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630. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Or, parmi ces œuvres, petites à dessein, alors même que leur manque de grandeur ne vient pas d’impuissance, ce qui domine le plus dans la littérature du quart d’heure, par le nombre autant que par la valeur relative, c’est encore le roman, le roman dont l’imagination publique n’est jamais lasse et ne peut l’être jamais ; car le roman, pour elle, c’est la vie qui soulage de l’autre, ou qui nous en venge ; c’est la vie vraie, mais arrangée par le génie pour n’être ni tout à fait si plate ni tout à fait si bête que la réalité. […] La femme aimée de Christian est une jeune fille, belle comme toutes celles qu’on aime dans les romans et dans la vie. […] Élevée au couvent, dans la communauté de Bérulle, elle y a laissé une amie d’enfance qui vient de prononcer ses vœux et qui incessamment lui rappelle dans ses lettres cette vie de cloître au sein de laquelle elle, Éliane, a passé les premières années de la sienne, et dont, âme pieuse et profonde, elle a emporté le regret. […] L’auteur a été délicieux dans ces lettres deux fois spirituelles (comme la vie religieuse et comme le monde), où le saint mépris de la contemplatrice tombe de si haut et avec une telle paix sur tous les prosaïsmes de l’existence et du mariage. […] La vie, il la sait ; il en a le goût d’absinthe sur la lèvre.

631. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Pour l’imagination charmeresse et charmante de cet humouriste consolateur et réconcilialeur avec l’idée terrible, la mort, c’est simplement la vie qui s’en va de l’autre côté, mais qui pour cela n’a pas changé d’essence. La vie se déplace. […] La vie, cette blonde fade, au grand jour si impudiquement découverte, est si laide qu’il ne nous faut pas faire avec tant de détail admirer les beautés de la mort, cette brune chastement voilée… On l’aimerait trop, et la passion nuit au devoir ! […] Spiritualiste évaporé, il ose accuser l’Église d’un matérialisme plus grand que celui des religions païennes, parce qu’elle a permis à ses solitaires de presser la tête de mort, traditionnelle image du néant de la vie, de leurs lèvres mortifiées ou expirantes. […] Mais, quoi qu’il fasse, il y mettra ce fil doré de poésie qui, mêlé à toutes les trames de la vie et de la pensée, semble, en y passant, y glisser comme le scintillement d’une étoile.

632. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

si je pouvais vivre une autre vie encor, Certes, je n’irais pas fouiller dans chaque chose. […] notre vie, ô Théone ! […] Fuir le banal dans la vie et dans l’art ! c’est en effet le premier principe de sa vie et de son art. […] La vie universelle, la vie en soi ne serait pas mauvaise, ainsi qu’il l’a affirmé ailleurs ; elle l’est devenue aujourd’hui sans doute, mais par un concours de circonstances qui ne sortent pas fatalement de ses principes essentiels.

633. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de 1833 »

Quand la première saison est passée, quand le front se penche, quand on sent le besoin de faire autre chose que des histoires curieuses pour effrayer les vieilles femmes et les petits enfants, quand on a usé au frottement de la vie les aspérités de sa jeunesse, on reconnaît que toute invention, toute création, toute divination de l’art doit avoir pour base l’étude, l’observation, le recueillement, la science, la mesure, la comparaison, la méditation sérieuse, le dessin attentif et continuel de chaque chose d’après nature, la critique consciencieuse de soi-même ; et l’inspiration qui se dégage selon ces nouvelles conditions, loin d’y rien perdre, y gagne un plus large souffle et de plus fortes ailes. […] Cette seconde époque de la vie est ordinairement pour l’artiste celle des grandes œuvres. […] Il y a des artistes souverains qui se maintiennent à ce sommet toute leur vie, malgré le déclin des années. […] Pour revenir au roman dont on publie ici une nouvelle édition, tel qu’il est, avec son action saccadée et haletante, avec ses personnages tout d’une pièce, avec ses gaucheries sauvages, avec son allure hautaine et maladroite, avec ses candides accès de rêverie, avec ses couleurs de toute sorte juxtaposées sans précaution pour l’œil, avec son style cru, choquant et âpre, sans nuances et sans habiletés, avec les mille excès de tout genre qu’il commet presque à son insu chemin faisant, ce livre représente assez bien l’époque de la vie à laquelle il a été écrit, et l’état particulier de l’âme, de l’imagination et du cœur dans l’adolescence, quand on est amoureux de son premier amour, quand on convertit en obstacles grandioses et poétiques les empêchements bourgeois de la vie, quand on a la tête pleine de fantaisies héroïques qui vous grandissent à vos propres yeux, quand on est déjà un homme par deux ou trois côtés et encore un enfant par vingt autres, quand on a lu Ducray-Duminil à onze ans, Auguste Lafontaine à treize, Shakespeare à seize, échelle étrange et rapide qui vous a fait passer brusquement, dans vos affections littéraires, du niais au sentimental, et du sentimental au sublime.

634. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Attaquer celle à qui l’on doit la vie, quelqu’un ose-t-il donc se souiller de ce parricide ! […] C’est aussi de quoi construire des vaisseaux, qui de toutes parts nous apportent toutes les commodités de la vie. […] La véritable vie, me dit-il, commence pour ceux qui s’échappent des liens du corps où ils étaient captifs ; mais ce que vous appelez la vie est réellement la mort. […] Il était d’une santé faible, et c’est là qu’il a passé dans l’étude des lettres presque toute sa vie. […] On n’est pas plus assuré de la vie à la fleur de l’âge qu’au déclin des ans : seulement la mort du vieillard a quelque chose de plus naturel et de plus doux ; la vie avancée est comme le fruit mûr, qui se détache sans effort.

635. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Il y a ainsi entre la vie politique et la vie littéraire d’un peuple une série d’actions et de réactions. […] La vie politique est donc intense dans les pays ou dans les moments de libre discussion. Elle l’est parfois assez pour faire tort à la vie littéraire. […] Nous pouvons encore envisager la vie politique à des points de vue qui offrent une autre espèce d’intérêt. […] Mais terminons là cette revue à vol d’oiseau des principales relations qui existent entre la vie politique et la vie littéraire d’une nation.

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