré tous les soins des éditeurs ; — quelques-uns, moins chétifs et mieux avisés, ont survécu à l’époque du sevrage, et ont pris bravement leur parti de la destinée. […] Sa frêle et délicate personne semble avoir été formée de tendresse et de sympathie. — Seule peut-être entre toutes ses pareilles, elle réalise le type accompli de ces femmes qui, sans atteindre à la perfection de la forme, sans incarner l’idéal du beau plastique, vous semblent — on ne sait pourquoi — plus belles que la beauté. […] Le premier est un gentilhomme accompli, un type d’urbanité et de savoir-vivre, qui se détache, au milieu de la génération littéraire d’à présent, comme une attestation vivante des mœurs délicates et raffinées d’un autre âge, comme une incarnation attardée, parmi nous, de l’esprit, des idées et des traditions d’autrefois.

1294. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Ces faits bien connus, d’une expérience vulgaire, nous font comprendre la nécessité de ces intermittences dans l’attention, souvent imperceptibles à la conscience, parce qu’elles sont très courtes et d’un ordre très délicat. […] C’est une confession faite par ordre du pouvoir spirituel, c’est l’œuvre d’un esprit très délicat, très habile à observer, sachant manier sa langue pour exprimer les plus fines nuances. […] D’abord s’altèrent les mouvements les plus délicats, ceux de la parole qui s’embarrasse, des doigts qui perdent leur précision ; plus tard, les mouvements semi-automatiques qui composent la marche, le corps titube ; plus tard encore, l’ivrogne n’est pas même capable de se tenir assis, il tombe à terre ; enfin, perte des réflexes, il est ivre mort ; à l’extrême, perte des mouvements respiratoires. […] Les formes les plus hautes, les plus délicates, les plus complexes, disparaissent les premières.

1295. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Le Midi est brutal et positif comme un sculpteur dans ses compositions les plus délicates ; le Nord souffrant et inquiet se console avec l’imagination et, s’il fait de la sculpture, elle sera plus souvent pittoresque que classique. […] La jeune femme veut relever les jupes de son amant15. — Cette page luxurieuse serait, dans le musée idéal dont je parlais, compensée par bien d’autres où l’amour n’apparaîtrait que sous sa forme la plus délicate. […] Dans le Sang de Vénus, la Vénus est jolie, délicate et dans un bon mouvement ; mais la nymphe accroupie en face d’elle est d’un poncif affreux. […] Le buste est un genre qui demande moins d’imagination et des facultés moins hautes que la grande sculpture, mais non moins délicates.

1296. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Mais celui qu’il reçut là fut vraiment cordial et… effectif ; l’hospitalité la plus aimable, la plus large… et la plus circulaire, c’est-à-dire, au fond, la plus commode de toutes, le tour de chacun dans l’au-jour le jour de la saison coûteuse et glaciale, je ne crois pas qu’homme eut jamais été l’objet d’une aussi gentille confraternité, d’une aussi délicate solidarité témoignées.. […] Il est court, commode, « à la main », handy, éloigne précisément l’idée abaissante de décadence, sonne littéraire sans pédanterie, enfin fait balle et fera trou, je vous le dis encore une fois… » Le membre de phrase souligné dans ce passage détermine bien, je crois, ce que nous entendons, vous et moi, en Décadisme, qui est proprement une littérature éclatant par un temps de décadence, non pour marcher dans les pas de son époque, mais bien tout « à rebours », pour s’insurger contre, réagir par le délicat, l’élevé, le raffiné si l’on veut, de ses tendances, contre les platitudes et les turpitudes, littéraires et autres, ambiantes, — cela sans nul exclusivisme et en toute confraternité avouable. […] Chacun connaît sa vie toute de sacrifice et d’affection, son talent, si pur, si fluide, pour ainsi parler, si délicat et si profond à la fois. […] En effet, l’art violent ou délicat prétendait régner presque uniquement dans les précédents, et il devient dès lors possible de discerner des vues naïves et vraies sur la nature, matérielle et morale.

1297. (1930) Le roman français pp. 1-197

Et l’autre, enfant ramassé au bord d’une route, et devenu un mercenaire, payait ces soins délicats par des complaisances d’épouse. […] Quelques années à peine, et Moréas publiait ses Stances admirables et classiques, Régnier ses délicates, savantes et correctes Médailles d’argile ; et sans cesser d’être avant tout poète, apparaissait conteur et romancier, restant gentilhomme. […] Ils deviennent surréels, à force d’irréalité à laquelle un tout petit coin de vraiment vu, un chant de flûte, les sonnailles d’un troupeau, prêtent tout à coup un accent d’intensité, de vérité, délicat, attendrissant. […] C’est tout ce que je me permettrai d’écrire sur cette question délicate, dont il fallait pourtant dire un mot, car, chose assez étonnante, certains romanciers « catholiques » de notre temps paraissent montrer quelque indulgence pour le corydonisme. […] Rien de plus délicat à traiter : M. 

1298. (1888) Études sur le XIXe siècle

De plus, il est arrivé à se créer une palette qui est bien à lui : à l’inverse de Hunt et de ses couleurs crues, de Rossetti et de ses couleurs chaudes, il n’emploie guère — sauf, bien entendu, dans ses aquarelles, — que des tons très doux, qui se marient dans une exquise symphonie de gris infiniment délicate. […] Comment le peintre subtil et délicat de la vie élégante est-il parvenu à décrire, sans fadeurs bucoliques, une existence si différente de la sienne ? […] Elle les suit, les poursuit, les embrasse, les tourmente, se place sur leur chemin, couche devant leur porte, — et toujours en conservant sa vertu, quand bien même quelques-uns, gens peu délicats, auraient volontiers oublié, en faveur de sa beauté, qu’elle n’avait plus sa raison. […] Tout cela est honnête et délicat. […] Son domaine n’est pas et ne sera probablement jamais des plus vastes ; mais il y cultive plus d’une fleur délicate, il y crée des sites qui, pour être artificiels, n’en ont pas moins leur charme.

1299. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Ce qui est ubéreux, surtout la gaieté, répugne singulièrement aux natures délicates et rêveuses. […] Plaute et Rabelais, ces grands comiques, offrent aussi, malgré leur réputation, des traces d’une faculté sensible, délicate, qu’on surprend en eux avec bonheur, mais Molière surtout ; il y a tout un Térence dans Molière. […] J’ai cherché à soutenir ailleurs que chaque esprit sensible, délicat et attentif, peut faire avec soi-même, et moyennant le souvenir choisi et réfléchi de ses propres situations, un bon roman, mais un seul ; j’en dirai presque autant du drame.

1300. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

« Tels sont les tintements et bourdonnements d’oreille chez les personnes qui ont les nerfs délicats, et chez celles dont le nerf auditif lui-même est siège d’une lésion ; tel est encore le bruissement qu’on discerne dans ses oreilles après avoir longtemps couru dans une voiture dure. » — On constate moins aisément les sensations subjectives pour le goût et pour l’odorat. […] Plus elle a d’éléments capables de se mettre en action les uns les autres, plus elle est un instrument délicat de répétition. […] Il s’éboulera, probablement plusieurs siècles avant que les anatomistes soient capables de suivre les courants nerveux en fibre en fibre et de cellule en cellule, depuis leur commencement jusqu’à leur terminaison : les éléments de l’appareil sont trop menus, trop délicats ; leurs connexions sont presque invisibles, et leur jeu est tout à fait invisible.

1301. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Il y a pourtant un intervalle entre ces deux remarques, et dernièrement les procédés délicats des physiologistes l’ont mesuré36 ; c’est que l’opération par laquelle nous situons notre sensation à tel endroit dans tel ou tel membre est une addition ultérieure plus ou moins compliquée, dont les moments plus ou moins nombreux exigent pour se succéder un temps plus ou moins long37. — Par cette opération localisante, notre sensation reçoit une apparence fausse, et cette apparence en engendre d’autres qui, en soi, sont des illusions, mais qui, par leur correspondance avec les choses, constituent le perfectionnement ou l’éducation des sens. […] À cet égard, la peau, comparée à la rétine, est un instrument grossier, même aux endroits où son toucher est le plus délicat. — Aux vertèbres dorsales, au milieu du bras, de la cuisse et du cou58, nous ne distinguons deux attouchements que lorsque les points touchés sont distants de seize à vingt-quatre lignes ; à la face palmaire de la dernière phalange des doigts, il suffit que cette distance soit de 7/10 de ligne ; au bout de la langue, qui a le discernement le plus parfait, cette distance peut être un peu moindre qu’une demi-ligne. […] C’est ce qui arrive pour les sensations de contact, notamment à la superficie de la peau, et particulièrement aux lèvres, au bout de la langue, à la main, aux doigts, au bout des doigts65 ; là, le discernement est très délicat, et deux points séparés par une ligne ou même une demi-ligne donnent deux sensations distinctes.

1302. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Je sais bien que cette formule est adoptée par une multitude de gentils génies et de psychologues délicats. […] C’est ainsi que Paul Bourget ne s’intéressera qu’à quelques mondains bien doués, et que Maurice Barrès — qui est plus délicat — ne trouvera sa suffisance que dans son propre miroir. […] Ici ce n’est plus l’homme qui se mire dans l’univers et se plaît amoureusement à lui attribuer ses traits délicats et blancs, à l’agrémenter de sa fine stature.

1303. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Mercredi 11 février Autant c’est chafriolant d’entendre parler cuisine, par des gens curieux de nourriture délicate, raffinée, originale, enfin de petits mangeurs qui ont l’imagination de l’estomac ; autant c’est répugnant, dégoûtant même, d’entendre des goinfres d’une chatte qui se gave de mou, et un bout de langue remueur dans une rotation pourléchante. […] Il n’est pas, ou il n’est plus, le causeur éblouissant, que m’avait annoncé Saint-Victor ; mais, outre qu’on sent chez lui, un profond mépris pour tout homme qui n’est pas un pur et délicat lettré, il émet à tous moments des mots, fins, intelligents, colorés, et il a aussi des sous-entendus, qui amènent de suite, entre nos deux esprits, une espèce d’entente franc-maçonnique. […] Dimanche 20 décembre « Eh bien, le voilà le nouveau théâtre, votre nouveau théâtre. » C’est Daudet qui entre dans mon grenier, marchant avec effort sur des jambes mal d’aplomb. « Oui, Le Matin fait un article sur le nouveau théâtre, et Duret doit à ce sujet vous interviewer, vous, Zola et moi. » Et de suite la conversation est sur Sapho, et l’on cause du tact qu’il faut pour faire passer de la vérité sur les planches, et de son délicat dosage près d’un public de théâtre.

1304. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Là se présentent des appuis de fenêtre usés, noircis, dont les délicates sculptures se voient à peine, et qui semblent trop légers pour le pot d’argile brune d’où s’élancent les œillets ou les rosiers d’une pauvre ouvrière. […] « Elle avait une tête énorme, le front masculin, mais délicat, du Jupiter de Phidias, et des yeux gris auxquels sa chaste vie, en s’y portant tout entière, imprimait une lumière jaillissante.

1305. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Le fait est qu’à la réserve de quatre ou cinq votes qui lui furent accordés, je me vis choisi à l’unanimité. » IX L’élection d’un Pape dans une circonstance si difficile, où sa souveraineté temporelle était envahie, où sa capitale était occupée, où son prédécesseur venait d’expirer captif de la France, et où les cardinaux cherchaient en vain à emprunter un territoire libre pour se réunir en conclave, était une œuvre aussi délicate que périlleuse. […] Il termina en disant que tous leurs soins et tous leurs efforts devaient tendre à découvrir un expédient pour réussir auprès de ce chef, afin de ne pas faire un faux pas dans une matière aussi délicate.

1306. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Impossible de faire le délicat sur le choix des mots. […] A ceux-là, nous devons des œuvres niaises et plates, ou criardes et enluminées comme des images d’Epinal, n’ayant souci ni de style ni de vraisemblance, relevant moins de l’art que de l’industrie : chansons dont la musique aigrelette est digne des paroles ineptes ou grossièrement bouffonnes  ; romans interminables déroulés durant des mois au rez-de-chaussée d’un journal, débités par tranches à des abonnés patients et promenant du bagne à la cour, du boudoir à l’hôpital, tout un monde de personnages comme on n’en voit qu’en rêve ; mélodrames naïfs et voyants, pauvres de psychologie, mais riches de coups de théâtre et de coups de fusil, rouges de sang et de feux de Bengale, fertiles en miracles de la Providence et du machiniste, étourdissant les yeux et les oreilles par l’éclat des costumes, des décors et des tirades ; littérature faite Sur commande pour un public friand de grosses émotions et de spectacles qui parlent aux sens, parce qu’il ne sait pas encore apprécier des mets plus délicats, parce qu’il n’est initié que d’hier aux jouissances esthétiques, parce qu’il n’a pas fait son apprentissage littéraire.

1307. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Allusions délicates, périodes harmonieuses, phrases pompeuses ou finement ciselées en sont les ornements ordinaires. […] Ils offrent aux débutants un milieu tiède et douillet où leur talent novice peut se développer comme une plante délicate en serre chaude ; ils leur fournissent aussi un centre de ralliement qui les sauve des désespérances de l’isolement et leur permet en pleine bataille de reprendre haleine et courage.

1308. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Ainsi, cette force effrayante enfermait et protégeait un univers intime, un univers d’une tendresse si légère et si fine que, si elle n’avait eu ce puissant abri contre le contact du monde extérieur, elle se serait, mollement, fondue, évaporée, comme le délicat génie et comme la vie de Mozart. […] Elles étaient trop vives, trop délicates, aussi, pour s’attacher à une seule des apparences que son regard effleurait, effleurait avec une haine répulsive, et, plus tard, avec la méfiance de l’âme toujours insatisfaite.

1309. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Dimanche 11 mars On sort de table… Femme au délicat profil, au joli petit nez droit, à la bouche d’une découpure si spirituelle, à la coiffure de bacchante donnant aujourd’hui à sa physionomie une grâce mutine et affolée, femme aux yeux étranges qui semblent rire, quand sa parole est sérieuse. […] C’est vraiment un triomphe pour une religion d’avoir amené une femme, cette faiblesse, ce délicat appareil nerveux, à la victoire de dégoûts de cette nature, d’avoir amené l’affectuosité d’une créature distinguée à appartenir tout entière à d’abjects et sordides misérables qui souffrent.

1310. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La poésie purement formelle ressemble à ces stalactites des grottes qui pendent comme des lianes de pierre, guirlandes délicates et fines, mais inanimées ; on y cherche vainement la fluidité de la vie : elle n’est que dans les gouttes d’eau qui tombent et pleurent, non dans ces fleurs pétrifiées et impassibles. […] C’est charmant, pas bien réel ; les vraies couleurs, les vraies nuances ont des dégradations infinies que le pinceau de Coppée, quoique délicat et menu, ne semble pas bien fait pour rendre ; mais, par contre, ce pinceau est léger autant qu’habile, et fin comme l’esprit même du poète244.

1311. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Il a essayé de faire une douce aurore à son soleil, dont les feux auraient blessé la vulgarité délicate s’ils étaient tombés d’aplomb sur ses paupières. […] été créé non plus pour tourner, de ses délicates et suzeraines mains d’artiste, les grossières manivelles de la mécanique sociale qui a fini par le broyer sous ses rouages aveugles et sourds.

1312. (1739) Vie de Molière

Celle dont Molière l’a traité est bien plus délicate, et fournissant bien moins, exigeait beaucoup d’art. […] L’Amphitryon de Molière réussit pleinement et sans contradiction ; aussi est-ce une pièce faite pour plaire aux plus simples et aux plus grossiers, comme aux plus délicats.

1313. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

[NdA] Un spirituel amateur d’autographes m’écrit pour me communiquer un doute au sujet de ce papier glacé, qu’on ne voit guère employé en effet au xviiie  siècle, même par les mains les plus délicates : ce serait une invention de notre siècle.

1314. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

On pourvut à cet article délicat dans le traité de longue trêve, moyennant une circonlocution obscure, par laquelle on semblait à la fois retirer et accorder ce droit de trafic et de navigation, et sans surtout prononcer le nom des Indes qui était comme sacramentel en Espagne.

1315. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Celui qui venait de développer dans une belle et lumineuse narration la marche et les progrès de la plus parfaite des sciences, cette série et cette gradation ascendante des grands hommes, Hipparque, Copernic, Galilée, Kepler et Newton, celui-là même s’amuse à noter le ton qui différencie les poésies fugitives des divers siècles ; comme quoi Chapelle, plus débauché que délicat, a peint un siècle où les mœurs n’étaient pas déguisées, et où le langage gardait de la grossièreté dans la franchise ; comment Chaulieu, venu après, appartenait à une époque plus polie, où l’on était déjà aimable, où l’on était encore passionné ; comment Gresset, enfin, n’a plus retrouvé ces sources du génie de Chaulieu : Il est venu, dit Bailly, lorsque la galanterie penchait vers son déclin.

1316. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Mais ce qui est touchant, c’est que, dans les années précédentes, un ami délicat et attentif, M. 

1317. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Il a les mêmes traits, la même physionomie, les mêmes gestes ; seulement, la couleur de ses yeux est différente, et l’ensemble de ses traits est un peu plus délicat.

1318. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

que la société distinguée était généreuse, élevée, délicate !

1319. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Charles Bonnet, philosophe chrétien, psychologue et naturaliste éminent, homme d’observation et de principes, eut à entreprendre cette cure délicate sur l’esprit du jeune Bonstetten que l’enthousiasme de Rousseau avait saisi, qui prenait hautement parti pour lui, pour sa profession de foi condamnée à Genève ; qui, dans les troubles de cette petite république, penchait pour les démagogues (ô scandale !)

1320. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Victor Cherbuliez qui, dans ses Causeries athéniennes, a traité les plus délicates questions de l’art avec une verve, un savoir, une élévation de vues, auxquels je ne trouve à dire que pour le trop de densité.

1321. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Plusieurs lettres, publiées ici, font foi de ce scrupule délicat : « M. d’Alembert m’a fait saluer plusieurs fois, écrivait-il à Watelet (1764) ; j’ai été sensible à cette bonté de sa part.

1322. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Il est délicat aux hommes de notre génération de venir parler des chefs de la génération qui nous a précédés.

1323. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Molé un portrait des plus délicats, où les qualités du noble personnage sont reconnues et où ses faibles ne sont pas oubliés : une qualité toutefois n’y est pas suffisamment marquée, c’est que M. 

1324. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Biot, toute classique, était fine, délicate, triée, mais un peu menue et minutieuse.

1325. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Il y a, dans ce tableau complet de la captivité et des travaux de Sainte-Hélène, de quoi confirmer et transporter tous ceux qui croient surtout au génie et qui l’idolâtrent ; de quoi ramener et réconcilier ces autres esprits, moins enthousiastes, qui étaient restés surtout sensibles aux dernières fautes d’un règne où tout fut immense ; de quoi émouvoir enfin et confondre en réflexions salutaires ces âmes délicates qui mêlent au spectacle de toute grande infortune humaine une idée religieuse d’expiation.

1326. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

J’y insisterai donc à mon tour ; je voudrais exposer, éclaircir de mon mieux ce point délicat et encore si controversé.

1327. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Zeller, avec son bon et droit esprit, a résolu le problème assez délicat d’être court, substantiel toutefois et complet, de ne se perdre ni dans le détail ni non plus dans les généralités, de resserrer les faits, d’en composer un tissu intéressant, et de choisir chaque fois un ordre d’événements et d’actions personnifié dans une ou deux principales figures, un ensemble qui eût un sens et qui fût un tableau.

1328. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Aujourd’hui je comprends bien ce que vous voulez appeler la responsabilité délicate qui vous est échue : il s’agit de choisir, d’élaguer, de remplir le vœu dernier d’un poëte, en n’admettant rien qui soit de nature à nuire à sa mémoire ou à affaiblir l’idée qu’on veut donner de son talent.

1329. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

M. de Valincour, en entrant à l’Académie, avait justifié ce choix par un fort bon discours, — un éloge de Racine fort délicat et fort poli.

1330. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Ce n’était pas la seule contradiction qu’il trouvait au dedans de lui ; il avait coutume de dire encore, en regrettant de ne pas rester un simple amateur, ce qui est si doux et si désirable aux délicats : « Quel dommage que j’aie toujours envie d’écrire !

1331. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Sainte-Beuve est mort cependant, ignorant la cause de son mal, la soupçonnant peut-être, l’indiquant même par de certaines comparaisons et images réelles, basées sur ses sensations douloureuses, dont la médecine et la chirurgie (qui se croient plus positives) ne tiennent pas assez de compte dans la bouche d’un littérateur, et disant un jour : « Vous verrez qu’on ne saura ce que j’ai que lorsqu’on m’ouvrira… après moi… » — Que si la recherche de la vérité a besoin d’excuse, la catastrophe du 13 octobre dernier pourrait en être une suffisante : mais je renverrai ces délicats, qui me reprocheraient la crudité trop pathologique de ces détails, en tête du premier livre posthume d’un écrivain mort peut-être pour n’avoir pas été assez exa miné à fond, au tome V, page 523 de Port-Royal, où M. 

1332. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Le fantastique surtout, cette portion la plus délicate et la plus insaisissable, y fut méconnu et défiguré.

1333. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Les femmes n’ont point composé d’ouvrages véritablement supérieurs ; mais elles n’en ont pas moins éminemment servi les progrès de la littérature, par la foule de pensées qu’ont inspirées aux hommes les relations entretenues avec ces êtres mobiles et délicats.

1334. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

On interprète « les harmonies de la Nature » comme des attentions délicates de la Providence ; en instituant l’amour filial, le Créateur a « daigné nous choisir pour première vertu notre plus doux plaisir314 »  À l’idylle qu’on imagine au ciel, correspond l’idylle qu’on pratique sur la terre.

1335. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Il est construit avec les mêmes substances chimiques, soumis aux mêmes forces physiques, assujetti aux mêmes lois mécaniques, et toutes les indications de la science concourent à le représenter comme autre en degré, mais le même en nature160 ; ce que nous appelons la vie est une action chimique plus délicate d’éléments chimiques plus composés. — Ainsi, en poursuivant l’analyse, depuis les plus hautes opérations des lobes cérébraux jusqu’aux phénomènes les plus élémentaires de la physique, on ne trouve que des mouvements mécaniques d’atomes, transmissibles sans perte d’un système à l’autre, et d’autant plus compliqués que les systèmes sont plus complexes.

1336. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

On peindra donc ses contemporains et ses compatriotes ; on marquera les détails les plus délicats et les plus fugitifs du ton, du langage, des manières, et le poëte, sans y songer, deviendra historien. — Cette recomposition des personnages recomposera l’action.

1337. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Relisons toutes les pièces qu’on cite : ces sonnets, ces chansons, où le pétrarquisme est traverse des élans fougueux d’une passion sensuelle, où se fond une subtilité aiguë dans la douceur lasse d’une mélancolie pénétrante, ces élégies où le néant de l’homme, la fragilité de la vie, le sentiment de la fuite insaisissable des formes par lesquelles l’être successivement se réalise, s’expriment en si vifs accents par de si graves images, ces hymnes, comme l’hymne à Bacchus qui a le mouvement et l’éclat des Bacchanales que peignaient les Italiens, ces odelettes, où la joie fine et profonde des sens aux caresses de la nature qui les enveloppe, se répand en charmantes peintures, en rythmes délicats : tout cela, c’est le tempérament de Ronsard, fortuitement favorisé par son érudition, ou bien en rompant l’entrave.

1338. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Les passions sont plus brutales que délicates : mais l’intelligence est prompte, souple, infatigable.

1339. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Après la légende délicate dont le poète voile transparemment sa pensée, s’érige cette note, de conclusion : « Les vérités demeurent derrière les formes-symboles.

1340. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Ces personnes auxquelles l’avaient lié des goûts et peut-être des préventions communes, c’étaient Mme de la Fayette et d’autres dames de la cour, dont l’esprit délicat aiguisait le sien, et au tact desquelles il éprouvait, comme à une pierre de touche, la vérité de ces réflexions qui, sous le nom de Maximes, allaient devenir des vérités immortelles.

1341. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Le sentiment extrêmement délicat qu’on remarque en lui pour les femmes 211 ne se sépara point du dévouement exclusif qu’il avait pour son idée.

1342. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Maupertuis, dans ses Réflexions philosophiques sur l’origine des langues, parlait de l’utilité d’étudier les langues des sauvages « qui sont conçues sur un plan d’idées si différent du nôtre. » On l’a fait, et l’on peut bien croire que la philologie comparée nous révélera sur le mécanisme de l’âme et ses variations, des choses bien autrement intimes et délicates que la physiologie.

1343. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Et avant tout, pour aborder sans hésitation une question délicate, et qui, soulevée un jour devant lui, fit rougir le front du noble guerrier, mais une question qui est trop chère à la calomnie pour qu’on la lui laisse, je dirai qu’à l’étranger, le maréchal Marmont, privé de ses traitements en France, vivait surtout de sa dotation d’origine et de fondation napoléonienne, datant de l’époque de ses grands services en Illyrie, dotation qui, par suite de la reprise des Provinces illyriennes, lui avait été légitimement garantie dans les traités de 1814, comme cela arriva à d’autres grands feudataires de l’Empire en ces provinces.

1344. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Les natures moins délicates ou moins maîtresses d’elles-mêmes ne peuvent se retenir ; il en est qui s’exhalent en propos vifs et outrageants, d’autres tournent au tendre et à l’élégie.

1345. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Ce qu’il en a dit montre que le principe de cette œuvre n’est nullement original — et qu’elle ne doit se développer que comme très intelligente et curieuse compilation recréée par un esprit poétique, délicat et éminemment subtil, des conceptions idéales à priori.

1346. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Outre les principales règles de l’art dramatique, qu’on peut voir ci-après aux mots action, intrigue, intérêt, unité, et autres, on sait qu’il y a un art plus caché et plus délicat, qui règle en quelque façon tous les pas qu’on doit faire, et qui n’abandonne rien aux caprices du génie même.

1347. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Ce qu’il y a de plus étonnant encore, c’est que la vérité repose souvent au fond de l’erreur comme le germe d’un fruit délicat est protégé par la dure enveloppe du noyau.

1348. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

On n’aurait peut-être pas cru que ce regard d’observateur, qui n’allait qu’aux détails de la vie intime d’entre le lit et le berceau, s’allongerait sur les choses de la vie sociale, et qu’au lieu de sentiments délicats à exprimer de deux à trois cœurs, comme d’un fruit les gouttes d’une essence exquise, il s’occuperait un jour à démêler et à peindre des passions et des caractères.

1349. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

En effet, en ces deux-là, on trouve, avec ses qualités habituelles et dans le milieu ordinaire de l’observation de l’auteur, deux ou trois individualités, deux ou trois têtes, en profil, il est vrai, mais qui sont arrêtées et dont la fine originalité vous saisit au plus délicat de votre être.

1350. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

C’est que, en effet, une autre règle plus délicate, infiniment plus difficile à observer, s’impose à l’écrivain, à celui-là surtout qui prétend raconter et analyser le monde des passions humaines.

1351. (1887) La banqueroute du naturalisme

Avec le goût et le sens moral, ce qui lui manque le plus c’est la sympathie, et sans la sympathie, sans cette faculté précieuse, délicate et subtile, n’y ayant pas moyen d’enfoncer un peu avant dans la connaissance de nos semblables, il n’y a pas moyen non plus d’être naturaliste.

1352. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VIII : M. Cousin érudit et philologue »

Lorsque plus tard il écrivit, il se figurait toujours qu’il avait pour auditeurs ces esprits si délicats, si ennemis de toute affectation, si amateurs du style clair et des termes simples, et cette pensée le préserva des expressions abstraites ou vagues sur lesquelles les métaphysiciens chevauchent dans leurs promenades fantastiques, dont l’obscurité prétentieuse pouvait plaire à des écoliers, à des bourgeois, à des poètes, mais qui auraient exclu l’auteur du salon de Mme de la Fayette, et l’auraient relégué dans la société des sulpiciens.

1353. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Oui, mais aussi, dès que les Grecs et les Latins lui eurent apporté la forme qu’elle cherchait en vain, en quelles œuvres originales, et vigoureuses, et délicates, éclata le génie de la France ! […] — repensée par un artiste très délicat et dégoûté, soit ennui, raffinement ou inaptitude, des formes régulières du développement classique. […] Il reste qu’elle a joué ce rôle délicat d’Alcmène avec esprit, et avec réserve, avec tendresse et avec dignité. […] Beauté fine et délicate. […] Elle est « renforcée », mais elle a toujours sa tête de gamine sérieuse, cou dégagé, cheveux relevés sur le front, nez un peu long, menton délicat !

1354. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Il avait été mêlé, sous le pontificat de Célestin III, à des négociations diplomatiques très délicates. […] La question est vraiment délicate. […] C’est bien délicat. […] C’est la femme qui dit, ou qui, si elle est très délicate ne dit pas, mais fait entendre involontairement à chaque minute : « Que ne suis-je plus vieille ? […] Un membre fait sentir que cette question est infiniment délicate et que l’assemblée n’est pas assez nombreuse pour en délibérer.

1355. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

L’amitié est plus délicate, et il faut qu’elle écoute ses scrupules. […] Le talent de Montfort est en même temps délicat et copieux. […] Là, peut-être, à l’ombre d’un délicat feuillage, des laveuses se groupent autour d’une fontaine moussue. […] Il fermait les yeux et goûtait ainsi un plaisir délicat. […] On applaudissait à la Comédie-Française Le bon Roi Dagobert, pièce où brode la fantaisie délicate du poète André Rivoire.

1356. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

* Dressez, si vous le pouvez, une liste de toutes les injustices qui se commettent par la prévention, par la rivalité, par l’intérêt, par l’ignorance où nous sommes les uns des autres ; dépouillez tous les auteurs de maximes ; feuilletez les casuistes, ces chercheurs consommés de points délicats ; vous n’aurez pas le compte exact des injustices de l’esprit de parti. […] A quoi bon alors ces plaintes de certains délicats de la politique sur le mauvais goût qu’ont les Français de préférer le but au moyen, à la liberté l’égalité ? […] Après les candidatures, par visites et par lettres, vient la plus délicate partie de la tâche de l’académicien, le jugement des titres. […] Tout cela était dit avec tant de candeur, en termes si délicats, que je commençai à réfléchir à l’inconvénient des engagements précipités. […] Enfants de la France, chères générations qui avez à venger les injures de votre pays, laissez les études qui ont formé vos pères aux douceurs de la vie civile et aux plaisirs délicats de l’esprit.

1357. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Nous voici devant l’adolescent, et là nous rencontrons le plus délicat des problèmes, celui de la puberté. […] Dans les salons où se réunissaient les « philosophes » et leurs imprudents affiliés de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, la mode était au dix-huitième siècle de reconstruire rationnellement la société, comme si cette société n’était pas un organisme vivant, difficile par suite à connaître dans sa vérité profonde et infiniment délicat à manier. […] » J’en ai assez dit pour montrer l’intérêt de ce livre posthume et silhouetter le profil moral de la charmante disparue qui ne l’a même pas composé, car la seule unité de ces pages est celle de la noble et délicate nature qu’elles manifestent. […] Je n’ai reçu d’elle aucune confidence, mais j’imagine qu’elle rêvait d’un Idéal d’art si haut à la fois et si délicat, qu’elle ne se jugeait pas capable de l’atteindre, et comme elle était étrangère à toute vanité, un aiguillon lui manquait, qu’il n’y a pas lieu de condamner puisque des écrivains de la valeur de Chateaubriand en ont été piqués, le désir du succès. […] On comprend quelles délicates, on pourrait dire quelles dramatiques fonctions, de telles circonstances assignaient à M. 

