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1078. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Je n’essaierai pas l’analyse de ces deux volumes, bourrés d’épisodes de la vie parisienne, d’anecdotes où figurent des êtres vivant parmi nous, mais suffisamment voilés pour n’être pas reconnus. […] » — Sans doute, et il est singulier que, à voir la façon dont il est fait et dont l’homme s’y gouverne, aucun vivant, même sans en être averti, n’en ait eu le soupçon. […] Tableaux vivants Sous le titre de : Tableaux vivants, Aurélien Scholl vient de publier un des livres les plus amusants qu’il ait écrits, ce qui n’est pas peu dire. […] Les Tableaux vivants sont du Scholl des plus beaux jours. […] Mais non… C’était un être vivant qu’avaient couché ces deux bûcherons sinistres : l’Hiver et la Faim.

1079. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Lui aussi, comme Raphaël et Titien, il a son idée de l’homme, idée inépuisable de laquelle sortent par centaines les figures vivantes et les scènes de mœurs, mais combien nationales et originales ! […] À présent, quand on parle de justice, ce n’est plus une phrase morte qu’on récite, c’est une conception vivante qu’on produit ; l’homme aperçoit l’objet qu’elle représente, et ressent l’ébranlement qui la soulève ; il ne la reçoit plus, il la fait ; elle est son œuvre et sa maîtresse ; il la crée et la subit. « Ces mots justus et justitia Dei, dit Luther, étaient un tonnerre dans ma conscience. […] Écartons les pratiques sensibles par lesquelles on a voulu remplacer cet entretien de l’âme invisible et du juge invisible : je veux dire les mortifications, les jeûnes, les pénitences corporelles, les carêmes, les vœux de chasteté et de pauvreté, les chapelets, les indulgences ; les rites ne sont bons qu’à étouffer sous des œuvres machinales la piété vivante. […] En trois ans, sous Marie, près de trois cents personnes, hommes, femmes, vieillards, jeunes gens, quelques-uns presque enfants, plutôt que d’abjurer, se laissèrent brûler vivants. […] Rien de plus froid ordinairement que les personnages allégoriques ; les siens sont vivants.

1080. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Jeudi 14 janvier Un « petit bleu » d’un journal, où l’on me reproche très sérieusement, comme manque de toute sensibilité, d’être encore vivant à l’heure présente, et au moins, si je vis, de n’être pas devenu fou, à l’instar de Maupassant. […] Je le revoyais encore… non, j’ai beau chercher, je ne revois plus sa tête, en ce jour… je me souviens seulement sur un drap, d’une main encore vivante, à la maigreur indicible, qu’on m’a fait baiser. […] Decan a descendu avec la blouse, une esquisse dans laquelle il a représenté le père Corot, en train de peindre dans la campagne, recouvert de cette blouse : esquisse, où avec la révolte des cheveux blancs de sa tête nue, son teint de vivant en plein air, sa pipe en racine lui tombant de la bouche, il a tout l’air d’un vieux paysan normand. […] Toutefois, je dois le dire, l’aspect un peu sévère de la femme, le sérieux de sa physionomie, le milieu de gravité mélancolique, dans lequel elle se tenait, quand j’étais encore un tout petit enfant, m’imposaient une certaine intimidation auprès d’elle, et comme une petite peur de sa personne, pas assez vivante, pas assez humaine. […] que des confrères placent dans la famille des Gautier, des Saint-Victor, et qui, mort ou vivant, le jour, où il n’occupera plus le rez-de-chaussée du Temps, peut s’attendre à être traité de bas scribe, et de pauvre plumitif dramatique.

1081. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

L’idée précède le mot, comme la conception précède la naissance46, c’est-à-dire comme l’être vivant conçu et caché précède l’être vivant né au jour et visible ; elle ne voit la lumière, elle ne paraît, qu’avec le mot et par lui. […] La pensée est pour Platon comme un être vivant, capable d’immobilité, capable aussi de mouvement et fait pour le mouvement ; lorsqu’elle est en mouvement, elle est une succession ; elle est donc analogue à un discours ; aussi le discours oral est-il sa véritable expression ; l’écriture, chose inerte, immobile, sans vie, ne représente pas l’essence de la pensée ; telle est la théorie du Phèdre (p. 274 et suivantes). — Tout autre semble avoir été l’opinion d’Aristote : si la parole exprime la recherche, l’écriture seule exprime la science, c’est-à-dire la pensée parvenue à sa perfection (voir Ravaisson [Félix Ravaisson (1913-1900), Essai sur la métaphysique d’Aristote, Paris, Imprimerie royale, 2 vols, 1837-1846.], La métaphysique d’Aristote, t.  […] Cette définition se rapporte exactement au logos du Phèdre de Platon (p. 276 A), « le discours que la science écrit dans l’âme de celui qui étudie, discours qui peut se défendre, parler et se taire quand il le faut, discours vivant et animé (qui réside dans l’intelligence) du savant, et dont le discours écrit n’est que le simulacre. » Le logos esô d’Aristote est quelque chose de plus intime et de plus fondamental ; c’est la faculté des axiomes, la raison. — La distinction aristotélique du verbum oris et du verbum mentis est peut-être, comme l’ont pensé les éditeurs d’Hamilton, Mansel et Veitch (note de la 1ère leçon des Lectures on logic), la source première de l’opposition du […] (pensée ou raison) et du […] (parole), que l’on rencontre dans Philon (De vita Mosis, 3, 13), Plutarque (Philosophendum esse cum principibus, ch.  […] Signalons deux objections vivantes au système de Maine de Biran : ce sont deux élèves de l’institution des sourds-muets à Paris, qui, par exception, sont muets de naissance, mais entendent parfaitement ; l’un, à seize ans, ne sait dire que papa et maman, « la parole n’a aucun attrait pour lui, et il ne fait aucun effort pour la conquérir » ; l’autre, à dix ans, ne prononce pas un seul mot ; on leur parle, ils comprennent, ils répondent par gestes ; ils ont appris à lire et à écrire ; ils ont donc la parole intérieure ; elle alterne chez eux, quand ils ne font pas conversation, avec la mimique intérieure.

