Mais le désir complet n’est pas purement intellectuel, il ne suffit pas qu’une idée quelconque s’élève dans la conscience pour être vraiment elle-même désirée. Telle idée qui a fait une profonde impression sur nous, idée pénible, effrayante même, peut s’imposer de plus en plus, monter au premier rang dans notre conscience : cette obsession, cette idée fixe, quoique enveloppant encore en elle-même une certaine appétition corrélative à toute activité, n’est cependant pas vraiment le désir.
On se rappelle le rôle que joue, dans la morale de Kant, ridée du moi intelligible, qui n’est vraiment, selon Kant lui-même, qu’une conception problématique, un noumène impossible à vérifier. […] Nous ne sentons pas vraiment lorsque toutes les impressions extérieures restent à l’état de dispersion : c’est alors le rêve de la sensation plutôt que la sensation même.
[Du patriotisme littéraire] À la fin du siècle dernier un jeune poète, à l’imagination enthousiaste, à la sensibilité frémissante, à l’âme vraiment lyrique, reportait son souvenir et sa pensée sur les beautés naturelles de notre pays qu’il avait parcouru en tous sens, depuis Marseille jusqu’à Paris, depuis Narbonne jusqu’à Strasbourg. […] De notre temps si la Prose s’altère sur quelques points, c’est pour s’enrichir par tant de conquêtes : rappelons-nous la comédie élargissant son domaine, le roman agrandi suscitant ses véritables chefs-d’œuvre, l’histoire faisant de son champ jadis étroit tout un monde d’explorations et de découvertes, la critique vraiment fondée et promue à la dignité d’un genre original où cinq à six hommes supérieurs ont véritablement créé, l’érudition réconciliée avec le beau style et devenue l’une des provinces de la haute littérature, la politique rendant parfois de mauvais services à la pureté de la langue, mais produisant aussi dans la presse et à la tribune d’admirables écrits de polémique et de non moins admirables discours, la philosophie et la religion enfin pour de nouveaux besoins et avec de nouveaux interprètes se créant aussi une langue nouvelle.
L’histoire est vraiment alors un « processus d’évolution biologique », et tous les mouvements des civilisations, leur progrès ou leur décadence s’expliquent par la prédominance des éléments « eugéniques » ou des éléments inférieurs, des dolichocéphales ou des brachycéphales. […] Par une double opération, inductive et déductive, historique et psychologique, nous l’aurions non seulement constatée, mais vraiment expliquée.
Dès qu’on nous parle d’une histoire de la psychologie française écrite par un philosophe professionnel, nous avons instinctivement l’image d’une série de chapitres non seulement sur Maine De Biran (qui a, celui-là, vraiment avancé l’étude de l’homme), mais sur Jouffroy, qui invoque souvent, et de façon touchante la révélation de la psychologie, et que la psychologie traite comme l’esprit saint fait des prélats dans la chanson de Béranger ; sur Garnier dont le Traité des facultés de l’âme réalisa assez longtemps dans les bibliothèques universitaires une summa psychologica ; ou, plus près de nous, sur Alfred Fouillée, dont la savonneuse Psychologie des idées-forces et ses complémentaires ne contiennent pas plus de sens utile. […] Quand il veut faire travailler à Pauline La logique de Condillac, lui faire apprendre par coeur L’art poétique de Boileau, dont il dira ensuite pis que pendre, ses conseils partent évidemment d’un fonds moins important, moins vraiment stendhalien que lorsqu’il veut lui faire prendre, en 1805, l’habitude d’analyser les personnes qui l’entourent (« l’étude est désagréable, mais c’est en disséquant des malades que le médecin apprend à sauver cette beauté touchante ») ou lorsqu’il contracte dans ses premières relations montaines l’aptitude à traduire par une algèbre psychologique les valeurs les unes dans les autres (" notre regard d’aigle voit, dans un butor de Paris, de combien de degrés il aurait été plus butor en province, et, dans un esprit de province, de combien de degrés il vaudrait mieux à Paris. " ) c’est à cette époque que Stendhal s’accoutume (héritier ici de Montesquieu qui ne paraît point, je crois, dans ses lectures) à rattacher instantanément un trait sentimental à un état social, à mettre en rapport par une vue rapide le système politique d’un pays avec ses façons de sentir.
C’est au petit nombre des hommes vraiment sensibles, et à qui la nature n’a pas refusé ce recueillement de l’âme qui porte aux grandes choses et les fait aimer, c’est à eux à célébrer la vertu, à honorer le génie. […] Ils sont persuadés que l’écrivain, borné au rôle d’historien-philosophe, doit mieux voir et mieux peindre ce qu’il voit ; qu’en cherchant moins à en imposer aux autres, il en impose moins à lui-même ; que celui qui veut embellir, exagère ; qu’on perd du côté de l’exacte vérité tout ce qu’on gagne du côté de la chaleur ; que pour être vraiment utile, il faut présenter les faiblesses à côté des vertus ; que nous avons plus de confiance dans des portraits qui nous ressemblent ; que toute éloquence est une espèce d’art dont on se défie ; et que l’orateur, en se passionnant, met en garde contre lui les esprits sages qui aiment mieux raisonner que sentir.