1358. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ses principes, quoique délicats et reculés dans l’intelligence, n’échappent pas à une pénétration forte et subtile ; mais leur quantité trouble l’esprit qui, voulant en faire le compte, s’y éblouit quelquefois. […] Autant une chose si délicate que le goût se laisse apercevoir, autant il l’a bien saisie. […] Les femmes, que leur finesse d’esprit rend si délicates sur les choses de goût, joignirent, comme aujourd’hui, à ces avantages l’éclat que leur aspect et leur décence répand toujours dans les assemblées, et inspirèrent cette émulation qui ne brigue nul salaire plus doux que leurs suffrages. […] Les mœurs des divinités agrestes, et des bergers fabuleux, prendraient une grâce parfaite sous une plume délicate. […] Dès sa seizième année, il chante devant les Grecs assemblés les défaites de leurs adversaires ; et cet enfant, dont la main délicate soutenait à peine sa lyre, et dont la voix plus faible encore pouvait à peine faire recueillir ses accents à la multitude, ce même enfant reparaît, sous le titre de capitaine, à côté de Périclès, et surmonte avec lui les ennemis de l’état.

1359. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Fernand Mazade dans le Gaulois, je crois, des sonnets délicats et joliment tortillés… Mais, de la Belle au bois rêvant, je n’ai pas entendu un vers sur dix. […] Lecomte, qu’elle fut infiniment moins ridicule que touchante dans cette posture délicate. […] C’est une âme délicate et profonde, mélancolique et sensuelle. […] Il a des susceptibilités de colosse, délicates dans leurs causes, lourdes et tenaces dans leurs manifestations. […] Nous voulons oublier et nous lui cachons ce qui se rencontre chez lui de fâcheux, comme nous nous cachons à nous-mêmes nos propres défauts, et ce soin délicat tient notre amour en haleine et nous le rend plus intime en le faisant plus volontaire et plus méritoire… — Vous me direz que ce que nous aimons alors, c’est notre bon cœur.

1360. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Il était aussi bon, aussi délicat, qu’il était peu démonstratif. […] Je me souviendrai toujours de l’accent avec lequel, me parlant d’une opération très délicate dont le génial Albarran, mon autre ami tant regretté, avait eu l’idée. […] Il séduisait les littéraires par son humanisme savant et délicat. […] Poète délicat, prosateur aigu, passionné de musique, passionné également de métaphysique, son rêve d’existence eût été de recréer la nature, en la repensant par le dedans. […] De là, dans les armées de ce type, cet esprit critique et qui rend plus délicat le rôle du chef, obéi, suivi, mais jugé.

1361. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

l’amitié est une belle et douce chose, si délicate qu’elle paraît gâtée dès que le devoir perce un peu trop dans ce qu’elle devrait seule nous inspirer ! […] Il faut voir avec quelle candeur il plaint les esprits communs qui se jettent sur le grossier de son livre et n’en distinguent pas le délicat ; avec quel orgueil il appelle son œuvre une pierre de touche pour les esprits ! […] Combien d’âmes délicates, comme celle d’Élisabeth, sont jetées soudain dans le doute par la brutalité d’un puritain ! […] Combien n’en a-t-on point vues parmi les plus délicates et les plus nobles, s’élancer légères vers cet idéal flottant du panthéisme et retomber lourdement sur la terre, découragées de n’avoir rien atteint de solide à quoi se rattacher ! […] Ehrenthal le savait aussi bien que Veitel, ce point délicat ne fut pas approfondi davantage.

1362. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

On y voit une Venise à la fois délicate et basse, opulente et sordide, superstitieuse et lubrique, plus près sans doute de l’histoire que de la légende ; c’est pourquoi quelques-uns furent choqués. […] Je crois bien que cette variété de gestes dans une même attitude est caractéristique de tous ceux qui ont le bonheur d’être inquiets, c’est-à-dire d’avoir des sens tellement délicats que le moindre bruit les émeut, ou la moindre odeur, ou la moindre lueur. […] Il s’en est écarté et il est entré en lui-même, seule demeure digne d’une âme délicate. […] Il n’y a qu’un défaut dans Monelle, c’est que le premier chapitre est une préface et que les paroles de Monelle, obscures et fermes, n’ont point d’application inévitable dans l’histoire de Madge, de Bargette ou de la petite Femme de Barbe-Bleue, toutes pages, et d’autres, d’une psychologie infiniment délicate, avec ce qu’il faut de mystère pour relever un récit d’entre les anecdotes. […] Henry Bataille s’y est conformé spontanément (c’est ainsi qu’il le faut) avec une délicate simplicité.

1363. (1886) Le roman russe pp. -351

Ces délicats sont singuliers. […] Marmier, la Princesse Marie, se rappellent sans doute le charme délicat de ce récit. […] Elle avait vu fuir sa jeunesse sans bonheur ; ses joues fraîches et ses lèvres délicates s’étaient flétries sans baisers, couvertes de rides prématurées. […] Sous les formes embarrassées que revêt la pensée russe, quand elle confie à la presse certains aveux délicats, ce morceau nous livre le secret de toute une génération et nous apprend dans quel camp l’écrivain plantera d’abord son drapeau. […] C’est peut-être le lieu de toucher un point délicat que je ne veux pas éviter.

1364. (1881) Le naturalisme au théatre

Ce sont nos auteurs contemporains les plus applaudis et les plus dignes de l’être qui dissertent de la sorte à l’infini sur les façons délicates d’avoir de l’honneur. […] Le point est délicat, je ne voudrais pas insister ; mais il est évident que la continuelle apothéose de Paris finit par agacer les bons bourgeois des quatre coins de la France. […] Je touche ici un point délicat. […] Lorsque vous avez mis une comédienne dans les astres, vous la jetez d’un coup de poing dans l’égout ; et vous vous étonnez que cette machine délicate se détraque. […] Je sais des poètes qui, depuis vingt ans, étudient l’art délicat de forger le vers français.

1365. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Ausone, né à Bordeaux, où il professa la rhétorique pendant trente ans, puis appelé à Trêves par l’empereur Valentinien pour être le précepteur de son fils Gratien, Ausone, dans ses poésies subtiles, recherchées, maniérées, délicates toutefois et par instants rêveuses y est à la fois le dernier des Anciens et, à certains égards, un moderne. […] Diez excelle en cette sorte d’analyse linguistique délicate ; M. 

1366. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Recomposons-le d’après lui vers à vers : « Son visage, sa démarche, avaient quelque chose de surhumain ; sa taille était délicate et souple, ses yeux tendres et éblouissants à la fois, ses sourcils étaient noirs comme de l’ébène, ses cheveux colorés d’or se répandaient sur la neige de ses épaules ; l’or de cette chevelure paraissait filé et tissé par la nature ; son cou était rond, modelé et éclatant de blancheur ; son teint était animé par le coloris d’un sang rapide sous ses veines ; quand ses lèvres s’entrouvraient, on entrevoyait des perles dans des alvéoles de rose ; ses pieds étaient moulés, ses mains d’ivoire, son maintien révélait la pudeur et la convenance modeste et majestueuse de la femme qui respecte en elle les dons parfaits de Dieu ; sa voix pénétrait et ébranlait le cœur ; son regard était enjoué et attrayant, mais si pur et si honnête au fond de ses yeux, qu’il commandait la vertu. […] Pour moi, je pense qu’il est plus aisé de s’accoutumer à une nourriture grossière qu’à des mets délicats et recherchés ; des figues, des raisins, des noix, des amandes, voilà mes délices ; j’aime les poissons dont la rivière abonde : c’est un grand plaisir pour moi de les voir briller dans les filets qu’on leur tend et que je leur tends moi-même quelquefois.

1367. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

IX Pendant que nous vaguions ainsi, à la froide rosée de la nuit, de châlet en châlet, sans qu’une porte voulût s’ouvrir à la voix des guides, les frissons qui sortaient des sapins et des cascades nous saisissaient ; la faim et le sommeil, après une journée de marche, faisaient transir et grelotter les femmes ; une nuit sans foyer, sans toit et sans nourriture, sur une couche d’herbe humide de neige, au sommet de l’Apennin, alarmait ma tendresse pour des santés chères et délicates. […] Silencieux, réservé, susceptible, comme toutes les délicates natures, il intéressait vivement par son silence même.

1368. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Je sentis dès le début quelle immense difficulté j’éprouverais à prolonger pendant cinq actes, sans le secours d’aucun épisode, ces fluctuations de l’âme de Myrrha, si délicates à rendre. […] L’honneur délicat de la comtesse y resta, mais la vie des deux amants fut assurée.

1369. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Cacault lui paraissaient raisonnables et fondés ; que toutefois, en affaires si délicates, il ne voulait pas agir sans demander conseil à plusieurs ; que je devais donc assembler, pour le jour suivant, une congrégation de tout le sacré-collège, et que cette congrégation se tiendrait en sa présence ; que j’aurais à y relater tout ce qui s’était passé, et que l’on écouterait les dires de chacun ; qu’il se résoudrait alors au parti qui lui semblerait le meilleur, et qu’en attendant il accorderait l’audience demandée par M.  […] Il n’y eut pas d’attentions compatibles avec mes devoirs, d’égards délicats et en toute espèce de choses, que je n’eusse pour lui dès le principe.

1370. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion. […] Je le priai de me parler de la jeunesse de Goethe, ce qu’il fit volontiers : « Il pouvait avoir vingt-sept ans, me dit-il, quand j’étais chez lui ; il était très maigre, agile et délicat, je l’aurais facilement porté. » Je lui demandai si Goethe, dans les premiers temps de son séjour, avait été très gai.

1371. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Montre-nous la corde où le chant réside. » Elle leur dit de la chercher jusqu’à ce qu’elle soit de retour, et leurs doigts délicats errent parmi les fils de métal. […] Près d’eux, la fille de Vinval, Crimora, brillait sous l’armure d’un jeune guerrier ; ses blonds cheveux flottaient négligemment ; un arc pesant chargeait sa main délicate ; elle avait suivi son amant, son cher Connal, au combat.

1372. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

De cette vie l’âme de l’homme se dégage : une âme candide et cynique, intimement bonne et immensément orgueilleuse, romanesque incurablement, déformant toutes choses pour les embellir ou les empoisonner, enthousiaste, affectueuse, optimiste de premier mouvement, et par réflexion pessimiste, irritable, mélancolique, malade, et déséquilibrée finalement jusqu’à la folie ; une âme délicate et vibrante, épanouie ou flétrie d’un souffle, et dont un rayon ou une ombre changeait instantanément tout l’accord, d’une puissance enfin d’émotion, d’une capacité de souffrance, qui ont été bien rarement données à un homme. […] Il avait en face d’elle la plus délicate sensiblité, et d’elle il a tiré les plus vives, les plus pures joies de son âme.

1373. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Ce régime, d’une application difficile et délicate en tout temps, l’est devenu plus encore à notre époque, malgré l’autorité et la gloire du succès pendant trois siècles. […] « Le goût, dit-il, est un discernement délicat, vif, net et précis de toute la beauté, la vérité et la justesse des pensées et des expressions qui entrent dans un discours. » N’est-ce que cela ?

1374. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Où son siècle était délicat, il affecte la grossièreté ; où son siècle était grossier, il raffine sur la délicatesse. […] Nous sommes peut-être plus délicats que les dames romaines du temps d’Epictète, qui lisaient la République de Platon pour les pages où il recommande la communauté des femmes105 ; mais si nous ne demandons pas aux romans des excuses pour nos vices, tout au moins nous y sommes attirés par leurs complaisances pour nos faiblesses.

1375. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

29 mai Il y a de certains épais maris matériels de délicates femmes, qu’on pourrait comparer à ces grossiers auvergnats des Commissaires-priseurs, maniant et montrant, sans les casser, les plus belles et les plus fragiles choses. […] * * * — Maintenant que le haut du pavé appartient aux gniafs, aux pignoufs, à des canuts de Lyon devenus millionnaires, à des grands coulissiers de la coulisse, les choses n’ont plus besoin d’être fines, d’être délicates, d’être exquises, il ne leur faut plus que l’apparence de la richesse et de la cherté.

1376. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

À un quatrième de la rue Vaneau, un petit appartement bourgeois et frais, un mobilier de velours vert, des têtes d’Ary Scheffer au mur, et au milieu de quelques objets de Dunkerque, le moulage d’une délicate main de femme. […] Il a osé des choses monstrueuses, mais en les sauvant, avec ces atténuations de la voix, cette grâce légère de la langue, que possède ce gros homme, si délicat causeur.

1377. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Voilà un problème bien délicat pour nous, qui vivons justement dans le présent et qui le voyons de trop près pour le bien juger. […] Il est vrai que le sens du milieu a d’intimes connexions avec les deux extrêmes, et il ne se sépare du sens moral que par une si légère différence, qu’Aristote n’a pas hésité à ranger parmi les vertus quelques-unes de ses délicates opérations.

1378. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Le roi encensé, il allonge son coup de pied à « cette révolution, qui se plongeait dans tous les crimes et rampait sous tous les maîtres », il insulte Buonaparte, se pâme à la lecture de la proclamation à l’armée du Comte d’Artois, lieutenant-général du royaume, envoyé à Lyon pour arrêter la marche de Napoléon, et il la commente ainsi : « Plus le langage était noble et délicat, moins il était propre à faire impression sur des esprits qui ne semblaient accessibles, qu’à celui de la séduction. […] Mais pour raconter la scène, il attendit que les conseils de guerre eussent terminé leur œuvre de répression ; il était alors exilé. — Victor Hugo reste toujours le même, au milieu des circonstances les plus diverses : pendant la restauration légitimiste, il insulte Napoléon, qui l’enthousiasme, pendant la réaction bourgeoise, il calomnie les insurgés, dont il admire les actes de délicate probité.

1379. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Laissez-nous donc analyser lourdement et péniblement cette double ivresse, l’une saine, l’autre malsaine qui sort des coupes et des fleurs de ce charmant poète, et si nous sommes trop sévères, trop délicats, trop froissés par le mauvais pli d’une feuille de rose comme le Sybarite, ne vous y trompez pas, ce n’est pas mollesse, c’est conscience ; rien de ce qui froisse l’âme ou de ce qui ternit la pudeur ne doit être pardonné à celui qui écrit pour la jeunesse, ce printemps de la pureté. […] La langue de la mansarde qui est une langue aussi, n’a rien de plus délicat et de plus svelte.

1380. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Un des pères jésuites, professeur de belles-lettres, d’une santé délicate aussi, fut chargé par ses supérieurs de me conduire deux ou trois fois par semaine dans ces lointaines excursions à travers les montagnes du Bugey. […] Ceux d’entre vous qui préfèrent, à cause de leur âge plus tendre, les promenades et les jeux de cette belle matinée à des délassements d’esprit peuvent se retirer ; les autres resteront librement avec moi pour jouir d’autres plaisirs. » La foule s’élança dans les jardins avec des cris de joie qui se confondirent avec les gazouillements des oiseaux libres des charmilles ; huit ou dix adolescents des plus âgés ou des plus lettrés restèrent, retenus par la confiance qu’ils avaient dans le goût délicat du maître et par leur attrait déjà prononcé pour les plaisirs d’esprit.

1381. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Laissons ces railleries et voyons l’acte en lui-même : il est noble et délicat, il est bien d’une époque où de grandes choses se firent et où l’on sentait le prix de les bien représenter.

1382. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Mes soldats (société d’honnêtes gens plus purs et plus délicats que les gens du monde) m’adoraient.

1383. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Dans ce pays qui a conservé sans interruption le culte du gothique fleuri et de la noblesse chevaleresque, Froissart n’a pas cessé d’être apprécié, ou du moins il a de bonne heure retrouvé des lecteurs d’élite et des admirateurs, non pas seulement chez les savants et les érudits comme en France, mais chez les hommes de lettres et les curieux délicats.

1384. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

On a dit que « la lie même de la littérature des Grecs dans sa vieillesse offre un résidu délicat ».

1385. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Elle lui opposait une autorité, selon elle, convaincante, celle du délicat et très dédaigneux Alcibiade, qui n’aimait rien que le neuf et qui ne pouvait souffrir d’entendre la même chose deux fois : Cependant cet homme, si ennemi des répétitions, disait-elle, aimait et estimait si fort Homère, qu’un jour, étant entré dans l’école d’un rhéteur, il lui demanda qu’il lui lût quelque partie d’Homère ; et le rhéteur lui ayant répondu qu’il n’avait rien de ce poète, Alcibiade lui donna un grand soufflet.

1386. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

C’est encore là un point délicat, et je craindrais qu’un annotateur et un commentateur qui ne serait pas net et sobre ne prît occasion de ces endroits pour en tirer des idées et des inductions un peu autres que celles auxquelles Buffon a réellement songé.

1387. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Je vais donc simplement aujourd’hui payer envers Chateaubriand ma dette et célébrer l’anniversaire du Génie du christianisme, en traitant une question assez délicate, sur laquelle j’ai recueilli des notions précises, mais dont la solution sera tout à l’honneur du poète : sans cela, on peut le croire, je n’eusse point choisi un tel jour pour en venir parler.

1388. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Le chanoine Maucroix, l’ami et le camarade de La Fontaine, n’était pas autre chose, et il avait quelques-uns des traits délicats du maître.

1389. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Sayous) nous fait voir Henri III juge délicat des choses de l’esprit : Henri III savait bien dire quand on blâmait les écrits qui venaient de la cour de Navarre de n’être pas assez coulants : « Et moi, disait-il, je suis las de tant de vers qui ne disent rien en belles et beaucoup de paroles ; ils sont si coulants que le goût en est tout aussitôt écoulé : les autres me laissent la tête pleine de pensées excellentes, d’images et d’emblèmes, desquels ont prévalu les anciens.

1390. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

Bergeret, secrétaire du cabinet, à célébrer Louis XIV, ses guerres, ses conquêtes, le triomphe de sa diplomatie impérieuse : Heureux, disait en terminant Racine (et cette péroraison n’est pas la plus délicate partie de son discours), heureux ceux qui, comme vous, Monsieur, ont l’honneur d’approcher de près ce grand prince, et qui, après l’avoir contemplé, avec le reste du monde, dans ces importantes occasions où il fait le destin de toute la terre, peuvent encore le contempler dans son particulier, et l’étudier dans les moindres actions de sa vie, non moins grand, non moins héros, non moins admirable, que plein d’équité, plein d’humanité, toujours tranquille, toujours maître de lui, sans inégalité, sans faiblesse, et enfin le plus sage et le plus parfait de tous les hommes !

1391. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Il consulta un jour (vers 1586) sur ce point délicat d’Aubigné et Turenne, les remettant pour la réponse au lendemain.

1392. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Voiture était né l’esprit le plus fin et le plus délicat, formé par la nature pour la compagnie la plus choisie, pour en être l’enfant gâté et les délices : il fut quelque temps avant de rencontrer ce doux climat auquel il était destiné.

1393. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Ces épigrammes, qui plaisent tant aux connaisseurs et sont exquises aux délicats, ne semblent souvent presque rien à les traduire ; quelques-unes seulement ont une beauté qui subsiste ou qui se laisse deviner d’une langue 293 à l’autre.

1394. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Mais ce n’est pas le moment de traiter ces graves et délicates questions : heureusement· le duc de Rohan n’est pas à réhabiliter, il n’est qu’à étudier, et nous n’avons à nous occuper que de lui.

1395. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Il contribue bientôt après au gain de Rosbach (5 novembre), et dans cette journée de triste renom, blessé lui-même, il a pour les vaincus et pour les blessés ennemis de ces attentions et de ces égards délicats qui lui seront comptés avec usure par une nation qui n’est jamais plus reconnaissante que quand elle a à s’acquitter envers de généreux adversaires.

1396. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Ici commence une analyse profonde, délicate, serrée ; une dissection cruelle s’entame et ne cessera plus.

1397. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Quelques juges prenaient de l’argent de l’une et de l’autre partie ; d’autres plus délicats vendaient de bonne foi et ne recevaient que d’une main.

1398. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

On avait vu, à propos du Béranger des Familles, descendre des hauteurs où il se tient d’ordinaire, et se lancer dans l’arène, un esprit fin, délicat, élevé, un peu dédaigneux, une intelligence aristocratique, et qui a gardé des abords du sanctuaire et du commerce des Prophètes l’habitude du respect et une sorte de démarche religieuse jusque dans la suprême philosophie.

1399. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Elle s’attache à définir la résignation chrétienne dans les caractères qui lui sont propres, à la distinguer du fatalisme des Musulmans, du quiétisme des Hindous, à la suivre dans ses applications diverses et les plus délicates.

1400. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Les délicats aiment à avoir de ces occasions de placer leur délicatesse.

1401. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Ce rat faisait beaucoup souffrir le délicat et harmonieux poète ; il ne ressemblait pas à son grand-père, qui avait intenté un procès à un peintre lequel, en peignant les vitres de la maison, s’était avisé d’y mettre, au lieu du rat, un sanglier.

1402. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Ce qui vous fera plaisir, c’est qu’il croit à l’amour du Tasse et à celui de la princesse ; mais toujours à distance, toujours romanesque et sans ces absurdes propositions d’épouser qu’on trouve chez nous dans un drame récent… » N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion.

1403. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Accueillons-les toutes ; mais n’oublions pourtant jamais, nous tous qui l’avons vue ou entrevue, la beauté véritable ; gardons-en fidèlement la haute et délicate image au dedans de nous, ne fût-ce que pour n’en pas prodiguer à tout propos et n’en jamais profaner le nom, comme je le vois faire à d’estimables travailleurs qui ont beaucoup paperassé sur le moyen âge et qui ne connaissent que cela.

1404. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Les conversions Il faut convenir que l’histoire est difficile à écrire et que le vrai, à distance, est bien délicat à démêler au milieu des témoignages les plus divers et, à première vue, contradictoires.

1405. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Virgile et Apollonius, soyez à jamais bénis de tous les esprits délicats et de tous les cœurs tendres pour nous avoir laissé votre Didon et votre Médée : créations enchanteresses et immortelles !

1406. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Lui, pour se refaire historien et narrateur à ce nouveau point de vue, il a dû commencer par être surtout un divinateur délicat et tendre, un poète s’inspirant de l’esprit des lieux et des temps, un peintre sachant lire dans les lignes de l’horizon, dans les moindres vestiges laissés aux flancs des collines, et habile tout d’abord à évoquer le génie de la contrée et des paysages.

1407. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Le père de la duchesse de Choiseul lui répétait souvent dans son enfance : « Ma fille, n’ayez pas de goût. » Ce sage père savait que les délicats sont malheureux.

1408. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

On fit venir, l’année suivante, à Strasbourg, des Pères de l’Oratoire, dont était le célèbre Du Guet, pour tâter encore les consciences et sonder le terrain sur cette œuvre des conversions : elles ne prirent pas, — ni chez les Catholiques, ni chez les Protestants : « Les Catholiques, écrivait Du Guet (1682), sont soldats pour la plupart, occupés à la citadelle, aux forts, à autre chose qu’a leur conscience ; les hérétiques bourgeois sont sur leurs gardes, et le magistrat est un homme délicat qui a l’œil à tout, qui se plaint de tout, et qui fait de toutes choses une affaire d’État. » Strasbourg, en maintenant sa communion mi-partie et en sauvant quelques-unes de ses franchises municipales, fut vite assimilée et gagnée aux sentiments et aux destinées de sa patrie nouvelle.

1409. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

sa vénérable mère dans cette mise antique et simple, avec cette physionomie forte et profonde, tendrement austère, qui me rappelait celle des mères de Port-Royal, et telle qu’à défaut d’un Philippe de Champagne, un peintre des plus délicats nous l’a rendue ; cette mère du temps des Cévennes, à laquelle il resta jusqu’à la fin le fils le plus déférent et le plus soumis, celle à laquelle, adolescent, il avait adressé une admirable lettre à l’époque de sa première communion dans la Suisse française20 ; je la crois voir encore en ce salon du ministre où elle ne faisait que passer, et où elle représentait la foi, la simplicité, les vertus subsistantes de la persécution et du désert : M. 

1410. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

« Madame ma chère fille, la maladie de Mercy (l’ambassadeur) ne pouvait venir plus mal à propos ; c’est dans ce moment-ci où j’ai besoin de toute son activité et de tous vos sentiments pour moi, votre maison et patrie, et je compte entièrement que vous l’aiderez dans les représentations différentes qu’il sera peut-être obligé de vous faire sur différents objets majeurs, sur les insinuations qu’on fera de toutes parts de nos dangereuses vues, surtout de la part du roi de Prusse qui n’est pas délicat sur ses assertions, et qui souhaite depuis longtemps de se rapprocher de la France, sachant très bien que nous deux ne pouvons exister ensemble : cela ferait un changement dans notre alliance, ce qui me donnerait la mort, vous aimant si tendrement. » Quelques-unes de ces lettres sonnent véritablement l’alarme, et chaque ligne est comme palpitante de l’émotion qui l’a dictée : « Vienne, le 19 février 1778.

1411. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Chabanon était un créole spirituel et d’une jolie figure, qui unissait des études sérieuses à des talents d’agrément, helléniste et bon violon, lisant en grec Homère, que Suard n’avait jamais pu lire en entier, même en français ; homme de société et sensible, d’un tour romanesque, qui ressentit et inspira de vives tendresses et des sympathies délicates ; qui fut cher à d’Alembert et à Chamfort.

1412. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Chapitre IV La documentation indirecte Il est toujours délicat de hiérarchiser en matière de procédés scientifiques.

1413. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Lorsque nous voyons un homme un peu faible de constitution, mais d’apparence saine et d’habitudes paisibles, boire avidement d’une liqueur nouvelle, puis tout d’un coup, tomber à terre, l’écume à la bouche, délirer et se débattre dans les convulsions, nous devinons aisément que dans le breuvage agréable il y avait une substance dangereuse ; mais nous avons besoin d’une analyse délicate pour isoler et décomposer le poison.

1414. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

En d’autres termes, il suffit de ressemblances fort légères entre divers objets pour susciter en nous un nom ou désignation particulière ; un enfant y réussit sans effort, et le génie des races bien douées, comme celui des grands esprits et notamment des inventeurs, consiste à remarquer des ressemblances plus délicates ou nouvelles, c’est-à-dire à sentir s’éveiller en eux, à l’aspect des choses, de petites tendances fines et, par suite, des noms distincts qui correspondent à des nuances imperceptibles pour les esprits vulgaires, à des caractères très menus enfouis sous l’amas des grosses circonstances frappantes, les seules qui soient capables, quand l’esprit est vulgaire, de laisser en lui leur empreinte et d’avoir en lui leur contrecoup. — Cette aptitude uns fois posée, le reste suit.

1415. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Ce pur poète, qui lit Virgile, Homère et Théocrite avec un si exquis sentiment de la nature antique, et qui sait s’éprendre aussi de Malherbe, cet artiste curieux de la forme, qui fait rendre au vers classique dégradé par tant de spirituels rimeurs de si délicats ou puissants effets de rythme et d’harmonie, voilà justement l’écrivain qui entendait l’Art poétique comme l’avaient entendu Racine et La Fontaine, et qui réalisa en son temps les théories originales de Boileau.

1416. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Il sait de quoi est fait ce qu’on appelle dans le monde un honnête homme, et il ne compose pas le sien d’éléments bien délicats.

1417. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Le Barbier est une œuvre plus délicate, plus parfaite.

1418. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Il croit aux fictions constitutionnelles, aux contrepoids qui assurent le délicat équilibre des pouvoirs : il sait exactement le point jusqu’où l’exécutif doit aller, la ligne que le législatif ne doit jamais franchir.

1419. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Ce sont quelques sentiments délicats dans Charles d’Orléans, quelques traits de mélancolie aimable ou de vive satire dans Villon.

1420. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Ce qu’il en dit montre que le principe de cette œuvre n’est nullement original et qu’elle ne doit se développer que comme très ingénieuse et intéressante compilation recréée par un esprit poétique, délicat et éminemment subtil, des conceptions idéales à priori.

1421. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

C’est enlever aux lecteurs le délicat plaisir de collaborer avec lui, de laisser leur pensée courir à côté de la sienne et au-delà.

1422. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Ici la précision n’est plus que gaucherie et maladresse ; ce sont choses si délicates que toute roideur scolastique les froisse ou les brise.

1423. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Comment admettre qu’une femme, délicate et fière, telle que madame de Morancé nous est présentée, consente à jouer ce rôle de fausse courtisane ?

1424. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Un seul fait important est ici à noter : comme Bacon, Commynes, sur un point délicat, fut coupable et faible ; tous deux ont eu dans leur vie des taches du même genre, pour avoir trop aimé les biens.

1425. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Voilà le point délicat où il faut se tenir.

1426. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Toutes les anecdotes de Pline ne sont sans doute pas aussi délicates et aussi belles, et il y en a pour les goûts les plus divers.

1427. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Les lectures qu’il lui fallut faire pour la connaissance approfondie de ces temps orageux et souillés du xviiie  siècle, contrastaient souvent avec cette pureté délicate et ces vertus de famille qu’il pratiquait et qu’il goûtait si bien dans le cercle intérieur ; il en souffrait ingénument et se replongeait avec d’autant plus d’attrait dans l’air pur de la félicité domestique.

1428. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

C’étaient les deux comtes de Stolberg, nourris de la fleur grecque et de l’esprit chrétien, philosophes et littérateurs éminents ; Jacobi, philosophe aimable, d’un sentiment délicat et pur ; d’autres encore moins connus ici, enfin une société douce mais grave : « Nous avons rencontré, écrivait-il à Mallet du Pan en avril 1798, de l’instruction et des vertus. » Dans une autre lettre à ce même ami alors réfugié à Londres, il a peint lui-même l’état calme et reposé de son âme en ces années d’attente, de conversation nourrie et de réflexion communicative : Il n’y a rien de nouveau en France, lui écrivait-il (24 juin 1798.)

1429. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Il était capable d’inspirer et de ressentir les plus délicats et les plus fidèles attachements.

1430. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

En littérature, la tradition sans doute est chose délicate, et qui ne se renoue pas si aisément ; mais, outre que l’héritage de ces hommes célèbres est depuis longtemps déjà aux mains d’hommes instruits et habiles qui en savent le prix et le poids, je dirai que la grande tradition ne se continue jamais par les disciples, mais par de nouveaux maîtres qui, en paraissant, reprennent l’ensemble des faits et des idées par d’autres aspects, et qui se placent d’eux-mêmes sur des hauteurs qui font la chaîne.

1431. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Une des rares distinctions de ses Mémoires, c’est qu’elle n’y dit pas tout, c’est qu’elle n’y dit pas même la moitié de tout, et qu’au milieu de toutes les accusations odieuses et excessives dont on l’a chargée, elle reste, plume en main, femme délicate et des plus discrètes.