1082. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Elle est sans orgueil, mais non pas sans une ravissante promesse : l’automne couronné de regrets ne me reconnaît pas, ni le hideux hiver : sans le vouloir, je m’adresse toujours de la sorte à la seule part des hommes qui soit bien vivante, la jeunesse, laquelle ne se mesure pas à l’âge, mais à l’ardeur de l’esprit comme à l’élan de l’âme. […] Il nous enlève sur les hauteurs ravissantes, où les vivants ne sont plus ces démons acharnés qui se reconnaissent aux morsures. […] Un jour, un critique découvrit qu’il était là, vivant parmi les poètes depuis cinq ou dix ans : un nouvel état d’esprit, ne se rattachant à aucune régie formelle. […] Dans le premier poème du recueil, « La paix de l’abîme », Brunet écrit par exemple : Vous qui êtes entrés dans l’immortalité En râlant par milliers dans la boue et le sang (Gabriel Brunet, Par-delà les tombeaux, Paris, Eugène Figuière & Cie éditeurs, [s. d.], p. 15) Dans « L’aube sur le sang », il écrit encore : Dormez donc magnifiquement, Reposez donc divinement, Ô grands Morts à jamais vivants ! […] Il publie en 1918 le roman Le Vivant et en 1919 le recueil de poèmes Combattant humain.

1083. (1887) Essais sur l’école romantique

C’était assez pour qu’il survécût à l’oubli que voulait lui infliger de son vivant le dépit satirique de Voltaire. […] On les juge communément doués d’imagination, de hardiesse, de talent ; on les sait instruits, âpres à l’étude, et, sauf quelques grands hommes d’avant la Charte, qui détestent toutes les renommées naissantes, de dépit de se voir mourir vivants et encore verts, le public aime cette jeunesse et l’encourage, et l’estime déjà forte, d’oser seulement quitter la voie battue des maîtres de l’art. […] La Esmeralda est encore un entant, pauvre créature abandonnée, sans famille, sans appui, vivant au milieu d’une race impure, et ayant pour spectateurs habituels des figures d’émeute ; est-il étonnant qu’elle ait donné son cœur à un bel homme d’armes, grand et fort, et qu’elle ait attaché sa frêle destinée à celle d’un amant qui peut lui servir de protecteur ? […] Alors l’écrivain va chercher dans tout ce plumage emprunté, avec lequel il a fait la roue devant le public, comme le geai de la fable, ce qui était vraiment à lui, et il est tout surpris de trouver ces pensées vivantes et agréables par la force de la vérité qui les a marquées. […] J’ai éprouvé qu’il y a dans ce temps-ci beaucoup moins d’avantage pour le public que d’incommodité pour le critique à s’attaquer à des auteurs vivants.

1084. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Le sentiment est le rapport harmonieux et vivant de la raison et de la sensibilité. […] Il y a dans tous les objets beaux, quelque éloignés qu’ils soient de la forme géométrique, une sorte de géométrie vivante. […] Au lieu d’une statue, observez l’homme réel et vivant. […] s’écrie-t-on, à la vue d’un beau tableau, d’une noble mélodie, d’une statue vivante et expressive. […] Jean Goujon et Germain Pilon ont-ils rien fait de plus élégant et de plus vivant ?

1085. (1885) L’Art romantique

Théophile Silvestre a placé à la suite de son excellente notice sur Eugène Delacroix, dans son livre intitulé : Histoire des peintres vivants. […] La matière vivante rendait ondoyant ce qui nous semble trop rigide. […] À propos du joujou du pauvre, j’ai vu quelque chose de plus simple encore, mais de plus triste que le joujou à un sou, — c’est le joujou vivant. […] Or, ce joujou que le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, était un rat vivant ! […] La soif insatiable de tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité.

1086. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Léon Say a ce qu’on peut appeler la parole vivante. […] Du Bartas fut, de son vivant, plus célèbre que Ronsard. […] Mais il a, ce qui vaut mieux, l’image soudaine et l’expression vivante. […] Il est informé, vivant, lumineux. […] De bonne foi, lequel des deux est le plus vivant ?

