/ 3553
969. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Tel nous apparaît Maine de Biran dans ce volume, au point de départ ; quinze et vingt ans après, et par le seul mouvement continu de sa pensée, il en était venu à déplacer totalement son point de vue, à le porter, en quelque sorte, de la circonférence au centre, à tout rendre (et même au-delà) à la force intime et à la volonté : L’art de vivre, écrivait-il en 1816, consisterait à affaiblir sans cesse l’empire ou l’influence des impressions spontanées par lesquelles nous sommes immédiatement heureux ou malheureux, à n’en rien attendre, et à placer nos jouissances dans l’exercice des facultés qui dépendent de nous, ou dans les résultats de cet exercice. […] Maine de Biran est de ceux qui passent leur vie à se creuser un puits artésien en eux-mêmes : l’eau ne vint que tard et pas abondamment. […] Après la jeunesse il voyait venir immédiatement la vieillesse sans avant-garde ni appareil protecteur, sans rien qui la lui ornât à l’avance et la lui déguisât : Me voilà déjà avancé en âge, disait-il, et je suis toujours incertain et mobile dans le chemin de la vérité. […] D’où me vient enfin cette suggestion extraordinaire de vérités dont les expressions sont mortes pour mon esprit, même quand il les connaît à la manière ordinaire ? […] [NdA] Il y a d’ailleurs dans cet écrit de quoi venir en aide aux points de vue les plus opposés.

970. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

On avait passé, ce semble, par toutes les phases d’opinions à son sujet, on avait fait le tour : après avoir écouté les témoins directs, les contemporains les plus émus, les plus intéressés et les plus contraires, on avait vu venir avec plaisir les historiens indépendants, ayant encore la tradition, mais sachant aussi s’en détacher et envisager les hommes et les choses du point de vue de la postérité. […] Carnot sur son père58 et qui attendent une suite ; et j’en viens au livre dans lequel j’ai à signaler un curieux chapitre que peut-être on n’irait pas y chercher, si l’on n’était averti. […] J’en viens au récit qu’il a donné lui-même de ses premières années, récit très simple, très naturel, je l’ai dit, philosophique d’impression et de résultat, mais nullement révolutionnaire de forme et de langage. […] Il ne se borna point, dans sa confiance envers le jeune séminariste, à des préceptes de vie facile ; il n’hésita pas, se voyant seul avec lui, à reprendre ses habitudes intérieures : « Deux belles paysannes de dix-huit à vingt ans, l’une brune et l’autre blonde, que je n’avais pas même aperçues jusque-là, vinrent se placer le soir à la table du maître. […] Mais voici une impression profonde et salutaire à laquelle le jeune homme ne s’attendait pas, et qui vient mettre à néant tous ces beaux projets de népotisme : « Comme je remplaçais dom Barthélemy à la table des hôtes, je le suppléais aussi au chœur.

971. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Les générations nouvelles, comme si elles étaient jalouses de leurs aînées, prétendent savoir mieux et à neuf ce qu’elles viennent d’apprendre à l’heure même et qui ne date que de leur moment : c’est toujours et surtout le dernier document qui compte et qui prime tous les autres. […] À quelques lieues de Compiègne, à un endroit qu’on appelle le Pont-de-Berne, elle trouve le roi et le dauphin venus à sa rencontre. […] Dans la forêt, deux pages à cheval sont accourus vers M. de Choiseul, et peu après j’ai vu arriver un grand cortège : c’était le roi qui avait la bonté de venir me surprendre. […] Le comte d’Artois est léger comme un page et s’inquiète moins de la grammaire ni de quoi que ce soit. » Puis vient l’article délicat par excellence, Mme Du Barry, puisqu’il faut la nommer. […] Marie-Antoinette regarde autour d’elle, elle cherche des auxiliaires de son âge ; elle compte un peu sur ses jeunes belles-sœurs, quand elles lui viennent, Madame de Provence, la comtesse d’Artois, pour se faire un petit noyau de société à part.

972. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Les deux autres frères viennent suffisamment d’être caractérisés ; dissimulation et fausseté chez l’un, polissonneries chez l’autre. […] Il vient tôt ou tard un moment où le monde vous quitte, où le public qui vous avait porté se désenchante de vous, se retire de vous ; qu’au moins il n’y ait rien de notre faute. […] Le destin, ou ce qu’on appelle ainsi, ne vient jamais seul : on en est toujours, à quelque degré, complice. […] Cette Correspondance judicieuse vient avertir à temps de ne point pousser les choses à l’extrême et de cesser d’exagérer dans le sens poétique ou chevaleresque. De ces deux nobles femmes je ne voudrais certes point paraître sacrifier l’une à l’autre ; il serait cruel et presque impie de venir s’armer des paroles confidentielles d’une mère comme d’une déposition aggravante contre la fille.

973. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Encore aujourd’hui, si éloignés que nous soyons de l’imitation corporelle, ils gardent avec eux une partie du cortège qui les entourait à leur naissance ; ils renaissent en nous accompagnés par l’image des gestes que nous avons faits lorsqu’ils sont venus sur nos lèvres ; ils traînent après eux la figure de l’objet qui pour la première fois les a fait jaillir. […] Il n’ose être sincère, montrer la chose toute nue, parler sans apprêt, en bonhomme, retomber du haut du style passionné dans les petites idées communes qui viennent ensuite. […] Dans cet embrassement, dont la douceur me flatte, Venez et recevez l’âme de Mithridate. […] Ce n’est pas un écrivain que nous venons voir, c’est un homme, ou plutôt c’est l’objet lui-même ; le véritable artiste est celui qui fait voir son sujet sans laisser voir sa personne. […] C’est du séjour des dieux que les abeilles viennent.

974. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Elle venait d’être mère ; mais cette tendresse, qu’elle éprouvait pourtant avec bien de la vivacité, ne lui suffisait pas. […] Au xviiie  siècle, le type de cette corruption féminine, décente d’apparence, vient s’offrir à nous dans Mlle d’Ette. […] Les larmes me venaient aux yeux, je ne pouvais plus y tenir. […] Dans tout ce qui vient chez vous, je ne connais pas un être capable de faire le bonheur d’une femme sensée. […] Elle eut le bon esprit aussitôt de l’apprécier par ce mérite essentiel, et de sentir l’ami sérieux qui lui venait.

/ 3553