1432. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Il arrive à Madrid, va trouver Clavico sans se nommer, invente un prétexte, le tâte dans la conversation, le met sur la littérature, le flatte, le prend par l’amour-propre, puis tout à coup se retourne, aborde le point délicat, pousse sa pointe, tient quelque temps le fer en suspens pour mieux l’enfoncer encore : tout ce dialogue (avec la pantomime du patient) est un chef-d’œuvre de combinaison et de conduite, et qui, à chaque instant, touche au tragique et au comique à la fois.

1433. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Étienne, ou une émeute littéraire sous l’Empire. » pp. 474-493

L’auteur avait à peine vingt ans. » Il m’est impossible, à moi qui n’y suis pas obligé, de voir tant de choses dans Le Rêve, et il serait aussi facile et plus certain d’y relever dans le dialogue des choses communes et peu délicates, de même que dans Le Pacha de Surêne ou dans Le Chaudronnier homme d’État.

1434. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Quelle combinaison fatiguée pour produire tous les mélanges et toutes les indécences, tous les croisements qui peuvent choquer les idées reçues et insulter les consciences délicates !

1435. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1853 » pp. 31-55

Sa femme, fine, délicate, nerveuse, avec de beaux grands yeux noirs, semble une sorte de réduction de Mme Roland dont elle a l’exaltation républicaine, mais dans un petit corps plein de grâce parisienne, toutefois de la grâce un peu rêche de la bourgeoise distinguée.

1436. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Telles étaient les tendances démocratiques contre lesquelles se révoltaient les instincts fiers, nobles et délicats de M. de Tocqueville.

1437. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Enfin il est facile de voir que la critique classique s’est réconciliée avec la critique romantique dans ce que celle-ci avait de judicieux et de conforme au bon goût, lorsqu’on lit ce jugement si délicat et si juste de M. 

1438. (1912) Le vers libre pp. 5-41

En tout cas, ne nous dissimulons pas qu’elle serait fort difficile à faire, car les cas de rythmique, choisis déjà dans la langue par les vers-libristes, sont nombreux, il en est de ténus, de délicats, il en est d’éphémères.

1439. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

C’est un miroir, mais un miroir qui a des opinions, et on les voit parfois discrètement réfléchies dans les rayonnements de sa glace ; car la fonction est terriblement délicate de ce chroniqueur, qui ne peut pas vouloir qu’on ferme la porte au nez de sa chronique, et qui soutient, depuis je ne sais combien de temps, cette gageure de tact et de tenue d’être un chroniqueur accepté, un chroniqueur à la journée et à la soirée, marchant sur plus pointu que la pointe des clochers : à travers les prétentions de tous les genres et tous les genres de vanité !

1440. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Il aime cette nature pour ce qu’elle a de tempéré, de gracieux et de délicat, et aussi de mobile, ondoyant et changeant. […] Il a donc imaginé un système de séries d’épithètes se résolvant de l’une dans l’autre par des dégradations plus délicates que celles des nuances de l’arc-en-ciel. […] Très délicat et capable d’exprimer ce qu’il y a de plus fin dans une idée ou dans un sentiment, M.  […] L’honnête homme, à la manière que j’essaye ici de le définir, ressemble assez, en effet, à ce que pouvaient être ces esprits délicats de la Rome finissante. […] Ils perdent le sens délicat de la valeur des mots.

1441. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

L’idée de célébrer ce douloureux anniversaire par la popularisation d’un éloge funèbre, signé des noms les plus célèbres ou les plus distingués de la littérature poétique et critique, est touchante et délicate. […] D’excellentes définitions y résument avec un rare bonheur les parties délicates de la discussion, et restent dans l’esprit comme des lumières acquises une fois pour toutes. […] D’où il faut conclure que Goethe, grand artiste, sublime lyrique, savant ingénieux et profond, noble et intègre caractère, mais non pas philosophe, mais non pas idéaliste, mais non pas tendre ou passionné dans un sens délicat, n’a pas pu ou n’a pas voulu exécuter Faust tel qu’il l’avait conçu. […] Sa raillerie était si bien tournée, qu’elle saisissait de joie tous ces esprits illettrés et qu’en même temps elle ne pouvait blesser aucune oreille délicate.

1442. (1927) André Gide pp. 8-126

Ce délicat n’est-il pas quelquefois, en effet, son pire ennemi et son propre bourreau ? […] André Gide et ne recommencerai pas cette fois l’éloge de ce talent délicat et subtil, l’un des plus séduisants de notre époque. […] Béraud, on a d’autant plus de raison de répandre leurs oeuvres au dehors qu’ils sont de ceux qu’on y apprécie le plus, peut-être parce que les étrangers qui savent bien notre langue sont pour la plupart fort cultivés et de goût délicat.

1443. (1904) Zangwill pp. 7-90

Une raie de peupliers solitaires au bout d’un champ grisâtre, un bouleau frêle qui tremble dans une clairière de genêts, l’éclair passager d’un ruisseau à travers les lentilles d’eau qui l’obstruent, la teinte délicate dont l’éloignement revêt quelque bois écarté, voilà les beautés de notre paysage ; il paraît plat aux yeux qui se sont reposés sur la noble architecture des montagnes méridionales, ou qui se sont nourris de la verdure surabondante et de la végétation héroïque du nord ; les grandes lignes, les fortes couleurs y manquent ; mais les contours sinueux, les nuances légères, toutes les grâces fuyantes y viennent amuser l’agile esprit qui les contemple, le toucher parfois, sans l’exalter ni l’accabler. — Si vous entrez plus avant dans la vraie Champagne, ces sources de poésie s’appauvrissent et s’affinent encore. […] Il y a bien de la fabrication dans Renan, mais combien précautionneuse, attentive, religieuse, éloignée, ménagée, aménagée ; c’est une fabrication en réserve, une fabrication de rêve et d’aménagement, entourée de quels soins, de quelles attentions, délicates, maternelles ; on fabriquera ce Dieu dans un bocal, pour qu’il ne redoute pas les courants d’air ; on lui fera des conditions spéciales ; cette fabrication de Renan est vraiment une opération surhumaine, une génération surhumaine, suivie d’un enfantement surhumain ; et l’humanité de Renan, ou la surhumanité de Renan, si elle usurpe les fonctions divines, premièrement, nous l’avons dit, usurpe les fonctions de connaissance divine, les fonctions de toute connaissance, beaucoup plutôt que les fonctions de production divine, de toute création, deuxièmement, et ceci est capital, usurpe aussi, commence par usurper les qualités, les vertus divines ; cette première usurpation, cette usurpation préalable, pour nous moralistes impénitents, excuse, légitime la grande usurpation ; nous aimons qu’avant d’usurper les droits, on usurpe les devoirs, et avant la puissance, les qualités ; enfin l’accomplissement de cette usurpation est si lointain ; et les précautions dont on l’entoure, justement par ce qu’elles ont de minutieux, par tout le soin qu’elles exigent, peuvent si bien se retourner, s’entendre en précautions prises pour qu’il n’arrive pas ; une opération si lointaine, si délicate, si minutieuse, ne va point sans un nombre incalculable de risques ; Renan, grand artiste, a évidemment compté sur la sourde impression que l’attente et l’escompte de tous ces risques produiraient dans l’esprit du lecteur ; lui-même il envisage complaisamment ces risques ; ils atténuent, par un secret espoir de libération, de risque, d’aventure, et, qui sait, de cassure, disons le mot, de ratage, cette impression de servitude mortelle et d’achèvement clos ; ils effacent peut-être cette impression de servitude ; et quand même ils effaceraient cette impression glaciale ; l’auteur sans doute s’en consolerait aisément ; il ne tient pas tant que cela aux impressions qu’il fait naître ; ces risques soulagent également le lecteur et l’auteur ; par eux-mêmes Renan n’est point engagé au-delà des convenances intellectuelles et morales ; lui-même les envisage complaisamment ; dans cette institution de la Terreur intellectuelle que nous avons passée, la remettant à plus tard, « mais ne pensez-vous pas », dit Eudoxe : « Mais ne pensez-vous pas que le peuple, qui sentira grandir son maître, devinera le danger et se mettra en garde ?

1444. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Je connaissais un jeune musicien, un esprit délicat, qui avait reçu en présent d’un écrivain célèbre un livre magnifique accompagné d’une longue dédicace personnelle. […] Poursuite justifiée, en principe, par les règles de la doctrine et de la jurisprudence actuelles, mais à laquelle j’eusse opposé cette théorie de l’abus du droit dont il était question plus haut… Quant à votre question troisième, mon cher confrère, j’ai répondu trop longuement aux deux premières pour que je puisse l’aborder, car elle est délicate. […] 3° Seule, la 3e question est délicate.

1445. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Tout ce monde danse pour s’amuser, et presque toutes les femmes sont jolies, et font un ensemble blanc et rose, où il y a des yeux qui brillent de plaisir, des Saint-Esprit sautant sur de rondes gorges, de délicates chevilles et de petites bottines vertes s’échappant de la gaze bouffante des jupes, des cheveux poudrés, légers comme des marabouts, des passequilles de danseuse espagnole, se mêlant dans la contredanse, aux rubans flottants d’une Folie. […] Charles Edmond nous amène Tourguéneff, cet écrivain étranger d’un talent si délicat, l’auteur des Mémoires d’un seigneur russe, l’auteur de l’Hamlet russe. […] Il me parle, en délicat observateur et en peintre coloriste, des blessés, de ce qu’il a surtout remarqué en eux : l’œil avec dedans ce regard doux, triste, enfantin, attrapé comme celui d’une petite fille, à laquelle on aurait abîmé sa poupée.

1446. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Il eût fallu, d’une main plus délicate, m’essayer à vous rendre tant d’images fraîches et gracieuses, tirées de la lumière du jour, de l’attitude des plantes, des mœurs des animaux, que Dante avait observées tout ensemble en naturaliste et en poëte. […] cette question, une des plus délicates de la vie morale, est tranchée dans le sens le plus hardi par « une intelligence et une volonté droites, et qui aiment. » Che vide e vuol dirittamente, ed ama. […] J’entrevois dans la résignée Cornélie quelque chose des Lucile, des Eugénie, des Henriette : le tourment d’une âme fière et délicate qui sent qu’elle aime « comme on n’aime plus, a dit l’une d’elles, comme on ne doit peut-être pas aimer. » Dans le pâle nuage où s’enveloppent la vie et la mort de ces sœurs de poëtes, que la Muse n’a fait qu’effleurer de son aile, je sens gronder sourdement la même orageuse électricité. […] Il surmonte les répugnances de son organisation délicate pour suivre les leçons de l’amphithéâtre et la clinique d’un savant professeur dont il vante la belle méthode hippocratique. […] Pendant qu’il semble se perdre à la vanité des choses, je le vois se reprendre aux grandes attaches de l’esprit et du cœur, se recueillir, s’exalter pour une femme fière et délicate qui met au plus haut prix son amour.

1447. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

nous en recueillons la récompense dans un sentiment de contentement moins vif mais plus délicat et plus durable que toutes les sensations agréables qui viennent du corps. […] Le sentiment n’est, il est vrai, qu’un écho de la raison ; mais cet écho se fait quelquefois mieux entendre que la raison elle-même, parce qu’il retentit dans les parties les plus intimes et les plus délicates de l’âme, et ébranle l’homme tout entier. […] Les spectacles qu’il donne sont moins déchirants, mais à la fois plus délicats et plus sublimes. […] Sans doute il n’y a point de désintéressement au sens vulgaire du mot, c’est-à-dire un sacrifice véritable de soi-même, ce qui est absurde, mais il y a le sacrifice d’un intérêt présent à un intérêt futur, d’une passion grossière et sensuelle à un plaisir plus noble et plus délicat. […] Et pourtant l’humanité parle de désintéressement, et par là elle n’entend nullement ce savant égoïsme qui se prive d’un plaisir pour un plaisir plus sûr ou plus délicat ou plus durable.

1448. (1891) Esquisses contemporaines

Un courant plus nouveau le pénètre et le rajeunit, et je dirais que l’œuvre de Loti est un réalisme délicat gonflé de mysticisme ; non pas de ce mysticisme religieux, tel que nous le montre l’histoire du moyen âge, mais un mysticisme esthétique et sensuel, que la foi laisse à l’âme en la quittant, et qui, sans objet désormais, se prend à toutes les choses de la vie pour en tirer ce je ne sais quoi d’intime et de profond dont l’âme a besoin pour exister. […] Ce contemplatif, ce rêveur obstiné qui redoute par-dessus tout l’action et la responsabilité qu’elle comporte, a le sens moral très délicat ; ce psychologue est doublé d’un moraliste. […] Malgré la fine compréhension dont elle témoigne, elle est pourtant incomplète : elle omet la part d’enjouement délicat qui fait le dilettantisme. […] Elle est réservée aux cœurs simples et aux volontés droites ; mais de cette curiosité délicate qu’attirent les déductions ingénieuses et qui se plaît à surprendre le secret agencement des existences. […] Il ne suffit pas pour écrire de faire sonner des mots ou de ciseler des phrases ; il ne suffit pas même de fouiller anxieusement les profondeurs de l’âme et de faire jaillir des sentiments délicats ou sublimes ; il est encore besoin de vivre, c’est-à-dire de renouveler ses expériences, de courir au-devant de quelque but, de tendre à quelque certitude.

1449. (1900) Molière pp. -283

À celui-ci, le dernier et délicat travail qui arrête le détail de la composition et du style, et donne à tout le fini, le poli, le travail de la dernière main a manqué. […] Puis la maladie arrive, qui ne le quitte plus ; il la brave, cette maladie, avec une fierté douloureuse, mais il sait bien, il a trop d’esprit pour ne pas savoir qu’elle est incurable, et qu’il en mourra ; et puis son mariage, les troubles de son ménage, le scandale de sa femme et le scandale de sa propre vie… Cette histoire du mariage de Molière est infiniment trop délicate pour être traitée en public, et pour que nous recherchions ici toutes les suppositions auxquelles il a donné lieu. […] Non, les idées compteraient pour trop peu dans l’histoire, la civilisation serait achetée beaucoup trop cher au prix qu’elle coûte, si nous pouvions nous contenter de n’être que plus éclairés, sans être par cela même affectés d’une autre façon, sans être plus délicats dans nos sentiments et plus difficiles dans nos jouissances. […] La fougue méridionale, l’humeur hospitalière de nos provinces du Nord, la gaillardise gasconne, la finesse, la naïveté champenoise, la rondeur bourguignonne, la prudence normande se sont fondues pour former dans l’esprit français l’un des instruments de culture et de sociabilité les plus délicats comme des plus puissants qu’ait jamais connus aucun peuple. […] On ne les disait point aussi délicates sur la syntaxe que sur le cérémonial.

1450. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Puis sa psychologie est trop délicate et trop claire à la fois. […] Et je n’oublie point le second acte, qui forme, dans la pièce, une comédie très fine et très vraie : l’histoire mélancolique d’une fin de liaison entre deux cœurs délicats et deux esprits clairvoyants. […] Mais le public reste, et même applaudit, d’abord, comme j’ai dit, parce qu’il n’entend pas ; puis parce que ces matières sont embrouillées, et d’une appréciation délicate. […] Et si, en le lisant, nous savons entrer dans l’artifice délicat de son travail, nous pouvons participer de son innocence. […] l’esprit critique, l’habitude de l’observation et du dédoublement de soi, loin d’étouffer la passion, peut la rendre à la fois plus délicate, plus caressante et plus ardente.

1451. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Ils n’ont aucun des critériums délicats du tact, de l’esprit de finesse, de l’intuition, pour pénétrer le mérite latent d’un homme avant qu’il se soit révélé. […] Ils semblent n’avoir jamais eu même le sentiment lointain de cette indépendance dans la pauvreté qui a été le partage de races plus délicates. […] De là les délicates nuances de la vie politique et religieuse anglaise, qui sont si difficiles à saisir pour des yeux étrangers habitués aux couleurs tranchées. […] « C’est bien là mon délicat Ariel ! […] Vous voyez combien il est délicat de toucher aux conceptions de Shakespeare.

1452. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

La popularité même dont le nom de Béranger est depuis si longtemps environné rend plus difficile la solution de cette question délicate. […] L’art d’écrire, tel qu’il le comprend, n’est pas seulement l’art d’exprimer sa pensée, mais l’art non moins délicat, non moins difficile, de constater la présence de sa pensée. […] Quant à la mise en œuvre de ces éléments, c’est une question délicate, qui ne peut être résolue sans de mûres réflexions, et que je n’essaie pas de résoudre en ce moment. […] Question délicate que bien peu de lecteurs songeront à se poser, dont la solution quelle qu’elle soit, paraîtra sans doute téméraire aux admirateurs de M. de Lamartine. […] C’est là, si je ne me trompe, un éloge délicat et habilement inventé.

1453. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Rien n’est plus délicat et plus touchant. […] Quelle mère tendre leur a conseillé d’en couvrir le fond de matières molles et délicates, telles que le duvet et le coton ? […] « Car enfin je suis bien aise de vous avertir, mon fils, que c’est une chose fort délicate que la louange, qu’il est bien malaisé de ne s’en pas laisser éblouir, et qu’il faut beaucoup de lumières pour savoir discerner au vrai ceux qui nous flattent d’avec ceux qui nous admirent. […] Plus délicats que les autres hommes, combien ne seraient-ils pas blessés à chaque heure de la journée ! […] Son exemple prouverait, en cas de besoin, qu’un homme qui a joui d’une grande considération dans l’ordre politique et dans la première classe de la société, peut être un savant distingué, un critique délicat, un écrivain plein d’aménité, et même un poète de talent.

1454. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

On voudrait savoir, deviner ; c’est un curieux qui en éveille d’autres ; moraliste fin, piquant, satirique, on le cherche lui-même derrière ses descriptions ; exquis et délicat dans ses maximes, on voudrait saisir l’occasion où elles sont nées, et connaître la part de son cœur qui est entrée dans son expérience.

1455. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Et toute cette familiarité du « vieux frère » (comme il s’appelle) se relève d’une constante admiration pour cette sœur qu’il estime évidemment supérieure à lui par les talents et la beauté de l’intelligence, par le génie, il articule le mot : « S’il y a un être créé digne d’avoir une âme immortelle, c’est vous, sans contredit ; s’il y a un argument capable de me faire pencher vers cette opinion, c’est votre génie64. » Il est prodigue envers elle d’attentions, de petits présents ; il entre dans ses peines, il tremble pour sa vie ; il nous la fait voir avec « un je ne sais quoi de gracieux, un air de dignité tempérée par l’affabilité », que les mémoires de la margrave ne nous indiqueraient pas ; il nous intéresse, en un mot, par l’affection respectueuse qu’elle lui inspire, à cette frêle créature d’élite, à « ce corps si faible et cette santé délicate à laquelle est jointe une si belle âme ».

1456. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Depuis, la nature s’est adoucie ; elle arrondit et amollit les formes qu’elle façonne ; elle brode dans les vallées sa robe végétale, et découpe, en artiste industrieux, les feuillages délicats de ses plantes.

1457. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Vous savez mieux que moi qu’il n’y a que les gens qui en usent de la sorte qui soient capables de servir un maître comme il faut. » — « Je ne comprends pas, lui répond Louvois noblement susceptible et délicat à sa manière, ce que veut dire la fin de votre lettre, par laquelle il semble que vous vous excusiez de me dire la vérité avec trop de franchise.

1458. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

La narration d’Apulée reste tout agréable et vive ; sachons-lui-en gré, et de ce qu’il n’est pas l’inventeur, n’allons pas en profiter pour dire, comme ce critique moderne70, qu’on s’en aperçoit bien, et que cette fable est « trop délicate et trop gracieuse pour qu’on puisse l’attribuer à une plume aussi malhabile. » Singulière manière de remercier celui qui nous apporte un présent sur lequel on ne comptait pas !

1459. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Charles en agit plus librement avec sa fille, la princesse dona Juana, gouvernante des royaumes d’Espagne en l’absence du roi : dans une affaire délicate qui se traitait avec le Portugal, il substitue sans façon des instructions de son chef à celles dont l’envoyé d’Espagne avait été chargé par la princesse gouvernante ; en ceci il fait acte de souverain jusque dans le cloître.

1460. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Toute la branche des lettres de Ducis qui s’adresse à lui est d’un charme douloureux et délicat, et je ne sais pas, dans les figures de second plan qui passent et repassent devant nous sans qu’on les remarque d’abord, de physionomie plus attrayante à la longue que celle de ce futur membre de la Convention et de l’Institut naissant, et à qui l’on dut même l’idée des fameuses Écoles normales.

1461. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Soulié va plus loin, et supposant cet axiome admis et accepté : « Montrez-moi la chambre à coucher d’une femme, et je vous dirai qui elle est », il conclut, non sans quelque couleur de raison et selon qu’on aime à le croire avec lui : « C’est donc de Marie Cressé que Molière tenait son esprit élevé, ses habitudes somptueuses et simples à la fois, sa santé délicate, son attrait pour la campagne hors de Paris, et désormais la mère de Molière, restée inconnue jusqu’à ce jour, aura sa place bien marquée dans les commencements de la vie de son premier-né. » Voilà où peuvent conduire, à toute force, des inventaires bien lus et finement commentés.

1462. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

C’était donc Balzac, Léon Gozlan, Jules Sandeau, Théophile Gautier, Méry, Mélesville ; — Forgues, que la nature a fait distingué et que la politique a laissé esprit libre ; Edouard Ourliac, d’une verve, d’un entrain si naturel, si communicatif, et qui devait finir par une conversion grave ; un italien réfugié, patriote et virtuose dans tous les arts, le comte Valentini, qui payait sa bienvenue en débitant d’une voix sonore et d’un riche accent le début de la Divine Comédie : Per me si va… C’était le médecin phrénologue Aussandon, qui signait Minimus Lavater et qui avait la carrure d’un Hercule ; Laurent-Jan, esprit singulier, tout en saillies pétillantes et mousseuses ; le marquis de Chennevières, esprit poétique et délicat, qui admire avec passion, qui écoute avec finesse ; — nommerai-je, parmi les plus anciens, Lassailly l’excentrique, qui, même en son bon temps, frisait déjà l’extravagance, qui ne la séparait pas dans sa pensée de la poésie, et qui me remercia un jour très sincèrement pour l’avoir appelé Thymbræus Apollo ?

1463. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Il faut voir comme l’orateur, après avoir exalté toutes les vertus de la mère, y célèbre dans le jeune prince — « Le rayon divin qui brille avec tant d’éclat sur son visage et dans toute sa personne ; cet air noble, fin et délicat, cette vivacité ingénieuse qui n’a rien de rude, de léger ni d’emporté ; cette physionomie haute, sérieuse et rassise qu’on lui voit prendre dans les fonctions publiques, et qui donne un nouveau lustre aux grâces naïves de son âge ; enfin l’agrément inexprimable que le Ciel a répandu dans toutes ses actions, qui le rend le centre des cœurs aussi bien que des yeux dans les assemblées et dans les cérémonies, qui le distingue beaucoup plus que le rang qu’il y tient, et dans lequel on entrevoit toujours pour dernier charme un fond de bonté, de droiture, de discernement et de raison qui se découvre tous les jours de plus en plus dans tous ses sentiments et toutes ses inclinations.

1464. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Quand je vois, vers la fin du siècle, que tant de soupers charmants où la beauté, l’esprit, la poésie en personne (André Chénier en était), l’éloquence déjà elle-même et la politique à l’état d’utopie et de rêve, se cotisaient à l’envi pour payer leur écot, quand je vois que ces réunions d’élite n’ont eu pour annotateur qu’un Rétif de La Bretonne, j’en rougis pour les délicats convives ; un valet de chambre en eût mieux parlé.

1465. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

. — La reine, en ces commencements du règne, prise à partie par son frère Joseph qui ne demandait qu’à la conseiller, et questionnée par lui sur les qualités et défauts de son époux, lui répondait (27 juin 1774) : « Vous voulez, pour m’en dire davantage, que j’entre dans des détails particuliers et confidentiels, et à cœur ouvert, sur le caractère du roi : c’est quelque chose de bien délicat à écrire.

1466. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

On tournait contre Catinat ses mérites mêmes, ses qualités d’ordre, de régularité ; on ne lui trouvait peut-être pas le ton assez soldat, ni sans doute assez de facilité et de souplesse pour ce régiment des gardes, un corps privilégié et si délicat à manier.

1467. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

La pleine et vivante vérité est dans cette combinaison délicate et cet assemblage.

1468. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Mais que la vérité est donc chose délicate à connaître, et comme il nuit ensuite de la trop bien savoir à qui voudrait créer et imaginer !

1469. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Valincour, homme du monde, écrivain amateur, esprit délicat, ne mérite en rien ces sévérités de M. 

1470. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

Il tomba tout d’abord assez mal et ne rencontra jamais d’honorables ni de délicates liaisons : il ne parut pas les chercher.

1471. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

L’article lui agréa en effet, et il voulut bien me le témoigner de la manière la plus délicate en associant à son remerciement la personne qui avait le droit d’être la plus difficile et la plus exigeante à son sujet.

1472. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Une tradition populaire du pays en a fourni le sujet au poëte ; mais il a su y élever une composition soutenue, graduée, délicate et touchante, qui le classe, à bon droit, parmi les plus vrais talents en vers de notre temps.

1473. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

atin, qui tous les jours, dans son Cours de poésie latine, éclaire le rôle de Catulle ou d’Horace chez les Latins par celui de Chénier parmi nous, tous ces esprits supérieurs ou délicats ont fait fausse route à cet endroit.

1474. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Horace lui avait montré dans le bon sens, qui n’est en somme que le sens précis de la réalité, la qualité maîtresse du poète dramatique : mais surtout il lui avait fait concevoir quel art délicat, assortissant toutes les pièces d’une tragédie, donne à l’ouvrage une perfection charmante, dont l’agrément est infini.

1475. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Au reste, il contient des parties touchantes, et la douce soumission de Griselidis s’exprime par des traits quelquefois bien délicats : ainsi, quand la pauvre femme demande à son mari de traiter mieux sa nouvelle épouse qu’il ne l’a traitée elle-même : elle est, dit-elle, « plus délicieusement nourrie », plus jeune, plus tendre que moi, et ne pourrait souffrir « comme j’ai souffert ».

1476. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Sully Prudhomme a de profondes tendresses et d’abondantes pitiés, qui naissent en lui d’un pessimisme délicat et pénétrant.

1477. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Je me figurais qu’il y avait d’autres choses à dire sur la confession, des choses plus délicates, plus intimes, plus ingénieuses et plus tendres — mais qui sans doute ne pourraient être dites que de moins haut, dans une enceinte plus étroite.

1478. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Marc lui dit fort posément : « Je vous tiens ; je ne vous lâcherai pas comme cela ; attendons. » — Dans l’Amie, Germaine April, aimée de Maxime Rivols, raconte tout à sa femme, et celle-ci, de son côté, prévient le mari de Germaine, s’entend avec lui pour surveiller les deux autres ; et cette situation infiniment délicate, cet équilibre des plus instables se maintient pendant plus de cent pages.

1479. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

En s’adressant à ces chefs arabes, à ces ulémas et docteurs révérés, à ces honnêtes gens du pays, en essayant auprès d’eux sa politique de ménagement et de réparation pour ces grands intérêts de toute société, la religion, la propriété, la justice, le jeune conquérant se faisait la main pour ce qu’il devait accomplir ailleurs de bien plus délicat.

1480. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Grâce à ce ton de facilité généreuse et de franchise, il a su conquérir, sur son auditoire de jeunes gens, une autorité de faveur et de sympathie ; il a pu leur donner des conseils moraux sur les sujets les plus délicats : il a fait sur la chasteté, par exemple, des conférences qui sembleraient d’une étrange audace, si cette audace n’était revêtue d’autant de candeur et servie d’un aussi prodigieux talent.

1481. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Ce sentiment de volupté et d’abandon suprême, qui, chez les anciens, chez Homère, chez les Patriarches, chez la bonne Cérès ou chez Booz, comme chez le bon Jupiter aux bras de Junon, est si simple, si facile, qui coûte si peu à la nature, qui est si doux, qui fait naître des fleurs à l’entour, et qui voudrait dans sa propre félicité féconder la terre entière, se raffine avec les âges ; il devient plus senti, plus délicat, plus sophistiqué aussi, chez les épicuriens des siècles plus avancés.

1482. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Elle parle de l’amour avec vérité, avec justesse, mais sans ce tact délicat qui le respecte.

1483. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

C’est Rousseau qui le premier ramena et infusa cette sève végétale puissante dans l’arbre délicat qui s’épuisait.

1484. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Son organisation, délicate et faite pour le bonheur, n’avait pu résister à l’ébranlement de tant d’émotions.

1485. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

À côté de ces figures rudes et mâles, une femme nous apparaîtrait, la reine Marguerite, sœur des Valois, qui nous laisse entrevoir dans ce qu’elle écrit un personnage élégant, fin, délicat, exquis, perfide, un type qui n’était point rare dans cette famille et dans ce cortège de Catherine de Médicis.

1486. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

C’est vers ce temps qu’elle connut Scarron le cul-de-jatte, homme d’un esprit si gai et qui passait alors pour l’avoir délicat.

1487. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Un jour que la comtesse d’Egmont l’y était venue visiter, il mit cette inscription délicate au-dessous de la statue :      Églé parut sur cette rive ;      Une image de sa beauté Se réfléchit dans cette eau fugitive ; L’image a fui, l’Amour seul est resté.

1488. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

« Il n’avait pas dix ans quand son père mourut (6 mai 1749) : il en avait un peu plus de seize lorsqu’il perdit sa mère (16 février 1756) morte à l’Hôtel-Dieu. » La Harpe ne parla qu’assez tard de sa naissance ; soit mépris réel pour des propos à demi calomnieux, soit difficulté d’aborder ce point délicat, il ne s’expliqua pour la première fois qu’en 1790, et il le fit sur un ton qui nous montre assez son caractère.

1489. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Il avait toujours fait grand cas de leur jugement, et il était d’avis que, dans les matières de goût, leur préférence est décisive : « On sait la justesse de leur discernement, pensait-il, pour les choses fines et délicates, la sensibilité qu’elles ont pour ce qui est clair, vif, naturel et de bon sens, et le dégoût subit qu’elles témoignent à l’abord de tout ce qui est obscur, languissant, contraint et embarrassé. » Dans la préface de L’Apologie, Perrault reprochait à Boileau, entre autres choses, que « les vers de sa satire étaient plus durs, plus secs, plus coupés par morceaux, plus enjambants les uns sur les autres, plus pleins de transpositions et de mauvaises césures que tous ceux qu’il avait faits jusqu’ici ».

1490. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

La princesse des Ursins, qui m’a amené à toucher cette corde délicate, était une femme politique, non pas, je le crois, du premier ordre, mais bien supérieure comme telle à Mme de Maintenon.

1491. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Se battre contre son pays est toujours une chose grave, et Carrel, si délicat en telle matière, dut le sentir autant que personne.

1492. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Voulant montrer que, parmi les différentes sortes d’esprits, celui de saillie et de légèreté est le plus opposé à l’amitié : Elle s’accommoderait mieux, ajoute-t-il, de cet esprit fin et délicat qui semble ne s’exprimer que pour plaire, et qui laisse entrevoir plus qu’il n’exprime.

1493. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Richelieu reparaît dans ce rôle délicat, et comme agent à demi avoué.

