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804. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Il y a même de très grands écrivains, de très grands artistes, qui emploient leur talent et leur art à fausser l’histoire et à faire d’elle la servante ou d’un système ou d’un parti ; par cela seul se déshonorant de ce qu’ils l’ont déshonorée… Michelet est de ceux-là, par exemple, et la critique peut pleurer sur lui, parce qu’elle sait tout ce qu’en le perdant la vérité y a perdu. […] Le livre en lui-même, ce qu’il a de technique, de tactique, de savant et d’indiscutable pour moi qui ne suis pas comme l’auteur un érudit de manœuvres et de champs de bataille, je n’avais pas à m’en occuper ; mais, dans mon ignorance des choses exclusivement militaires, je n’ai pas moins senti, en lisant les démonstrations impérieuses dont il est rempli, la vérité de ces démonstrations, comme on sent la présence du soleil sous le nuage. […] Ce commandement qui est comme celui de la vérité elle-même, cette espèce d’ordre qu’on ne peut pas discuter, mais qui impose, venant d’un esprit supérieur en qui on a foi comme dans un chef, a, ici, pour être obéi, la forte accentuation qui pénètre… Le colonel Ardant du Picq n’est pas qu’un écrivain militaire, ayant le style de sa chose à lui.

805. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

L’histoire de l’antiquité, dont nous sommes la dernière page, présente aux regards de l’observateur deux grands peuples, — le peuple grec et le peuple romain, — qui tous deux mal vus longtemps, mais obstinément regardés, n’ont point été cependant assez rapprochés l’un de l’autre pour qu’on ait jusqu’ici séparé la vérité de l’erreur, et, puisque nous dépendons tant et du passé et de l’Histoire, nos devoirs de nos illusions. […] L’erreur a quelquefois des chances que n’aurait pas la vérité ! […] C’est à Lerminier qu’il faudrait appliquer ce mot, écrit par lui de Montesquieu « : Il a la passion de l’impartialité, mais c’est une passion contenue, surveillée, sûre de son désir et de son effort, moins une passion qu’un art réfléchi, calculateur et caché, qui va du rayonnement du Beau jusqu’au rayonnement, plus pur encore, de la Justice, par le fait de cette loi magnifique qui veut que toutes les vérités se rencontrent, à une certaine profondeur. » Nous avons dit qu’après avoir lu cette histoire il n’était plus possible de garder la moindre illusion sur la valeur morale et politique des Grecs, mais, en exprimant une telle opinion, nous n’avons point entendu parler des partis.

806. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Il n’exprime qu’une classe et ne représente qu’un parti, parti brillant, à la vérité, plein d’audace et affranchi de préjugés, mais auquel le sexe, en général, ne veut pas être assimilé. […] Il a suffi de prendre le contrepied de tout ce qui est admis et salué comme la vérité dans le monde, depuis qu’il existe, et le tour qu’on voulait faire a été fait. […] C’est peut-être là un faux semblant ; mais, si les faits qu’il rapporte sont tous vrais, il en ébranle un peu la vérité par les conclusions qu’il en tire.

807. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

En effet, de toutes les histoires qui, sans exception, ont plus ou moins besoin d’être refaites en quelques-unes de leurs parties, et dont la science, qui cherche toujours, doit tenir les fouilles éternellement ouvertes dans l’intérêt de la vérité, l’histoire de l’Espagne est peut-être la moins connue, parce qu’elle est la moins pénétrée. […] … Impossible donc de l’expliquer, ce solitaire en contradiction, quand on n’interroge que lui seul, tandis qu’au contraire, en se jetant à l’Espagne comme à un flambeau, en la prenant, cette Espagne du xvie  siècle, et en la mettant, avec son esprit ressuscité, bien en face de cet empereur découronné de sa propre main, de cette fière et mélancolique figure de Sacrifié, mais de Sacrifié hautain et volontaire, vous pouvez peut-être trouver le secret de son sacrifice et saisir enfin la vérité ! […] C’est le type le plus élevé des politiques qui pèsent, combinent, ménagent et voient moins les rigueurs de la vérité que les douceurs du succès.

808. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

» et qui sont pourtant la vérité. […] Dans cet essai de son début, il avait replacé la misère humaine, trop souvent oubliée, dans le fond éblouissant de plus d’une grandeur, et justement risqué sur Voltaire une de ces anecdotes cruelles qui firent peut-être sur son propre esprit, altéré de vérité, l’effet des premières gouttes de sang sur la soif du tigre, qu’elles rendent bientôt inextinguible. […] En voulant prouver la vérité de son anecdote, il a été conduit à des conclusions écrasantes contre Voltaire et contre le siècle dont Voltaire a été l’idole.

809. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Vous n’aurez ni l’observation, ni le style, sans lesquels il n’y a pas non seulement de comédie mais d’œuvre littéraire quelconque, ni art, ni vérité. […] Adam, qui représente la sagesse, la vérité et l’opinion de Μ. de Girardin tout le long de la pièce, « ne sont pas faits comme les autres hommes (textuel) ; ils sont les centaures de ce temps-ci : ils ont une tête de savant sur un corps de soldat », ce qui est la manière progressive d’être centaure au xixe  siècle. […] VI Ainsi, ni vérité, ni comique, — ni comique, pas même en calomniant une société !

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