1087. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Est-il vivant ? […] Nous aimons mieux en retracer la physionomie vivante, et, par ce léger crayon fait à la hâte, conserver la figure des lieux et la place des objets. […] Il regarde avec raison le poète comme le paria de la civilisation moderne, qu’on repousse de son vivant et qu’on dépouille après sa mort, car lui seul ne peut léguer à sa postérité le fruit de ses œuvres. […] « Il ne monte pas un cheval vivant : il n’aime pas ce qui vit. […] Mais, hâtons-nous de le dire, de sévères études d’ostéologie, de musculatures, de pelages, de longues contemplations de l’animal vivant, la connaissance parfaite de ses mœurs, de son caractère, de ses allures, lui permettaient de concilier la vérité avec l’idéal.

1088. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

La langue de Rabelais n’est pas plus vivante !  […] Voltaire se moque avec raison d’un autre traducteur anglais qui, donnant un avare du vivant encore de Molière, écrit dans sa préface : « Je crois pouvoir dire sans vanité que Molière n’a rien perdu entre mes mains. […] Il est beaucoup moins vivant. […] Aucun personnage de Molière ne peut être une abstraction, il a trop le don de la vie et le goût de la matière vivante. […] Tartuffe est admirablement vivant et d’une complexité qui cette fois très nettement, encore plus nettement qu’ailleurs, est une ressemblance éclatante avec la vie.

1089. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Imprimé en grande partie dans le premier volume des Œuvres posthumes de Saint-Martin (1807), ce manuscrit renferme pourtant de nombreux articles encore inédits, la plupart concernant des personnes alors vivantes ; l’éditeur, par cette raison, avait dû les supprimer. […] » Il reconnaît d’ailleurs avoir eu des obligations inexprimables à Martinez de Pasqualis, qu’il appelle un homme extraordinaire pour les lumières, « le seul homme vivant de sa connaissance dont il n’ait pas fait le tour ».

1090. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Mais il y a un écrit de lui, le dernier imprimé de son vivant, et sa dernière production peut-être, que je regrettais de n’avoir pu me procurer, et qui me semblait devoir contenir le dernier mot de son esprit et de son expérience : L’Émigré, roman en quatre volumes, imprimé en 1797 à Brunswick, ne se trouve à Paris dans aucune bibliothèque publique ; je ne connaissais personne qui l’eût jamais lu ni vu, lorsqu’un ami a eu la bonne fortune de le rencontrer à Berlin et l’obligeance de me l’envoyer. […] Mais, en vivant de cette vie obscurément délicieuse et amollie, à la fois sentimentale et très sensuelle, il est arrivé au dégoût final, au néant ; en perdant les enchantements de la jeunesse, il a perdu ses illusions de tout genre qui, même dans l’ordre de l’esprit, avaient besoin d’elle pour se colorer.

1091. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Si Gacon dit vrai, Despréaux en aurait témoigné à La Motte une si vive colère que celui-ci n’osa se déclarer du vivant du maître, et qu’il attendit que le vieux lion fût mort pour montrer les dents. […] L’abbé de Pons ne songe même pas aux langues étrangères vivantes, et il en laisse passer le vrai moment : il n’a jamais observé l’enfant à cet âge où il aime à répéter tous les sons, et où tous les ramages ne demandent qu’à se poser sur ses lèvres et à entrer sans effort dans sa jeune mémoire.

1092. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Pour moi, je dirai toute ma pensée : je ne voudrais rien retirer au vieux poète, mais il me semble qu’il est en train de subir cette transformation légère qui, en ne faisant peut-être que rendre à certains hommes, sous un autre aspect, la valeur et le prestige qu’ils avaient de leur vivant, leur accorde certainement plus qu’ils n’ont mis et qu’ils n’ont laissé dans leurs œuvres. […] De là les Lays ou legs, comme il les appelle, et qui reçurent de son vivant, mais non de son fait, le nom de Petit Testament.

1093. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

pourquoi n’avoir pas joint au recueil les Lettres de Benjamin Constant sur les Cent-Jours, de tous ses ouvrages politiques celui qui est resté le plus vivant, le seul vivant même, à cause de l’intérêt qui s’attache à des conversations immortelles ?

1094. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Vivant solitaire, aimant mieux, au besoin, comme Malherbe, causer avec les bateliers du port qu’avec tous ces robins musqués, il se fit remarquer, après juillet 89, par une improvisation dans une assemblée des électeurs de Paris ; il fut élu membre du conseil de la Commune ou municipalité d’alors, par la section de l’île où il habitait. […] On voudrait pouvoir étudier et dépeindre avec un détail aussi vivant son ami M. de Serre, celui qui alors professa aussi résolument cette même doctrine de la prédominance royale, et qui s’y ancra bientôt et s’y enchaîna avec les années : par malheur, il ne reste de cette puissante et large éloquence, dont M. 