1494. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Tourguéneff, est à son ordinaire, parleur et expansif, et on laisse parler le géant, à la douce voix, aux récits attendris de petites touches émues et délicates.

1495. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

En délicat observateur et fin comédien, il me donne la représentation des trois couches de la génération actuelle : les vieux paysans, dont il imite le parler sonore et vide, et composé de monosyllabes et d’adverbes qui ne concluent jamais ; les fils de ces paysans à la parole avocassière et belle-diseuse ; les petits-fils, la couche silencieuse, diplomatique, et souverainement destructive.

1496. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Mais Molière et La Fontaine ne voyaient dans ce qu’il serait plus juste de dénommer chez eux le vers familier, qu’un choix de mètres, joliets, souples, à cadence soigneusement distincte de celle du vers héroïque, de l’alexandrin en longues traînes de périodes ; c’est par convenance, respects des opinions, et même des fantômes de préjugés de leurs délicats qu’ils furent amenés à varier leur jeu toujours sans dissonances.

1497. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

Il est délicat d’insister en pareille matière.

1498. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Ils savent que, dans les arts, la partie la plus noble de nous-mêmes veut autre chose que l’imitation de ce qui tombe sous nos sens ; que, dans la poésie particulièrement, l’âme et l’imagination demandent, pour aliment de leur dévorante activité, ces sentiments profonds et en quelque sorte infinis, dont la religion et l’amour sont les deux principales sources ; et que l’esprit même ne saurait être entièrement captivé qu’à l’aide de cet art délicat, qui consiste à ne pas arrêter avec trop de fermeté les formes de certains objets, et à étendre sur quelques autres un voile qui les laisse entrevoir ou seulement soupçonner.

1499. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Ce sont ceux qui ne croient pas les femmes plus à leur place là qu’ici, — au bal masqué de l’Opéra qu’au bal de la littérature, — et qui souffrent dans la notion pure, élevée, délicate qu’ils ont de la femme, de ses vertus et même de sa gloire, — en la voyant se travestir comme Mme Stern, non plus seulement en artiste et en femme de lettres, mais mieux que cela, en philosophe !

1500. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Stendhal, cet épicurien, tout à la fois délicat et stoïque, qui avait la bravoure du héros et la tendresse de la femme, Stendhal, resté fidèle à Napoléon même après Sainte-Hélène, avait dans l’âme tout ce qu’il faut pour comprendre mieux que Mérimée le pathétique et la grandeur.

1501. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Et ici, ce n’est pas même l’Histoire, pour laquelle il me semble beaucoup moins fait que pour l’analyse des œuvres de l’esprit et leur appréciation, que je reproche à l’écrivain : c’est l’absence de moralité certaine, de cette moralité qui doit être le fond de toute Histoire, et qui, pour cet homme trop anglais, n’est jamais tout au plus que cette espèce de comfort moral que les plus délicats parmi ses compatriotes expriment adroitement du grossier principe de l’utilité !

1502. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Le Gall (François), aumônier volontaire au 118e régiment d’infanterie : « Quoique réformé et de santé délicate, est parti comme aumônier volontaire à la mobilisation ; a été dès le début, pour tous, le modèle incarné du dévouement et de l’abnégation.

1503. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Ces bouffonneries, si méprisables au jugement de nos docteurs et si plates à leurs yeux, se firent pourtant estimer de Platon et des esprits les plus délicats de la Grèce : ils avaient la clef de tout, et ils admiraient cet arsenal de traits satiriques, d’épigrammes vengeresses, qui ne tendaient à rien moins qu’à percer de part en part les vices des grandes institutions, et les fauteurs des désordres publics. […] — Écoutez, et vous le comprendrez malgré les déguisements dont la prudence m’oblige à me couvrir, en des choses si délicates à traiter. […] Elle devint moins violente et plus délicate, moins forte et plus ingénieuse, moins acre et moins amère, mais plus pure et mieux goûtée. […] Les abus de ce genre, bientôt corrigés par les lois, cessèrent d’inquiéter les citoyens : on ne permit que des leçons artistement déguisées : Thalie prit dès lors le ton de la société polie, où l’on a le droit de tout dire avec finesse, en dissimulant l’application qu’on en fait, où le sens direct est sous-entendu, où la raillerie délicate effleure sans déchirer, et laisse à l’offensé le moyen de se méprendre sur l’objet de l’attaque. […] J’ajoute qu’un peintre si ferme et si délicat du ridicule devait sentir trop vivement ce qui l’imprime pour supporter qu’on l’en flétrît.

1504. (1927) Approximations. Deuxième série

Un récit ne progresse que dans la mesure où il ne demeure jamais plan : il faut qu’il soit alerte, mais il ne faut pas moins qu’à de constantes ondulations, infiniment délicates à apprécier, mais dont par contre on remarque aussitôt l’absence, se décèle le pouce du modeleur. […] Avant les dialogues néanmoins, l’impression était surtout d’une « jonction délicate, mais naturelle de dons distinctsah » : d’où ce plaisir de la façade, ce lisse et bel équilibre. […] Chez les Goncourt le chiffonnage ne dépasse guère le point jusqu’où le mène à l’occasion une lingère experte et délicate, tandis que certains de leurs imitateurs ont travaillé pour le chiffonnier sans plus. […] Elle suppose qu’un système nerveux infiniment délicat soit maintenu en sa perfection d’équilibre ; elle ne suppose pas moins une sensualité. […] Autour du corps elles sont posées, comme des arcs légers et de délicats cerceaux ; elles l’entourent ainsi qu’un bras, il est au milieu d’elles comme empêché parmi les cercles de sa grâcego ».

1505. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

On regrette que, pour le plaisir de bafouer Chateaubriand, un esprit aussi délicat que M.  […] Ce petit troupeau, exemplaire et choisi, avait pour mission d’être le gardien d’un idéal, dont toute âme un peu délicate peut s’inspirer en principe, sans l’appliquer intégralement dans la réalité. […] On conçoit que cette volcanique éruption d’immondices puisse rebuter les lecteurs délicats. […] Le temps viendra, peut-être est-il venu, où elle n’intéressera plus que les délicats. […] Certains amateurs assurément délicats, mais peut-être frivoles, pourront préférer les précédents volumes de M. 

1506. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

C’est le romanesque qui nous fait rechercher les situations délicates et périlleuses. […] Sa tête apparaissait un peu petite, comme celle des statues grecques ; ses narines délicates et mobiles semblaient fouillées par un ciseau exquis dans un ivoire transparent. […] Ils sont des délicats, des raffinés. […] Or à peine serait-il exagéré de dire que jamais il ne s’est montré plus grossier que lorsqu’il s’est efforcé d’être délicat. […] Pour discerner l’intérêt de ces existences à ras de sol, pour entendre la plainte de ces cœurs fermés, il faut une sensibilité très délicate.

1507. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

» Je me crois en ces matières aussi délicat qu’aucun de mes confrères ; et, j’avoue que, même après quatre années de réflexions, je n’aperçois pas encore très bien en quoi les drôleries, les charges, les criailleries et les amusants paradoxes que j’ai racontés peuvent obscurcir la glorieuse physionomie de Moréas. […] Il a été le romancier des délicats, en même temps qu’un artiste de grande sensibilité descriptive, qui a passionnément aimé la nature. […] L’amitié est plus délicate et il faut qu’elle écoute ses scrupules. […] Strowski21, Faguet avait renoncé au travail délicat et minutieux du style. […] La littérature, si elle est pour les femmes un divertissement, est le divertissement le plus délicat qu’elles puissent se donner. » Ceci explique les encouragements qu’Emile Faguet prodiguait aux femmes qui venaient lui soumettre leurs essais, romans, vers ou traductions.

1508. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On lut avidement ce petit recueil ; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. […] Une justice vraie, une équité délicate, se montrent ordinairement dans le jugement qu’il porte des hommes. […] C’est, une âme délicate et généreuse plus que tendre et sentimentale. […] « Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussi délicat à recevoir que son ami en sent à lui donner. […] Vous le cherchez pour l’entretenir d’une chose qui vous intéresse ; le voilà devant vous, attentif et recueilli ; il sent que c’est son devoir ; mais quand il faut qu’il vous réponde, vous êtes tout surpris de voir que le point délicat lui a échappé.

1509. (1864) Le roman contemporain

Que devenait donc ce Paris lettré, aux goûts délicats et fins, ce Paris athénien dont les salons ont toujours exercé une si grande influence sur les lettres ? […] Je ne prétends pas dire que les lecteurs délicats se plaisent à ces sortes d’ouvrages qui leur causent à peu près l’épouvante qu’une émeute dans la rue cause aux hommes d’ordre. Mais combien y a-t-il de lecteurs délicats ? […] Cet écrivain a le respect de l’art, un sens littéraire délicat ; il est facile de le voir au dégoût que lui inspire le succès des ébauches peintes à la brosse, comme les Mystères de Paris. […] Au commencement de sa vie, c’était une grande dame de la cour de Louis XVI, délicate et craintive, habituée au luxe et aux splendeurs de Versailles.

1510. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il aime ce petit roi, frôle, délicat et généreux ; mais il ne comprend rien à ce qu’il fait là. […] Il faut croire que tourner une flatterie délicate qui ne soit pas fade est donc chose assez difficile, et partant le mérite n’en est pas petit. […] Le ton général de l’ouvrage nous en avertit suffisamment, mais la pointe d’humour, délicate et chatouillante, n’est pas toujours là pour nous le rappeler, comme il serait bon peut-être, au tournant de chaque feuillet. […] Les autres deviennent si délicats qu’ils ne savent plus que c’est de travailler, et n’y a nul contentement pour la nourriture. […] C’était une âme d’artiste douce, délicate, susceptible et un peu timide.

1511. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Comment ne pas se dire encore que si les vers de ce livre eussent cyniquement raconté leur faute commune, cette femme délicate n’eût jamais continué de correspondre avec l’auteur d’un tel outrage ? […] Pour Paul de Saint-Victor, cette éducation classique avait été reçue à Rome même, sous la direction de son père, un poète délicat du premier Empire, connu par une traduction d’Anacréon. […] Ce que l’astronomie de son époque a pu lui en apprendre, il le sait, et pourtant la voûte nocturne l’emplit d’une émotion aussi frémissante que s’il était un pâtre ignorant de la Chaldée, regardant cette innombrable palpitation des étoiles, dont un autre Pascalisant, le délicat Sully Prudhomme, accusait : La lointaine lueur aveuglément dardée, Indifférente aux yeux qui l’auront obsédée. […] Avant de les utiliser, ces journaux, ces mémoires et ces correspondances, il y a heu de les critiquer, besogne délicate et dont, généralement, les friands d’indiscrétion se soucient peu. […] Toutes les chances d’une parfaite union se rencontraient dans ce choix, depuis la plus délicate et la plus passionnée tendresse jusqu’à la conformité la plus entière de pensée.

1512. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Mais de bonne heure son organisation délicate s’altéra, son corps frêle ne réussit point à triompher du travail de la puberté ; avant même que sa santé fût totalement perdue, une inégalité d’épaule se prononça, et on a cherché à expliquer en lui par un douloureux ressentiment cette amertume incurable qui se répandit dès lors sur les objets et qui, en toute occasion, s’en prenait au sort. […] Voici le portrait, un peu plus doux et presque tendre, qu’a tracé de lui Ranieri dans la notice de l’édition de Florence (1845) : « Il était d’une taille moyenne, courbée et frêle ; il avait le teint blanc tournant au pâle, la tête grosse, le front large et carré, les yeux d’un beau bleu et pleins de langueur, le nez fin, les traits extrêmements délicats, la prononciation modeste et un peu voilée, le sourire ineffable et comme céleste. » 142.

1513. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Nous touchons au point délicat, pour lequel il a fallu à Mme de Charrière des qualités supérieures à celles d’un talent simplement aimable, une veine franche, et, comme l’a très-bien dit un critique d’alors, une sorte de courage d’esprit. […] Mme de Charrière, dans les Lettres qu’elle a ajoutées au Mari sentimental, n’est nullement entrée dans cette querelle ; mais elle a montré le côté inverse et plus fréquent du mariage, une femme délicate, sentimentale et incomprise : le mot pourtant n’était pas encore inventé.

1514. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Feuilletez encore, si vous en avez le courage, les tomes volumineux de la Dame en noir et vous y trouverez un pendant admirable à ce délicat épisode. […] V Les femmes, qui s’entendent fort bien à soigner leurs intérêts, dès que leur attention s’est éveillée sur le point délicat, ont fait incursion là comme ailleurs, les unes pour brocher des romans-feuilletons avec une fécondité malheureuse, les autres pour exploiter le genre en douceur, à l’exemple de leurs grands confrères masculins.

1515. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

L’amour-propre avide de gloire cherche à se concilier ceux d’entre les grands qui ont le plus de ces sortes d’échos à leurs ordres ; une vanité moins délicate se contente de pouvoir placer un ou deux grands noms dans la liste de ses approbateurs. […] Comme leurs désirs sont plus bornés, ils sont un peu plus délicats sur les moyens de les satisfaire, et un peu plus reconnaissants de ce qu’on fait pour eux ; car moins la reconnaissance a de devoirs à remplir, plus elle est scrupuleuse à s’en acquitter.

1516. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Pour changer ma comparaison, c’est un instrument musical, délicat, compliqué, qui ne pouvait être touché que par un artiste, et qui se dérange ou se brise sous des nains grossières et maladroites ! […] Nous dirons parfois : Voici des inventions ingénieuses et délicates qu’un esprit du douzième siècle a trouvées ; en quoi cet homme ressemblait-il à ses contemporains ? […] Beaucoup de livres de ce temps respirent une sorte d’urbanité délicate et de générosité digne des temps les plus civilisés. […] Il y a dans les vers de Thibaut telle nuance de sentiment délicat, tel mélange de finesse et de noblesse d’âme, que les siècles les plus ingénieux n’auraient pas surpassé, et qui est sorti cette fois de l’âme du poëte. […] Leur langue était celle de la passion délicate, la langue des fêtes et des chants.

1517. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Duclos, son ami, l’un de ceux qui ont le mieux parlé de lui, et dont la brusquerie habituelle s’est adoucie pour le peindre, a dit : « De la naissance, une figure aimable, une physionomie de candeur, beaucoup d’esprit, d’agrément, un jugement sain et un caractère sûr, le firent rechercher par toutes les sociétés ; il y vivait agréablement. » Marmontel enfin, moins agréable cette fois que Duclos, et avec moins de nuances, nous dit : « L’abbé de Bernis, échappé du séminaire de Saint-Sulpice, où il avait mal réussi, était un poète galant, bien joufflu, bien frais, bien poupin, et qui, avec le Gentil-Bernard, amusait de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. » Cette figure ronde et pleine, cette belle mine rebondie et à triple menton, qui frappe dans les portraits de Bernis vieilli, il la prit d’assez bonne heure : mais d’abord il s’y mêlait quelque chose d’enfantin et de délicat ; et toujours, jusqu’à la fin, le profil gardera de la distinction et de l’élégance : le front et l’œil sont très beaux.

1518. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

— Mais non, ce qu’ici nous nommons la vie est chose si peu digne d’être aimée, et toi, ma mère, tu m’es si aimable que ce serait te payer bien mal que de contraindre ton esprit délivré à reprendre ses fers… La mort de sa mère livra le jeune enfant aux mains des étrangers ; son père, homme estimable, n’eut point pour ce fils délicat et timide les attentions qu’il aurait fallu.

1519. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Un autre point est à toucher, assez délicat et dont il est singulier qu’on ait à se préoccupper, parlant d’un si grand homme de guerre et qui est mort des blessures reçues en combattant.

1520. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Le prince Henri, bien moins fait pour le travail, offre plutôt l’image du spectateur délicat et de l’amateur.

1521. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Reste la partie morale ou, si l’on aime mieux, la chronique scandaleuse, la broderie, qui n’est pas moins fausse, mais qui est plus délicate à dénoncer et à convaincre de contrefaçon et d’imitation mensongère.

1522. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Vous le permettre et vous l’ordonner serait la même chose, et je ne veux pas que l’on puisse penser ni l’un ni l’autre. » Ce n’est pas Louis XIV qui manquera jamais à une noble et délicate convenance.

1523. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

M. l’archevêque prit la peine de me servir, de sa main, de tout ce qu’il y avait de plus délicat sur sa table ; je le remerciais chaque fois en grand respect, le chapeau à la main, et chaque fois aussi il ne manqua jamais de m’ôter son chapeau, et il me fit l’honneur de boire à ma santé, tout cela fort sérieusement, mais d’une manière aisée et très polie.

1524. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Il y a même à la fin une pensée fort délicate : « Vous avez eu un bon père, c’est un bonheur que n’ont pas eu tous vos amis.

1525. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Déjà Voiture était comme cela : homme du monde et de Cour, délicat à l’excès et dégoûté, un peu dédaigneux des gens de lettres, il craignait apparemment de s’ennuyer parmi eux ou de retomber en bourgeoisie, et il restait dans ses belles et fines sociétés.

1526. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Mme Swetchine voulait un Paradis à souhait, au complet, et qui rassemblât les plus délicates félicités de la terre.

1527. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Nul scrupule ne doit vous arrêter avec une personne capable de sentir le prix de cette faveur et qui croit à la vertu. » Se peut-il une manière de sentir et de dire, une façon de comprendre le bienfait, plus délicate et plus élevée ?

1528. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

L’un et l’autre s’acquittèrent assez mal de leur tâche : « Le prélat n’en fut point fâché, remarque à ce sujet Legendre, qui a bien son grain de causticité ; il aimait à briller aux dépens d’autrui ; c’était assez sa coutume de faire agiter devant lui des problèmes de toute sorte, afin d’avoir le plaisir de donner à ce qu’on avait dit, et qu’il ne manquait point de résumer exactement, un tour si fin, si délicat, que l’on admirait dans sa bouche ce qui avait paru plat dans celle des autres. » On aime d’ordinaire ce qu’on fait bien : le prélat aimait à jouer aux arbitrages.

1529. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Ce caractère est le plus souvent délicat à saisir et à déterminer.

1530. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

L’esprit littéraire, dans sa vivacité et sa grâce, consiste à savoir s’intéresser à ce qui plaît dans une délicate lecture, à ce qui est d’ailleurs inutile en soi et qui ne sert à rien dans le sens vulgaire, à ce qui ne passionne pas pour un but prochain et positif, à ce qui n’est que l’ornement, la fleur, la superfluité immortelle et légère de la société et de la vie.

1531. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Décrire un appartement de femmes ou peindre les cérémonies du culte arabe, est, à mon avis, plus grave qu’une fraude : c’est commettre, sous le rapport de l’art, une erreur de point de vue. » C’est ingénieux, c’est délicat ; j’oserais dire que c’est digne d’un Vauvenargues ou d’un Racine.

1532. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Viguier a fait plus : dans un travail comparatif d’une exquise finesse, et qui suppose la connaissance la plus délicate des deux idiomes, il a essayé de nous faire pénétrer dans le mystère de la végétation et de la transfusion de la sève ; il a étudié et injecté à l’origine jusqu’aux moindres fibres et aux moindres vaisseaux capillaires.

1533. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

J’ai entendu cet autre railleur d’une qualité si distinguée, si rare, l’inimitable Vivier, le lendemain d’une de ces soirées où l’étonnant artiste avait su, comme nulle lèvre humaine avant lui, attendrir les sons du cor et faire pleurer le cuivre ; je l’ai vu dans cette autre partie de lui-même, dans cette mimique délicate, dans ce jeu spirituel, ironique, d’un délicieux comique à huis clos, et je renonce à définir pour qui n’y a pas goûté cette moquerie en action, fine, pénétrante, légère.

1534. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Il est toujours délicat de prétendre analyser cette voix publique que l’antique poète en son temps appelait la voix divine.

1535. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Lord Byron, dans cette lettre, rectifie les idées fausses que les biographes français donnaient de ses parents, et il se montre, en homme vraiment délicat, plus attentif à ce qui intéresse la mémoire de son père qu’à sa réputation propre.

1536. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Mais Béranger, qui aurait pu prétendre aussi à sa part de direction, appréciait mieux que personne la situation délicate et la disposition d’esprit de son nouvel ami quand il écrivait (8 février 1837) : « … Il veut se mettre à la tête d’un journal, et je crains d’arriver trop tard pour lui éviter cette folie.

1537. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne saurais ici que donner l’idée du livre qui serait à faire et en présenter un raccourci ; mais je me figure que le tableau de cette existence si délicate, si généreuse et si combattue, pourrait être d’un véritable intérêt et d’une consolation efficace pour bien des âmes également éprouvées, à qui le sort n’a cessé d’être inclément et dur.

1538. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Ils n’ont pas tant de troupes à aventurer sur le continent. » — Jomini prit la liberté de répliquer que « s’il était puéril de croire toujours à des combinaisons parfaites de la part de ses adversaires, il serait dangereux de croire toujours à leur incapacité ; que Wellesley (Wellington), au milieu du pays soulevé pour lui et appuyé de 80 à 400,000 Espagnols, ayant sa retraite dans tous les ports de l’Espagne sur les quatre points cardinaux, pouvait sans danger entreprendre une opération qui déciderait du sort de l’Espagne. » — L’Empereur coupa court à la discussion en disant : « Le mal est fait ; la suite apprendra s’il doit en résulter un bien. » Jomini en vint ensuite à la partie délicate des griefs de Ney, qui résistait à être mis sous les ordres de Soult, quoique celui-ci fût son ancien.

1539. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

George Sand voulut bien me prendre, à ce moment délicat de sa vie où elle arrivait à la célébrité, pour confident, pour conseiller, presque pour confesseur.

1540. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

La prose de Stello si savante, si déliée, a fait acte de poésie, autant par les trois épisodes qu’elle décore, que par cette analyse pénétrante de souffrances délicates et presque inexprimables qu’il n’est donné qu’à une sensibilité d’artiste de subir à ce point et de consacrer.

1541. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle se fâche tout bas et se pique même contre eux autant que plus tard elle en rira : « Mes sentiments me paraissent bizarres ; je ne trouve rien de si étrange que de haïr quelqu’un parce qu’il m’aime, et cela depuis que j’ai voulu l’aimer : c’est pourtant bien vrai, je te peins au naturel ce qui se passe dans mon âme. » Les lettres à Sophie, dans ces moments de délicate confidence, deviennent plus vives, plus excitées ; il s’y fait sentir un contre-coup de mouvement et d’aiguillon.

1542. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Les femmes de nos jours, soit en France, soit en Angleterre, ont excellé dans le genre des romans, parce que les femmes étudient avec soin, et caractérisent avec sagacité les mouvements de l’âme ; d’ailleurs on n’a consacré jusqu’à présent les romans qu’à peindre l’amour, et les femmes seules en connaissent toutes les nuances délicates.

1543. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Il n’y a pas de découverte plus difficile et plus délicate que celle des changements de ton par lesquels une idée se continue dans l’idée suivante, car il s’agit alors d’imiter les véritables mouvements de l’âme, de la suivre, toute complexe et capricieuse qu’elle est, à travers les ondulations tortueuses et imprévues par lesquelles elle voyage tour à tour de la joie à la tristesse, de la tendresse à la colère.

1544. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

C’est un peintre de mœurs charmant, délicat, ingénieux ; c’est un maître écrivain, qui excelle à mettre en scène, comiquement, un travers, un préjugé : mais son observation a la portée du Français à Londres de Boissy, et du Cercle de Poinsinet.

1545. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Ferdinand Fabre, un art plus délicat dans ceux de M. 

1546. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

comme il est fin, délicat et dédaigneux !

1547. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Problème délicat que celui qui consiste à discerner alors la part de la mère patrie dans ces produits si mélangés !

1548. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Et chacune sert aux autres : l’observation d’une étoile suppose l’emploi d’instruments très perfectionnés, et l’aide de l’optique, de la thermologie, de l’hygrométrie, de la barologie, de l’électricité pour enregistrer certaines observations délicates, et même de la psychologie pour corriger « l’équation personnelle. » Telle est la complication de sciences que suppose une chose aussi simple que de déterminer la position d’une étoile.

1549. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Mais l’air est si pur, le ciel si bleu, l’accueil de la jeune fille si délicat et si tendre, que l’enfant prodigue renonce au mariage d’argent et revient à cet amour pur que les Grecs disaient fils de la pauvreté.

1550. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

M. de Chateaubriand, après Atala et René, a eu ses admiratrices passionnées, nobles, tendres, délicates, dévouées jusqu’à en mourir : on eût vu marcher en tête la pâle et touchante Mme de Beaumont.

1551. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

quarante ans ; elle regrettait amèrement le départ de M. de Mora, ce véritable homme délicat et sensible, ce véritable homme supérieur, quand elle s’engagea à aimer M. de Guibert, ce faux grand homme, mais qui était présent et séduisant.

1552. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

C’était là, sans nul doute, un travail fort délicat ; mais M. 

1553. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Quicherat met sur la voie et fournit à peu près tous les éléments désirables pour traiter désormais cette question délicate.

1554. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Un critique de nos jours que j’aime à citer comme le plus fin et le plus délicat des esprits, M. 

1555. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Mallet a confié ce soin délicat à un écrivain de Genève, M. 

1556. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Sa vertu, sa délicate probité, en ce pays d’embûches et de perfidies, l’exposa pourtant jusqu’à la fin à quelques tracasseries dont sa prudence et son calme, soutenus de l’estime de la reine mère, l’aidèrent à triompher.

1557. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Il arriva alors, et c’est une de ces singularités piquantes qui sont le cachet de sa destinée, que cet homme pendu en effigie à Paris, et rançonné par Colbert, devint, par M. de Lionne, l’homme du roi en Allemagne, et fut chargé de négociations délicates auprès des princes de la maison de Brunswick.

1558. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

On verra plus tard comment à Vienne, après 1830, dans une conversation familière qu’eut le maréchal avec le duc de Reichstadt, avec le fils de Napoléon, ce jeune homme de mystérieuse et pathétique mémoire saisit l’occasion de reprendre, de rectifier en quelque sorte la parole de son père, et de porter une consolation délicate dans l’âme du noble guerrier.

1559. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Il était évident que chez lui l’esprit était plus délicat que le reste.

1560. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud, avec sa petite santé, sa longue taille fluette et sa complexion délicate, n’eut jamais la force d’être tout à fait jeune.

1561. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il oubliera lord Falkland, ce chef-d’œuvre de la délicate et galante morale entée sur l’antique loyauté.

1562. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Ce plié lent, les yeux baissés, la taille droite, et une manière de se relever en regardant alors modestement la personne, et en jetant avec grâce le corps en arrière ; tout cela est plus fin, plus délicat que la parole, mais très expressif comme marque de respect.

1563. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola, s’ils comptent un nombre considérable d’êtres bas, infimes, incomplets, malades ou rudimentaires, ne comprennent aucune des âmes supérieures et choisies, complexes, délicates et rares, que montrent les hauts romanciers.

1564. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Il est le raffiné, il est le délicat, il peut être l’exquis ; il n’est pas le grand.

1565. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

L’auteur a recueilli avec soin les préceptes les plus importans sur cette matiere ; & quoique distingués par des chiffres, ils ne laissent pas de former un tissu délicat & ingénieux.

1566. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Voluptueux aussi en littérature, d’une délicatesse presque morbide, mais naturaliste de fin fond, malgré les convenances morales de la surface, Sainte-Beuve a été séduit sans nul doute par cet enchanteur de Rivarol, qu’il a classé parmi les délicats qu’il aime, et chez lequel le critique du dix-neuvième siècle, assez indifférent· aux idées, a vu surtout les grandes qualités oratoires qui auraient pu devenir si aisément de grandes qualités littéraires.

1567. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Les rudes apostrophes, les dénonciations, la vie militante de la Chambre auraient brisé sa nature passionnée et délicate ; il aurait trop senti et trop souffert.

1568. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Dans cette société inégale du moyen âge, le prince, le seigneur châtelain, le chevalier, touchèrent par un côté aux plaisirs les plus délicats du peuple ; ils firent des chansons pour lui.

1569. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Ce n’est donc point l’exactitude qui est moindre dans les phénomènes de la vie comparés aux phénomènes des corps bruts ; ce sont les conditions expérimentales qui sont plus nombreuses, plus délicates, plus difficiles à connaître ou à maintenir. […] Bien loin, par conséquent, que l’animal élevé soit indifférent au monde extérieur, il est au contraire dans une étroite et savante relation avec lui, de telle façon que son équilibre résulte d’une continuelle et délicate compensation établie comme par la plus sensible des balances. […] Mais la physiologie expérimentale nous enseigne que ces problèmes intermédiaires de la nutrition doivent ensuite être suivis pas à pas à l’aide d’expériences délicates, au lieu d’être déduits d’explications hypothétiques fondées sur la comparaison du matériel d’entrée et de sortie. […] Il y a des parties dans les animaux et dans les végétaux qui sont plus vivantes, plus délicates, plus destructibles, tandis que d’autres, plus résistantes et d’une vitalité plus obscure, laissent après la mort de l’être des traces durables de son existence. […] Sans doute les conditions extrinsèques qui doivent être réalisées pour permettre au protoplasma de chaque cellule de vivre et de fonctionner suivant sa nature sont très nombreuses, très variables et très délicates.

1570. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Quant à M. de Marivaux, esprit délicat et raffiné, voici ce qu’il a mis dans Marianne, un de ses meilleurs romans, proh pudor ! […] * *   * Du reste c’est lui (car il est à peu près le dernier esprit délicat, Boufflers et Rivarol réunis sous un rabat et un menton rose et gras), c’est lui qui a dit ce mot charmant : L’esprit est une poussière d’or qu’on jette devant les choses lorsqu’on veut empêcher qu’on ne les voie distinctement. […] On ne peut y découvrir la trace d’aucun procédé, d’aucune préoccupation ; l’auteur était plein de son sujet, l’histoire a coulé de sa plume sans efforts, sans recherches, avec ses mille incidents, ses détails les plus minimes, ses délicatesses les plus délicates. […] C’est ce qui arrive à Cyprien et à Suzanne ; ils passent par toutes les phases du platonisme naïf ; mais l’amour est un grand et tyrannique maître, il déniaise les plus naïfs et s’impose aux plus vertueux ; aussi tout marche bientôt dans l’ordre : regards expressifs, tressaillements soudains, correspondance, rendez-vous, et enfin la catastrophe ; rien n’était plus difficile et plus délicat à rendre. […] Champfleury est le peintre des sentiments délicats, des romans intimes ; c’est le plus sincère des écrivains d’aujourd’hui ; son originalité est bien tranchée, son talent incontestable.

1571. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

M. de Pontmartin M. de Pontmartin est un écrivain ingénieux, élégant, dont la forme est sobre et le goût délicat. […] L’irritation du critique l’égare au point de lui faire commettre, — à lui, puriste et délicat, — des phrases aussi défectueuses que celles-ci : « Les natures ardentes, buvant à longs traits ces philtres grossiers, acceptent avec la même complaisance celui qui déprave leur raison que celui qui égare leur imagination et leur cœur. » Et plus loin, ce galimatias intolérable : « Cette manie des célébrités modernes, s’imaginent qu’il leur suffit d’être tombées dans un fossé, pour que ce fossé devienne le pensionnaire de leur génie et de leur gloire. » Quel style ! […] On ne remue pas, sans le don rare d’éminentes facultés, les intelligences délicates, blasées, et les hommes sans culture, — les artistes et le peuple : or, Darcier possède ce double secret ; j’ajouterai même que, de tous les chanteurs que je connaisse, il est celui dont la voix sait rencontrer de ces accents pénétrants et voilés, tout-puissants sur l’oreille et le cœur des femmes. […] Elle ne voit encore dans l’observateur délicat qu’elle interprète que du papotage.

