/ 1586
179. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Quand nous voyons dans la série des lettres missives de Henri IV son voyage en Limousin, dans l’automne de 1605, pour y étouffer quelque rébellion, sa lettre écrite de Bellac au landgrave de Hesse, où il se plaint des menées du duc de Bouillon, ce chef astucieux d’une intrigante famille laquelle a eu grand besoin de Turenne pour se faire pardonner de la France tous ses méfaitsq ; quand on lit ces pièces instructives, on n’a pas encore l’impression soudaine que faisait éprouver aux hommes de sens et aux amis de leur pays le réveil de ces remuements funestes, chers à quelques ambitieux mécontents ; et c’est ce que Malherbe, si sensé quoique poète69, a rendu dans une strophe admirable de son ode, ou plutôt de sa prière à Dieu pour le roi allant en Limousin : Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Qui les rend ennemis du repos où nous sommes : La plupart de leurs vœux tendent au changement ; Et comme s’ils vivaient des misères publiques, Pour les renouveler ils font tant de pratiques, Que qui n’a point de peur, n’a point de jugement. […] Read (1854), et où se lisent des conversations de Henri IV et du ministre protestant Chamier de Montélimar, pendant un voyage de celui-ci en Cour, on voit comment Henri IV traitait d’autre part ses anciens coreligionnaires demeurés opiniâtres et ardents ; il y employait un mélange de sévérité, d’adresse et de bons propos : on y saisit bien son procédé politique en action ; mais il n’était qu’exact et véridique, lorsqu’il disait à ce ministre Chamier, dont il aurait voulu adoucir l’âpreté : « Qu’il ne demandait rien de lui que ce qui se doit d’un honnête homme ; qu’il n’était pas, comme on disait, gouverné par les jésuites, mais qu’il gouvernait et les jésuites et les ministres (calvinistes), étant le roi des uns et des autres. » Vrai roi de tous en effet, grand et admirable en ce qu’il devançait l’esprit des temps, dominant toutes ces haines qui l’entouraient, toutes ces passions de gallicans, de parlementaires, d’ultramontains, de huguenots, et au sortir d’une époque où l’on s’égorgeait et l’on s’entre-dévorait, forçant tous ses naturels sujets à subsister, bon gré mal gré, dans une paix et une garantie mutuelles ! […] L’un des courts écrits qui font le mieux connaître la personne et le moral de Henri IV, ce sont les mémoires du premier président de Normandie, Claude Groulard, de tout temps fidèle à ce prince, et qui nous a conservé un récit naïf des fréquents voyages et des séjours qu’il eut à faire auprès de lui. Dans l’un de ces premiers voyages à l’armée auprès du roi, pendant le siège de Rouen, en 1591, Henri, oubliant la gravité, se plaît à harceler le respectable président, cet homme de robe longue, et à se jouer de ses peurs en le voulant emmener aux tranchées : Je le refusai, dit Groulard, comme n’étant de la profession des armes ; (alléguant) qu’aussi bien je ne pourrais dire si elles étaient bien ou mal faites, et que s’il arrivait que je fusse blessé, je ne servirais que de risée et moquerie à ceux de dedans.

180. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il a laissé de son voyage une relation destinée à fixer ses souvenirs, à contenter ses amis, et dédiée à sa mère. […] Il termine ses voyages par l’Angleterre et par l’Écosse, et plus encore qu’ailleurs il y est reçu avec distinction et hospitalité par les souverains des deux pays. […] : Je vous ai écrit d’un voyage que doit faire M. de Rohan ; certes c’est une belle occasion, et eusse fort désiré en avoir votre avis, estimant qu’il serait fort à propos que notre aîné l’eût fait, mais je n’ai garde de le lui faire entreprendre que je ne sache votre volonté. […] À la vérité, cela lui profiterait fort et s’en sentirait toute sa vie ; ils sont quatre ou cinq jeunes seigneurs qui font ce voyage.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le voyage de nuit à cheval, les abords et l’aspect de la riche ferme dite des Bertaux, l’arrivée, l’accueil que lui fait la jeune fille qui n’est pas du tout une paysanne, mais qui a été élevée en demoiselle dans un couvent, l’attitude du malade, tout cela est admirablement décrit et rendu de point en point comme si nous y étions : c’est hollandais, c’est flamand, c’est normand. […] Toutes les circonstances, même les plus futiles, de cette mémorable et unique soirée, lui restent gravées dans le cœur et y travailleront sourdement : « Son voyage à la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes. » Quand le lendemain du bal, partis au matin de la Vaubyessard, et de retour chez eux à l’heure du dîner, M. et Mme Bovary se retrouvent dans leur petit ménage, devant leur table modeste où fume une soupe à l’oignon et un morceau de veau à l’oseille, Bovary est heureux, il se frotte les mains en disant : « Cela fait plaisir de se retrouver chez soi !  […] tout ce qu’il peut se promettre de bonheur pour cette enfant, pour l’avenir de sa petite Berthe ; et à côté sa femme, qui fait semblant de dormir, ne rêve, elle, pour le lendemain matin qu’enlèvement dans une chaise de poste à quatre chevaux, félicité romanesque, voyages imaginaires, Orient, Grenade, Alhambra, etc. […] Elle le montrera encore plus tard, lorsque délaissée par Rodolphe qui veut bien avoir une jolie voisine, mais qui ne tient pas du tout à l’enlever, ayant trouvé dans un voyage à Rouen Léon très gâté et qui n’est plus timide, livrée elle-même à d’ignobles entraînements, ayant ruiné son intérieur et contracté des dettes à l’insu de son mari, un jour qu'elle ne sait plus où donner de la tête et où la saisie la menace, elle dit à Léon en lui demandant de lui procurer 3000 francs à l’instant même : « Si j’étais à ta place, moi, je les trouverais bien. — Où donc ?

182. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

La duchesse d’Estissac meurt d’envie de faire le voyage des cantons ; Mme d ’Anville a déjà tracé sur sa carte la route qu’elle prendra ; la duchesse de La Rochefoucauld fait rapiécer un château ruiné qu’elle a sur les frontières ; l’abbé se désole de ce qu’il est né Français. […] Un voyage d’Italie en 1773 et 1774 l’initia au monde des arts et au sentiment de la vraie beauté : il y vit et y connut, chemin faisant, tout ce qu’il y avait de distingué et de célèbre, depuis le pape Ganganelli auquel il fut présenté, jusqu’au comte Firmian, premier ministre de l’Autriche dans le Milanais et en réalité vice-roi de la Lombardie, qui l’accueillit avec amitié. […] Adieu, mon cher cousin, je vous souhaite un bon voyage. — Ma cousine se porte bien ?  […] Bonstetten, sachant le cas que le peuple faisait des Anglais à cause de leur grande dépense en voyage, imagina de faire lire dans les églises du bailliage de Locarno une exhortation à cultiver les pommes de terre, en ajoutant que la pomme de terre était chaque jour servie à la table du roi des Anglais.

183. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Le roi voulait aller à Fontainebleau ; en attendant il voulait ses voyages de Marly. […] Elle avait donc suivi son grand-père à Marly, et le roi se promenait après la messe auprès du bassin des Carpes, quand arriva une dame de la duchesse, tout empressée, et qui annonça au roi que, par suite du voyage, la jeune femme était en danger d’une fausse couche. […] elle est blessée, puisqu’elle avait à l’être, et je ne serai plus contrarié dans mes voyages et dans tout ce que j’ai envie de faire, par les représentations des médecins et les raisonnements des matrones. […] Au départ de l’abbé pour Rome (1706), on remarqua beaucoup « que Mme la duchesse de Bourgogne lui souhaita un heureux voyage d’une tout autre façon qu’elle n’avait coutume de congédier ceux qui prenaient congé d’elle ».

184. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Si Catherine de Médicis pour aller voir son fils le duc d’Anjou, fait le voyage de Paris à Tours, en trois jours et demi, ce qui était bien rapide alors et ce qui essoufflait le pauvre M. le cardinal de Bourbon peu accoutumé à de telles corvées, c’est que cette reine y est « portée, dit Marguerite, des ailes du désir et de l’affection maternelle ». […] Une des parties les plus agréables des Mémoires est le voyage de Flandre, du Hainaut et du pays de Liège, que fit Marguerite en 1577, voyage entrepris sous couleur de prendre les eaux de Spa, dont elle n’avait pas besoin, et en réalité pour gagner des partisans à son frère d’Alençon dans le projet d’enlever les Pays-Bas à l’Espagne. […] Au retour de ce voyage, les scènes de Dinant, dans lesquelles Marguerite fait preuve de beaucoup de sang-froid et de présence d’esprit, nous rendent encore un tableau flamand, mais non plus gracieux comme celui du festin de Mons et de la belle comtesse nourrice : c’est une scène d’ivrognerie populaire, de grotesque mutinerie bourgeoise, et de bourgmestres en gaieté.

/ 1586