1095. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Au diable le Chateaubriand, le Forbin et autres marchands d’esprit qui n’ont su s’exalter que sur des restes de pierre et qui n’ont pas compris que les scènes qui se représentaient à chaque minute sous leurs yeux étaient la représentation vivante de l’Ancien et du Nouveau Testament !  […] Fragments inédits d’une histoire des artistes vivants par Théophile Silvestre.

1096. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

On craint toujours, quand on généralise, d’être trop absolu : la vérité est complexe, et rarement peut-on, en tout ce qui est vivant ou historique, la résumer et la formuler d’un mot, sans qu’il faille y apporter aussitôt des correctifs et des explications qui l’adoucissent et la modifient. […] Viollet-Le-Duc est sévère pour l’art emprunté, copié, extérieur, fastueux, plus apparent que réel, pour l’art massif qui s’impose et qui ne correspond ni à un état de civilisation, ni à un besoin réel, ni à une pensée sincère, ni à un bien-être, à une habitude ou à une convenance de la société régnante et vivante.

1097. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Cette infante qui est volontiers regardée comme un hors-d’œuvre dans la pièce de Corneille, comme un rôle insipide fait pour être supprimé, est au contraire bien vivante dans l’auteur espagnol. […] Faute de place et d’espace, l’infante, dans la pièce française, n’est pas un personnage vivant, et s’il est permis de dire, en chair et en os ; ce n’est qu’un double ou triple sentiment dialogué : le sentiment de l’amour pur en opposition avec celui du devoir ou de la dignité.

1098. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Louis Blanc qui, vivant à Londres, se trouvait à la source pour contrôler les rapports français par ceux de la marine anglaise, et qui a pour habitude d’user de tous ses moyens d’information en historien consciencieux, a raconté ce grand combat naval et l’a discuté dans le tome XI de son Histoire de la Révolution française : il a fait justice du récit qui se lit dans le recueil de Victoires et Conquêtes et qui, plein d’emphase sur tout le reste, est empreint d’une malveillance outrageuse à l’égard du délégué de la Convention. […] Bref, il convient de lire tout ce vivant et fin portrait, à côté duquel celui que j’ai tracé ne peut plus guère paraître qu’un ensemble de pièces à l’appui.

1099. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Ils ont beau vouloir se familiariser avec nous par l’étude, toujours l’effort se trahit par quelque étrangeté, et il est indubitable qu’un des nôtres, un Français, s’armât-il lui-même d’une méthode rigide, est mieux qualifié pour cette sorte d’anatomie de notre langue dans des parties qui sont encore à demi vivantes et où l’usage intervient à tout moment avec son tact et sa sensibilité. […] Au lieu de cela, faute d’un grand poète comme Homère ou comme le puissant rhapsode qui de loin nous donne l’idée d’un Homère, faute d’un poète supérieur qui pût, sinon fixer la langue, du moins la montrer et l’attester à jamais par une œuvre vivante, et solenniser ce noble et simple genre en l’attachant dans la mémoire des hommes avec des clous d’airain et de diamant, on alla à la dérive, selon le cours des temps et la dégénérescence des choses ; on en vint par degrés au dégoût et au mépris pour un genre usé qui tombait dans un romanesque affadissant ; puis l’oubli arriva.

1100. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Ce qu’il en est sorti de productions nouvelles, marquées au coin d’un nouveau grand siècle, et dignes de prendre rang dans le trésor humain à la suite et à côté des premières reliques de l’antique héritage, je n’ai pas à le rappeler, les œuvres parlent : cette tradition-là est d’hier, et la mémoire en est vivante. […] Quand il en vient aux modernes, aux vivants, il les désigne, sans les nommer, par leurs qualités ou leurs défauts ; les lecteurs du moment mettaient aisément des noms sous ces désignations littéraires : de si loin nous pourrions nous y tromper.

1101. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Ce monde spirituel des vérités et des essences, dont Platon a figuré l’idée sublime aux sages de notre Occident, et dont le Christ a fait quelque chose de bon, de vivant et d’accessible à tous, ne s’est jamais depuis lors éclipsé sur notre terre : toujours, et jusque dans les tumultueux déchirements, dans la poussière des luttes humaines, quelques témoins fidèles en ont entendu l’harmonie, en ont glorifié la lumière et ont vécu en s’efforçant de le gagner. […] Assez d’hommes dans ce siècle, assez de cœurs et des plus grands, n’admettent désormais à leur usage que ce dernier aspect de Dieu, cet universalisme inexorable qui assimile la Providence à une loi fatale de la nature, à un vaste rouage, intelligent si l’on veut, mais devant lequel les individus s’anéantissent, à un char incompréhensible qui fauche et broie, dans un but lointain, des générations vivantes, sans qu’il en rejaillisse du moins sur chacun une destinée immortelle.

1102. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Je lui ai entendu raconter ainsi la touchan histoire d’un officier français émigré, vivant à l’île de Wight, qu’il n’a pas écrite encore. […] tu les a retrouvées Ces images, de loin toujours, toujours rêvées, Et ces débris vivants de tes jours de bonheur : Tes yeux ont contemplé tes montagnes si chères, Et ton berceau champêtre, et le toit de tes pères ; Et des flots de tristesse ont monté dans ton cœur !