1572. (1929) Amiel ou la part du rêve

Délicat, joli, sérieux, ce petit Amiel paraît en effet à ses camarades bien féminin dans son aspect et ses manières. […] Amiel, qui avait aigrement décrié les délicats causeurs de la Sorbonne, s’accommoda des liseurs. « Le rapport est impersonnel, écrit-il, la pensée parle à la pensée, mais les acteurs ne se voient pas. […] Cette situation délicate hors de l’Académie se double d’une position pénible dans l’Académie. […] Il n’a pas marché vers l’Italie, où Égérie, la délicate et la résignée, était partie en envoyant la bague symbolique, et où sans doute elle attendait le couple.

1573. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Pour le débauché, il signifie le vautrement sans frein, le déchaînement de la bête dans l’homme ; pour le froid égoïste, le mépris de tout égard vis-à-vis ses semblables, le renversement de toutes les barrières enfermant la brutale ambition de l’or et l’avidité des plaisirs ; pour le contempteur du monde, l’impudente mise à nu des instincts et mobiles bas, qu’on avait jadis coutume sinon de supprimer vertueusement, du moins de dissimuler hypocritement ; pour le croyant, l’affranchissement du dogme, la négation du monde supra-sensible, l’adoption du plat phénoménisme ; pour le délicat, désireux d’éprouver des vibrations nerveuses esthétiques, la disparition de l’idéal dans l’art et l’impuissance de celui-ci à provoquer encore des sensations à l’aide des anciennes formes ; mais pour tous, la fin d’un ordre de choses qui, pendant une longue suite de siècles, a satisfait la logique, dompté la perversité, et fait mûrir le beau dans tous les arts. […] … C’est vers le Moyen-Age énorme et délicat Qu’il faudrait que mon cœur en panne naviguât, Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste… Et là que j’eusse part… ….à la chose vitale, Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits, Haute théologie et solide morale, Guidé par la folie unique de la Croix Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale ! […] Il y a été question du « Moyen-Age énorme et délicat » et de « la brûlure., qui tonne ». […] Enfin, le son, comme moyen d’expression des faits psychiques, atteint sa plus haute perfection dans le langage cultivé, grammaticalement articulé, puisqu’alors il peut suivre exactement le travail d’idées du cerveau et le rendre objectivement perceptible dans tous ses détails les plus délicats.

1574. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Peu délicat, ayant même un certain penchant à la grossièreté ou à l’affectation de la grossièreté, il rentrait par ses goûts artistiques dans le monde des gens délicats et des sensations délicates. […] Et en même temps c’est un épicurien, un voluptueux, un curieux passionné des élégants loisirs et de la haute vie délicate ; et cela aussi a fait que ses opinions politiques lui ont été quelquefois pénibles et lui ont donné de l’humeur […] Je travaille à un ouvrage pénible et délicat. […] … on durcit à de certaines places ; on pourrit à d’autres ; on ne mûrit pas. » Ces manies funestes, ces vices et leurs conséquences naturelles : ne pas mûrir, ne pas fournir l’évolution régulière, « vivre au gré d’une âme inquiète » et quelquefois désemparée, ne pas trouver l’équilibre intérieur, sentir en soi une âme durcie en certaines places et d’une faiblesse incurable à d’autres places, machine délicate dont une partie est usée et l’autre rouillée ; tout cela, Sainte-Beuve l’a senti et n’est pas sans en avoir souffert, même en son talent.

1575. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Pour découvrir et pour noter des différences du même genre, — quoique plus délicates, comme étant moins apparentes, plus profondément cachées, — entre le Légataire universel et Tartufe, entre Zaïre et le Bajazet de Racine, qu’y faudra-t-il donc, Messieurs ? Tout simplement des moyens d’analyse plus délicats eux-mêmes, des instruments de critique plus sensibles et plus précis, un goût plus exercé, je veux dire plus d’expérience : ajoutons-y de surcroît une curiosité plus éveillée, plus aiguë, plus exigeante. […] Vertu de femme ou de dilettante, elle est trop délicate, trop facile à émouvoir ou plutôt à surprendre, et par suite à tromper ; elle répugne à trop de besognes ; elle paralyse enfin l’action plus souvent qu’elle ne l’aide. […] Car pourquoi refuser aux belles dames de son temps le plaisir délicat de se retrouver, de se reconnaître, et comme de se mirer, dans son Andromaque, dans son Atalide, ou dans son Aricie ? […] Cette situation entre trois hommes est toujours délicate pour une femme, et vous savez que Célimène elle-même s’en est fort mal tirée !

1576. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Je suis charmé, étant modeste et sincère, que des esprits délicats « revoient » et corrigent Shakespeare à mon usage. […] Nul n’a écrit sur nos femmes et sur nos filles des choses plus délicates ni plus sensées, et nul ne leur a donné de meilleurs conseils. […] Comme elle sait, par de légères inflexions de voix, traduire les nuances les plus délicates d’un sentiment ! […] L’extrême politesse officielle, le tact délicat que réclamaient ses difficiles fondions, il n’a point eu à les acquérir ; il en a trouvé le secret dans sa bienveillance naturelle, et elles n’ont fait qu’affiner et nuancer cette bienveillance. […] ) ce flibustier a les sentiments les plus délicats, les plus raffinés scrupules de conscience.

1577. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Il fit sortir du masque à la vive peinture Une voix qui savait exprimer la nature, Et retrouva, pour plaire aux délicats esprits, Le pur cristal du sel que Ménandre avait pris, Entre les goémons d’une grotte sacrée, Dans cette mer d’azur où naquit Cytérée. […] Oui, pour cette populace bruyante qui se battait et mangeait de l’ail pendant la représentation, sur cette scène démesurée, par l’embouchure de cuivre de ces masques immobiles dont s’affublaient les acteurs, Térence a su, je ne sais comment, exprimer parfois les sentiments les plus délicats et dire les plus charmantes et les plus mélancoliques paroles d’amour. […] De l’autre, elle n’aura d’abord, à la vérité, que vingt et un mille francs de rente ; mais elle sera la femme d’un homme très bon, très délicat, très amoureux, pour qui elle se sent elle-même un commencement d’amour, et qui est un duc authentique. […] Ce sont deux bons ménages, et bien honnêtes. » Et enfin ces gens-là ignorent à la fois certains scrupules et certaines souffrances délicates, parce qu’ils ont une imagination très faiblement représentative des situations morales. […] Il aura été peu délicat sur les moyens ; mais on aura beau faire, les cadres du vieil état social (que je n’aime pas, quoique mon égoïsme de bourgeois et de lettré se laisse aller parfois à dire le contraire) ne peuvent être brisés que par des violences individuelles ou collectives.

1578. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Ce sont là jeux de prince où les plus délicats ne voient rien de mal et plutôt seraient portés à voir un honneur fait par eux à des hommes de lettres. […] — Mais ce n’est pas délicat de la part de Racine et il ne faut pas plus accuser Racine de cette indélicatesse qu’il n’en faudrait accuser Corneille. […] Delavigne, qui avait toujours été délicat, était très gravement malade depuis 1834 ou 1835. […] C’est au lecteur à juger des souffrances morales infligées à une âme délicate et pure par la brutalité impérieuse et par l’égoïsme poli. […] Mayer a une qualité rare au théâtre : la mesure ; il ne donne jamais dans aucun excès ; il est toujours délicat, sûr et distingué, parfaitement maître de lui et de tous ses effets.

1579. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Ce n’en est pas moins là que Vinet a vraiment excellé, comme critique, dans l’art délicat, savant, et subtil, de démêler ou de caractériser l’individualité des autres. […] On pourra donc bien l’assouplir ; on pourra la libérer de ce qu’elle a de trop matériel encore pour la délicate oreille de quelques raffinés ; on pourra la spiritualiser : pourra-t-on la faire évanouir ? […] Tout le travail délicat et subtil qu’on a fait, depuis tant de siècles déjà, pour analyser les passions de l’amour, pour en distinguer les espèces et les degrés, pour en reconnaître les expressions diverses, ils font profession de n’en tenir aucun compte. […] — ce sont eux qui ont fait de notre prose française le souple et le flexible à la fois, le délicat et le pénétrant, l’admirable instrument qu’elle est ; — ou qu’elle fut. […] Non moins importante, la question du choix des textes classiques est de beaucoup plus délicate.

1580. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Pour se bien conoitre en mets et avoir un gout sur, il faut deux choses ; 1 un organe délicat ; 2 de l’expérience, s’être trouvé souvent dans les bones tables, etc. : on est alors plus en état de dire pourquoi un mets est bon ou mauvais : pour être conoisseur en ouvrages d’esprit, il faut un bon jugement, c’est un présent de la nature ; cela dépend de la disposition des organes ; il faut encore avoir fait des observations sur ce qui plaît et sur ce qui déplaît ; il faut avoir su alier l’étude et la méditation avec le comerce des persones éclairées : alors on est en état de rendre raison des règles et du gout. Les viandes et les assaisonemens qui plaisent aux uns, déplaisent aux autres ; c’est un éfet de la diférente constitution des organes du gout : il y a cependant sur ce point un gout général auquel il faut avoir égard, c’est-à-dire, qu’il y a des viandes et des mets qui sont plus généralement au gout des persones délicates : il en est de même des ouvrages d’esprit ; un auteur ne doit pas se flater d’atirer à lui tous les sufrages, mais il doit se conformer au gout général des persones éclairées qui sont au fait. […] On peut encore raporter à l’euphémisme ces périphrases ou circonlocutions dont un orateur délicat envelope habilement une idée, qui toute simple exciteroit peut-être dans l’esprit de ceux à qui il parle, une image ou des sentimens peu favorables à son dessein principal. […] Les abstractions sont un pays où il y a encore bien des découvertes à faire, et dans lequel on feroit quelques progrès, si l’on ne prenoit pas pour lumière ce qui n’est qu’une séduction délicate de l’imagination, et si l’on pouvoit se rapeler sans prévention la manière dont nous avons aquis nos idées et nos conoissances dans les premières années de notre vie ; mais cela n’est pas maintenant de mon sujet. […] Les latins sentoient mieux que nous ces diférences délicates, dans le tems même qu’ils ne pouvoient les exprimer, etc.

1581. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

L’absence complète d’imagination chez La Motte semble une qualité et un mérite de plus à Marivaux : « La composition de M. de La Motte tient de l’esprit pur, dit-il ; c’est un travail du bon sens et de la droite raison ; ce sont des idées d’après une réflexion fine et délicate, réflexion qui fatigue plus son esprit que son imagination. » Il le félicite d’être parfaitement étranger à l’enthousiasme, de ne se laisser jamais emporter, comme quelques autres, à un train d’idées ordinaires et communes, montées sur un char magnifique ; il lui accorde une vivacité toute spirituelle, d’une espèce unique et si fine qu’il est donné à peu de gens de la goûter.

1582. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Pour le sauvage, par exemple, qu’est-ce que le plaisir de l’amour, si on le compare à tout ce qu’y fait entrer un homme du monde, doué d’une âme délicate et vive, et d’une sensibilité cultivée ?

1583. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Il était d’une organisation délicate et frêle : « On ne m’a donné de corps qu’en projet, disait-il agréablement. — J’étais né un roseau presque cassé, ou une faible mèche qui fumait encore. » Il manquait d’activité vitale et était d’une extrême sensibilité de nerfs.

1584. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Les crimes du dedans frappaient pourtant Saint-Martin, mais ils ne l’épouvantaient et ne le révoltaient pas autant, ce semble, qu’ils auraient dû le faire pour une âme aussi délicate et aussi sensible ; il nous en donne naïvement la raison, lorsqu’il avoue que le sort de tant d’émigrés traqués de toutes parts et sans asile ne laisse pas de lui paraître véritablement lamentable : Moi-même, dit-il, j’ai été embarrassé un moment de résoudre cette question ; mais, comme j’ai cru à la main de la Providence dans notre Révolution, je puis bien croire également qu’il est peut-être nécessaire qu’il y ait des victimes d’expiation pour consolider l’édifice ; et sûrement alors je ne suis pas inquiet sur leur sort, quelque horrible que soit dans ce bas monde celui que nous leur voyons éprouver.

1585. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Son Éminence me vante à tout le monde, et enfin il m’a destiné actuellement à une ambassade délicate.

1586. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il est délicat, sensible aux mouches et poussé d’amour-propre ; cela l’a rendu malheureux.

1587. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

 » Je crois qu’en demeurant dans ces termes, et bien en deçà d’une passion qui ferait sourire, on a saisi le point délicat et vif de la liaison de M. de Meilhan avec Mme de Créqui.

1588. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Il serait pénible de discuter le degré des torts de Villars sur une matière aussi délicate que celle des deniers provenant des contributions forcées, et il serait certainement difficile de le justifier.

1589. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

J’avais dû à un heureux hasard, ou mieux, à une indication délicate, de le lire il y a déjà quelque temps, et j’en avais extrait pour moi quelques belles et douces pensées.

1590. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Mais est-ce un malheur, en définitive, pour Villon, que ces obscurités qui rebutent quelques délicats trop exigeants ?

1591. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Cela eût été plus profitable, plus pratique, mais aussi d’une analyse plus délicate et plus difficile, que de venir nous proposer ce publiciste distingué, tout simplement comme le parfait professeur de toutes les vérités politiques, comme le promulgateur et le prophète complet des institutions futures.

1592. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

C’était pourtant une situation délicate que de se trouver, lui, peintre militaire, peintre de l’armée française et appelé comme tel, au milieu d’une Cour dont la politique était si peu favorable à la France.

1593. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Viollet-Le-Duc, est certes conforme à l’idée qu’on en doit prendre, et rentre bien aussi dans le programme qu’avait tracé Virgile lui-même dans le beau temps : « D’autres sauront demander à l’airain ou au marbre de mieux exprimer la vie ; d’autres seront plus éloquents aux harangues, ou excelleront à décrire les astres et à embrasser du compas les révolutions des cieux ; mais à toi, Romain, il appartient de régir le monde et de gouverner les peuples : ce sont là tes arts, à toi… » Tel était aussi le Romain en architecture, dans cet art qui faisait comme partie intégrante de son administration et de son établissement politique en tout lieu ; tel il se montra dans la construction de son Panthéon, de ses thermes, de ses aqueducs, de ses amphithéâtres et de son gigantesque Colisée, dans tout ce qu’il n’empruntait pas directement des Grecs, se souciant bien plus du grandiose et de l’imposant que du fin et du délicat ; mais aussi, en ce genre d’installation souveraine, de glorification conquérante et historique, quand il lui arriva d’y réussir, il eut son originalité sans pareille et il y mit la marque insigne de son génie.

1594. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Les principaux propriétaires de Saint-Domingue, le voyant si bien accueilli de plusieurs membres du Cabinet anglais, lui confièrent leurs intérêts et lui donnèrent leurs pleins pouvoirs « pour solliciter auprès du Gouvernement anglais des moyens de protection contre l’insurrection des nègres, qui était notoirement suscitée par la Convention. » Le point délicat à traiter dans cette affaire, c’était, tout en demandant et en acceptant l’appui de l’Angleterre, de ne pas abjurer sa qualité de Français et de ne pas prétendre disposer de la souveraineté de l’île : il s’agissait donc de constituer une sorte de séquestre provisoire de la colonie sous la garde du Gouvernement anglais, en réservant la question de droit et de souveraineté jusqu’au prochain traité de paix qui interviendrait entre les deux nations.

1595. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

» Et qui a connu Mme Valmore en ces longues années d’épreuves, qui l’a visitée dans ces humbles et étroits logements où elle avait tant de peine à rassembler ses débris, qui l’y a vue polie, aisée, accueillante, hospitalière même, donnant à tout un air de propreté et d’art, cachant ses pleurs sous une grâce naturelle et y mêlant des éclairs de gaieté, brave et vaillante nature entre les plus délicates et les plus sensitives, qui l’a vue ainsi et qui lira ce qui précède se prendra encore plus à l’admirer et à l’aimer.

1596. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Ceci touche à des questions délicates et actuellement encore brûlantes.

1597. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Pour complément de la collection, un volume à part contiendra : une Étude générale sur la Pléiade française, indiquant « son origine, son but, ses espérances et la part légitime qui lui appartient dans la constitution de notre langue et dans le développement de notre littérature » ; de plus un Glossaire, renfermant « l’explication de tous les termes qui ne figurent pas dans les dictionnaires actuels ou qui ne s’y trouvent que dans des acceptions différentes de celles dans lesquelles les poètes les ont employés ; les mots bizarres, forgés par la Pléiade, et qui n’ont eu qu’une existence éphémère ; enfin (et c’est là une partie fort délicate) les mots, nouveaux alors, qui ont été si vite et si généralement adoptés, et qui se sont si complètement incorporés à notre langue, qu’on serait tenté de croire qu’ils remontent à son origine. » Un Index des noms propres historiques et géographiques s’y joindra également.

1598. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère, dans lesquels il a su ressaisir la vie même des idées et des personnages qu’il exprime, Ausone, saint Paulin, Rutilius, la confession de l’autre Paulin, petit-fils d’Ausone, Sidoine Apollinaire, toutes pages à la fois graves et charmantes, qui suffiraient à caractériser dans la critique française cette manière sobre, délicate, profonde et sûre !

1599. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Parmi les morceaux d’une histoire littéraire plus lointaine et plus désintéressée, il faut mettre au premier rang la notice sur Camoëns, vrai petit chef-d’œuvre où la curiosité de l’étude et l’exquis de l’érudition viennent se fondre dans un sentiment bien délicat de cette chevaleresque poésie.

1600. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

La passion n’y est pas toujours délicate dans son langage, ni naturelle dans son objet.

1601. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

Et il arrivait que cette pensée, commençant par M. de Pontivy, n’aboutissait bientôt qu’à sentir et à admirer tout ce qu’avait de délicat la conduite de M. de Murçay, qui, l’aimant (elle n’en pouvait douter), agissait si sincèrement pour le retour et dans l’intérêt d’un rival.

1602. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Il n’était ni adroit, ni habile aux détails, avait le jugement peu délicat, le goût peu sûr, le tact assez obtus, et se rendait mal compte de ses procédés d’artiste ; il se piquait pourtant d’y entendre finesse, et de ne pas tout dire.

1603. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Fénelon (suite) XIII Fénelon se renferma dans la délicate fonction de sa charge : il parvint à persuader son jeune disciple, parce qu’il parvint à s’en faire aimer ; il fut aimé parce qu’il aima lui-même.

1604. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Quand les deux compères, maintes fois, se mettent en route ensemble pour chercher fortune, c’est-à-dire une dupe et une proie, il me semble voir Robert Macaire avec Bertrand : le bandit rusé s’amuse aux dépens du bandit naïf, et c’est une tentation trop forte pour lui que celle de mal faire, fût-ce à son associé, surtout à lui : car la confiance légitime de la dupe, la trahison de l’amitié ou de la foi jurée, ce sont ragoûts délicats pour un raffiné trompeur.

1605. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

L’indignation est la seule passion où il aille de lui-même chercher une source de poésie : c’est le sentiment le plus accessible à la mollesse épicurienne et à la sécheresse intellectuelle ; l’Enfer s’explique par la révolte d’une chair délicate, et d’un esprit juste, devant la souffrance physique injustement infligée.

1606. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Feuillet, un dégoût honorable et, délicat de tout ce qui est bas et vil ; mais j’y soupçonne aussi du mécontentement et de la bouderie.

1607. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

A quinze ans, le duc d’Anguien n’avait pour ainsi dire pas vu son père ni sa mère. « En apprenant, en imposant le respect à son fils, dit M. le duc d’Aumale, Henri de Bourbon négligea de faire naître, de développer dans cette jeune âme certains sentiments délicats, de toucher certaines cordes qui n’ont jamais vibré dans le grand cœur de Condé. » A la bonne heure !

1608. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Ces sollicitations ont bien quelque rapport éloigné avec les tentatives malicieuses de Marinette ayant cherché Éraste et ne l’ayant trouvé Au temple, au cours, chez lui, ni dans la grande place ; mais la scène est beaucoup moins délicate, beaucoup plus brutale ; ce qui se comprend, du reste, Lisette étant désignée non comme une soubrette, mais comme une ruffiana.

1609. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

La question est délicate qui consiste à faire la part, dans la production, de l’invention qui représente l’initiative individuelle et du travail qui représente l’effort collectif.

1610. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Verhaeren, vous verrez ce qu’il leur a fourni de fort et de délicat.

1611. (1890) L’avenir de la science « II »

N’a-t-on pas voulu appliquer ce détestable esprit à des choses plus délicates encore, à l’éducation, à la morale 22 ?

1612. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Vous avez eu une pensée délicate.

1613. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Les gigantesques idoles de l’Orient auraient encombré son délicat territoire, si artistement découpé que l’on a pu le comparer à une feuille de mûrier jetée sur les vagues.

1614. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Augier est un compagnon quelque peu bruyant pour l’esprit délicat et doux de M. 

1615. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Cette chirurgie dramatique, trop souvent blessante, ou l’auteur était passé maître, est ici maniée avec le tact le plus délicat.

1616. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Cette aimable et joueuse enfant lui remet en pensée le temps où il était meilleur, plus vraiment heureux, où il n’avait pas encore détourné et en partie sacrifié à la contemplation et à la réflexion du dehors son âme primitive, intérieure et plus délicate.

1617. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

Autant qu’un autre, d’ailleurs, je sais que ce droit délicat et terrible, qui sommeille au pied de toutes les institutions humaines, comme leur triste et dernière garantie, ne doit pas être invoqué légèrement.

1618. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

comme, après la lecture de ces pages bigarrées, toutes tachées encore de boue et de sang, et convulsives, image vivante (jusque dans les meilleurs endroits) du dérèglement des mœurs et des âmes, comme on sent le besoin de revenir à quelque lecture judicieuse où le bon sens domine, et où le bon langage ne soit que l’expression d’un fonds honnête, délicat, et d’une habitude vertueuse !

1619. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Je ne toucherai que deux mots sur ce sujet délicat.

1620. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

L’impression qu’il produit sur tout lecteur d’un goût délicat et prompt est bien celle-là.

1621. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Abbé tonsuré dès l’enfance, mais surtout voué à la cornette et aux chiffons, coquette comme une nonne de Vert-Vert et libertin comme un perroquet, tour à tour comtesse de Sancy dans la paroisse Saint-Médard, et comtesse des Barres en Berry, puis pénitent, mais toujours léger, une manière d’apôtre à Siam converti et convertisseur sans tristesse, écrivain agréable et même délicat, finalement historien de l’Église, et doyen de l’Académie française, sa carrière, qui dura quatre-vingts ans, compose une mascarade complète, et, dans chacun de ses rôles, il fut au naturel, au sérieux, avec sincérité, et à la fois avec un air d’amusement et de badinage.

1622. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Mademoiselle imagine donc, en une prairie, près d’une forêt, en vue de la mer, une société des deux sexes, toute composée de gens aimables et parfaits, délicats et simples, qui gardent les moutons les jours de soleil et pour leur plaisir, qui se visitent le reste du temps d’un ermitage à l’autre, en chaise, en calèche, en carrosse ; qui jouent du luth et du clavecin, lisent les vers et les ouvrages nouveaux ; qui unissent les avantages de la vie civilisée et les facilités de la vie champêtre, sans oublier les vertus de la vie chrétienne ; qui, tous célibataires ou veufs, polis sans galanterie ou du moins sans amour, vivent honnêtement entre eux, et n’ont nul besoin de recourir au remède vulgaire du mariage.

1623. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Boucher, homme non moins humain et aussi discret que délicat, âme véritablement d’élite et cœur d’or enseveli dans les antres de la police de ce temps-là, se prêta à cette correspondance avec toute l’indulgence et, on peut dire, la tendresse conciliable avec ses devoirs.

1624. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Si vous étiez à Paris, je ferais sur votre âme sensible et délicate l’épreuve de ma verve oratoire, et votre goût fixerait le jugement que je dois en porter.

1625. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

Le colonel Fabvier, qui avait accompagné le maréchal à Lyon, et qui avait été son chef d’état-major dans cette mission délicate et ferme, jugea à propos de rétablir les faits et de justifier par un écrit public ces actes que le ministère ne défendait que faiblement.

1626. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Le président répond à ses propositions point par point, avec exactitude et précision, en homme d’affaires et en y mêlant de l’homme d’esprit ; il touche très bien l’endroit délicat, et qui fait désirer à Voltaire de n’être pas tout entier à la merci de Genève : « Il faut être chez soi… Il ne faut pas être chez les autres… Vous ne sauriez croire combien cette république me fait aimer les monarchies. » À la réponse précise et catégorique du président, Voltaire semble oublier ce qu’il a proposé lui-même ; il recule, il hésite, et substitue comme par négligence d’autres propositions aux premières.

1627. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Il était déjà ce qu’il sera toute sa vie, d’une santé faille et délicate.

1628. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Ce respect et cette intelligence qu’il n’a point de la chose religieuse et sacrée, Volney ne l’aura pas davantage dans l’ordre littéraire : il est savant, il est érudit, mais de ce côté non plus il n’a pas le culte, il n’a pas le sentiment respectueux et délicat.

1629. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

Les choses de l’inconnu, les problèmes métaphysiques reculant devant la sonde, les énigmes de l’âme et de la nature, qui est aussi une âme ; les intuitions lointaines de l’éventuel inclus dans la destinée, les amalgames de la pensée et de l’événement, peuvent se traduire en figurations délicates, et remplir la poésie de types mystérieux et exquis, d’autant plus ravissants qu’ils sont un peu douloureux, à demi adhérents à l’invisible, et en même temps très réels, préoccupés de l’ombre qui est derrière eux, et tâchant de vous plaire cependant.

1630. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

JOHN WHEELER), le puritanisme a l’ouïe délicate.

1631. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Que nos rythmes délicats et puissants s’éploient ou se lovent, sans respect fétichiste pour la pure ligne dont se retrouve bien aisément la simplicité connue. » Olivier C. de la Fayette.

1632. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Son discours, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l’ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier.

1633. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

Ce Dictionnaire, dit universel, n’indique point les nuances fines & délicates qui différencient un même mot placé différemment, ou plusieurs mots crus synonymes.

1634. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Combien de vertus délicates que l’esclave et le sauvage ignorent !

1635. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Pour moi qui ne retiens d’une composition musicale qu’un beau passage, qu’un trait de chant ou d’harmonie qui m’a fait frissoner ; d’un ouvrage de littérature qu’une belle idée, grande, noble, profonde, tendre, fine, délicate ou forte et sublime, selon le genre et le sujet ; d’un orateur qu’un beau mouvement ; d’un historien qu’un fait que je ne réciterai pas sans que mes yeux s’humectent et que ma voix s’entrecoupe ; et qui oublie tout le reste, parce que je cherche moins des exemples à éviter que des modèles à suivre, parce que je jouis plus d’une belle ligne que je ne suis dégoûté par deux mauvaises pages ; que je ne lis que pour m’amuser ou m’instruire ; que je rapporte tout à la perfection de mon cœur et de mon esprit, et que soit que je parle, réfléchisse, lise, écrive ou agisse, mon but unique est de devenir meilleur ; je pardonne à Le Prince tout son barbouillage jaune dont je n’ai plus d’idée, en faveur de la belle tête de ce musicien champêtre.

1636. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

On retient une pensée, on ne retient point l’enchaînement des inflexions fugitives et délicates de l’harmonie ; ce n’est pas à l’oreille seulement, c’est à l’âme d’où elle est émanée que la véritable harmonie s’adresse.

1637. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Voilà pourquoi les vers de Properce qui n’avoit pas l’oreille aussi délicate que Tibulle pour bien juger du mélange des sons, sont moins harmonieux que ceux de Tibulle dans la prononciation desquels on trouve une suavité singuliere.

1638. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Mais — ô notre maître Rouveyred, — sur ce chemin délicat que vous avez ouvert à nos curiosités froissées par la pesanteur et l’insincérité des critiques professionnels — ne nous avez-vous pas enseigné que tout fait vrai, doré d’un peu de sentiment, peut avoir son prix et son parfum ?

1639. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Virgile exprime encore les sentiments délicats et généreux d’une civilisation avancée, et montre ainsi comment avec un goût parfait le poète peut marier certaines idées et certaines mœurs d’un siècle avec celles d’un siècle antérieur, leçon admirable qui ne fut point perdue pour Racine et pour Fénelon.

1640. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Les dangers menaçants des temps actuels rendent grossier et brutal aux choses délicates du génie.

1641. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Moderne, délicat, il ne trempa que l’extrémité de son pinceau dans le cuvier de couleur barbare ou de couleur mystique et légendaire qui aurait pu lui servir de palette, s’il avait été le peintre géant qu’il fallait, et par cela seul qu’il ne voulut pas être barbare, comme n’aurait pas manqué de l’être tout grand artiste qui aurait eu à peindre un sujet barbare comme le sien, il resta de fait au-dessous, comme effet d’impression, de tous ces moines qui avaient moins de goût que lui, mais qui avaient plus d’énergie, et dont son histoire, pour ceux qui savent les lire, ne remplacera pas les chroniques et le mauvais latin, si sublime dans son incorrecte grandeur !

1642. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Ce n’est pas là de l’impuissance radicale, absolue, mais c’est une nuance délicate dans l’impuissance que la Critique est bien obligée d’indiquer.

1643. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

On va lui broyer ses chevilles délicates, on va lui ballonner le ventre avec des torrents d’eau, ou accomplir sur elle toute autre abomination.

1644. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Mais ce n’est pas avec de pareilles plaisanteries que l’on fait avancer une question aussi délicate que celle qui nous occupe ; c’est en l’examinant avec tout le sérieux et toute la science scrupuleuse, qu’y apporta M. 

1645. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

De plus, entre ces cercles mêmes, les distances sont de moins en moins marquées ; si délicat qu’il soit de mesurer ces nuances, on peut affirmer que les égards, entre classes supérieure et inférieure d’unilatéraux qu’ils étaient se font de plus en plus réciproques13.

1646. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

C’est là, en effet, que les hommes réunis et opposés s’essaient, s’observent et se jugent ; là, en comparant toutes les manières de juger, on apprend à réformer la sienne ; là, les teintes rudes s’adoucissent, les nuances se distinguent, les esprits se polissent par le frottement, l’âme acquiert par l’habitude une sensibilité prompte ; elle devient un organe délicat, à qui nulle sensation n’échappe, et qui, à force d’être exercée, prévoit, ressent et démêle tous les effets.

1647. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Un autre se lamentait : c’était un jeune homme imberbe et délicat. […] *** Maintenant, je voudrais deux mots sur une question délicate et qui me tient à cœur. […] … Je profitai de ce délicat jeu de mots pour vaincre, par la flatterie, les dernières résistances de M.  […] Commencé gaiement parmi des grâces légères, des ironies, des sensualités délicates, au milieu d’une société libertine et facile, le roman finit brusquement dans un coup de drame. […] Je n’ai pas connu, non plus, un plus charmant et plus délicat ami.

