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898. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Si la proposition du carré de l’hypoténuse choquait nos habitudes d’esprit, nous l’aurions réfutée bien vite. […] Chacun sait que l’esprit du dix-huitième siècle eut pour fond la défiance et pour œuvre la critique. […] Je ne parle point des innombrables recherches et des publications infinies qu’elle a produites, mais dû nouvel esprit qui l’a transformée. […] Nulle manœuvre ne fut plus heureuse et plus habile que la variation perpétuelle de sa doctrine et l’allure ondoyante de son esprit. […] Nul oreiller n’est plus doux, plus semblable au paisible lit qu’on vient de quitter, meilleur pour retenir ceux qui n’aiment pas à courir les aventures de l’esprit.

899. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

En même temps que l’état de la société humaine, la forme de l’esprit humain a changé. […] Nulle race n’a l’esprit si compréhensif ; nulle n’est si bien douée pour la haute spéculation. […] Par-delà toutes les causes générales qui ont entravé cette littérature, il y en a une nationale : ils n’ont pas l’esprit assez flexible, et ils ont l’esprit trop moral. […] Elle n’aboutit pas ; les esprits sont trop positifs, les théologiens trop esclaves. […] On n’a guère vu d’esprit dont la pensée planât plus haut et plus loin des choses réelles.

900. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

S’il a rabattu quelque chose de la luxuriance de l’esprit du xvie  siècle, n’a-t-il pas aussi par là même dirigé l’esprit français dans ses voies véritables ? […] Il n’y a pas pour lui de sot livre, dont un homme d’esprit ne puisse, ou plutôt ne doive tirer profit, et par là, prouver son esprit même. […] Cette manière de détromper les hommes opère très promptement sur les bons esprits ; elle opère infailliblement et sans aucune fâcheuse conséquence, secrètement et sans éclat sur tous les esprits. […] L’esprit de Bacon et de Locke commençait à souffler dans le monde. […] Félix Rocquain dans son Esprit révolutionnaire avant la Révolution, et récemment M. 

901. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Il n’est donc rien de tel en chaque genre, pour se sauver et triompher décidément, que l’esprit, et beaucoup d’esprit, et très-inventif : c’est encore, après tout, la seule recette que n’a pas qui veut. […] L’esprit qui circulait, c’était un peu celui de Chérubin et de Figaro. […] Esprit de vaudevilliste, disait-on dans la salle dès les premières scènes ; il faut que chacun reste dans son cadre. […] Il y a, dans les situations qu’il offre, une gentillesse d’esprit, et, le dirai-je ? […] La fertilité est une des plus grandes marques de l’esprit.

902. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Où sont l’esprit et la poésie là-dedans ? […] Le malheur, c’est que nous lisons trop Boileau des yeux, et avec l’esprit, pour la pensée. […] Il n’y a même pas d’esprit dans tout cela, ou s’il y en a, c’est de l’esprit de peintre, un esprit qui n’est pas dans les idées, leurs qualités et leurs rapports : il est dans le coup de crayon, dans le trait qui accuse un contour expressif, dans le rendu dont la vigoureuse fidélité fait le comique. […] Son éducation, les habitudes et l’esprit de son siècle, tout conspirait à l’empêcher de prendre conscience de son originalité artistique. […] Il l’altéra par l’emploi de la rhétorique, de l’esprit, de toutes les formes et tours qui ne conviennent qu’à l’expression des idées.

903. (1890) L’avenir de la science « II »

L’esprit que j’attaque ici est celui de la science anglaise si peu élevée, si peu philosophique. […] Le principe est incontestable ; l’esprit seul doit régner, l’esprit seul, c’est-à-dire la raison, doit gouverner le monde. […] Tel est donc l’état de l’esprit humain en ce siècle. […] Mais les esprits étroits et absolus ont une singulière façon de l’entendre. […] Les esprits élevés, qui redeviennent peuple, éprouvent le même sentiment.

904. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Tu as toujours donné dans la bagatelle ; tu devrais présentement briller dans la finance… Avec l’esprit que j’ai, morbleu ! […] Ce n’est pas un homme de génie, ni d’un grand talent, ni qui ait en lui rien de bien particulier : c’est un esprit sain et fin, facile, actif, essentiellement éducable, ayant en lui toutes les aptitudes. […] Il était d’avis que « les productions de l’esprit les plus parfaites sont celles où il n’y a que de légers défauts, comme les plus honnêtes gens sont ceux qui ont les moindres vices ». […] Un esprit qui est aussi peu que possible de la famille de Lesage, et qui se disait, en souriant, plus platonicien que Platon lui-même, M.  […] Sur la fin de sa vie il n’avait le plein usage de ses facultés que vers le milieu de la journée, et on remarquait que son esprit montait et baissait chaque jour avec le soleil.

905. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Les deux premiers volumes du traité intitulé : De la manière d’enseigner les belles-lettres par rapport à l’esprit et au cœur, parurent en 1726. […] — L’étude donne à l’esprit de l’élévation et de l’étendue. […] Même dans ses années de retraite et d’étude, il eut à subir quelques mortifications qu’il reçut en esprit de paix, mais dont notre impartialité ne doit point dissimuler les causes. […] Guéneau de Mussy déplore cet esprit précoce d’indépendance qui a remplacé et envahi l’âge naturel de la soumission et de la docilité. […] Ceux même qui ont été assez heureux pour échapper à cette contagion des esprits, ont attesté toute la violence qu’ils ont soufferte.

906. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Je n’aurais jamais cru rencontrer, je l’avoue, tant d’esprit de chicane et d’argutie chez une personne qui se pique d’ailleurs de libéralisme et d’aimer la vérité. […] C’était un esprit nerveux, un esprit de courage, et le cœur presque aussi courageux que l’esprit ; une justesse infinie avec de l’étendue. […] Voici le texte arrangé de l’édition de 1825 : Cependant mon père était recherché par ce qu’il y avait de meilleure compagnie dans la province ; il était de toutes les fêtes, convive aimable et plein d’enjouement ; avec cela un esprit nerveux, une âme forte, le cœur aussi courageux que l’esprit ; de la finesse dans les aperçus, de la justesse dans le discernement ; peut-être ne se reconnaissait-il pas lui-même, il ignorait la porté de son génie.

907. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

L’ame a ses besoins comme le corps, et l’un des plus grands besoins de l’homme est celui d’avoir l’esprit occupé. […] Ou l’imagination trop allumée ne présente plus distinctement aucun objet, et une infinité d’idées sans liaison et sans rapport s’y succedent tumultueusement l’une à l’autre ; ou l’esprit las d’être tendu se relâche ; et une rêverie morne et languissante, durant laquelle il ne joüit précisement d’aucun objet, est l’unique fruit des efforts qu’il a faits pour s’occuper lui-même. […] Il faut que l’esprit ait contracté l’habitude de mettre en ordre ses idées et de penser sur ce qu’il lit ; car la lecture où l’esprit n’agit point et qu’il ne soutient pas en faisant des reflexions sur ce qu’il lit, devient bientôt sujette à l’ennui. […] La situation de leur esprit est même inconnuë au commun des hommes qui, jugeant de ce que les autres doivent souffrir de la solitude par ce qu’ils en souffrent eux-mêmes, pensent que la solitude soit un mal douloureux pour tout le monde. […] Le changement de travail et de plaisir remet en mouvement les esprits qui commencent à s’appesantir : ce changement semble rendre à l’imagination épuisée une nouvelle vigueur.

908. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Au moment où les forces de son esprit plus rassis et plus mûr se rassemblaient sur l’objet auquel il était éminemment propre et qui allait devenir l’étude de sa vie, la Providence nous l’enleva. […] Il me semble que c’est une des plus favorables à qui veut occuper son esprit. […] Toutes nos erreurs nous sont connues ; l’âpreté de nos jugements d’autrefois nous revient à l’esprit avec honte ; on laisse désormais pour le monde le temps faire ce qu’il a fait pour nous, c’est-à-dire éclairer les esprits, modérer les passions. » Il n’était pas temps encore pour Farcy de rentrer dans l’Université ; le ministère de M. […] ……… Dans cette retraite heureuse et variée, l’âme de Farcy s’ennoblissait de jour en jour ; son esprit s’élevait, loin des fumées des sens, aux plus hautes et aux plus sereines pensées. […] Mais l’art n’y pouvait rien : Farcy parla peu, bien qu’il eût toute sa présence d’esprit.

909. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

L’âpre bon sens aiguisé d’esprit et rendu tranchant comme l’acier par l’expression originale, était le caractère de style de cet oncle, ami des Christins de Ferney. […] La liberté du discours est une blessure à la tyrannie des esprits absolus ; ils veulent régner sur la logique comme sur les faits. […] Lequel vaut mieux, d’une agonie d’esprit de vingt ans ou d’un coup de hache d’une seconde ? […] Telle est la vie recueillie et cénobitique de ces heureux et rares esprits, jouissant de tout, cultivant tout, divinisant tout, qu’on appelle de ce doux nom : les dilettanti en Italie, les amateurs en France. […] ce présent n’a qu’un jour ; ils habitent, dans la permanence de leurs pensées, avec les immortels de l’histoire et de l’art ; ils sont contemporains de tous les passés et de tous les avenirs ; ils sont les abstractions supérieures de notre infime personnalité ; ce qu’ils habitent le moins, c’est notre terre : leur conversation, comme dit l’Apôtre, est avec les esprits invisibles ; purs esprits eux-mêmes, ils sont imperméables à nos misères de fortune ou de vanité.

910. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

… Jamais ne mêlant le type de l’une avec l’autre (quel esprit d’ordre) ! […] Nulle invention, nulle mise en scène, presque nul esprit. […] Feuillet est un esprit charmant. — Madame Allan est charmante. — M.  […] Assez de visages et d’esprits renfrognés comme cela ! […] Voici en quels termes il adjective l’esprit de M. 

911. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

La perception ne consiste pas seulement dans des impressions recueillies ou même élaborées par l’esprit. […] Il y aurait donc là une marche en ligne droite, par laquelle l’esprit s’éloignerait de plus en plus de l’objet pour n’y plus revenir. […] C’est ordinairement la perception présente qui détermine l’orientation de notre esprit ; mais selon le degré de tension que notre esprit adopte, selon la hauteur où il se place, cette perception développe en nous un plus ou moins grand nombre de souvenirs-images. […] Physiologie de l’esprit, Paris, 1879, p. 207 et suivantes. […] MAUDSLEY, Physiologie de l’esprit, p. 300 et suiv. — Cf. 

912. (1923) Paul Valéry

Un esprit qui ne cherche qu’à essayer ne voit pas la nécessité profonde de produire une chose déterminée. […] L’esprit pur implique un refus de choisir, l’acte créateur implique une obligation de choisir. […] En tant que poète, il choisit de ne pas être un esprit, et d’être un homme. […] Regard sur la totalité, choix du parti, il y a là deux esprits à allier, analogues à l’esprit de finesse et à l’esprit de géométrie : l’un qui se rend compte de la complexité des choses, et qui, s’il était seul, s’abîmerait dans la méditation, le détail, la division infinie de cette complexité ; l’autre qui tranche dans le vif, qui réalise par l’action une simplicité efficace. […] Mais Mallarmé surtout a appliqué ici la « logique de son esprit subtil.

913. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Dieu n’est que la projection de mon esprit, comme toutes choses, car je ne puis sortir de mon esprit. […] C’est que ce mot, s’il a une signification propre, signifie un esprit absolument original, naturellement différent des esprits qui l’entourent. […] La plupart de nous, sentant la vulgarité primitive de notre esprit, c’est-à-dire sa ressemblance aux esprits voisins, doivent sans cesse travailler à modifier cet esprit primitif, à se créer une âme nouvelle, meilleure, plus originale. […] L’esprit peut vivre isolé de la matière, qu’il domine. […] j’évoquerais son esprit !

914. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — I »

Il semblait alors que l’intervention néfaste de ce pouvoir détournât sans cesse l’esprit humain d’atteindre un état de certitude, de perfection et de repos, qui semblait devoir être le but de tout effort et dans lequel semblaient devoir se résoudre, en une harmonie bienheureuse, toutes les divergences et toutes les oppositions où se manifeste le fait de l’existence phénoménale. […] Dans la seconde partie de cette étude, poussant plus loin les premières analyses que l’on avait instituées, on en vint à découvrir que cette conception de la vérité dont on se réclamait pour décréter l’imperfection de la connaissance humaine, était elle-même un produit de cette aptitude de l’esprit à concevoir les choses autres qu’elles ne sont. […] On aperçut qu’il n’y a pas lieu de tenir rigueur à un pouvoir qui nous fait concevoir les choses autres qu’elles ne sont si, à vrai dire, les choses ne comportent pas une réalité fixe, et, dans la troisième partie de cette étude on reprit avec complaisance l’examen des diverses conceptions au moyen desquelles l’esprit, par la vertu de ce pouvoir de déformation, nous ouvre sur les choses les perspectives où nous les saisissons. Il reste maintenant à fournir une dernière explication sur la définition que l’on a donnée du pouvoir bovaryque de l’esprit. […] Du point de vue auquel on se tient actuellement, le pouvoir de concevoir les choses autres qu’elles ne sont ne doit plus apparaître que comme une expression mythologique du pouvoir pur et simple de connaître, ce que l’on nommait le pouvoir de déformation de l’esprit doit apparaître ainsi qu’un pouvoir créateur.

915. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Dans la grande question qui tenait alors les esprits en inquiétude et en attente, il a pris l’extrême parti. […] Montesquieu a trop d’esprit, plus encore d’envie d’en avoir, et cet esprit n’est pas toujours du bon aloi ni du meilleur goût. […] Il y a trop de choses dans l’Esprit des lois, trop diverses, et un plan trop vaste. […] Il n’en est pas de même de l’Esprit des lois. […] L’Esprit des lois est à peine un livre : ni chronologie ni perspective, comme le dit M. 

916. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Leurs clameurs indiquent, à leur insu, par où l’esprit les blesse. […] de l’esprit quel pitoyable centre ! […] Ce n’est point embarrasser la marche de l’esprit que d’en assurer les pas. […] L’esprit eût perdu trop de bonnes choses à se tenir si fort à l’étroit. […] Il railla les pédants, sans railler la science ni l’esprit.

917. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Toutefois l’éclat extérieur de cette fête le céda à la préoccupation qu’elle fît naître dans tous les esprits. […] Mais il avait affaire à une personne du monde, pourvue d’esprit et de tact ; aussi n’y eut-il pas un seul instant d’embarras. […] Ainsi, ne va pas te mettre dans l’esprit que tu es un Raphaël. […] Bien qu’animés d’un esprit très-différent, ils vivaient toutefois cordialement entre eux. […] C’est Paillot de Montabert, homme recommandable par l’affabilité de son caractère et les lumières de son esprit.

918. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

La justesse admirable de votre esprit va m’attaquer, j’en suis sûr, par une petite porte que j’ai laissée entrouverte à la critique. […] Les esprits généreux, désespérant de la politique depuis les dernières élections, se sont jetés dans la littérature. […] Faut-il donc troubler le repos de ces vieux rhéteurs qui vivent encore sur l’esprit de Geoffroy ? […] Êtes-vous doué d’un esprit juste ? […] Ainsi la Charte 1º ôte le loisir ; 2º sépare par la haine ; 3º tue la finesse d’esprit.

919. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Elle a l’esprit fait, elle moralise : « Nous sommes (sa tante et elle) à merveille jusqu’à présent. […] Les Genevois me jugèrent avec plus d’esprit que tout le monde. […] Mais il a de l’esprit, des sentiments, assez d’instruction : il est bien né. […] Près d’un esprit si fin, si ferme et si hardiment sceptique en mille points, le jeune Constant aiguisa encore le sien. […] En littérature, si l’on y regarde, c’est encore pis qu’ailleurs : l’esprit seul désormais y fait loi.

920. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Ces brusques et vigoureuses expéditions, où l’on pousse à toute bride la pensée, sont comme la guerre, et elles dévorent aussi bien des esprits. […] l’esprit vif et léger de notre ami triompha le plus habituellement de l’épaisseur du milieu. […] L’illustre chancelier fut en effet, par conscience et par supériorité, on l’a très-bien dit, ce que l’auteur des Colloques avait été par circonspection et par finesse d’esprit. […] Bernard) à la queue du Maheustre et du Manant ; ce Manant reste une excentricité par rapport à l’esprit de la France, tandis que la Ménippée est bien au cœur de cet esprit : c’est elle qui mène le triomphe. […] Les érudits, en définitive, étaient satisfaits, les gens instruits trouvaient à y apprendre, et tout esprit sérieux avait de quoi s’y plaire ; la conciliation était à point.

921. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

La suite des articles intitulés « Esprit public », et que le journal publia à dater du 16 février, est de lui. […] Il n’y a point de héros pour son valet de chambre, dit le proverbe ; je le crois, parce que les grands cœurs ne sont pas toujours de grands esprits. […] — Ce qui caractérise l’esprit de Bonaparte, c’est la force et la constance de son attention. […] Je n’ai jamais vu son esprit las. Je n’ai jamais vu son esprit sans ressort, même dans la fatigue du corps, même dans l’exercice le plus violent, même dans la colère.

922. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

En même temps qu’on y sent chez Duverney la grandeur d’âme accompagnée de bonté et même de bonhomie, le caractère modéré, noble, humain et assez élevé de Bernis s’y dessine naturellement ; son esprit y laisse échapper des nuances et des aperçus qui ont de la finesse. […] Cette fine remarque de Bernis sur le vernis d’esprit philosophique qui était alors partout, s’appliquerait aujourd’hui à bien d’autres vernis également répandus, vernis de talent, vernis d’esprit, vernis de jugement. […] Où est l’esprit vrai, le jugement original et neuf ? […] Il a bien des titres pour vous admirer, Sire, comme ministre, comme un des Quarante, comme homme d’esprit. […] Quant à la physionomie même de Bernis et à son mouvement d’esprit dans ce torrent, nous pouvons en avoir quelque idée par les lettres et billets qu’il continue d’adresser à Duverney.

923. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

La vraie manière de bien s’en rendre compte et d’en tirer profit pour l’histoire du temps, c’est de voir comment Madame écrivait, dans quel esprit, ce qu’elle était elle-même par l’éducation, par le caractère. […] Elle n’avait rien de l’esprit de secte. […] Elle ne manquait point d’esprit, et ce qu’elle voyait, elle le voyait très bien. […] C’est ainsi qu’apprenant que cette princesse s’est évanouie de douleur à la nouvelle subite de la mort de l’électeur palatin, son père, Mme de Sévigné badine là-dessus : « Voilà Madame à crier, dit-elle, à pleurer, à faire un bruit étrange, on dit à s’évanouir, je n’en crois rien ; elle me paraît incapable de cette marque de faiblesse ; c’est tout ce que pourra faire la mort que de fixer tous ses esprits. » Fixer tous ses esprits, parce que ses esprits (dans la langue de la physique du temps) étaient toujours en mouvement et en grande agitation. […] Ce qu’elle prisait fort en lui, c’était sa droiture de sentiment et sa justesse de coup d’œil quand il était livré à son propre mouvement, c’était la qualité de son esprit, l’agrément de ses entretiens, la tournure excellente de ses propos ; enfin c’était un certain naturel élevé qui l’attirait et la charmait en Louis XIV.

924. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Il parle en un endroit et « de la décadence de ce corps qu’il a tant aimé », de la prétention qu’il avait eue « d’être placé au premier rang par les qualités agréables et solides, par la beauté du corps comme de l’esprit ». […] Bien des esprits sérieux et réfléchis suivront et partageront ainsi désormais les vicissitudes morales de Maine de Biran. […] Le moindre signe d’opposition ou seulement d’indifférence me trouble et m’abat, je perds toute présence d’esprit, tout sentiment et toute apparence de dignité. […] Ce journal intéresse, parce qu’il n’est pas seulement d’un esprit qui cherche la vérité, mais aussi d’une âme plaintive et qui a soif de bonheur. […] D’où me vient enfin cette suggestion extraordinaire de vérités dont les expressions sont mortes pour mon esprit, même quand il les connaît à la manière ordinaire ?

925. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Nous pouvons dire, sans abuser des mots, que Montaigne, avec son bon sens, tant qu’il eut l’honneur d’être l’associé et le collaborateur du maréchal, dut être, à sa manière, l’un de ces esprits familiers, et le plus sur. […] Il y avait d’ailleurs beaucoup de mesure à observer dans ces communications avec le roi de Navarre, pour ne pas donner ombrage à l’esprit ultra-catholique et ligueur. […] Dans l’état d’agitation des esprits, on pouvait craindre non seulement une manifestation, mais des accidents et même des coups de vengeance au milieu des salves et mousquetades des soldats citoyens. […] J’entre autant que personne dans l’esprit de ces raisons, et je reconnais même dans cette conduite le véritable Montaigne tel que je me le suis toujours représenté, avec toutes ses qualités de bon esprit, de modération, de prudence, de philosophie et de parfaite sagesse ; à quoi il ne manque que ce qui n’est plus en effet de la philosophie et de la sagesse, ce qui est de la sainte folie, de la flamme et du dévouement. […] La grandeur et la force de Montaigne (et il en a), il faut les chercher ailleurs et pu elles sont, dans les monuments de sa pensée et de son esprit.

926. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Il faut croiser les races pour l’esprit comme pour le reste, sans quoi l’on croupit sur place et, par trop de peur de s’abâtardir, on n’engendre plus. […] Collé, avec un talent des plus agréables doublé d’un bon sens solide, manquait d’étendue et d’élévation d’esprit. […] C’était, l’esprit de Collé qui, avec sa justesse, manquait d’une certaine élévation, plutôt que son cœur. […] Ici on touche aux bornes de l’esprit de Collé ; il ne sent pas que Rousseau a donné un heurt à l’esprit français, à l’imagination française, à bout de voie et tombés à la fin dans l’ornière, et qu’il a dû faire un grand effort, qu’il a dû mettre en avant la torche et le flambeau pour les faire avancer. […] Beaumarchais, par toute une veine de gaîté franche, était de la famille de Collé, tandis que Jean-Jacques appartenait à une famille d’esprits toute contraire : — antipathie et sympathie.

927. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Mais ceci n’est qu’un aspect immédiat, et il suffirait de deux ou trois de ces nobles esprits qui sont toujours une exception, et qui peuvent toujours sortir de la grande loterie providentielle, pour donner à la conjecture d’heureux démentis. […] On ne saurait assez admirer vraiment le train singulier des esprits et le va-et-vient des opinions en ce capricieux et toujours gai pays de France. […] Un homme d’esprit, qui avait trempé autrefois dans le métier, disait en plaisantant que le mot révolutionnairement, par sa longueur, lui avait beaucoup rapporté. […] Mais il s’agit ici de plus que d’un délassement de l’esprit ; il s’agit de la vie morale et intellectuelle d’un temps et d’un peuple. […] La critique, en causant de ces choses, ne peut avoir d’autre prétention que de proposer ses doutes et de faire naître dans les esprits élevés de généreux désirs.

928. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Le lendemain du Méchant, sa moisson était faite, et sa provision aussi ; son esprit rassasié n’accepta pas une idée depuis. On voit assez en quel sens on est autorisé à dire qu’il n’avait pas l’esprit sérieux. […] Ce sont là de ces faiblesses telles qu’il en arrive aux gens honnêtes un peu amollis par la vie domestique ; mais on se demande ce qu’est devenu l’homme d’esprit. […] Comment la rouille avait-elle si complétement recouvert ce vif et brillant esprit ? […] C’est assez insister sur ces problèmes, un peu humiliants au fond pour l’esprit humain et pour le talent.

929. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Mon esprit est lent, juste, réfléchi et sans suite. […] Il entre de la bonne grâce, de la finesse et de l’esprit, il entre du goût des beaux-arts et de la musique dans cet amour. […] Au reste, s’il y perd comme caractère, il n’y perd pas comme esprit. […] On sent, en lisant Grimm, un esprit supérieur à son objet, et qui ne sépare jamais la littérature de l’observation du monde et de la vie. […] Elle eut le bon esprit aussitôt de l’apprécier par ce mérite essentiel, et de sentir l’ami sérieux qui lui venait.

930. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

dans laquelle se trouve actuellement l’esprit humain. […] Or, s’il en est ainsi, que voulez-vous qu’on dise des esprits de second ou de troisième degré qui vivent sur sa méthode comme le puceron dans sa feuille ? […] Renan, l’homme s’ajuste avec le système, l’esprit avec le caractère, pour redoubler autour de soi l’indécision et la confusion. […] homme ou enfant, esprit humain, race, et quelle race ou autre chose ? […] C’est un esprit qui rapetisse et crispe ce qu’il touche.

931. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Cette singulière maxime me revient sans cesse à l’esprit depuis que j’ai conçu le projet de cet article, et j’ai voulu m’en débarrasser tout d’abord. […] Ce malheur est presque toujours une faiblesse d’esprit. […] Il a même quelque chose de sauvage, et nous ne pouvons guère nous l’approprier que par un effort d’esprit à reculons, dont le résultat s’appelle pastiche. […] L’esprit le moins accoutumé à ces subtilités esthétiques saurait bien vite m’opposer cette objection insidieuse : Le rire est divers. […] Dans la caricature française, dans l’expression plastique du comique, nous retrouverons cet esprit dominant.

932. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Les esprits me semblent tout à fait à l’état révolutionnaire, en ce sens qu’ils aspirent à un changement, à une crise, qu’ils l’attendent, qu’ils l’appellent, sans qu’aucun puisse dire pourquoi. […] À y bien réfléchir, était-il possible qu’il en fût autrement et que le malaise des esprits ne fût pas au comble ? […] Mais il est pourtant impossible de faire d’un tel régime, dans son esprit et dans son ensemble, quelque chose de grand, — de grand par l’action, par l’impulsion soit au dedans, soit au dehors, — quelque chose dont on soit fier d’avoir été le contemporain ; et M.  […] Guizot nous le livre « dans l’abondance un peu précipitée de sa conservation », tâtonnant un peu, et, ce qui est fâcheux pour un roi, tâtonnant devant tous, n’ayant pas de précision dans le premier coup d’œil : « L’esprit du roi, lui dit un jour M.  […] Il définissait son rôle de roi avec plus d’esprit que de dignité, quand il disait : « Le mal, c’est que tout le monde veut être chef d’orchestre !

933. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Puisque le désordre était surtout dans les esprits, pourquoi ne s’être pas proposé de l’y combattre, de le guérir à sa source, pour ainsi dire, au moment où il s’empare des âmes ardentes et vacantes de la jeunesse ? […] — Ce rôle sérieux, franchement conçu et embrassé tout d’abord, de la manutention des études et des esprits, méritait d’occuper tout un homme, un homme tel que lui, et on ne le lui aurait pas disputé. […] Royer-Collard) est d’avoir voulu, d’avoir espéré gouverner précisément par cette moyenne des esprits qu’on dédaignait et qui s’apercevaient du dédain. […] s’il y avait un journal républicain qui eût un peu de bon sens et d’esprit, quelle occasion de triomphe ! […] Celui de madame de Boigne me semble moins bien traité et trop peu étudié : cette personne rare, d’un esprit si ferme et si juste avec tant de tour et de délicatesse, méritait mieux.

934. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Je conçois pour un poème des champs et de la nature, comme source d’inspiration principale et propre à animer le tout, deux ou même trois façons générales de voir et de sentir, trois esprits différents, et je les définirai par des noms antiques et immortels : l’esprit d’Hésiode, celui de Lucrèce, celui de Virgile. L’esprit d’Hésiode, on le connaît peut-être moins que les deux autres, et c’est pourquoi j’y veux insister. […] L’esprit de Lucrèce, on le connaît aussi : c’est le génie de la nature puisé à sa source, embrassé dans toute sa grandeur et dans sa puissance, et aussi adoré dans sa fleur et sa vénusté. […] Il a uni et fondu les deux esprits, et les a adoucis dans ses admirables Géorgiques. […] Il ne saurait trop faire de tableaux ; il ne saurait trop éviter les digressions économiques, antisocialistes, et même religieuses : la vraie religion d’un poème est dans l’esprit même qui y est répandu partout.

935. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Cependant l’esprit emploie non-seulement l’addition, mais la soustraction. […] 3° La croyance qui a pour objet les faits futurs est le fond de ce procédé de l’esprit qu’on nomme induction. […] Ainsi, sensations, idées, associations d’idées ; le tout varié, compliqué, agrégé, croisé, groupé de mille manières : voilà tout le mécanisme de l’esprit humain. […] Bain (note 106), dérive de la crédulité primitive de l’esprit, que l’expérience contraire laisse même souvent intacte. Il n’y a presque aucun fait de l’esprit humain mieux attesté que cette disposition primitive à croire tout témoignage.

936. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Ce Dandolo, homme d’esprit, assez bon chimiste, occupé de sciences, d’améliorations et d’industrie, était une tête très vive, et parlait avec facilité, abondance et feu. […] Mais les esprits ne s’y payèrent pas de ces explications politiques ; ils furent saisis d’une soudaine exaspération dans laquelle entra Dandolo lui-même. […] Le maréchal a cette faculté de s’imprégner très vite de l’esprit et de la couleur des lieux, du génie des races. […] En 1845, le maréchal publia son Esprit des institutions militaires que j’ai déjà cité plus d’une fois, et dont je n’ai pas à reparler en détail, n’ayant point crédit pour cela. […] Il garda sa présence d’esprit jusqu’aux derniers instants.

937. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Esprit scientifique. […] Les nouvelles générations croient à la science — ce sont les hauts esprits ; au succès, au bien-être — c’est le grand nombre. […] Mêlant ensemble républicanisme, anticléricalisme et patriotisme, il écrivit de brillants articles, où tout l’esprit, toute la sincérité de l’écrivain ne masquent pas certaine maigreur ou étroitesse de la pensée, depuis que l’actualité ne les soutient plus. […] Dans ce rôle encore, il fut admirable de souplesse, de netteté d’esprit, d’éloquence dans toutes les occasions qu’il eut de parler ou d’écrire. […] L’esprit scientifique, ici encore, est victorieux, aux dépens du talent oratoire : le dédain de l’éloquence est sensible chez Taine et Renan ; celui-ci même donne un sens défavorable aux mots littérateur et littérature.

938. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Mais l’esprit de parti et l’esprit moderne sont plus forts que tout, — l’esprit de parti et l’esprit moderne, qui ont furieusement usurpé leur nom et qui ne sont pas l’esprit du tout ! L’esprit de parti, en effet, abaisse le livre de M. Henri de Lacretelle, en nous parlant beaucoup trop des amis de Lamartine, cette pâle constellation de médiocrités comme les hommes supérieurs en voient toujours rouler autour d’eux dans la vie, et l’esprit moderne n’oublie pas sa réclame, qui est le genre d’esprit de ce gros utilitaire ! […] Le xviiie  siècle l’avait tuée sous les flèches impies d’un esprit impie… On disait alors, des vers, quand on les trouvait beaux : « beaux comme de la prose !  […] Il n‘en avait pas, même en littérature : il insulta Rabelais, méconnut La Fontaine, s’éprit de Ponsard, traita Thiers d’esprit profond et transparent et de bon sens métallisé !

939. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Il endoctrinait un dauphin sous le Roi Très-Chrétien et dans une société, chrétienne encore d’esprit, si elle ne l’était plus de mœurs. […] — une intelligence grêle, un esprit efflanqué qui a parfois de la grâce… pour un Yankee. […] Grand esprit positif, comme disent les esprits vagues avec idolâtrie, M. de Humboldt est l’Aristote des temps modernes, moins la philosophie. […] Tout en maintenant la force supérieure de l’intelligence de Colomb, prise au sens humain, et qu’il aurait pu, ce nous semble, abandonner davantage, car, si l’esprit de Dieu est un homme, que fait le reste et qu’est-il besoin d’autre chose ? […] L’historien a donc vu nettement l’esprit de Dieu, comme l’entendent les chrétiens, dans l’esprit de Christophe Colomb, et il l’a dit avec cette rectitude catholique qui ne craint pas de dire ce qu’elle voit.

940. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Il a bu à cette coupe de la Philosophie, comme le siècle dernier l’a faite, de cette philosophie qui est devenue l’abreuvoir de tous les esprits et même des plus médiocres, et il s’y est enivré ! […] La théologie qu’il a étudiée et qui aurait dû donner de la trempe à son esprit n’a pu l’empêcher d’être et de rester un métaphysicien d’un ordre inférieur, qu’attire un problème qui échappe à sa portée. […] Pourquoi M. l’abbé Mitraud, resté prêtre (nous en convenons) dans la lettre de son livre, ne l’est-il pas resté dans son esprit ? […] C’est peut-être l’explication de son succès parmi les esprits les plus différents d’opinion. […] La logique même, qui conduit l’esprit du point de départ au point d’arrivée, ne suffirait pas davantage, et M. 

941. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Si, à défaut d’une identité impossible, continuation implique ressemblance ; si finir un livre commencé est, de rigueur, se substituer plus ou moins à l’auteur dans l’esprit et la manière de son ouvrage, l’honneur qu’on fit à Renée dut tout d’abord lui causer beaucoup d’embarras. Pour un esprit comme le sien, pour un esprit jeune alors, animé, plein de sève, et par-dessus tout cela poétique (il venait de publier un volume de vers), c’était une charge, mais non une charge d’âme, que de continuer Sismondi, — Sismondi, l’historien érudit, si l’on veut, mais l’historien sans vie réelle, sans mouvement, sans chaleur, et l’un des écrivains de cette belle école grise de Genève qui, pour le gris, le pesant et le froid, a remplacé avantageusement Port-Royal ! […] Il dut se demander si sa conscience éveillée de continuateur ne lui créait pas l’obligation d’imiter, autant que le lui permettrait la nature de son esprit, l’homme dont on venait pour ainsi dire de lui mettre la plume à la main. […] Ils ont la conscience de l’histoire et sa gravité, le soin vigilant des faits et du détail, et cette raison moderne et libérale, cet esprit du temps qui voit peut-être avec trop de confiance et de sérénité les problèmes sociaux auxquels est suspendu l’avenir. […] Il y a l’homme d’esprit, il y a l’homme politique, l’homme politique sceptique quelquefois dans l’histoire où, excepté l’action du caractère et de la main, il y a tant de choses qui pourraient ne pas être et qui sont indifféremment là ou là ; mais, par-dessus ces divers hommes, il y a le peintre de plume, l’écrivain d’imagination et de style, l’anti-Genevois, l’anti-Sismondi !

942. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

L’anarchie d’un peuple qui ne s’entend pas lui-même parlerait-elle fatalement, comme une contagion funeste, dans l’esprit de ceux qui le contemplent ? […] C’est un esprit éclairé, doux, et qui sait ? […] » C’est cette admiration pour l’Amérique, tempérée par un scepticisme dû à la nature un peu molle de l’esprit de l’auteur, qui donne au livre de Xavier Eyma ce caractère incertain et chancelant, lequel est, pour les esprits amoureux de netteté, la chose la plus antipathique. […] Je ne lui reproche qu’avec l’indulgence qu’on doit aux esprits qui manquent de tonique et qui en auraient grand besoin, ce qu’il dit (p. 62, même vol.) de l’esprit antimilitaire des Américains, lesquels, n’ayant pas d’armées permanentes, sont le plus formidable des peuples quand il s’agit de se défendre. […] , un germe destructeur introduit dans les institutions dont elles n’ont ni les instincts, ni l’expérience, lorsqu’une ligne plus bas il dit que l’esprit conservateur réduit ces recrues.

943. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

car les hommes n’ont pas assez de générosité intellectuelle pour s’incliner devant l’Esprit pur, réduit à sa seule force. […] Jamais la probité exaltée, l’honneur, le génie, toutes les poésies du cœur et de l’esprit, n’ont donné un plus beau spectacle que celui qu’on trouve en ces lettres, et cependant je n’ai pas encore dit ce qu’on y trouve de plus touchant et de plus beau ! […] Il y aura peut-être des esprits d’une délicatesse outrée, qui trouveront qu’il ne fallait pas livrer ces intimités au public… Cette haute pruderie n’est pas la mienne. […] L’homme n’existe dans ses mérites divins que par le cœur et par l’esprit, et les lettres d’amour de Balzac devaient être publiées, parce qu’elles importent au Cœur humain comme le système de la gravitation importe à l’Esprit humain, et devrait être publié si, Newton mort, il était resté inédit. […] — est aussi exigeant que l’Esprit humain, et peut-être l’est-il davantage… Qui sait s’il n’en a pas le droit ?

944. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Taine, esprit frivole, ne croit absolument à rien, se moque de tout, et ne changera pas. […] Doublet, lui, qui ne souffle que de fatigue, est au moins un esprit de bonne foi et d’acharnement dans la recherche. […] Oui, cela est curieux, car nous n’imaginons pas que, pour un esprit comme celui de M.  […] Taine, qui n’a pas l’esprit de son état, veut, lui, à toute force, le faire oublier. […] L’esprit solitaire y a froid, malgré le rire qu’on affecte d’y faire entendre.

945. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Il a beaucoup de chaleur dans l’esprit et dans l’expression. […] Elle tient sous elle l’esprit humain ! […] C’est une femme qui a la force musculaire du maréchal de Saxe, une beauté plus infrangible que celle de Ninon, qui n’alla modestement qu’à quatre-vingts ans en restant belle, la science occulte d’un Ruggieri, et la férocité voluptueuse d’un Héliogabale, avec une mysticité qui fait plus horreur que cette férocité voluptueuse, car les crimes spirituels sont les plus grands, l’Esprit devant être toujours à la tête de toutes les hiérarchies ! […] … J’ai pris le somnambulisme comme exemple des facilités misérables qu’un phénomène physiologique peut offrir aux esprits abaissés vers les choses faciles, et de la magnifique difficulté qu’il peut présenter aux esprits vigoureusement et fièrement amoureux de la difficulté ! […] C’est un esprit positif, qui a même la raillerie des esprits positifs, et qui, ne pouvant la mettre dans cette effroyable histoire de La Dame au manteau rouge, qu’il faudrait appeler La Buveuse de sang, l’embusque dans le titre des chapitres de cette histoire, et très-maladroitement, selon moi.

946. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Nous avons vu madame des Ursins, douée d’un esprit supérieur et hardi, se jeter avec vigueur dans les affaires et ne pas s’y ménager. […] A l’aise au milieu des embarras et même des désastres, elle y garde sa liberté d’esprit, sa fermeté d’action et jusqu’à sa verve de badinage et de gaieté. […] Prêcheuse par tournure et habitude d’esprit, un peu pédante, de ce pédantisme dont on a dit qu’il était le plus joli du monde, elle avait de tout temps aimé à conseiller et à moraliser. […] Il ne faut pas la faire pire qu’elle n’a été, en s’exagérant sa portée d’esprit. […] Quant au mérite littéraire de sa correspondance et de celle de madame des Ursins, il est tel qu’on peut l’attendre de deux femmes de cet esprit, nourries au milieu des délicatesses d’un si beau siècle.

947. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Comment ont-ils espéré de trouver des Disciples, pour peu qu’il reste encore dans les Esprits quelques traces de la raison la plus commune ? […] Par un effet tout contraire, l’excès de leurs emportemens a déjà désabusé les Esprits, que le langage imposteur de leur faux zele pour l’Humanité avoit d’abord séduits. […] Ils ont beau faire, ces Pygmées, qui ne paroissent des Géans qu’au microscope de l’ignorance ; elle est, pour les Esprits, ce que le Soleil est pour le Monde, destiné à l’éclairer, à l’embellir, à le féconder, tant qu’il existera. […] En attaquant de légeres erreurs, elles ont détruit les principes essentiels ; en cherchant à anéantir les préjugés, elles ont égaré les esprits ; en prétendant élever l’ame, elles ont dégradé & corrompu les mœurs. […] L’arbitraire, & l’arbitraire établi sur les débris des notions de tous les devoirs, répand dans les Esprits l’incertitude, la défiance, la langueur, une espece de mort morale, présage des plus funestes révolutions.

948. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

L’amateur est supérieur au professionnel parce qu’il a l’esprit libre. Mais cette liberté d’esprit ne vaut que s’il s’en sert pour penser. […] Cette mesquinerie d’habitudes où se plaisait dans ses rêves le jeune Renan et qu’acceptait Stendhal ne paraît pas acceptable à certains esprits qui, bien qu’exempts de cupidité vulgaire, veulent un décor de grandeur à leur biographie. […] Berthelot l’ait mis sur la voie d’une conception scientifique de l’univers ; — comme un rationaliste sans aucune trace d’esprit catholique réel.‌ […] En toute connaissance de cause, je ne puis voir dans ces lettres à sa sœur que les premières difficultés de carrière d’un jeune homme d’esprit libre qui répugne à s’enrégimenter.‌

949. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Une réflexion toutefois qu’on ne pouvait s’empêcher de faire en assistant aujourd’hui à cette fête de l’esprit, c’est que si pareil intérêt est excité par une réunion académique, si des hommes qui autrefois se sont combattus dans l’arène parlementaire, et qui n’ont certes pas été exempts d’injustices les uns envers les autres, étaient assis là sur le même banc, tout prêts à écouter et à applaudir une parole élevée, à jouir d’un noble talent ; si bien des préventions, des colères ont complètement disparu, et si les esprits, délivrés des craintes et comme désintéressés de leurs propres passions, s’étaient donné là rendez-vous dans un concours d’admiration et de bienveillance, on le devait à quelqu’un et à quelque chose. […] Ne disons donc pas, éternels ingrats, qu’il est inutile ou indifférent au développement de l’esprit, cet ordre stable et ce gouvernement qui seul rend possibles ce que j’appelais tout à l’heure les fêtes de l’esprit ; car je n’y vois et n’y veux voir que cela. […] Combien de fois, lorsqu’il m’arrivait d’écrire sur des hommes de la fin du xviiie  siècle qu’il avait connus, ne m’adressa-t-il point, par la main de sa respectable compagne, des souvenirs à lui personnels, des particularités qui lui revenaient à l’esprit, des encouragements à poursuivre ! […] Guizot a un cachet d’élévation qu’il a tenu à marquer ; il y rend hommage à l’esprit, à la grandeur intellectuelle ; il invite les générations à remonter en idée vers les régions sereines de la méditation et de l’étude.

950. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les esprits bornés, dit Aristote dans sa Morale, font une maxime, une règle générale, de chaque idée particulière. La raison doit en être que l’esprit humain, infini de sa nature, étant resserré dans la grossièreté de ses sens, ne peut exercer ses facultés presque divines qu’en étendant les idées particulières par l’imagination. […] Dans ce travail de l’esprit, les peuples, qui à cette époque étaient pour ainsi dire tout corps sans réflexion, furent tout sentiment pour sentir les particularités, toute imagination pour les saisir et les agrandir, toute invention pour les rapporter aux genres que l’imagination avait créés (generi fantastici), enfin toute mémoire pour les retenir. Ces facultés appartiennent sans doute à l’esprit, mais tirent du corps leur origine et leur vigueur. […] En poésie, l’art est inutile sans la nature : la poétique, la critique, peuvent faire des esprits cultivés, mais non pas leur donner de la grandeur ; la délicatesse est un talent pour les petites choses, et la grandeur d’esprit les dédaigne naturellement.

951. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 507-511

Ces minces ressorts peuvent éblouir les esprits faciles, dans une Brochure ou un Ouvrage de Philosophie. […] Tous ses Ouvrages abondent en une érudition qui étonne l’esprit & suppose l’étude la plus longue, la plus immense & la plus réfléchie. […] Ceux qui se plaignent de n’y pas trouver assez de raisonnemens, ignorent que la Logique (dont on peut abuser) n’est pas toujours propre à éclairer & à convaincre l’esprit ; que l’enchaînement des faits conduit de lui-même & sans peine à la connoissance de la vérité. […] Huet les présente tous sans déguisement ; il y joint les autorités propres à les appuyer ; il en rend la conséquence facile & victorieuse à tout esprit juste & dégagé du préjugé des passions. […] Son Traité philosophique de la foiblesse de l’Esprit humain, lui a suscité des Censeurs.

952. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

Ici, ce sont les Germains : peuples où la corruption des grands n’a jamais influé sur les petits, où l’indifférence des premiers pour la patrie n’empêche point les seconds de l’aimer ; peuples où l’esprit de révolte et de fidélité, d’esclavage et d’indépendance, ne s’est jamais démenti depuis les jours de Tacite. Là, ce sont ces Bataves qui ont de l’esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison. […] Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l’éclat, l’emportement et la vivacité de l’esprit français. Les Anglais ont l’esprit public, et nous l’honneur national ; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine que les fruits d’une éducation politique : comme les demi-dieux, nous tenons moins de la terre que du ciel. […] Grâce au génie du christianisme, nous allons montrer qu’en histoire l’esprit français a presque atteint la même perfection que dans les autres branches de la littérature.

953. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

 » Cela devenait un stimulant ensuite pour mieux acquérir le pain de l’esprit, et surtout pour être disposé à le partager avec tous. […] C’est ainsi que ce philosophe, au cœur doux autant qu’à l’esprit élevé, comprend la tolérance et l’exerce autour de lui. […] Il se croit moralement lié envers cet esprit à qui il a dû ce qu’il y a de plus précieux et de plus inestimable pour un homme de pensée, une évolution intérieure. […] En général, c’est ce qu’on peut opposer au procédé que suit en tout sujet l’esprit de M.  […] Littré ; une opposition de leurs deux esprits, de leurs qualités et de leur trempe !

954. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

L’esprit du grand jurisconsulte Favre n’avait pas cessé de hanter ces vieilles maisons parlementaires. […] C’est par l’instruction que seront guéries toutes les maladies de l’esprit humain. […] A Pétersbourg, il est seul ou n’a affaire qu’à des esprits absolus. […] Je tremble en voyant les manœuvres de cet enragé et son ascendant incroyable sur les esprits. […] Étonné lui-même de ce que son esprit ne se ressentait point de la faiblesse de son corps, il nous disait en riant : Vous serez fort surpris de ne trouver plus un jour dans ce lit qu’un pur esprit

955. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Quant au style, il est ce qu’il peut, il n’est pas formé encore, mais l’esprit va son train tout au travers. […] ce n’est pas l’esprit qui est une arme, c’est le caractère. […] … Ma lettre est une assez plate et décousue lettre, mais mon esprit n’est pas moins plat ni moins décousu. […] Mme de Staël a infiniment plus d’esprit dans la conversation intime que dans le monde ; elle sait parfaitement écouter, ce que ni vous ni moi ne pensions ; elle sent l’esprit des autres avec autant de plaisir que le sien ; elle fait valoir ceux qu’elle aime avec une attention ingénieuse et constante, qui prouve autant de bonté que d’esprit. […] Il est impossible d’avoir plus d’esprit que ce jeune homme et une expression plus heureuse.

956. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Tel mouvement de l’esprit humain a eu déjà ses phases complètes en Angleterre ou en Allemagne quand il vient se reproduire et trop souvent s’exagérer en France. […] Pour un petit nombre de gens d’esprit que l’art seul avait touchés, combien de suffrages peu dignes d’envie ! […] Bien que les faits soient rapidement présentés et les personnages dépeints en quelques traits, tout est vivant, car tout parle à l’esprit. […] Sensuelle et extatique tout ensemble, l’esprit chez elle n’a pas conscience des curiosités de la chair. […] Il avait besoin d’un silence énorme pour préparer l’esprit à ces effets grandioses.

957. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

En parlant de cet esprit pénétrant et amer, je tâcherai d’être modéré comme toujours, et, sans prodiguer la sympathie là où elle n’a que faire, je me tiendrai à ce qui est de juste sévérité. […] Les études de Chamfort s’étaient brillamment couronnées par tous les prix obtenus en rhétorique, quand son esprit indépendant et hardi commença à se jouer de la discipline. […] Tant d’amertume, toutefois, ne saurait venir d’un esprit sain ni d’un homme bien portant. […] Il ne s’élevait pas au-dessus des conditions de son cercle et de son temps, et c’est en quoi, avec tout son esprit, comme l’a très bien remarqué Roederer, il n’était pas véritablement éclairé. Il avait bien du charme pourtant et de la séduction dans le détail, et il faisait l’illusion d’être un grand esprit quand il consentait à plaire.

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