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576. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

III Cette histoire de cent années racontée par l’abbé Christophe, qui se pique beaucoup d’être surtout un narrateur, va du trop ignoré Martin V jusqu’au trop célèbre Alexandre VI, et elle a, au plus haut degré, le caractère que je viens de signaler, — cette portée en avant et en arrière, dans le passé et dans l’avenir, qui fait un cadre si vivant et si dramatique à toute histoire isolée de l’Église ou de la papauté. […] L’abbé Christophe n’est pas allé plus loin, mais il est allé jusque-là… Son histoire est un chef-d’œuvre de modération et de prudence ; mais, avec sa rhétorique quintilienne, elle n’a pas pour nous, qui nous chauffons à d’autres foyers, ce côté artiste qui fait les œuvres vivantes, puissantes, et quelquefois immortelles.

577. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Il est trop vivant et trop équilibré dans ses facultés, il est trop harmonieux en toutes choses, pour tomber dans cette mélancolie que Saint-Chrysostôme — gai lui-même comme un Saint et qui s’en moquait — appelait si joliment : « le bain du diable ». […] C’est partout la même simplicité, le même fini, le même art caché et profond, dans les pièces les plus attendries comme dans les plus riantes ; car Saint-Maur, ce vivant et ce jeune toujours, a les deux émotions du rire et des larmes.

578. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Tout le temps qu’un homme est vivant, il peut y avoir un hasard ou une illusion dans sa gloire, un malheur dans son obscurité. […] Quoiqu’il n’ait pas eu à se plaindre de la destinée autant que bien d’autres, plus grands que leur vie, qui passent lentement, qui passent longtemps, qui vieillissent, leur chef-d’œuvre à la main, sans que les hommes, ces atroces distraits, ces Ménalques de l’égoïsme et de la sottise, daignent leur aumôner un regard ; quoique son sort, matériellement heureux, n’ait ressemblé en rien à celui, par exemple, du plus pur artiste qu’on ait vu depuis André Chénier, de cet Hégésippe Moreau qui a tendu à toute son époque cette divine corbeille de myosotis entrelacés par ses mains athéniennes, comme une sébile de fleurs mouillées de larmes, sans qu’il y soit jamais rien tombé que les siennes et les gouttes du sang de son cœur, Beyle, de son vivant, n’eut pas non plus la part qui revenait aux mérites de sa pensée.

579. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Dans ce nouveau livre, en effet (un roman au lieu d’être un poëme), il s’agit du même terroir et du même ciel que dans Miréio, c’est-à-dire du Midi et de ses mœurs ardentes, saisies et reproduites avec une observation passionnée dans ce qu’elles ont de vivant encore, et jusqu’à ce jour d’inaliénable… Amour et souvenance de la patrie dont les premières impressions teignent à jamais le talent et teignent bien plus fort le génie, sentiment profond des poésies du sol, recherche de la vie où elle est, c’est-à-dire dans les classes populaires, plus près que nous de la nature, préoccupation des choses primitives que tous les jours, hélas ! […] II Or, c’est la vérité que M. de La Madelène a voulu exprimer, la vérité locale, qui n’est jamais que locale en matière de paysan, la vérité des mœurs, des traditions et du langage d’une contrée entre toutes les autres, la vérité étroite, exacte, mais vivante cependant, car M. de La Madelène est un artiste qui a puissance de vie, et l’analyse chez lui double l’action sans l’étouffer.

580. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Chacun, grands et petits, s’efforcent de se frotter à cette statue vivante de l’or, dans l’espoir qu’il en restera quelques parcelles sur leur habit, sur leur conscience, sur leur honneur. […] Cette idée, que Barnum regrettera toute sa vie de n’avoir pas eue le premier, consiste à exhiber, dans des vitrines spéciales de l’Exposition de 1900, nos meilleurs gendelettres, non pas en cire ou en toile, ce qui ne serait nullement miraculeux, mais vivants, oui, mesdames et messieurs, vivants ! […] … peut-être venimeux, de vouloir exposer, sous la forme vivante et parlante de gendelettres, devinez quoi ? […] Et il ne se retrouvait heureux, il ne se retrouvait lui-même que dans les villes, parmi les hommes vivants, entre les maisons pleines de vivants ! […] Ils sont marqués, dessinés d’un trait, du trait qu’il faut pour les rendre vivants et inoubliables.

581. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Et l’enfer, le tordant vivant dans ses tenailles, Se mit à lui manger dans l’ombre les entrailles. […] Les hommes de la première Révolution étaient vivants dans tous les esprits, leurs actes et leurs mots présents à toutes les mémoires. […] L’initié, après ces révélations, devient, comme disait l’hiérophante, un ressuscité vivant ; il apprend qu’il y a deux clés principales de la science. […] Oui, les choses éternelles semblaient seules vivantes au fond de ses grands yeux ; les autres y passaient comme de vaines apparences dans un miroir profond. […] Ils auraient plutôt douté de l’existence du ciel et de la terre que de leur communion vivante avec le Christ ressuscité.

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