1103. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Marqué de sa terrible empreinte, Les vivants me verront comme un objet de deuil, Vain reste du trépas, tel qu’une lampe éteinte Qui fume encor près d’un cercueil Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries Dont j’aurais tant voulu ne m’éloigner jamais ? […] Cousin en fait grand cas, et, en effet, Loyson a le mérite d’avoir, sans appareil d’érudition ni, comme on dit, d’esthétique, démêlé la poétique de Pindare et compris l’espèce d’unité vivante qui animait ses odes.

1104. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Tous les écrivains y ont leur place, parce qu’ils ont été des écrivains : ainsi l’on fait revivre, quinze ou seize siècles après leur mort, bien des auteurs qui étaient peut-être morts de leur vivant. […] Elle se rattacherait en commentaire vivant à la fin du vie chapitre du livre premier, tome I, page 270.

1105. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

Après tout, aux diverses époques de la république expirante ou de l’empire, dans les rares intervalles de liberté comme sous la censure des maîtres, il n’y avait à Rome que le journal en quelque sorte rudimentaire, un extrait de moniteur, de petites affiches et de gazette de tribunaux ; le vestige de l’organe, plutôt que l’organe puissant et vivant. […] Cette littérature oubliée était juste à terre en son vivant ; elle est aujourd’hui sous terre ; elle n’a fait que descendre d’un étage.

1106. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Les vies complètes, poétiques, pittoresques, vivantes en un mot, de Corneille et de Molière, restent à faire ; mais à M.  […] Ronsard, mort depuis longtemps, mais encore en possession d’une renommée immense, et représentant la poésie du siècle expiré ; Malherbe vivant, mais déjà vieux, ouvrant la poésie du nouveau siècle, et placé à côté de Ronsard par ceux qui ne regardaient pas de si près aux détails des querelles littéraires ; Théophile enfin, jeune, aventureux, ardent, et par l’éclat de ses débuts semblant promettre d’égaler ses devanciers dans un prochain avenir.

1107. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Figurez-vous donc en Boileau un bourgeois do Paris, bon vivant, habitué des cabarets à la mode, élevé dans un monde de greffiers et de procureurs. […] La peinture du monde clérical, dans le Lutrin, manque de profondeur psychologique : mais trouvez au xviie  siècle une représentation de mœurs ecclésiastiques plus exacte et plus vivante.

1108. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Saint Louis a trop souvent dans les histoires, et même chez Voltaire, l’angélique et fade pureté d’une image de piété : chez Joinville, il est saint, autant et plus qu’ailleurs : mais il est homme, et vivant. […] Avec plus de singulière perfection, en saint Louis, avec plus de commune humanité, chez Joinville, voilà l’esprit qui a créé le monde mystique du Graal, voilà, réalisée en des actes vraisemblables, accessibles, en pleine réalité historique et vivante, la chevalerie du Christ.

1109. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il demande à la tragédie la vérité, l’intérêt, la passion ; je n’insisterai pas sur l’idée qu’il nous donne d’une tragédie psychologique et pathétique, composée par un artiste curieux et scrupuleux : c’est inutile ; cette tragédie dont Boileau nous développe la formule abstraite, nous la retrouverons tout à l’heure, vivante, dans Racine. […] Il n’a pas vu que la source vive, inépuisable, où s’alimente la comédie, toute la comédie, même la plus haute, c’était la farce populaire, et non la plaisanterie moderne : de là sa rigueur contre Molière, qu’il trouve trop peuple, entendez trop chaud, trop franc, trop grossièrement vivant.

1110. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Et ces êtres vulgaires, formes dégradées de l’humanité, nous blessent dans notre amour-propre ; ils nous affligent, et nous les méprisons : pourtant ils sont si réels, si vivants, ils souffrent avec une si énergique intensité, qu’ils prennent droit de représenter la pauvre humanité, et qu’un peu de notre pitié, une pitié loyalement, rudement gagnée par eux sans complaisance ni tricherie de l’auteur, adoucit nos dégoûts, notre tristesse et notre révolte. […] Daudet, finement et nerveusement, a su rendre certains aspects du Paris d’il y a trente ans, aspects de la ville, aspects des âmes ; il a dessiné de curieuses et vivantes figures : il a rendu aussi, en scènes touchantes ou grandioses, l’idée que de loin, par les indiscrétions des journaux ou la publicité des tribunaux, nous pouvons nous faire des existences princières dans les conditions que le temps présent leur fait.

1111. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Didon, Camille, Mézence, Nisus et Euryale, Énée même, sont-ils de vains noms ou des êtres vivants qui peuplent toutes les imaginations cultivées ? […] Le Henri IV de l’Essai sur les mœurs est plus vivant que celui de la Henriade, parce qu’il est tracé de main d’écrivain.

1112. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Il n’y a pas de caractères individuels dans les épopées primitives ; ce que la vieille critique débitait sur les caractères d’Homère est fort exagéré, et encore le monde grec, si vivant, si varié, si multiple, a-t-il atteint sur ce point, du premier coup, de très fines nuances. […] Mais lier des gerbes vivant chacune de leur vie propre !