1648. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

(Ce gâteau offre l’aspect d’un pain de ménage ; mais il est fait d’une pâte délicate et savoureuse, et de larges coulées de très bonne crème se dissimulent dans ses flancs rugueux.) […] Ce n’est plus un plat Basile qui parle, mais un homme d’une sensualité ardente et délicate, et d’une très souple intelligence. […] Et, plus les questions seront délicates, plus ses arrêts seront imperturbables. […] Elle-même est une créature assez fine et délicate, d’une sensibilité maladive ; ce que nous appelons à Paris une hystérique. […] A la vérité, ce ne serait point si simple que cela en a l’air, et le classement serait assez délicat.

1649. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Mais l’estime et l’admiration des peuples ; l’influence d’un pays sur les autres, sont choses plus délicates et plus variables qu’une simple prépondérance politique ou militaire. […] Ambitieuse pour sa fille qu’elle vantait partout bruyamment, sans être retenue par cette pudeur du cœur qui empêche les délicats de louer ce qui leur tient de trop près, elle passait sa vie à lui préparer des triomphes de salon et des ovations théâtrales. […] C’est un point d’orgue entre la douleur et la joie, pendant lequel l’auteur exécute ses plus délicates fioritures. […] Il ne contient ni peintures licencieuses, ni doctrines immorales, et pourtant il me semble qu’il est telle œuvre d’un écrivain franchement grossier qui choquerait moins un lecteur délicat. […] Sainte-Beuve prête à ses adversaires, — que vouloir tracer des divisions et des compartiments, ce serait apporter, en cette matière délicate, une rigueur dont elle n’est point susceptible, et qui en froisserait et en fausserait la finesse ».

1650. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Lucius Annæus Sénèque était d’un tempérament délicat, et sa mère ne le conserva que par des soins assidus : il fut toute sa vie incommodé de fluxions, et tourmenté, dans sa vieillesse, d’asthme, d’étouffements ou de palpitations ; car l’expression suspirium, dont il se sert (Lettres LIV et LXXVIII) au défaut d’un mot grec17, convient également à ces trois maladies. « Le suspirium, dit-il, est court ; l’accès n’en dure guère plus d’une heure, mais il ressemble à l’ouragan : de toutes les indispositions que j’ai souffertes, c’est la plus fâcheuse. » Il était maigre et décharné : cette légère disgrâce de la nature lui sauva la vie dans un âge plus avancé ; et je ne doute point qu’il n’ait fait allusion à cette circonstance, lorsqu’il a dit (Lettre LXXVIII) que « la maladie avait quelquefois prolongé la vie à des hommes qui ont été redevables de leur salut aux signes de mort qui paraissaient en eux. » V. […] Ce prince, d’un goût si délicat, faisait transporter de la Grèce en Italie les plus parfaites statues des dieux, auxquelles on coupait la tête pour y substituer la sienne. […] Dans l’impossibilité d’inspirer au prince dissolu l’austérité de mœurs qu’ils professaient, ses instituteurs essayèrent96 de substituer à la fureur des voluptés illicites et grossières le goût des plaisirs délicats et permis. […] « Malgré le Traité des Bienfaits, ouvrage délicat et senti, on ne voit pas que Sénèque en soit devenu plus libéral. » Si l’on ne voit pas que Sénèque en soit devenu plus libéral, c’est la faute des censeurs et non celle du philosophe, à qui ses concitoyens demandent et qui leur rend compte de l’emploi de son opulence. […] On ne sait si la libéralité fut une des vertus de Burrhus et de Thraséas, et il est à présumer que Sénèque n’eût point écrit sa propre satire dans un ouvrage délicat et senti, s’il eût manqué de bienfaisance et de sensibilité.

1651. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Le libertinage de Voltaire est raffiné, délicat, élégant, perfide ; il recouvre et recèle de l’impiété calculée : Parny le disciple est au bout avec sa Guerre des Dieux. […] Son nom ne réveille rien sans doute de bien délicat ni de bien pur, mais il exprime au plus haut degré la vivacité, la verve, le piquant, le nerf et la gaillardise ; ce nom, rien qu’à le prononcer, est devenu le signe représentatif assez exact et durable de tout ce qu’il y avait de viager en lui.

1652. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Je répugnais à cette conférence, qui pouvait faire mal interpréter par tous les partis mes relations délicates et confidentielles avec la cour. […] Le parterre de Paris vaut mieux aussi que le parterre d’Athènes : vous en êtes la preuve, vous et vos jeunes amis, puisque la fausse apparence seulement d’une raillerie mal comprise m’a valu, de la part de cette jeunesse si délicate et si généreuse, une protestation qui honore son cœur et relève le mien !

1653. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Pour inspirer une immense pitié du misérable qui tombe et de la femme qu’il entraîne   Le dégoût même du livre que témoignent des esprits très délicats, habitués à des peintures à l’eau de rose de péchés mignons, à des récits d’infamies comme il faut, prouve que l’auteur a atteint son but. […] La lecture des revues théâtrales, des soirées parisiennes et des lundis écrits sur l’Assommoir est à la fois amusante et instructive ; amusante, parce que des flots d’esprit  pas toujours du plus délicat, par exemple, sont dépensés pour essayer de submerger le nouveau drame, les auteurs et leurs théories ; instructive, parce qu’il est toujours bon d’assister à un duel littéraire, et de voir quelles armes emploient les champions.

1654. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Il s’est montré causeur, fin, délicat, ténu, argutieux presque, et parlant des choses, avec le tour d’une pensée qui a cessé d’être française et qui s’est faite italienne. […] Et il se met à raconter merveilleusement, se jouant dans un délicat érotisme, l’histoire de cette chambrière, dont d’Artagnan fait l’entremetteuse douloureuse de son intrigue avec la duchesse, la menaçant de ne plus revenir, si elle n’obtient de sa maîtresse qu’elle lise ses lettres, la menaçant de ne plus revenir, si elle n’obtient qu’elle y réponde… Et le merveilleux dénouement humain, s’écrie-t-il, dénouement bien supérieur à tous les dénouements du réalisme actuel.

1655. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Un dîner fin, délicat, où la maîtresse de la maison ne boit que d’une boisson, dont le nom anglais m’échappe, et qui est faite avec du vin de Bordeaux, de jus d’orange, d’ananas, de menthe. […] Alors le petit Hahn s’est mis au piano, et a joué la musique composée par lui, sur trois ou quatre pièces de Verlaine, de vrais bijoux poétiques, une musique littéraire à la Rollinat, mais plus délicate, plus distinguée, plus savante, que celle du poète berrichon.

1656. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Certains mots représentent une sensibilité délicate, d’autres une sensibilité brutale. […] … Je ne sais pas pourquoi on fait tant de cas chez nous D’une grande et grosse femme bien vermeille…         Celle-ci est toute délicate,         Mais elle ne s’en porte pas plus mal ; Et elle est jolie à voir comme un chevreau blanc !

1657. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Depuis plus de vingt ans, le tribunal supérieur chargé de cette opération délicate n’avait jamais suspendu ses fonctions. — Mais, à chaque instant, des vues lumineuses et de haute politique générale sillonnent le sujet et élargissent les horizons : « Il est bon, dit le publiciste, en tout ceci purement judicieux, qu’une quantité considérable de nobles se jette dans toutes les carrières en concurrence avec le second ordre ; non-seulement la noblesse illustre les emplois qu’elle occupe, mais par sa présence elle unit tous les états, et par son influence elle empêche tous les corps dont elle fait partie de se cantonner… C’est ainsi qu’en Angleterre la portion de la noblesse qui entre dans la Chambre des communes tempère l’âcreté délétère du principe démocratique qui doit essentiellement y résider, et qui brûlerait infailliblement la Constitution sans cet amalgame précieux. » Et plus loin : « Observez en passant qu’un des grands avantages de la noblesse, c’est qu’il y ait dans l’État quelque chose de plus précieux que l’or187. » Il raille de ce bon rire, qui s’essaye d’abord comme en famille, ses compatriotes devenus les citoyens tricolores, et se moque des raisonnements sur les assignats : « Lorsque je lis des raisonnements de cette force, je suis tenté de pardonner à Juvénal d’avoir dit en parlant d’un sot de son temps : Ciceronem Allobroga dixit 188 ; et à Thomas Corneille d’avoir dit dans une comédie en parlant d’un autre sot : Il est pis qu’Allobroge. » Mais déjà il passe à tout moment la frontière et ne se retient pas sur le compte de la grande nation : « Quand on voit ces prétendus législateurs de la France prendre des institutions anglaises sur leur sol natal et les transporter brusquement chez eux, on ne peut s’empêcher de songer à ce général romain qui fit enlever un cadran solaire à Syracuse et vint le placer à Rome, sans s’inquiéter le moins du monde de la latitude. […] Villemain nous a appris que cette gracieuse navigation sur la Néwa, qui fait comme l’entrée en scène et la bordure des Soirées, est de la plume du comte Xavier : alliance délicate ! […] Je ne crois pas commettre une indiscrétion et je remplis un devoir rigoureux de reconnaissance en déclarant que je dois infiniment, pour toute cette première partie de mon travail, à M. le comte Eugène de Costa, compatriote de M. de Maistre ; mais je crois sentir encore plus qu’envers d’aussi délicates natures la seule manière de reconnaître ce qu’on leur doit est d’en bien user.

1658. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Quand on venait le visiter, on le trouvait ordinairement « dans une chambre tendue d’une vieille tapisserie verte, assis dans un fauteuil, et habillé proprement de noir » ; « son teint était pâle, dit un visiteur, mais non cadavéreux ; ses mains, ses pieds avaient la goutte » ; « ses cheveux, d’un brun clair, étaient divisés sur le milieu du front et retombaient en longues boucles ; ses yeux, gris et purs, ne marquaient point qu’il fût aveugle. » Il avait été extrêmement beau dans sa jeunesse, et ses joues anglaises, délicates jadis comme celles d’une jeune fille, restèrent colorées presque jusqu’au bout. « Sa contenance était affable ; sa démarche droite et virile témoignait de l’intrépidité et du courage. » Quelque chose de grand et de fier respire encore dans tous ses portraits ; et certainement peu d’hommes ont fait autant d’honneur à l’homme. […] C’est la vie des salons qui a dégrossi les hommes : il a fallu la société des dames, le manque d’intérêts sérieux, l’oisiveté, la vanité, la sécurité, pour mettre en honneur l’élégance, l’urbanité, la plaisanterie fine et légère, pour enseigner le désir de plaire, la crainte d’ennuyer, la parfaite clarté, la correction achevée, l’art des transitions insensibles et des ménagements délicats, le goût des images convenables, de l’aisance continue et de la diversité choisie. […] Comment faire le choix le plus délicat ?

1659. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Elle donnait pour motif la corruption universelle des gens de qualité : « Les jeunes gens, disait-elle, sont tous des viveurs, et les jeunes femmes font la cour aux hommes au lieu d’attendre qu’on la leur fasse804. » En effet, le vice est à la mode, et non pas délicat comme en France. « L’argent, écrivait Montesquieu, est ici souverainement estimé, l’honneur et la vertu peu. […] L’homme raffiné devient « sensible. » De sa douillette de taffetas, il tire incessamment le mouchoir brodé dont il essuiera le commencement d’une larme ; il pose la main sur son cœur, il s’attendrit, il est devenu si délicat et si correct que les Anglais le prennent tour à tour pour une femmelette ou pour un maître de danse817. […] D’aristocratique elle devient populaire ; au lieu d’être un amusement, elle est une foi ; des mains délicates et sceptiques, elle passe aux mains enthousiastes et grossières.

1660. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

« Son discours, dit-il, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l’ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier. […] Il ne lui a pas même manqué des délicats dont les oreilles fines ont trouvé dur et irrégulier le plus grand style dont les lettres nous offrent l’exemple. […] Cette doctrine fort délicate était facultative, ceux qui la professaient pour la spéculation, et qui d’ailleurs pratiquaient tous les devoirs qui découlent du dogme de l’amour de Dieu, entendu dans le sens populaire, s’appelaient les mystiques.

1661. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Cependant une solide philosophie court à travers ces pages si vivantes, et l’auteur se déploie librement dans les questions les plus délicates et les plus élevées. […] Taine me paraît trancher ici avec beaucoup de légèreté une question des plus délicates et des plus élevées : la philosophie n’est-elle qu’une science comme une autre, une recherche, une analyse, une critique ? […] Quant aux faits délicats (qui sont souvent les plus intéressants), il faudra toujours laisser une assez grande latitude à l’interprétation de l’historien, c’est-à-dire à un procédé moins rigoureux.

1662. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Dessein, ordonnance, pensées, sentimens, expression, tout est inimitable dans ses ouvrages ; c’est l’homme de tous les talens : mémoire prodigieuse, imagination vaste, délicate et toujours sublime, jugement supérieur, universel et infaillible. […] Aussi les critiques les plus hazardeux n’ont jamais avancé, que je sçache, qu’il y eût de la faute d’Homere ; on s’est contenté de dire que son siecle étoit grossier, et que par là, la peinture en étoit devenue desagréable à des siecles plus délicats. […] Il avoit l’esprit vaste et fécond, plus élevé que délicat, plus naturel qu’ingénieux, et plus amoureux de l’abondance que du choix.

1663. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

« D’ailleurs, il a outré souvent les caractères ; il a voulu par cette liberté plaire au parterre, frapper les spectateurs les a moins délicats, et rendre le ridicule plus sensible. […] Ce public dont tu reçois les impressions diverses arrive en droite ligne des boulevards du crime ; il a été élevé dans le mépris des vraiment belles choses ; il est glouton, il n’est pas gourmet ; il préfère une grosse pâture, à un repas délicat ; il a été dressé, de bonne heure, à dévorer, du même appétit, les galettes et les tragédies de l’Ambigu, les pommes de terre frites et les comédies de la Gaîté ; et toi-même, orchestre en linge blanc et en gants jaunes, le lorgnon à l’œil droit et la frisure aux cheveux, orchestre à demi savant, parce que tu auras fait, dans quelque collège borgne, de médiocres études et marmotté quelques vers de Virgile, serais-tu donc ton juge, plus que ne sont les gens du parterre, favorable à l’exécution des grandes œuvres de l’esprit humain ? […] Tout ce que l’imagination la plus fraîche a pu réunir de sentiments les plus délicats, Molière l’a jeté à profusion dans cette petite pièce. […] Cette fois, Molière abandonnait, pour tout de bon, Plaute et Térence, ses premiers maîtres ; il n’obéissait plus qu’à son génie ; il n’avait plus d’autres modèles que lui-même et le monde ; il nous montrait tout vivants ces mêmes personnages qu’il avait esquissés d’une main si délicate et si hardie dans L’Impromptu de Versailles.

1664. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Voilà qui n’est pas délicat pour vous-même… Car enfin c’est étonnant que tout coïncide pour que vous vous trouviez là justement pour les commissions de vos parents. […] Mais… Pourtant une petite niaiserie très délicate de votre lettre m’a fait rêver. […] Tandis qu’inconnue, je puis vous dire franchement que j’ai l’audace et la présomption de comprendre et de partager vos pensées les plus délicates, ce que je ne pourrais pas vous exprimer de vive voix… Et en somme les vers ne m’occupent que lorsqu’ils sont mauvais, alors ils me gênent. […] Je suis trop délicate pour l’avoir fait sciemment et pas assez bête pour l’avoir fait inconsciemment.

1665. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Laissons donc les insectes « dits intelligents » pour remonter encore plus loin, aux plus primitifs de tous les êtres, à ceux qui ne sont vraiment qui des machines très délicates, à ceux qui ne sont guère sensibles qu’aux grands phénomènes naturels : lumière, gravitation, sécheresse, humidité, abondance ou rareté de l’oxygène. […] Je n’ose ajouter que ce genre d’alimentation, similia similibus, conviendrait admirablement aux estomacs fatigués ou délicats, aux tuberculeux qui ont besoin d’assimilations abondantes et rapides, aux petits mangeurs, à tous ceux auxquels un travail sédentaire et appliqué défend les nourritures lourdes et de digestion lente. […] Tous les éléments y sont rassemblés qui permettent de se faire, sur ce sujet délicat, une opinion raisonnée et raisonnable. […] Ecrire des vies ou des contes en telle ou telle couleur37, c’est ce que j’ai essayé récemment, et cela n’a pas laissé d’être quelquefois assez délicat à ordonner. […] Sixte disait : « L’intelligence des femmes, leurs droits, le féminisme, sans doute… Mais moi, mâle, ce qui m’intéresse dans la femme, c’est l’appareil reproducteur. » La pudeur est la forme délicate de l’hypocrisie.

1666. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Je voudrais pouvoir donner un extrait des singulières amours de cette pauvre fille demi-sauvage, mais je craindrais de détruire l’harmonie d’une œuvre délicate en en retirant une seule page. […] La troisième, une femme de vingt-six ans, une femme silencieuse, aux impatiences frémissantes du corps, à la tiède pâleur que rosaient à tout moment des animations passagères du sang, au bleu foncé de la prunelle se répandant dans le blanc de l’œil comme du crépuscule, à la coiffure bouffante montrant de délicats modelages des tempes. […] Anatole France, un écrivain délicat et consciencieux dont nous avons déjà eu l’occasion d’entretenir nos lecteurs. […] Ludovic Halévy est surtout un observateur ; et, si bien voir et bien reproduire ce qu’on a vu est du naturalisme, l’auteur des Petites Cardinal est un naturaliste ; avec cette réserve pourtant, que très délicat de sens, il aimera mieux peindre la giroflée embaumée qui se balance à la crête d’un mur, que le tas d’ordures qui en salit le pied. […] Les deux jeunes gens s’aiment avec toute la grâce, le charme des cœurs honnêtes ; je n’en veux pour preuve que ce délicat tableau, un Detaille, où l’on voit la jeune fille se relevant la nuit pour regarder passer le régiment qui part avec son bien-aimé.

1667. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Rousseau, se perfectionne par les mêmes moyens que la sagesse… On s’exerce à voir comme à sentir, ou plutôt une vie exquise n’est qu’un sentiment délicat et fin… Combien de choses qu’on n’aperçoit que par sentiment et dont il est difficile de rendre raison ! […] Si Homère, Théocrite, Virgile, Horace, n’avaient eu à lui apprendre la langue, la diction poétique, à l’initier à ce qu’il y a de plus difficile, de plus exquis, de plus délicat dans tous les arts, à la forme, peut-être ne leur eût-il donné qu’une attention d’érudit, sachant bien, lui, philosophe et moraliste, que sciences, mœurs, coutumes, tout a changé depuis l’antiquité, et que désormais la lyre ne doit prêter ses accords qu’à des pensers nouveaux. […] Il tranche avec aplomb cette question délicate : « Bossuet est grand, mais inégal ; Fléchier est plus égal, mais moins élevé et souvent trop fleuri. […] Il faisait métier de s’introduire dans le secret des familles, d’en pénétrer, sous couleur d’attachement et de services, le plus intime et le plus délicat ; après quoi, c’était à beaux écus qu’il fallait acheter son silence, et qui ne se fût exécuté, eût connu tout le poids des plus odieux propos, sa femme outragée, ses mère ou sœur ou fille, traînées dans la fange, et tout cela asséné d’une assurance hautaine et du plus infernal esprit. […] Mais Ulysse le frappa de sa flèche à la gorge, et la pointe traversa le cou délicat.

1668. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Son observation misanthropique, car il se cache bien de la misanthropie sous les nuances délicates de ses portraits, n’éclate pas en ironies féroces, en gaietés meurtrières. […] Une atmosphère de délicats préjugés s’y épaissit que ne dissipe jamais la nécessité d’agir. […] C’est la phrase de Béatrice dans Shakespeare, et ce pourrait être votre devise : « Quand je naquis, une étoile dansait. » C’étaient, ces poèmes, un mélange déconcertant de sentimentalités et de bouffonneries, de sensualisme enivré et de cocasserie froide, d’imaginations délicates et de blagues boulevardières, de l’émotion coupée d’éclats de rire, des coq-à-l’âne, interrompus par des sanglots. […] Vous vous contentez de leur en donner de plus délicates que ce n’est l’habitude dans leur monde. […] Pourtant si quelqu’un méritait de s’éteindre doucement, longuement, dans l’admiration et le respect universels, n’était-ce pas ce délicat et noble artiste, tout générosité, tout bonté, — main ouverte à toutes les misères, cœur ouvert à toutes les charités, intelligence prête à tous les enthousiasmes ?

1669. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Mais chez ces contemplateurs absorbés en eux, souvent les fenêtres sont ternes, ou, comme dans les maisons maures, le jardin éclatant, plein de vasques, d’enfants en pourpre, d’eaux jaillissantes, de mélancoliques mélopées de guitare, de parfum de roses, est au centre de la maison et gardé contre le vulgaire par un quadrilatère de murs grisâtres : la foule impatiente se porte vers le prédicant et vers les prestigieux jongleurs, et seuls quelques délicats entrent à la maison réservée. […] Jean Ajalbert fait preuve d’un style agile et artiste ; dans sa voie de romancier on peut prédire une interprétation très fine des humbles conçus en leurs sensations rares et leurs sentiments délicats ; — mais M.  […] Toute réforme ne pourra s’établir que sur de complètes bases scientifiques, et c’est ce qui manque aux livres du comte Tolstoï, mais ils offrent du mal d’émouvants tableaux ; son instinct d’artiste éminent lui a bien indiqué le mal social et ses phases délicates, et c’est d’un très bel instinct de réformateur qu’émanent ses vues. […] Une sorte de restauration humaniste et mélodieuse de l’antiquité a avorté par la mort de Chénier ; l’art délicat d’un Chamfort a été de même interrompu ; un Rivarol, émigré à Hambourg, perd dans une ambiance différente ses plus claires qualités. […] Je citerai un écrivain disparu fort jeune, dont les vers et la prose indiquent une âme délicate et très artiste : Jules Laforgue.

1670. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Molière n’a pas seulement ses fidèles, il a ses dévots ; le culte que nous lui rendons deviendra même bientôt, si nous n’y prenons garde, intolérant comme une superstition ; déjà, fût-ce d’une main délicate et légère, on ne peut plus toucher à son ombre, sans faire crier quelqu’un de ses adorateurs ; on l’a bien dit, il est vraiment en train « de passer dieu ». […] Que d’ailleurs ces 13 200 livres — car les érudits ici donnent la bride à leurs hypothèses — représentent les économies personnelles de Molière, de Madeleine Béjart, on de la troupe, la question serait difficile à résoudre ; elle est déjà délicate à poser. […] Or c’est le point délicat, et, s’il est curieux de faire, guidé par M.  […] lui repart Figaro : faire à la fois le bien public et le bien particulier. » Voltaire a décidément excellé dans cet art délicat. […] Un gentilhomme tel que vous doit sentir que c’est là un point délicat.

1671. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Pour l’art délicat et difficile des transitions, je ne connais guère d’écrivain qui s’en soucie moins que Massillon. […] Il pratique surtout admirablement l’art délicat des compensations. […] Louons en passant Marianne et le Paysan parvenu, deux romans agréables, délicats et fins, mais bien longs, quoique cependant inachevés l’un et l’autre, et qui trahissent la fatigue, et venons promptement à son théâtre. […] Et, pour les rôles de femmes, on ne serait pas embarrassé d’en citer une douzaine qui sont des plus délicats, des plus savamment nuancés, et des plus individuels qu’il y ait dans notre répertoire comique. […] Marivaux est obligé de contourner sa manière pour suivre ces mêmes sentiments délicats à travers les replis où ils se dissimulent.

1672. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Ainsi on le voit, par degrés, se former, se civiliser et devenir l’objet d’un culte délicat, ce Cid qui dans la réalité, au xie  siècle, ne guerroyait que « pour avoir de quoi donner l’orge aux siens et de quoi manger. » Il garde pourtant encore, dans ce poème du commencement du xiiie  siècle, plus d’un trait de sa rude et primitive nature.

1673. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Il y a plus de mérite à un écrivain d’observer cette même loi du fond de son cabinet, et c’est en cela que Marais a fait un heureux et délicat détournement du sens.

1674. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

nécessairement du pathos, ma chère maman, si j’entreprenais la description du spectacle que nous eûmes alors sous les yeux (la chute du Niagara).. » Il ne laisse pas cependant de bien raconter ce qu’il voit et de s’en tirer fort convenablement avec sa sincérité d’impressions sans enluminure ; mais il reprend plus sûrement sa supériorité dès qu’intervient l’étude morale : l’esprit sain, juste, délicat, élevé, retrouve ses avantages.

1675. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

La Révolution de 1789 est sortie du cerveau et du cœur de la nation ; mais celle-ci a pris en partie naissance dans son estomac, et le goût des jouissances matérielles y a joué un rôle immense. » Ici nous arrêtons l’homme excellent, délicat, généreux, et nous lui disons : Il n’y a rien de plus respectable que l’estomac, et il n’y a pas de cri qui parle plus haut que celui de la misère.

1676. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Rien de plus mûri, de plus délicat, que la variété de ses jugements littéraires, tous individuels et de sa propre façon : c’est un rusé ignorant à la manière de Montaigne.

1677. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Quant à la partie si délicate et si ondoyante des intentions, M.Mignet pense que, pour les trois derniers siècles, on peut arriver à la presque certitude, même de ce côté ; car on a pour cet effet des instruments directs : ce sont les correspondances et les papiers d’État, pièces difficiles sans doute à posséder, à étudier et à extraire ; mais, lorsqu’on y parvient, on surprend là les intentions des acteurs principaux, dans les préparatifs ou dans le cours de l’action et lorsqu’ils sont le moins en veine de tromper, puisqu’ils s’adressent à leurs agents mêmes, ou ceux-ci à eux, et au sujet des faits ou des desseins qu’il leur importe le plus, à tous, de bien connaître.

1678. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c’est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester. » J’insiste sur ce point, parce que la grande innovation de Racine et sa plus incontestable originalité dramatique consistent précisément dans cette réduction des personnages héroïques à des proportions plus humaines, plus naturelles, et dans cette analyse délicate des plus secrètes nuances du sentiment et de la passion.

1679. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Formées par un lent et délicat tissage, à travers un long appareil de signes, parmi les tiraillements de l’orgueil, de l’enthousiasme et de l’entêtement dogmatique, combien de chances pour que, dans la meilleure tête, ces idées correspondent mal aux choses !

1680. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Après le tableau que nous venons de faire de la passion de Laurent, on peut se permettre sans doute de demander quel était l’objet d’un amour si délicat, quel était le nom de cette femme qu’il adore sans la désigner autrement que d’une manière vague, qu’il célèbre sans la nommer.

1681. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

On dira qu’il faut des oreilles délicates.

1682. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Riche, sonore, accentuée, abondante en onomatopées, habile à exprimer les nuances les plus délicates et les plus subtiles, douée, comme le grec, d’un pouvoir de composition presque sans bornes, la langue russe semble faite pour la poésie.

1683. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Avec les réprouvés, la conduite n’était pas difficile ; elle était délicate et pleine d’embarras avec les élus.

1684. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Otez du discours d’un homme d’esprit ce qui est pensée ou sentiment juste, raillerie fine, louange délicate, il reste encore quelque chose qui ne nous apprend rien et pourtant qui n’est pas de trop.

1685. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

C’est une étrange chose que la nature ait mélangé, comme dit Montaigne, nos ordures et nos plaisirs, et qu’un homme délicat ne puisse s’y exposer sans nausées.

1686. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

L’amour filial avait absorbé en moi toutes les autres affections dont j’étais capable et auxquelles Dieu ne m’a pas appelé ; et puis il y avait entre ma mère et moi des liens tout spéciaux tenant à mille circonstances délicates qu’on ne peut que sentir.

1687. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

.° Cet Ouvrage fourmille de sarcasmes & d’imprécations contre les Princes, les Grands, les Ministres, les Ecclésiastiques ; & ce ton d’emportement & de grossiéreté ne s’accorde point avec la politesse, la modération & la critique délicate qu’on remarque dans le Livre de l’Esprit. 4.° M.

1688. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Un dernier éloge qu’il faut donner à la pièce, c’est l’anonymat, délicat comme une pudeur, qu’y garde Bernard.

1689. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

« Il la connaissait peu avant qu’elle eût été arrangée avec le roi. » C’est le cardinal de Brienne qui l’assure : j’aime à me couvrir de ces graves autorités en si délicate matière.

1690. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Le troisième Dialogue revient sur le hardi projet de réparation, sur les moyens : la marquise sent bien que, si elle charge Mirabeau de cet office d’aller redemander ses lettres, elle lui donne des gages, le gage le plus délicat qu’une femme puisse donner, et lui il sent aussi, malgré toutes les belles protestations d’amitié pure, que, s’il obtient un billet de la marquise qui dise : Remettez mes lettres et mon portrait au porteur, il a tout obtenu.

1691. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Saint-Just sent très bien de bonne heure qu’il n’y a qu’un gouvernement fort qui puisse porter remède aux désastres de l’anarchie, et en cela il s’élève au-dessus du commun des démagogues : « Lorsqu’un peuple n’a point un gouvernement prospère, c’est un corps délicat pour qui tous les aliments sont mauvais. » Ce gouvernement meilleur et plus ferme, il va le chercher non dans la Convention même où l’on parle trop pour cela (et il est impossible, pense-t-il, que l’on gouverne sans laconisme), mais dans les Comités, en les résumant le plus possible dans la personne de deux ou trois chefs influents, parmi lesquels il se compte.

1692. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Il rend compte également, par l’appréhension délicate d’une sensibilité affinée, soucieuse de ne se point repaître de chimères, de l’apparition d’une science plus circonspecte, dont le but est de vérifier la solidité des matériaux qui furent employés à construire ; ce souci a donné naissance à l’étude critique des facultés mentales.

1693. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Il est banal, putain, mais si délicat, si rebelle aux emprunts et si peu susceptible, au milieu de sa noire misère, d’un sentiment envieux, haineux pour les heureux de ce monde.

1694. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Dans leur cage de cristal, avec leurs cravates noires, leurs cols de petits garçons, la délicate coquille de leurs oreilles, l’échafaudage de leurs cheveux torsadés, elles font très bien les caissières de M. 

1695. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Nous nous bornons d’ailleurs ici à indiquer l’analogie des deux faits, sans prétendre épuiser par une remarque incidente une analyse aussi délicate.

1696. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Ceci est un peu délicat, mais vous allez tout de suite très facilement comprendre.

1697. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Mais en savons-nous assez pour distinguer les nuances, je ne dis pas grossières, je dis seulement plus ou moins délicates, qui distinguent l’harmonie d’un auteur de celle d’un autre ?

1698. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Aujourd’hui, dans l’armée, à la discipline stricte se substitue quelque peu, çà et là, un art plus délicat du commandement à la française.‌

1699. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Ne rabaissez jamais les plus humbles au rôle outrageant de machines et d’outils, mais comprenez ce que d’autres n’ont pas su voir : qu’il y a aussi des âmes chez les plus abandonnés, des âmes souvent délicates par quelque côté, capables de dévouements et d’élans admirables.

1700. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

La continuité du sublime serait une extase plus forte que la vie terrestre, comme le témoigne parfois l’apparition trop courte d’une de ces âmes élevées, délicates, brûlantes, que la foi divine a saisies et qu’elle consume.