1113. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Non seulement les salons sont le berceau de la comédie de société, de ces petites pièces légères et faites de rien, qui comptent en France plus d’un frêle chef-d’œuvre  ; mais la vraie comédie, celle qui est destinée au grand public, trouve là le secret du dialogue vivant et aisé. […] Preuve en soit, à la fin du règne du grand Roi, ce groupe mal famé de libres viveurs et de libres penseurs, qui soupe, rime et s’ébaudit au Temple autour des princes de Vendôme, entretient à huis clos un esprit de moquerie, d’impiété, de révolte et rattache ainsi, comme un chainon vivant, la Fronde, qu’il rappelle, à la Régence, qu’il annonce.

1114. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

et elle montre la main du Dieu vivant venant frapper jusque sur les planches cet histrion qui fut l’auteur du Misanthrope. […] Il n’est pas difficile non plus de retrouver un fond de gravité et de sévérité protestantes chez des hommes, qui, vivant à Paris, dans un milieu sceptique, ont jonché leur route des débris de leur orthodoxie.

1115. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Le fait est que, douée d’une vive imagination, d’un sens poétique exquis, d’un sentiment passionné de la nature, elle personnifiait tous ses goûts et toutes ses inspirations de jeunesse dans la figure de Goethe, et qu’elle l’aimait avec transport comme le type vivant de tout ce qu’elle rêvait. […] On extrairait de ces lettres de Bettina non seulement un Goethe idéal, mais un Goethe réel, vivant, beau encore et superbe sous les traits de la première vieillesse, souriant sous son front paisible, « avec ses grands yeux noirs un peu ouverts, et tout remplis d’amabilité quand ils la regardent ».

1116. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Ce chanoine, fils de Lesage, chez qui son vieux père alla finir ses jours, était un joyeux vivant lui-même : « il savait imperturbablement tout son Théâtre de la Foire et le chantait encore mieux que la Préface ». […] La mort remit bientôt Lesage à son rang, et celui qui n’avait rien été de son vivant, et de qui on ne parlait jamais sans mêler à l’éloge quelque petit mot de doléance et de regret, se trouve aujourd’hui classé sans effort dans la mémoire des hommes, à la suite des Lucien et des Térence, à côté des Fielding et des Goldsmith, au-dessous des Cervantes et des Molière.

1117. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Songez à moi, monsieur, dans ce temps qui, si j’en crois ce qu’annonçaient les derniers mois où je vivais avec les vivants, doit être fécond en événements (la Guerre d’Amérique) ; songez à moi, dis-je, ou plutôt (car j’ai assez de preuves que vous daignez vous occuper de ma triste existence) rappelez-la à d’autres. […] L’amant était encore tout vivant et tout délirant en lui ; le père était tout occupé de l’enfant qui venait de naître et qui vécut peu ; le prisonnier multipliait ses réclamations, ses apologies, ses mémoires, dans la vue de ressaisir sa liberté, et, en attendant, l’homme d’étude se livrait à toutes les lectures qui lui étaient possibles, à la traduction et à la composition de divers ouvrages, dont on voudrait à jamais anéantir deux ou trois, pour l’honneur de l’amour, pour la dignité du malheur et celle du génie.

1118. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Bref, il ne manquait rien au comte de La Marck de ce qui constituait alors un homme du plus grand monde, vivant sur le pied le plus agréable et dans une flatteuse considération. […] En le lisant, on éprouve à tout instant le sentiment vif de la beauté et de la grandeur de l’idée politique, cette beauté sévère, judicieuse, vivante pourtant, et qui aspire à se réaliser en pratique et en action.

1119. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

On peut juger un homme public, mort ou vivant, avec quelque rudesse ; mais il me semble qu’une femme, même morte, quand elle est restée femme par les qualités essentielles, est un peu notre contemporaine toujours ; elle l’est surtout quand elle n’a cessé de se continuer jusqu’à nous par une descendance de gloire, de vertu et de grâce. […] Peignant le bonheur de deux époux fidèles, et celui du père en particulier qui, se revoyant tout vivant dans les traits de ses enfants, y lit la pudicité de son épouse, la vérité de son émotion la fait arriver à l’expression parfaite et au coloris : Quelquefois même, un époux tendrement aimé se voit seul tout entier dans les traits de ses enfants.

1120. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Marie-Joseph Chénier, vers ce temps aussi, publia sa satire, Les Nouveaux Saints, dans laquelle La Harpe joue un grand rôle, et où on lui fait dire : Avant Dieu, j’ai jugé les vivants et les morts. […] Sa Prophétie de Cazotte à la main, il peut se présenter même auprès des générations rebelles pour qui son Cours de littérature n’est plus une loi vivante : elles se contenteront de cette seule page mémorable, et, après l’avoir lue, elles le salueront.

1121. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Sa vie aventureuse et romanesque a prêté à des Mémoires apocryphes fabriqués de son vivant, et qu’il put lire lui-même en haussant les épaules de pitié : Ce sont de pauvres gens, écrivait-il à son frère (26 septembre 1741), que ces prétendus historiens, qui sans doute payent leurs hôtes et s’habillent à mes dépens. […] Mais, vivant jusqu’à la fin en Turquie, et sablant le tokay sur le Bosphore, il persista dans son système d’indifférence et dans le découragement dont il s’était fait une philosophie : « Qu’a-t-on à faire, répondait-il aux curieux, du récit de mes sottises ? 

1122. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Elle retrouvera, sous la cendre des bouleversements, cette mémoire vivante et présente que nous a gardée, d’un grand empire évanoui, la cendre du volcan de Naples. […] Mais l’imprimé ne lui suffira pas : il frappera à une source nouvelle, il ira aux confessions inédites de l’époque, aux lettres autographes, et il demandera à ce papier vivant la franchise crue de la vérité et la vérité intime de l’histoire.

1123. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Dimanche 26 juin Quand on devient vieux, il se glisse dans vos yeux quelque chose, qui enlève de la vie vivante aux femmes et aux hommes, sur lesquels vont vos regards, et aujourd’hui il me semblait voir sur mon chemin, dans de la lumière ensoleillée, les gens non tels qu’ils étaient, mais ainsi qu’on verrait passer des hommes et des femmes à travers les rideaux de tulle d’une croisée. […] Jeudi 15 septembre Je tombe chez Burty, sur le vieux graveur Pollet, un japonisant frénétique, et qui est en train de dire : « Sur les 1 000 francs que j’ai pour vivre par mois, je paye 800 francs aux marchands de japonaiseries… c’est 200 qui me restent… mais j’ai des modèles qui me coûtent dans les 100 francs… donc 100 francs pour vivre… Ma foi, j’ai pris le parti de ne rien payer de mon vivant, je ne paye pas mon tailleur, je ne paye pas mon restaurateur… Il n’y a que mon cordonnier que je paye, parce que c’est un pauvre diable. » * * * — Visite de noces d’une jeune femme rieuse, chez une vieille tante de son mari, affligée d’une tympanite (maladie où l’on p… perpétuellement) et qui est menée par son beau-père, affreusement sourd : « Mais je ne comprends pas ce que la petite a à rire, comme cela, tout le temps… nous nous entretenons cependant de choses assez sérieuses », répète, à tout moment, le sourd intrigué.

1124. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

En 1804, l’auteur d’une de ces Biographies universelles idiotes où l’on trouve moyen de raconter l’histoire de Calas sans prononcer le nom de Voltaire, et que les gouvernements, sachant ce qu’ils font, patronnent et subventionnent volontiers, un nommé Delandine, sent le besoin de prendre une balance et de juger Shakespeare, et, après avoir dit que « Shakespear, qui se prononce Chekspir », avait, dans sa jeunesse, « dérobé les bêtes fauves d’un seigneur », il ajoute : « La nature avait rassemblé dans la tête de ce poëte ce qu’on peut imaginer de plus grand, avec ce que la grossièreté sans esprit peut avoir de plus bas. » Dernièrement, nous lisions cette chose écrite il y a peu de temps par un cuistre considérable, qui est vivant : « Les auteurs secondaires et les poètes inférieurs, tels que Shakespeare  », etc. […] on doit faire un peu attention aux autres, un seul n’a pas droit à tout, la virilité toujours, l’inspiration partout, autant de métaphores que la prairie, autant d’antithèses que le chêne, autant de contrastes et de profondeurs que l’univers, sans cesse la génération, l’éclosion, l’hymen, l’enfantement, l’ensemble vaste, le détail exquis et robuste, la communication vivante, la fécondation, la plénitude, la production, c’est trop ; cela viole le droit des neutres.

1125. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

De style viril, combattant toutes décadences et avant tout créatrice, elle ne s’attachera qu’à étudier les idées des hommes vivants et leurs œuvres. […] Comme le rappelle par exemple André Billy (« Apollinaire vivant », Les Écrits nouveaux, 3e année, n° 11, novembre 1920, p. 8), Apollinaire aimait à laisser croire que son père était un prélat.

1126. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Cet esprit, de principes si sévères qu’on l’a accusé d’être un puritain en littérature, n’a point, quand il touche aux œuvres contemporaines et aux hommes vivants, l’implacabilité qui est le caractère de toute justice qui doit frapper et courageusement frappe… Excepté ce coup de feu et de jeunesse, justifié par les guerres du temps, contre une masse, d’ailleurs, contre toute une littérature dans laquelle le nom d’un seul écrivain fut prononcé, et au milieu de quelle revanche d’éloges ! […] L’homme bienveillant qui est en lui est sans doute moins gêné par des mémoires qu’on ne peut plus blesser, que par des sensibilités vivantes qu’il est si facile d’offenser.