1701. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est une idée moins répandue, à vrai dire, parce qu’elle est plus délicate ; mais on en trouve partout de sensibles traces. […] Mais un moraliste est un homme bien patient, et les allures sont lentes, prudentes, circonspectes et peu hardies de cet « esprit de finesse » dont mille observations ténues, délicates, et chacune dix fois discutée et contrôlée, sont les « principes. » L’histoire morale est de l’histoire, et le moraliste est un historien. […] C’est toute cette pensée du xviiie  siècle, chez les sots ou les vicieux simple impatience de tous les jougs jointe à l’incapacité de distinguer les bons des mauvais ; chez les habiles désir de remplacer les anciennes autorités par celle des « lumières », c’est-à-dire par la leur ; chez les plus grands et les plus purs rêve plus ou moins confus d’un renouvellement de l’humanité par une plus grande confiance en ses bons instincts, qui vivait dans l’esprit de Mme de Staël sous forme la plus élevée, la plus délicate et distinguée qu’elle pût prendre, unie aux sentiment » le plus nobles qu’elle pût suggérer ou soutenir. […] Ce qu’elle sait très bien, c’est combiner des incidents vraisemblables, les faire concourir à propos pour nouer, dénouer et renouer les fils délicats d’une trame légère, mais suffisamment solide et résistante. […] A peine Marivaux, dans des ouvrages très mêlés, avait-il montré ce que l’analyse délicate des sentiments complexes avait d’intérêt et de charme, que les romans à thèse, et qui ne sont que des cadres pour les idées, avaient repris l’attention ; et si l’on néglige, pour le moment, les romans d’aventures et les romans de petite maison, on arrive au roman sentimental à la Jean-Jacques, qui nous mène jusqu’à Mme de Staël, pour ne pas nommer Mme Cottin.

1702. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Des âmes très délicates sont froissées par les Maximes et y trouvent, comme dit M.  […] Il y a là une grande consolation, un réconfort, un plaisir, au sein des malheurs, très délicat. […] Il est exclusif parce qu’à la fois il a le goût très délicat et une prudence très circonspecte. […] Mais tout son corps délicat se refuse, au moment même où son cœur fraternel se donne. […] Ce n’est point un mince mérite au délicat et charmant causeur de l’avoir esquissé.

1703. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Au moment délicat, avec une hypocrisie transparente, il se couvre du nom de son auteur. […] Au contraire, il y a plaisir à voir ces gentillesses musquées, ces petites façons précieuses, la mièvrerie et tout à côté la pruderie, le sourire demi-mondain et tout à la fois demi-monastique ; on respire là un délicat parfum féminin conservé et vieilli sous la guimpe : « Elle était si charitable et si compatissante — qu’elle pleurait si par hasard elle voyait une souris — dans le piége, blessée ou morte. —  Elle avait de petits chiens qu’elle nourrissait — de viande rôtie, de lait, de pain de fine farine. —  Elle pleurait amèrement si l’un d’eux mourait — ou si quelqu’un leur donnait un méchant coup de bâton. —  Elle était toute conscience et tendre cœur. » Beaucoup de vieilles filles se jettent dans ces affections, faute d’autre issue.

1704. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

» Alors une petite fille blonde et rose, de seize à dix-sept ans, fraîche comme un bouton d’églantine, les yeux bleus, le petit nez droit aux narines délicates, les lèvres gracieusement arrondies, en petite jupe de laine blanche et casaquin de toile bleue, parut sur le seuil, la tête baissée, toute honteuse. […] Or il advint qu’un de ces chevaux, le grand grand-père de tous les ânes, se trouvant un jour dans l’herbe jusqu’au ventre, se dit à lui-même : « Cette herbe est trop grossière pour moi ; ce qu’il me faut, c’est de la fine fleur, tellement délicate qu’un autre cheval n’en ait encore goûté de pareille. » Il sortit de ce pâturage, à la recherche de sa fine fleur.

1705. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

J’en étais là de ma rêverie, nonchalamment étendu dans un fauteuil, laissant errer mon esprit à son gré, état délicieux où l’âme est honnête sans réflexion, l’esprit juste et délicat sans effort, où l’idée, le sentiment semble naître en nous de lui-même comme d’un sol heureux ; mes yeux étaient attachés sur un paysage admirable, et je disais : l’abbé a raison, nos artistes n’y entendent rien, puisque le spectacle de leurs plus belles productions ne m’a jamais fait éprouver le délire que j’éprouve, le plaisir d’être à moi, le plaisir de me reconnaître aussi bon que je le suis, le plaisir de me voir et de me complaire, le plaisir plus doux encore de m’oublier : où suis-je dans ce moment ? […] — C’est que la société leur a fait un goût et des beautés factices. — Il me semble que la logique de la raison a fait bien d’autres progrès que la logique du goût. — Aussi celle-ci est-elle si fine, si subtile, si délicate, suppose une connaissance si profonde de l’esprit et du cœur humain, de ses passions, de ses préjugés, de ses erreurs, de ses goûts, de ses terreurs, que peu sont en état de l’entendre, bien moins encore en état de la trouver.

1706. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Toute l’école des manchettes et des jabots pirouette à la fois sur ses talons rouges avec le rire le plus délicat lorsqu’elle se trouve en présence de ces prétendus choux et de ces tripes imaginaires du Réalisme. […] Pour apprécier la grande musique il faut une oreille délicate et exercée, comme il faut un palais exercé et délicat pour apprécier les excellents vins et la cuisine savante. […] On ne lit pas la poésie, non parce qu’on est grossier, mais parce qu’on est naïf et délicat ; ce qui est grossier, matériel, plein de clinquant, c’est la poésie.

1707. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Je vous avouerai naïvement que je le trouve à la fois d’un prodigieux intérêt et très délicat. […] Si bien qu’on peut appliquer à son travail sur la réalité psychologique ce qu’il dit de Vinteuil, saisissant et modelant une idée musicale : Swann sentait que le compositeur s’était contenté, avec ses instruments de musique, de la dévoiler, de la rendre visible, d’en suivre et d’en respecter le dessin d’une main si tendre, si prudente, si délicate et si sûre que le son s’altérait à tout moment, s’estompant pour indiquer une ombre, revivifié quand il fallait suivre à la piste un plus hardi contour. […] Monseigneur, Mesdames, Messieurs, Je ne saurais assez m’excuser de l’audace — on dit souvent qu’il n’y a que les timides pour se montrer audacieux — qui me fait m’attaquer aujourd’hui devant vous au sujet le plus difficile, le plus délicat, le plus périlleux qui puisse être traité en conférence. […] Comme il a bien su entraîner vers la plus délicate abstraction tous ces impédiments sensibles dont son organisme moral était tout encombré.

1708. (1895) Hommes et livres

D’un tempérament délicat, presque toujours incommodé, il vivait durement : point de viande à ses repas, point de feu dans sa cellule. […] Les agités sentimentaux, parfois actifs et parfois demi-conscients, les féminins délicats et vibrants de Racine sont encore à notre portée. […] Les ressorts dont il joue n’ont rien de compliqué ni de délicat : aussi ne se dérangent-ils jamais. […] Le Sage a rendu son œuvre plus monotone et moins délicate en ne choisissant pas assez sévèrement les types qu’il voulait faire défiler sous nos yeux. […] On reprend les distinctions dédaigneuses de Fénelon et de La Bruyère ; on fait les mêmes réserves que Boileau, et même ce qu’il y a de plus noble et de plus délicat dans l’œuvre de Molière, ce qu’on aime et admire sincèrement, on ne l’aperçoit qu’à travers la théorie de l’Art poétique.

1709. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

« On me maria, dit-il, afin de me procurer le moyen de m’aller faire tuer pour une cause que je n’aimais pas. » Il épouse une orpheline, mademoiselle Céleste Buisson de la Vigne, « blanche, délicate, mince et fort jolie », qu’il avait aperçue trois ou quatre fois, et dont « on estimait la fortune de cinq à six cent mille francs ». […] Il se laisse aller à ce charme… Mais un jour madame Ives, en fort bons termes, et délicats et touchants, lui offre la main de Charlotte… « De toutes les peines que j’avais endurées, celle-là me fut la plus sensible et la plus grande. […] Comme un faon semble pendu aux fleurs de lianes roses, qu’il saisit de sa langue délicate dans l’escarpement de la montagne, ainsi je restais suspendu aux lèvres de ma bien-aimée. […] « Le plus beau des anges tombés après l’archange rebelle, il a conservé une partie des grâces dont l’avait orné le Créateur… Né pour l’amour, éternel habitant du séjour de la haine, il supporte impatiemment son malheur ; trop délicat pour pousser des cris de rage, il pleure seulement. » Et ses discours sont exquis. […] Cet inspecteur général de l’Université, grand, sec, avec un nez pointu, était un vieil « original », plein de tics délicats et de manies angéliques.

1710. (1923) Au service de la déesse

Seulement, la besogne est immense autant que délicate : et les textes ne seront pas corrigés, les philologues seront morts et l’univers ne sera plus que cendre. […] Mais Lemaître ne s’est pas contenté de croire qu’« elle l’aimait » ; il écrit : « La vérité, c’est qu’ils se sont aimés, d’une amitié mystique, sous des formes très spéciales et très pures… » Et il consacre plusieurs pages, délicates et douces, à l’analyse d’une tendresse toute mêlée de religion. […] La belle perfection pour lui, que d’être délicat et fluet comme il était autrefois ! […] Vous avez cependant aperçu le sentiment très délicat, furtif et tremblant qui passe dans ce paysage. […] Il ne s’agit plus d’obtenir un ouvrage plus délicat, plus savant, qui révèle un bel ouvrier.

1711. (1923) Nouvelles études et autres figures

Ses créations, disait-il, « n’ont pas cette ingénuité, cette plénitude, cette ampleur, ces brillants caprices de la fantaisie où le grand poète se joue hardiment dans le ciel et sait unir la peinture de genre avec ce que la poésie de l’âme et de la nature a de plus délicat et de plus éthéré ». […] Lorsque les louveteaux de Sion House virent ce nouveau venu, mince, délicat, au visage de fille pur et rose, dont les grands yeux bleus étaient saillants sous une noire profusion de boucles soyeuses, ils lui firent payer sa douceur, ses manières aristocratiques et son ignorance de leurs jeux. […] C’était une âme délicate, tendre, trop frêle pour porter le lourd fardeau de l’existence : elle s’en débarrassa avec du laudanum. […] Jamais, à ma connaissance, on n’a exprimé avec plus de vérité, ni avec des nuances plus délicates, les secrètes humiliations, la tristesse concentrée, la pudeur farouche, le fond d’obéissance et d’adoration d’un tout jeune homme qui aime une jeune femme de son âge, c’est-à-dire son aînée. […] Il est inutile d’appuyer sur les qualités qu’exigeaient des opérations aussi considérables et aussi délicates.

1712. (1932) Le clavecin de Diderot

« Lorsque la jouissance en général est un péché, l’homme est si anti-naturel, si mesquin, si esclave, si craintif, si mauvais pour lui-même, qu’il ne se permet aucune joie, aucun bon morceau, comme Pascal qui, selon sa sœur, se donnait toutes les peines du monde pour trouver insipides les mets fins et délicats qu’on lui donnait pendant sa maladie. » Elle était pascalienne en diable, cette bourgeoisie dont j’étais issu, et qui, d’hypocrisie en hypocrisie, avait fini par se prendre au jeu de son masochisme sordide. […] Elle eût pu servir de confidente à Thérèse Humbertas et à Catherine de Médicis, leur donner des idées pour rien, pour le plaisir, par haine des pataudes et peureuses honnêtetés, que ses attaches ridiculement délicates, aussi bien à la cour des Valois que sous le septennat de Loubet, lui eussent certes, valu le droit de mépriser. […] L’homme religieux (ou, ce qui revient au même, celui dont le libéralisme zigzagant n’échappe point au croc-en-jambe des idolâtries ancestrales) ce délicat tombé de la plus nébuleuse des nébuleuses, dans un tonneau de vidange, cet idéaliste, il n’en fait pas moins profession de mépriser le matérialiste, pour qui, l’être conditionnant le penser, il y a passage de la matière à l’esprit, donc, selon le jugement qualitatif de l’idéaliste lui-même, progrès, au lieu de cette chute orthodoxe et désespérante de l’esprit en pleine matière.

1713. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Or, jugez de l’impression pénible qu’il dut faire à une première lecture sur les deux jeunes époux, qui y voyaient toute leur liaison de ces quatre divins mois dans la vallée de la Lahn divulguée en même temps et comme profanée par un mélange avec d’autres événements et des circonstances étrangères, moins délicates et moins pures.

1714. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Être sous-chef et avoir la chance de devenir chef de bureau un jour, eût semblé à cet homme scrupuleux, délicat et timide, une usurpation plus grande et plus terrible que celle qui a fait passer à des héros le Rubicon.

1715. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Merci de n’avoir vu que l’ouvrier souffrant à travers des tendances que j’ignore. » Dans cette relation affectueuse et délicate qu’elle entretenait avec M. de Latour, j’aurais à indiquer encore bien des recommandations, des intercessions pressantes dont elle se faisait l’organe, quelques paroles de vive et respectueuse doléance pour la reine Marie-Amélie au moment de la mort du duc d’Orléans ; et encore, auparavant, un autre cri impétueux de demande en grâce au lendemain de la condamnation à mort qui frappait le principal chef de l’insurrection du 12 mai 1839 : « Oh !

1716. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

La question de l’Église est plus délicate.

1717. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

En attendant, on le mit en nourrice au village de Plancoët ; il s’attacha fort à sa bonne nourrice, la Villeneuve, qui seule le préférait ; il s’attacha d’une amitié bien délicate, en grandissant, à la quatrième de ses sœurs, négligée comme lui, rêveuse et souffrante, et qu’il nous peint d’abord l’air malheureux, maigre, trop grande pour son âge, attitude timide, robe disproportionnée, avec un collier de fer garni de velours brun au cou, et une toque d’étoffe noire sur la tête.

1718. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

On retrouve aussi, dans les lettres de consolation, quelques promesses de fidélité à des souvenirs assez intimes ; puis, au retour de Londres, l’expression d’une tendre inquiétude sur la mélancolie prolongée dont elle est témoin : mais tout se termine alors par l’aveu d’une nouvelle passion de Bancal, pour laquelle Mme Roland, en amie généreuse et dévouée, lui prodigue, avec ses conseils, des offres délicates d’intervenir.

1719. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Si dans l’un des deux états les images ont des associations très exactes et très délicates, si, comme on le voit chez plusieurs somnambules66, des aptitudes supérieures se déclarent, si, comme on le remarque dans l’ivresse et après plusieurs maladies, les passions prennent un autre degré et un autre tour, non seulement les deux personnes morales seront distinctes, mais il y aura entre elles des disproportions et des contradictions monstrueuses. — Sans doute, quoique, chez les somnambules, les personnes hypnotisées et les extatiques, des contrastes semblables opposent la vie ordinaire à la vie anormale, leurs deux vies ne sont point nettement ni entièrement séparées ; quelques images de l’une s’introduisent toujours ou presque toujours dans l’autre ; et la supposition que nous avons faite reste, quand il s’agit de l’homme, une simple vue de l’esprit. — Mais dans les animaux elle rencontre des cas où elle s’applique avec exactitude ; tel est celui des batraciens et des insectes qui subissent des métamorphoses.

1720. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

XXIII Après cette lecture des fragments d’Apollonius de Rhodes, qui ont charmé tout le petit auditoire grec par les peintures les plus délicates d’un amour naissant, de la pitié entre deux amants, la controverse s’établit entre les auditeurs sur la prééminence d’Homère ou d’Apollonius.

1721. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Elle découvre à Marius, pour lui faire plaisir et mériter quelque chose de lui en le servant contre elle-même (charmante et délicate inconséquence du cœur), elle lui découvre la maison cachée de la rue Plumet qu’habite Cosette.

1722. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Elles coulaient, ces larmes divines, sur des joues où le lis semble mêlé d’une teinte légère d’incarnat ; elles coulaient sur cette peau délicate et tendre, comme ferait un clair ruisseau dans une prairie émaillée de fleurs blanches et roses.

1723. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Rousseau était encore bien orateur ; Bernardin de Saint-Pierre un peu maigre, et plus délicat d’impression que puissant d’expression.

1724. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

En revanche, ces mêmes professeurs qui raillaient, excellents latinistes par ailleurs, et parfois lettrés délicats, ne craignaient pas de s’encanailler.

1725. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

L’hiatus, la diphtongue faisant syllabe dans le vers, toutes les autres choses qui ont été interdites et surtout l’emploi facultatif des rimes masculines et féminines fournissaient au poète de génie mille moyens d’effets délicats toujours variés, inattendus, inépuisables.

1726. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Elle se figurait ma position encore plus difficile qu’elle ne l’était, et, comme, en me gâtant malgré notre pauvreté, elle m’avait rendu très délicat, elle croyait qu’une vie rude et commune ne pourrait jamais m’aller. « Toi, qu’une pauvre petite souris empêchait de dormir, m’écrivait-elle, comment vas-tu faire ?

1727. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Ernst reproche d’aller chercher à Bayreuth « quelle dose de demi-vérité et d’émotion moyenne, un compositeur pourrait offrir sans trop de risques au public parisien » a, dans Manon, appliqué avec bonheur le procédé wagnérien de l’union intime de la musique et de la parole, et même tenté une expérience assez délicate pour déterminer les limites où l’une finit et où l’autre commence.

1728. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Lorsque Ganganelli vient d’être élu pape, et que Carlin est allé à Rome, c’est un sentiment délicat que celui qui empêche le comédien d’oser se présenter familièrement à son ancien ami, malgré l’instance qui lui en est faite ; car ce comédien est Italien, il est catholique et dévot ; il révère, il adore presque dans cet ami, qu’il tutoyait la veille, le vicaire de Jésus-Christ sur la terre.

1729. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Chez Sieyès, à cette date, il y avait tout autre chose qu’un homme délicat et dégoûté, aimant les aises de la vie et la bonne chère ; il y avait le philosophe artiste, ardemment préoccupé de son œuvre, de son plan chéri, et qui ne pouvait résister bientôt à le produire, eût-il dû être un peu gêné et retardé un moment par une grâce du ministre.

1730. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Etant donnée une machine, si délicate qu’elle soit, on ne pourra y introduire « par accident » ni l’appétit, ni le rudiment de la conscience et de la mémoire.

1731. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Il ajoute avec un tact délicat : « Que le salon Charpentier aura peut-être la fortune — chose regardée comme impossible en France — de réunir et de mettre en contact des gens d’opinion différente, qui s’estiment et s’apprécient, chacun, bien entendu, gardant son opinion. » Et il parle de l’Angleterre, où le soir, dans le même cercle, les antagonistes les plus violents se donnent la main.

1732. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

On ne devrait pas laisser les cuistres toucher à des organismes aussi délicats que le langage : du moins pourra-t-on désormais leur enseigner que les « tropes » sont une branche de la psychologie générale et qu’il faut réfléchir très longtemps avant que d’oser couper en deux morceaux et tailler à arêtes vives un bloc verbal que l’esprit humain laisse volontairement informe.

1733. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

J’admets une justice surhumaine, c’est-à-dire une justice plus juste que la mienne, et qui pèse dans des balances infiniment délicates ce que je ne puis peser que dans des balances grossières, une justice qui se confond avec la miséricorde, et qui ne fait pas payer aux hommes le péché d’être né ; mais quant à cette justice qui punit les innocents pour les coupables et qui déclare coupable celui qui n’a pas encore agi, c’est la vendetta barbare, ce n’est pas la justice des hommes éclairés.

1734. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Madame de Sevigné l’accuse encore d’avoir ramassé le mauvais délicat des ruelles.

1735. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Le héron, le héron mélancolique, triste, dégoûté, je dirai presque neurasthénique  et ce ne serait pas trop dire  c’est le solitaire qui se complaît trop dans la solitude et qui finit par y contracter les vices que la solitude engendre, à savoir la mélancolie perpétuelle, puis le dégoût de toutes choses, le dégoût des aliments délicats eux-mêmes, le dégoût des plaisirs les plus honnêtes.

1736. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Qui ne fut pas alors atteint, qui ne fut pas choqué et ne sentit pas la rougeur s’élever des plus délicates sources de son âme ?

1737. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

L’âme délicate du Dr Pusey n’était pas trempée pour bouillonner dans les luttes et y résister ou s’y accroître.

1738. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Il n’a pas fait comme beaucoup d’esprits moins délicats que lui, qui se sont laissé aller et corrompre aux Écoles nouvelles.

1739. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Il est semblable à celui qui, lassé d’entendre sans cesse chanter sur tous les tons les plus fades la beauté précieuse et délicate, la beauté suprême de la fleur, déclarerait brutalement que, pour lui, la beauté réside toute entière dans l’écorce rugueuse.

1740. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Mais j’ai pour excuse la nécessité même, car, dans un problème si délicat, il est impossible de parler d’après l’expérience des autres, et nul ne saurait noter avec certitude la marche de pareilles idées, si ce n’est dans son propre esprit.

1741. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

On sait qu’un Roman ne doit pas être un sermon ; qu’il ne doit rien présenter d’austere, ou du moins qu’il doit mettre à l’écart l’enveloppe de l’austérité : mais le vase entouré de miel doit offrir au tempérament le plus délicat un breuvage salutaire.

1742. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Que maintenant, parmi les fêtes et les chefs-d’œuvre des galeries de Florence, Médicis, nourri des pensées de Platon, les ait redites parfois en strophes élégantes ; que Politien ait retrouvé, dans ses deux langues natales, quelque chose de l’harmonie d’Horace et de sa curieuse hardiesse d’expression, ce sont des plaisirs délicats pour le goût, des sujets pour l’étude, mais non de grandes influences qui aient agi sur la pensée et pris place dans l’histoire des lettres.

1743. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Un poëte a parlé de l’espèce irritable des poëtes : ils ne sont irritables que parce qu’ils sont sensibles ; les organisations délicates sont celles qui sont le plus faciles à émouvoir par les passions contraires et l’on trouve même, par analogie, dans le règne végétal, une image de ces organisations dans la sensitive. […] Il ne mourut point, et cet esprit délicat, qui joignait à la politesse d’un homme de bonne compagnie un savoir solide, un sens juste, un tour d’intelligence vif et prompt, et cette facilité de pensée et de style qui fait le journaliste, devint, en 1801, un des écrivains les plus utiles et les plus ingénieux du Journal des Débats. […] Il est cependant curieux de suivre dans les vers alors secrets, aujourd’hui publics, du grand maître de l’université impériale, le mouvement général des esprits reflété dans les œuvres de cet esprit délicat, et la transition de la littérature du dix-huitième siècle à la littérature du dix-neuvième. […] Le procédé était délicat, sa forme pleine de chevalerie littéraire ; il toucha vivement mademoiselle de Meulan, il occupa beaucoup son imagination : quelle était cette plume, sœur de la sienne, et qu’elle ne connaissait pas ? […] Molé, qui a commencé sa carrière par un livre, l’Essai de morale et de politique, écrit d’un style ferme, net et vigoureux, mais où la censure de l’anarchie, dont les blessures étaient récentes, côtoie l’apologie du pouvoir absolu, a déjà donné des preuves de cet esprit applicable, de cette élocution noble, facile et naturelle qui le rendront propre aux affaires dans un gouvernement de libre discussion, et de ce goût délicat et élevé de la littérature qui rehausse les qualités de l’homme d’État.

1744. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

L’éducation du poète, à laquelle nous assistons, ne peut intéresser qu’un petit nombre d’amis, ou quelques intelligences délicates et rares, c’est-à-dire une très petite fraction de la foule à laquelle le livre s’adresse. […] Des relations diplomatiques de Louis XI, si fines, si délicates, si tortueuses et si multipliées, il n’est pas dit un mot. […] Les personnages, une fois posés, ne peuvent s’animer sans mentir à leur nature. — L’explication de Kitty avec son mari est délicate, gracieuse, ingénue, touchante ; mais elle n’accélère pas d’une minute le progrès de la fable dramatique. […] C’est un livre moins connu de la jeunesse que Zadig ou Candide, mais plus difficile à juger que les œuvres les plus délicates de Voltaire. […] Il me reste à présenter sur ce morceau une remarque délicate, et que je ne dois hasarder que sous la forme du doute.

1745. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

La méthode de Port-Royal remarque que l’on confond quelquefois ces différences ; & cela peut être vrai : mais nous devons observer en premier lieu, que cette confusion est un abus si l’usage constant de la langue ne l’autorise : en second lieu, que les Poëtes sacrifient quelquefois la justesse à la commodité d’une licence, ce qui amene insensiblement l’oubli des premieres vûes qu’on s’étoit proposées dans l’origine : en troisieme lieu, que les meilleurs2 écrivains ont égard autant qu’ils peuvent à ces distinctions délicates si propres à enrichir une langue & à en caractériser le génie : enfin que malgré leur attention, il peut quelquefois leur échapper des fautes, qui avec le tems font autorité, à cause du mérite personnel de ceux à qui elles sont échappées. […] C’est sur-tout dans cette distinction délicate de sons approchés, que consiste la grande difficulté de la prononciation de la langue chinoise pour les étrangers. […] Quoi qu’il en soit, on sent à merveille que la diversité des cinq tons qui varient au même son, doit mettre dans cette langue une difficulté très-grande pour les étrangers qui ne sont point accoutumés à une modulation si délicate, & que leur oreille doit y sentir une sorte de monotonie rebutante, dont les naturels ne s’apperçoivent point, si même ils n’y trouvent pas quelque beauté. […] S’il est facile de ramener à un nombre fixe de chefs principaux les écarts qui déterminent les différens idiotismes, il n’en est pas de même de vues particulieres qui peuvent y influer : la variété de ces causes est trop grande, l’influence en est trop délicate, la complication en est quelquefois trop embarrassante pour pouvoir établir à ce sujet quelque chose de bien certain. […] Cicéron qui savoit louer avec tant d’art, & qui connoissoit si bien les différences délicates des mots les plus aisés à confondre, dit à César (pro Marcel.)

1746. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

De tout ceci il résulte que l’Europe ne saurait exercer aucun attrait sur les natures délicates, et c’est pourquoi je vous répète que jamais un galant homme n’y met les pieds, quand il n’y est pas contraint par les ordres de son gouvernement. […] Et sans doute ce fut aussi le goût qui souvent se trouva froissé chez ce délicat, ce furent les déclamations, les formules théâtrales, l’emphase qui déplurent à cet esprit tout pénétré de l’élégance sans apprêt de notre race. […] Maurice Barrès, on éprouve une sorte de joie délicate, dépouillée, choisie. […] C’est l’état que goûtait pleinement Joubert, le délicat, le raffiné, à peine mêlé à la vie ! […] Leur ouvrage n’en est pas moins attrayant et délicat.

1747. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Barrès a écrit sur Une Impératrice de la Solitude, Élisabeth d’Autriche, des pages délicates. […] Lemaître, qui est, paraît-il, un lecteur admirable, a le goût trop délicat pour lire des pages qui soient d’apparence écrite. […] Elles existent, indubitables, les voilà créées devant nous par une combinaison rythmique simple 8-6-8 qui a une raison d’être (il me faudrait plusieurs lignes pour le montrer) et une unité musicale, par une texture délicate d’assonances et d’allitérations. […] De telles descriptions, Chateaubriand sait les esquiver, et ramener les siennes à leur cœur, à un sentiment humain ; et toujours on trouvera la phrase qui met sous cette croûte extérieure de peinture une délicate, indéfinie, cloche d’argent. […] Mais il n’est rien de plus complexe et de plus délicat que cette question de la nouveauté.

1748. (1900) La culture des idées

C’est assez délicat, mais cela prêterait à des remarques intéressantes ; on appellerait ce chapitre les lieux communs réfractaires ou impossibilité de certaines dissociations d’idées. […] Ici on arrive à un point délicat qui n’a jamais été traité et qu’il est d’ailleurs difficile d’aborder : l’influence de la syphilis sur la morale de l’amour. […] Car vous comprenez sans doute que si je bannis le style, j’exige la distinction ; et davantage encore, je veux que ce livre sans écriture, sans idées, mais distingué, ait « un air de littérature » qui séduise les plus difficiles et les plus délicats. […] Il est toujours amusant de voir un Tchèque ou un Polonais offrir du fond de son cœur à un Français de Reims ou de Rouen des moyens délicats d’améliorer la langue qu’il apprit dans le ventre de sa mère ; on passe sur l’impudence et l’on rit : on aime à rire sur les bords de la Seine et sur les bords de la Marne. […] En linguistique il faut admettre que c’est le peuple qui crée et recrée sans cesse l’instrument ; mais les hommes aptes à manier cet instrument délicat et terrible sont en très petit nombre.

1749. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

Chaque organe, bien plus, chaque élément physique ou moral de l’animal vivant, renferme, incluse en soi, une propriété répétée dans tous les autres, à savoir cette particularité qu’il tend à s’accorder avec tous les autres, de façon à concourir avec eux à tel effet final et total ; et cet intermédiaire commun explique dans l’animal non seulement une prodigieuse quantité de caractères déjà énumérés par l’anatomie descriptive, mais encore une infinité d’autres caractères plus délicats et plus intimes que nos scalpels et nos, microscopes, trop grossiers, n’ont pas encore atteints. […] Puis enfin les descendants du primate ont, par leurs développements distincts et leurs divergences croissantes, constitué les genres, le gorille, l’orang-outang, et l’homme, celui-ci distingué entre tous par une conformation spéciale des membres et une structure plus délicate du cerveau.

1750. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Sous l’envolement de cheveux blonds d’une nuance adorable, des yeux étrangement séducteurs, des yeux qu’une cernure artificielle aide à faire apparaître, dans la nuit de l’arcade sourcilière, comme des diamants noirs, un petit nez du dessin le plus précieux, avec l’ensemble de traits et de contours délicats, délicats, et un cou frêle sortant d’une robe de velours rouge, enfin une figure réalisant le joli dans toute sa grâce menue.

1751. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Et Byron : « Tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. » — Même les poèmes des philosophes conscients et raisonnés, comme Sully-Prudhomme : — L’homme ne peut se résoudre à ne pas espérer (les Danaïdes) ; Les âmes délicates sont faciles à froisser (le Vase brisé) ; On serait heureux de retrouver dans une autre vie ceux qu’on a perdus (les Yeux) ; Les hommes travaillent l’un pour l’autre : il se faut entr’aider, c’est la loi de nature (le Rêvé) ; Les aéronautes sont des hommes courageux, qui se munissent de baromètres et qui font à leurs dépens des expériences de physique (le Zénith)192. — C’est un lieu commun aussi que de vivre, d’être homme : tous nous faisons tour à tour les mêmes réflexions ; cependant, pour chacun de nous, elles sont neuves, imprévues. […] Mais, tout en s’imaginant que la société future reconnaîtra, sous une forme ou sous une autre, le droit au travail, Hugo avoue que cette réforme est une des « dernières et des plus délicates à entreprendre. » — Ajoutons que le manque de travail, loin d’être le facteur essentiel de la misère, n’y entre que comme un élément minime, un dixième environ ; parmi les assistés de tous pays, dix pour cent seulement le sont pour cause de chômage.