1127. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Mais n’est-il pas d’autres phénomènes sociaux, singulièrement plus vivants que les classes, et reposant, non plus sur quelques conventions d’ailleurs ébranlées, mais sur tout un système d’institutions solidement assises, orientées dans un même sens, et qui iraient directement, à l’encontre de l’une au moins des idées que nous avons, définies ? […] Et là elle s’est montrée à deux reprises, séparées d’ailleurs par une longue éclipse : nous l’apercevons une première fois, comme s’éveillant à peine, dans le monde gréco-romain, — une seconde fois, plus vivante et vraiment agissante, dans le monde moderne occidental.

1128. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

On sait, et l’histoire même ne l’oubliera pas, ce que fut Béranger, le trouvère artistement familier, le tacticien politique de la prétendue chanson des Bonnes gens, le poëte élégant et passionné de plus d’un noble souvenir, le panégyriste de l’orgueil national, ingénieux à charmer ou plutôt à aigrir par ses chants la plaie toujours vivante de tant de gloire inutile et de tant de triomphés perdus par la faute d’un homme. […] Il vit la cataracte du Niagara, cette pyramide vivante du désert, alors entourée de bois immenses.

1129. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Nous ne tenons pas au mot, puisqu’il n’est pas favorablement vu, et qu’on y a attaché l’idée d’une coterie étroite, se recrutant d’après des conventions immuables et restrictives, vivant d’une vie isolée, factice et byzantine. […] Auprès du bohème tapageur et paradoxal, il a montré le travailleur éternellement attelé à sa besogne, vivant sans cesse dans la longue et consciencieuse culture de son art. […] Déjà l’Ecclésiaste avait déclaré « les morts, qui sont morts depuis longtemps, plus heureux que les vivants demeurés vivants jusques ici. […] Enfin, accentuant d’une manière visible les dimensions étriquées de ses personnages, il parvient à en faire des types abstraits plutôt que des épreuves photographiques d’individus vivants. […] Les deux anciens employés et les comparses qui les entourent, hobereaux, villageois, fonctionnaires, curé, médecin, peuvent passer pour des portraits ressemblants, tels que chacun en a vu les vivants originaux.

1130. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

une difficulté de plus, un intérêt, un péril : incedo per ignes… Et voilà ce qui fait que le genre du discours académique, dont on dira tout ce qu’on voudra, est un genre bien moderne, bien vivant, bien dramatique, et plus couru que toutes les tragédies du monde.

1131. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Le poëme de M. de Lamartine nous rendait la pure lumière du ciel d’Italie ; mais les autres points plus solides de la réalité, tout ce qui était marbre, figures peintes ou hommes vivants, nous ne l’avions pas.

1132. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il les considère le plus souvent alors comme les expressions vivantes d’une classe plus ou moins nombreuse, comme les organes d’une clameur plus ou moins générale.

1133. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !

1134. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Et s’ils luttent, les uns, dans un four à coke ; s’ils élèvent, les autres, des abeilles ; s’ils cultivent des roses et des blés, ce n’est point par un stratagème, ni une simagrée des hasards… Ces pêcheurs, ces maçons, ces bouviers ont été, sans nul doute, élus à travers toute l’Éternité pour solenniser les guêpes et les marbres… Et ils apparaissent moins des hommes que de vivantes Enclumes, les uns ; et ceux-ci des Houlettes ; des Corbeilles et des Faux… » Au lieu d’inventer des aventures où paradent et dialoguent d’impossibles personnages, il convient de célébrer également la pacifique sublimité des fêtes familiales et civiques.

1135. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

  « Sainte-Beuve. » Il faut noter aussi cette pensée, cueillie dans les échos, à propos d’une inscription lue sur le mur de clôture du cimetière Montparnasse : « Liberté, Égalité, Fraternité » : — « Dans combien de siècles cette devise strictement vraie pour les morts sera-t-elle enfin une vérité pour les vivants ? 

1136. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Les vices qui résultent de cet alliage se rencontrent jusqu’en des poètes de la valeur de Ronsard : ils donnent à l’œuvre de la pléiade cette apparence artificielle, si différente de l’aspect vivant et naturel de l’œuvre des poètes précédents.

1137. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

Il lui reste à remercier les huit où dix personnes qui ont eu la bonté de lire son ouvrage en entier, comme le constate le succès vraiment prodigieux qu’il a obtenu ; il témoigne également toute sa gratitude à celles de ses jolies lectrices qui, lui assure-t-on, ont bien voulu se faire d’après son livre un certain idéal de l’auteur de Han d’Islande ; il est infiniment flatté qu’elles veuillent bien lui accorder des cheveux rouges, une barbe crépue et des yeux hagards ; il est confus qu’elles daignent lui faire l’honneur de croire qu’il ne coupe jamais ses ongles ; mais il les supplie à genoux d’être bien convaincues qu’il ne pousse pas encore la férocité jusqu’à dévorer les petits enfants vivants ; du reste, tous ces faits seront fixés lorsque sa renommée sera montée jusqu’au niveau de celles des auteurs de Lolotte et Fanfan ou de Monsieur Botte, hommes transcendants, jumeaux de génie et de goût, Arcades ambo ; et qu’on placera en tête de ses œuvres son portrait, terribiles visu formæ , et sa biographie, domestica facta .

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