1752. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

Mais la raison principale de la persistance des types inférieurs, c’est qu’une organisation très élevée ne saurait être d’aucune utilité à des êtres destinés à vivre dans des conditions de vie très simples, et pourrait même leur être nuisible, en ce que, d’une structure plus délicate, elle serait exposée à des désordres plus graves et plus fréquents. […] Sommes-nous sûrs encore qu’une longue trompe n’entraînerait pas, en vertu de la corrélation de croissance, l’accroissement des autres parties de la bouche, et ne mettrait pas obstacle au travail si délicat de la construction des cellules ?

1753. (1920) Action, n° 2, mars 1920

La pure impression, naïve et forte, délicate ou profonde, vaut d’ailleurs mille fois mieux que les plus habiles discours de l’école et la géométrie la plus savante. […] Le Jeu des Départs — Marcel Milletaw (Cahiers Indépendants). — De la poésie délicate, tremblotante, légère et douloureuse.

1754. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Jeté par un coup de vent sur les parties les plus délicates de la société française, que demande-t-il ? […] Dans ce désarroi, un être délicat fuira jalousement les responsabilités ; religieux, il se délivrera, par la piété, par le cloître, du tourment d’une volonté convulsive. […] Par eux, la sensualité romantique descend jusqu’à des fibres plus délicates et plus secrètes, ce qui semble la spiritualiser. […] Tout comme chez Chateaubriand, n’arrive-t-il pas chez Lamartine qu’une certaine inspiration trop envahissante de volupté et aussi une sorte de narcissisme ravi mêlent à J’expression de sentiments humains autres que l’amour et qui exigent pour des raisons plus délicates encore la vérité, des touches peu séantes ? […] Si jusque dans ces pages l’« homéride » se dégage suffisamment du romantique, si les feux du caprice, les éclairs aventureux d’une improvisation impatiente ne se substituent pas souvent à la loyale et limpide lumière des choses, il appartient au critique littéraire d’opérer ce délicat départ.

1755. (1881) Le roman expérimental

Dans nos temps de science, c’est une délicate mission que de prophétiser, parce qu’on ne croit plus aux vérités de révélation, et que, pour prévoir l’inconnu, il faut commencer par connaître le connu. […] Nous touchons ici le point le plus délicat de la querelle. […] On dira qu’il faut des oreilles délicates. […] Le goût n’est plus à ces courts récits, si délicats parfois, d’un art si achevé. […] Évidemment, il lui faut travailler sur la nature, il ne dissèque bien que les gens qu’il a connus et fréquentés ; alors, il arrive à des nuances très fines, très délicates.

1756. (1910) Rousseau contre Molière

Ils sont forcés, quand ils ont conçu un personnage délicat, distingué, original, de combattre fortement dans l’esprit du lecteur la tendance que le lecteur a toujours de ramener ce personnage à un des types consacrés, courants, communs et grossiers qu’il connaît ; ils sont forcés d’écarter le lecteur de l’idée du type traditionnel que ce personnage lui rappellera certainement. […] Le ministre, qui me paraît lui ressembler, lui fait entendre qu’il se compromettrait lui-même et lui ferait plus de tort que de bien en se mêlant de cette affaire très délicate. […] Surtout quand, comme Molière, on traite, souvent, de questions très complexes, très délicates et très graves, il faut, quelque part, s’expliquer et donner son dernier mot et son avis « en clair « par la bouche de quelqu’un. […] Mais Rousseau a ajouté : « surtout avec un air d’approbation… » C’est ici qu’il touche le point juste et le point délicat. […] Il est moyen de caractère et de conscience, comme il est au plus haut faîte comme génie littéraire ; et, comme un homme moyen, du reste très fin et très perspicace, le burlesque des hommes le frappe plus que leur turpitude et en vérité l’offense plus parce que son esprit est plus délicat que sa conscience.

1757. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

On a vu comment sa diplomatie a sauvé les immunités du clergé, comment elle l’a racheté de la capitation et des vingtièmes, comment elle a changé sa part d’impôt en un « don gratuit », comment chaque année elle applique ce don au remboursement des capitaux empruntés pour son rachat, par quel art délicat elle est parvenue, non seulement à n’en rien verser dans le Trésor, mais encore à soutirer chaque année du Trésor environ 1 500 000 livres ; c’est tant mieux pour l’Église, mais tant pis pour le peuple. — Maintenant parcourez la file des in-folios où se suivent de cinq ans en cinq ans les rapports des agents, hommes habiles et qui se préparent ainsi aux plus hauts emplois de l’Église, les abbés de Boisgelin, de Périgord, de Barrai, de Montesquiou ; à chaque instant, grâce à leurs sollicitations auprès des juges et du Conseil, grâce à l’autorité que donne à leurs plaintes le mécontentement de l’ordre puissant que l’on sent derrière eux, quelque affaire ecclésiastique est décidée dans le sens ecclésiastique ; quelque droit féodal est maintenu en faveur d’un chapitre ou d’un évêque ; quelque réclamation du public est rejetée102.

1758. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Des yeux rêveurs, une bouche pensive, des dents de lait, petites, rangées dans leurs alvéoles roses comme celles d’un agneau à sa première herbe ; un teint que l’ombre perpétuelle des feuilles dans ce pays de forêts conservait aussi blanc, mais moins délavé, que celui d’une enfant des villes ; une taille ferme, des bras ronds, des mains effilées, des pieds cambrés et délicats, qui brillaient comme deux pieds de marbre d’une statue quand elle les plongeait nus dans le courant de la source en lavant les toisons dans l’eau courante ; un caractère doux, sérieux avant l’âge ; des silences, des rougeurs, des timidités qui la faisaient aimer de toutes ses compagnes et respecter de tous ses compagnons de travail dans la maison et dans les champs, telle était la Jumelle.

1759. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Mais je ne veux être qu’amateur, dilettante, selon le mot des Italiens : c’est le meilleur rôle dans tous les arts, et même dans toutes les carrières de la vie civile ; on goûte, on jouit, on juge, on s’essaye, et on ne se compromet pas ; on a, en un mot, des admirateurs, et on n’a point d’ennemis. » III C’est à ce double sentiment d’instinct de la gloire et de peur du bruit dans ces hommes délicats et exquis, appelés amateurs ou dilettanti, qu’on doit ces petits volumes diminutifs du génie, sourdines de la gloire, qui se publient de temps en temps à un si petit nombre de pages et à un si petit nombre d’exemplaires qu’on ne les affiche pas sur les étalages de libraires, mais qu’on les glisse seulement de la main à la main entre quelques amis discrets, comme une confidence du talent échappée à l’imprudence du poète.

1760. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

. — Non, sire, je suis impartial, et je craindrais de cesser de l’être en approchant trop souvent de Votre Majesté. » Cette délicate tournure d’éluder la servitude en éludant la faveur, n’échappa pas à Napoléon ; il sourit, mais il garda rancune à la ville qui lui montrait de telles fiertés d’esprit dans un de ses principaux habitants.

1761. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) I Je veux défendre la société, chose sacrée et nécessaire quoique imparfaite, contre un ami, chose délicate, qui laisse emporter son génie aux fautes de Platon dans le style de Platon, et qui, en accusant la société, résumé de l’homme, fait de l’homme imaginaire l’antagoniste et la victime de la société.

1762. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

« Si j’avais un enfant à élever, comme je le ferais doucement, gaiement, avec tous les soins qu’on donne à une délicate petite fleur !

1763. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

Figurez-vous tout ce qu’il y a de naïf dans l’enfant, d’aimant dans la jeune vierge, de tendre dans la fille, de dévoué dans la sœur, d’affectueux dans l’amie, de religieux dans le sentiment, de pittoresque dans le coup d’œil, de délicat dans la perception, de nouveau dans le sens des choses morales et des paysages, sortant sans prétention, sans étude et sans effort, pendant vingt ans, d’une âme qui s’oublie elle-même pour se révéler à son Dieu, et qui trouve des accents, des images, des soupirs, des hymnes, comme l’éclair trouve son chemin dans les nuages, et comme l’abeille trouve son parfum dans les bouquets du printemps sur l’océan de fleurs de la prairie : voilà ce style !

1764. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Ici il se compose surtout de jeunes individus de la même espèce que les grands arbres ; plus loin, de diverses sortes de palmiers, dont les uns s’élèvent à vingt ou trente pieds, dont les autres, grêles et délicats, ont une tige épaisse comme le doigt ; plus loin encore, d’une variété infinie de buissons et de lianes qui se mêlent et se disputent l’espace.

1765. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

Elles filent d’elles-mêmes, pourvu que les jeunes filles et les vieilles femmes leur apportent, quatre fois par jour, les feuilles de mûrier dans leur tablier, et qu’on leur change souvent la nappe verte sur la table, comme à des ouvriers délicats qui préfèrent la propreté à la nourriture.

1766. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Lisez les deux et si vous avez le goût délicat du naïf, prononcez vous-même.

1767. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Mais tous ces Boileau, à en juger par les trois ou quatre individus de la famille que nous connaissons bien, tous ces Boileau n’étaient pas tendres, et notre poète, en particulier, n’était assurément pas né très sensible ni très délicat : aussi ne s’étiola-t-il pas, pas plus qu’il ne se renfrogna, dans le délaissement de ses premières années.

1768. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Lui, si pur, si délicat, si tendre !

1769. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Ce ne sont plus, comme dans les siècles précédents, quelques accents délicats et purs, quelques retours heureux à l’antiquité, de l’analyse et de l’éloquence ; c’est la poésie elle-même qui a paru.

1770. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Je sais qu’il faut tenir compte de la croisade des Albigeois, et de tout ce qu’eut à souffrir la délicate culture méridionale.

1771. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Les procédés les plus délicats, il les rend infâmes par sa façon de les ressentir, de les solliciter bientôt, de les exiger tout à l’heure, à moins qu’il n’en détourne l’abondance à son profit par des manœuvres répugnantes.

1772. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

« Les femmes, dont surtout il cherche le suffrage, « En faveur du lecteur applaudiront l’ouvrage. » Aussitôt fait que dit : le jeune homme charmé De ses doigts délicats tire un gant parfumé, Caresse, d’une main plus blanche que l’ivoire, Sa blonde chevelure et sa moustache noire, Et, se levant au bruit d’un murmure flatteur, Reçoit le manuscrit sans regarder l’auteur.

1773. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Pourquoi les érudits connaissent-ils seuls quelques poésies légères, spirituelles, délicates, d’un tour moins naïf que celles de Marot, mais plus élégant et, si j’ose le dire, plus distingué ?

1774. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Mariez le prêtre, et vous détruirez un des éléments les plus nécessaires, une de ces nuances les plus délicates de notre société.

1775. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

L’autre question, celle des coupures, est évidemment très délicate et encore faudrait-il y ajouter celle de la traduction !

1776. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Il n’est donc pas étonnant que, dans une volition, on ne reconnaisse pas toujours complètement ni les motifs, ni les mobiles, ni même le caractère de l’individu, car il y a là une synthèse mentale bien plus délicate que les synthèses chimiques ou vitales.

1777. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Et l’on se promène dans de la nature, dont on vous crie aux oreilles : « Ceci a été peint par ***, ceci a été fusiné par ***, ceci aquarellé par ***. » Ici, dans l’île d’Aligre, devant les deux catalpas formant un A sur le ciel, on vous avertit que vous êtes devant le premier tableau de Français, et l’on vous fait revoir la petite femme nue, couchée sur une peau de tigre, en la légère et gaie verdure de la campagne parisienne ; là — l’histoire est vraiment plaisante — là, c’est là que se dressait une magnifique et orgueilleuse plante, entrevue au coucher du soleil par Français, rêvant toute la nuit d’en rendre, le lendemain, l’élancement vivace et la délicate dentelure des feuilles.

1778. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Cela est très délicat.

1779. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

Quiconque entreprend d’étudier la morale du dehors et comme une réalité extérieure, paraît à ces délicats dénué de sens moral, comme le vivisectionniste semble au vulgaire dénué de la sensibilité commune.

1780. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

« Deux femmes fort blanches marchaient ensuite ; elles avaient le teint délicat, la taille bien faite, de la beauté, médiocrement, et n’étaient anges, à bien parler, qu’en tant que les autres étaient de véritables démons.

1781. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Mais, quand des esprits aussi attentifs, aussi sagaces, aussi pénétrants que les psychologues dont nous venons de parler, explorent une réalité positive, bien que d’une observation délicate et difficile, il est impossible qu’il n’y ait pas quelque chose de vrai et d’instructif dans leurs analyses et leurs explications, quel que soit d’ailleurs le point de vue auquel ils se placent.

1782. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

L’expression foncière en est douloureuse ; mais quand les dents, qui sont fort belles, s’y montrent tout à coup, ce n’est point l’éclat banal des dentitions de théâtre encerclées de carmin ; c’est quelque chose de plus compliqué et de plus secret ; le contraste entre la clarté vive de ces dents-là et la pâleur des lèvres et le bistre du visage non fardé, équivaut à ces délicates dissonances qui, dans la musique, charment, en les inquiétant un peu, les oreilles exercées. […] La vérité extérieure de ces personnages est soutenue d’une psychologie délicate, quelquefois profonde sous un air de nonchalance. […] Cela empêchera-t-il les femmes d’être, physiquement, plus faibles que les hommes, d’une sensibilité plus délicate et plus capricieuse, et d’une intelligence qui a paru, jusqu’ici, moins créatrice que la nôtre ? […] C’est le moment où le délicat travail de l’imagination, à force d’affiner et de nuancer la souffrance et d’en lier la sensation première à des impressions esthétiques, la change en langueur et en une sorte de volupté triste. — M.  […] Ce sanguin de Maxime, l’énergique grand’mère elle-même, terrible et belle de maternité immorale, ont le même langage précieusement métaphorique et tourmenté que la délicate aveugle et le subtil névropathe, et le même air d’assister en rêve à leur propre vie.

1783. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Il lui fallait une femme qui lui fût inférieure socialement et de toutes façons ; une fille du peuple, et qui fût pauvre, et qui lui dût de la reconnaissance, et qui ne fît pas la délicate et la renchérie, et devant qui il n’eût pas honte de ses misères physiques ni de ses défaillances sexuelles, et qui lui donnât les soins les plus intimes. […] Les objections sans fin qu’on y peut faire paraissent naïves et superflues parce qu’elles sont trop faciles, — si faciles qu’on rougit de les énoncer si on a l’esprit un peu délicat. […] Wolmar, ayant vu Saint-Preux désespéré au moment de partir, lui donne de loin ces conseils délicats : « … Faites votre sœur de celle qui fut votre amante… Pensez le jour à ce que vous allez faire à Rome : vous songerez moins la nuit à ce qui s’est fait à Vevey. » Mais Saint-Preux est bientôt de retour. […] (Rousseau, insiste beaucoup sur cette période délicate de la vie d’Émile. […] Et, quelques jours après, comprenant, à la figure d’Émile, que ses conseils ont été pris trop à la lettre par Sophie, et comprenant aussi que la délicate Sophie veut ménager son époux, il lui fait entendre que le chaste Émile a des réserves, et vingt autres indécences en style noble… De sorte que l’infortuné garçon, — que Rousseau a voulu si libre, si indépendant des hommes, jamais puni, jamais réprimandé, — a finalement son gouverneur pour belle-mère ; et quelle belle mère !

1784. (1890) Nouvelles questions de critique

Je ne dirai pas qu’elle manque de sincérité : on l’a trop dit ; et l’expression, en même temps qu’elle serait malhonnête, ne traduirait avec exactitude ni ma propre pensée ni la nuance assez délicate qu’il s’agit d’indiquer. […] Pellissier n’avait écrit, quelques lignes plus haut, que « les romantiques portèrent dans les formes qu’ils restauraient une science de facture qu’eussent enviée les plus délicats artistes de la renaissance ». Car, en vérité, quels sont donc les « délicats artistes » dont on parle ? […] Graecum est, ergo pulchrum , est-elle venue dire ; et, manque d’une sensation un peu délicate et fine de l’une et l’autre langue, n’admirant pas moins Manilius qu’Homère, elle les a également imités. […] Plus difficiles ou plus délicats sur le choix de leurs sujets, mais à la gauche encore du naturalisme, les réalistes proprement dits semblent avoir l’œil ainsi conformé que de ne rien apercevoir au-delà du contour extérieur ou du relief apparent des choses.

1785. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Dans une de ses poésies écrites loin de Milly, Lamartine avait parlé par erreur d’un lierre qui tapissait le mur de la maison ; il n’en existait point : par une inspiration délicate, sa mère planta le lierre absent et fit du mensonge une vérité. […] « Souvent traditionnelles, générales comme il convient à un esprit philosophique, effacées quelquefois par l’usage, peu nourries, toujours délicates, les comparaisons interviennent dans son style poétique non pas comme d’insistantes et serviles copies de la réalité, mais comme les allusions légères d’un esprit qui plane sur la nature. » M. de Pomairols observe aussi que, dans l’immense champ des images, « Lamartine choisit spontanément     Tout ce qui monte au jour, ou vole, ou flotte, ou plane, parce que, occupé avant tout de l’âme, il se plaît à retrouver au dehors les attributs de légèreté, de souplesse, de transparence de l’élément spirituel. » Et encore : « C’est l’élément liquide qui fournit à Lamartine le plus grand nombre de ses images… Tous les phénomènes qu’offre la fluidité, aisance, transparence, reflets du ciel, murmures harmonieux, défaut de saveur peut-être, manque de limites et de formes arrêtées, tous ces caractères de la fluidité se confondent avec les attributs de l’imagination lamartinienne. » Et voici, entre beaucoup d’autres, un exemple bien joliment choisi et commenté, à l’appui de ces remarques : « Il est des êtres, semble-t-il, pour qui l’idée de pesanteur n’est pas à craindre, comme la jeune fille. […] Quand il nous dit :     Ses lèvres, comme un lis dont le bord du calice, Prêt à s’épanouir, en volute se plisse, S’entr’ouvraient et faisaient éclater en dedans, Comme au sein d’un fruit vert, les blancs pépins des dents, les dents et les lèvres nous sont moins présentes que ce fruit éclaté et que ce lis qui s’entr’ouvre ; et, quand nous lisons ces vers :     Ses membres délicats aux contours assouplis, Ondoyant sous la peau sans marquer aucuns plis, Pleins, mais de cette chair frêle encor de l’enfance Qui passe d’heure en heure à son adolescence, Ressemblaient aux tuyaux du froment ou du lin, Dont la sève arrondit le contour déjà plein, Mais où l’été fécond qui doit mûrir la gerbe N’a pas encor durci les nœuds dorés de l’herbe, nous songeons bien un peu qu’il s’agit des bras et des jambes d’une belle enfant ; mais nous sommes, surtout induits en une vision de blés verts et, par-delà, de plaines fécondes et d’ondoyantes végétations qu’enfle la poussée du Printemps divin… Bref, chaque partie du corps de Daïdha semble rentrer et se fondre, par l’intermédiaire des comparaisons trop développées, dans la nature ambiante.

1786. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Des hommes de sang l’environnaient ; ils froissaient de leurs mains impures ses membres délicats, ils assouvissaient tour à tour le besoin de la débauche et celui de la férocité, ils abîmaient leur victime de douleur et de honte. […] « Oui, ils étaient royalistes, mais ils étaient vos mandataires ; une Constitution républicaine avait été commise à leur garde, et, s’il eût fallu opter entre l’amour d’une opinion et la foi d’un dépôt, ces hommes délicats sur l’honneur n’eussent pas connu même l’hésitation.

1787. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Il vérifia aussi, par son exemple, ce mot du moraliste : « Il se refait vers le milieu de la vie une manière de bail avec nos diverses facultés ; bien peu le renouvellent. » Ce qui est vrai même dans le cours naturel d’une vie arriva ici par secousse : Daunou dut rompre, un certain jour, avec une partie de son être ; il se replia au dedans, et, sous son enveloppe sévère, il déroba de plus en plus une de ces âmes sensibles, délicates, à jamais contraintes et trop souvent consternées, qui ne recommencent plus l’expérience et n’en demeurent que plus fidèles aux empreintes reçues. […] Ne pourrait-on pas y voir une des causes qui attristent un peu son style, si destiné, jusque dans la gravité, à l’ingénieux et au délicat ?

1788. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

La Fayette, dans cette position délicate, se conduisit à merveille ; il exigea de Sullivan que l’ordre du matin fût rétracté dans celui du soir ; il ne souffrit pas qu’on dît devant lui un seul mot contre l’escadre. […] Chevalier et gentilhomme, La Fayette eut, autant qu’aucun, cet idéal délicat ; mais il arriva au moment où il allait y avoir confusion et transformation de l’idole de l’honneur en cette autre idole de la popularité, et il devança ce moment.

1789. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Ses occupations sont sédentaires, ses membres délicats, ses mouvements languissants. […] Là, se montraient les charmes voluptueux de celle à qui l’héritier du trône avait en secret engagé sa foi ; là aussi était cette beauté, mère d’une race si belle, la sainte Cécile dont les traits délicats, illuminés par l’amour et la musique, ont été dérobés par l’art à la destruction commune ; là étaient les membres de cette brillante société qui citait, critiquait et échangeait des reparties sous les riches tentures en plumes de paon qui ornaient la maison de mistress Montague ; là enfin, ces dames dont les lèvres, plus persuasives que celles de Fox lui-même, avaient emporté l’élection de Westminster en dépit de la cour et de la trésorerie, brillaient autour de Georgiana, duchesse de Devonshire1380.

1790. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

« … Il avait les cheveux coupés très ras et du plus beau noir ; ces cheveux faisant des pointes régulières sur le front d’une éclatante blancheur, le coiffaient comme une espèce de casque sarrasin ; les yeux, couleur de tabac d’Espagne, avaient un regard spirituel, profond, et d’une pénétration peut-être un peu trop insistante, quant à la bouche, meublée de dents très blanches, elle abritait, sous une légère et soyeuse moustache ombrageant son contour, des sinuosités mobiles, voluptueuses et ironiques, comme les lèvres des figures peintes par Léonard de Vinci ; le nez fin et délicat, un peu arrondi aux narines palpitantes, semblait subodorer de vagues parfums lointains. […] Jamais, il ne cessa de regretter « ce pur et charmant écrivain, qui, à l’esprit le plus ingénieux, au caprice le plus tendre, joignait une forme sobre, délicate et parfaite », celui à qui Goethe écrivait, après la traduction de Faust en français, que Gérard publia à l’âge de dix-huit ans : « Je ne me suis jamais si bien compris qu’en vous lisant. » Le chagrin causé par sa mort tragique ne s’effaçait pas ; mon père et ma mère en parlaient souvent entre eux, avec de vagues idées d’enquête et de représailles, car ils n’avaient jamais cru au suicide. […] Ma sœur avait la gorge délicate, ma mère avait besoin de fortifier ses cordes vocales, l’eau sulfureuse ferait du bien à tout le monde. […] disait Mlle Huet, une cuisinière qui se respecte doit savoir accommoder les escargots, car c’est un mets des plus délicats.

1791. (1897) Aspects pp. -215

À les entendre, rien de plus complexe, rien de plus délicat que l’arrestation d’un malfaiteur hors frontière. […] En vain il se voudrait canaille, en vain ses besoins de vie large se heurtent à ses scrupules d’esprit délicat, il reste honnête. […] Beaucoup, d’ailleurs, se sont essayés aux vers et comme cet essai fut pour eux un labeur pénible, comme l’instrument infiniment délicat que constitue le rythme poétique les déçut, ils le disent inférieur, sans plus d’examen. […] Georges Rency brode de fines variations sur un thème d’amour délicat et frêle. […] Maurice Magre : le Retour restitue les émotions d’êtres simples parmi de sobres et délicats paysages.

1792. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

L’abbé Lambert, dont j’ai parlé en répondant à M. de Cassagnac, homme délicat et sensible, souffrait intérieurement de la maladresse de son confrère, de la grossièreté des soldats, de l’humiliation du condamné.

1793. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

La voix était très faible, rauque et délicate comme celle d’un enfant, c’est pourquoi on lui a encore posé des sangsues au larynx. — Il a sa parfaite connaissance. — “Pensez souvent à moi, disait-il avant-hier, avec beaucoup de lucidité. — J’étais très heureux, ce jour a été bien beau pour moi, car rien n’est plus sublime que l’amitié.

1794. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

J’ai bien vu des hommes, à la foire de Lucques et sur le quai de Livourne, déchargeant des felouques, mais je n’en ai point vu d’aussi beau, d’aussi fort, quoique aussi délicat ; c’est tout mon pauvre mari quand il partit, si peu de jours après m’avoir courtisée, pour ces fatales moissons des Maremmes !

1795. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Quand cette source n’a pas coulé dans la jeunesse, elle coule dans la maturité et même dans la vieillesse, mais alors elle se cache davantage, comme si l’homme rougissait, par une délicate pudeur de l’âme, de fleurir au-delà de sa saison.

1796. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Ce dur logicien était un très bon homme, doux, aimable, le plus respectable et le plus tendre des pères, qui écrivait à ses enfants des lettres charmantes, pleines de fine raison et de sensibilité délicate.

1797. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

On peut, quand on a à la fois l’âme délicate et les mœurs cyniques, estimer répugnant de demander à une jeune fille intacte précisément ce qu’on a accoutumé de demander à de tout autres personnes ; on peut très bien, dis-je, rester célibataire toute sa vie par respect des jeunes filles : je parle très sérieusement.

1798. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Les mauves délicats, les bleus pâles des robes flottent légers comme des fleurs dans l’herbe.

1799. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

« La littérature famélique d’aujourd’hui vit des restes du festin d’hier ; elle ne peut s’imposer aux délicats et aux lettrés.

1800. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

l’aveu délicat de ceux qui l’appellent ainsi ! 

1801. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Je suis sûr que Beauvilliers prenait un plaisir très délicat aux tragédies de Racine, peut-être même aux comédies de Molière ; et pourtant il est bien certain qu’en y assistant il ne pensait pas faire une œuvre religieuse, peut-être même croyait-il faire un péché.

1802. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Cela est tout simple : on ne sent bien que ce qu’on a éprouvé, et ce sujet est si délicat que je ne crois pas qu’il y ait deux hommes au monde plus incapables de s’entendre qu’un croyant et un doutant, quand ils se trouvent en face l’un de l’autre, quelles que soient leur bonne foi et même leur intelligence.

1803. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Au fond, mademoiselle de Scudéry avait de l’esprit, de l’imagination, une âme délicate et noble.

1804. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

C’est elle qui a inventé la quenouille, le rouet, le métier, tous les instruments délicats de la broderie et de la texture.

1805. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

On y voit au vrai les dispositions de Bernardin au moment où il quitte la Russie, ses préoccupations bien moins romanesques qu’on ne l’a supposé ; les premiers symptômes de l’écrivain encore inexpérimenté et qui veut poindre ; l’utopiste et l’homme à systèmes qui se trahit çà et là ; l’amoureux, assez peu enthousiaste d’ailleurs ; l’ami reconnaissant et fidèle ; le bonhomme qui rêve en tout temps une chaumière et le bonheur de la famille ; le délicat blessé et le misanthrope qui va s’ouvrir aux aigreurs ; puis, à la fin, l’écrivain tout d’un coup célèbre, mais qui garde de ses susceptibilités, et qui porte jusque dans ses scrupules de probité et dans le paiement de ses dettes d’honneur une application et une affectation minutieuses, un coin de maladie.

1806. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

On vit l’imitation des anciens devenue originale et créatrice, réfléchir, en l’embellissant encore, la civilisation la plus splendide de notre monarchie, et de cette fusion harmonieuse entre la peinture de l’antiquité et celle de l’âge présent, sortir un idéal ravissant et pur, objet de délices et d’enchantements pour toutes les âmes délicates et cultivées.

1807. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

On fera sentir, par des exemples, ces nuances fines et délicates qui séparent deux synonymes ou deux sens d’un même mot.

1808. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Des hommes d’un jugement plus délicat que hardi, doivent nécessairement s’effrayer de la franchise avec laquelle une plume aussi catholique que celle de l’auteur du Clément XIV a tracé la peinture de ce déplorable pontificat.

1809. (1898) Essai sur Goethe

Peut-être sentent-ils que là est leur point faible : dans ces délicates choses, que ne règlent ni les codes, ni peut-être même les mœurs, qui donc n’a jamais erré ? […] Il nous conduit à travers le monde entier, mais nous, en hommes expérimentés et délicats, nous disons à chaque sauterelle qu’il nous fait voir : Seigneur, il veut nous manger ! […] Je sais bien qu’il est très difficile de soutenir une appréciation aussi délicate, qui dépendra toujours du sentiment de chacun : nous nous trouvons devant des lettres de passion, qui donnent très bien l’impression de la passion, dans le style particulier qu’on employait à l’époque. […] Dès son arrivée à Weimar, il trouva ce qu’il lui fallait, en la personne de Mme de Stein : charmante sans être belle, de caractère agréable, intelligente, délicate, de santé chétive, un peu romanesque, très sentimentale, Charlotte de Stein rappelait par plus d’un trait les douces figures raisonnables, tendres, dévouées, de Frédérique Brion et de Charlotte Buff. […] Dans la réalité, les deux sœurs, Éléonore et Lucrèce, les deux frères, Alphonse et Louis, leurs ministres, leurs secrétaires, leurs courtisans, leurs hommes de confiance, leurs suivantes, leurs officiers, leurs artistes formaient le milieu le moins propice à des sentiments délicats, à de nobles rêves, à de hautes pensées.

1810. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

La vie affective paraît la première ; la vie intellectuelle paraît ensuite, pour en être l’expression, plus ou moins délicate, plus ou moins précise, plus ou moins analytique, plus ou moins abstraite. […] Marie, c’est la curieuse d’amour ineffable, que l’amour le plus délicat et le plus tendre, mais s’exprimant cependant en paroles et en gestes, blesse au moment même qu’elle l’accepte et est heureuse de l’accepter. […] Claude Lorris et à croire que c’est un romancier distingué et un écrivain délicat qui se lève à l’horizon. […] Non, Volney, très honnête homme, ce me semble, et certainement ambitieux peu violent, ami d’une existence calme en rapport avec sa santé délicate, n’avait cependant absolument rien d’héroïque. […] On voit combien fut délicate, filiale, et d’une filialité féminine, l’affection dont Alphonse Daudet entoura les derniers jours de ce grand enfant nerveux, susceptible et un peu borné que fut Edmond de Goncourt.

1811. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Ce n’est point une guerre, celle-ci, qu’on puisse peindre à l’aquarelle et à petites touches délicates. […] Mockel, analysant l’âme ardennaise, y montre « une sensibilité nerveuse, délicate à l’extrême chez les hommes cultivés et dont on retrouve les traces jusque dans le peuple des campagnes », un penchant vers la rêverie, une exquise amitié pour toutes choses et le goût de communier avec la nature. […] En 1819 parut le premier volume d’œuvres d’André Chénier, par les soins délicats d’Hyacinthe de Latouche. […] Les meilleurs vers de La Maison pauvre sont de cette qualité, ne répandent pas des îlots d’harmonie, ne répandent pas d’éloquence et, avec peu de mots, évoquent une délicate inquiétude du cœur, désir d’intimité tranquille, peur de tout incident qui dérange la paix de l’heure, amour de l’ombre où l’on dirait qu’on est mieux à l’abri. […] L’homme conscient est un écolier qui se révélera maître le jour où il sera devenu une machine délicate, mais sûre, comme le castor, ou comme l’abeille ».

/ 1977