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877. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Le plaisir, en France, court plus vite que le temps ; il n’attend personne, pas même le génie. […] que ne fleurit-il à tout jamais, l’heureux temps du jeune amour ! […] J’y plonge cette baguette : si nous la voyons se vitrifier, il sera temps de couler le métal. […] Que le temps la touche à chaque heure dans son vol rapide ! […] Hommes dont le temps se moque quelquefois faute de les comprendre, mais qui se moquent du temps ; ils vivent à part des sottises et des vertus vulgaires ; solitaires de l’esprit, l’avenir les remarque d’autant plus qu’ils lui apparaissent plus isolés dans leur majestueux égoïsme.

878. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Mais ne trouvez-vous pas qu’en tenant compte de la différence des temps il s’est passé dans notre siècle quelque chose d’assez semblable ? […] Puis, à mesure que le temps passe, ces personnages deviennent moins déplaisants. […] Si ce romanesque est, pendant quelque temps, tombé en défaveur, c’est que nous sommes de grands misérables. […] Tournons-nous, il en est temps, vers ce pays d’utopie cher à George Sand. Elle a reflété dans ses livres toutes les chimères de son temps ; et, comme elle était femme, elle a ajouté à son rêve celui de tous les hommes qu’elle a aimés.

879. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

C’est à les glaner au hasard que nous pouvons prendre mesure de la société du temps et découvrir en quoi consistait, aux yeux de l’élite, la vertu du « surhomme » en l’an de grâce 1897. […] Félix Faure joue au souverain, restaure, à son profit, le cérémonial des cours, fait marquer à son chiffre les serrures de l’Élysée et passe le temps qu’il dérobe aux réjouissances, à imaginer un costume d’apparat aux vives chamarrures dont il puisse se prévaloir aux yeux des foules éblouies. […] Je n’en éprouve pas moins une sorte de stupeur à feuilleter les journaux du temps, pleins de futiles commérages, de faux scandales, de potins d’alcôves et de coulisses comme je le fais en ce moment, dans l’angoisse de l’invasion, tandis que le monde s’écroule, que la grosse Bertha fait rage et que de quart d’heure en quart d’heure, toutes mes vitres tremblent au bruit des détonations. […] que n’est-il encore temps de « prendre la vie à la blague » ? […] Il fut un temps, qui n’est pas loin, où on leur offrait, sans marchander, une hospitalité plus large.

880. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Celui qui aime la laideur, dans un temps où mille chefs-d’œuvre peuvent avertir et redresser son goût, n’est pas loin d’aimer le vice ; quiconque est insensible à la beauté pourrait bien méconnaître la vertu. […] Car, il n’est plus temps de le dissimuler, les écrivains de notre âge ont été en général placés trop haut. […] Ses ouvrages auraient pris cette teinte morale, sans laquelle rien n’est parfait ; on y trouverait aussi ces souvenirs du vieux temps, dont l’absence y forme un si grand vide. […] La maturité de ses années et l’intérêt même de sa gloire lui firent comprendre que pour élever un monument durable, il fallait en creuser les fondements dans un sol moins mouvant que la poussière de ce monde ; son génie, qui embrassait tous les temps, s’est appuyé sur la seule religion à qui tous les temps sont promis.

881. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

Mais sans nous arrêter plus long-temps sur l’histoire ancienne, refléchissons sur la vocation des poëtes de notre temps. Ces exemples, dont ont sçait les circonstances plus distinctement, frapperont mieux que les exemples tirez des siecles passez ; et l’on croira facilement que ce qui est arrivé à nos poëtes, est arrivé aux poëtes de tous les temps. […] Sans sortir de notre temps, jettons un coup-d’oeil sur l’histoire des autres professions qui demandent un génie particulier. […] Il falloit pour aller herboriser qu’il se cachât comme les autres enfans se cachent pour perdre leur temps. […] Les enfans ne sont contraints, ils ne sont gênez que durant un temps, par l’éducation qu’ils reçoivent en conséquence de leur naissance morale ; mais les inclinations qu’ils ont, en conséquence de leur naissance physique, durent plus ou moins vives, aussi longtemps que l’homme même.

882. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

La raison en est simple : dans ces premiers temps, l’homme, plus indépendant et plus fier, était plus près de l’égalité ; la faiblesse et le besoin ne s’étaient point encore vendus à l’orgueil, et le maître, en enchaînant l’esclave, ne lui avait point encore dit : « Loue-moi, car je suis grand, et je daignerai te protéger, si tu me flattes. » On sent qu’alors pour être loué, il fallait des droits réels, et ces droits ne purent être que des services rendus aux hommes. […] Dans ces temps d’une grossièreté simple, on loua les bienfaiteurs de l’humanité, même de leur vivant : l’orgueil n’avait point encore éveillé l’envie : l’homme sauvage admire, et ne calcule point avec art pour échapper à la reconnaissance. […] Les Germains eurent, comme les Écossais et les Bretons, leurs éloges composés par leurs bardes, et ils les conservaient de même : plusieurs subsistaient encore du temps de Charlemagne. Ce prince qui, au milieu d’une vie agitée, et occupé sans cesse de législation et de conquêtes, trouvait encore du temps pour aimer les arts, fit rassembler tous ces ouvrages, et les fit traduire en vers dans la langue des anciens Romains. […] Il est temps de finir mes chants ; les déesses m’invitent, elles s’avancent ; Odin, de son palais, les a envoyées vers moi ; je serai assis sur un siège élevé, et les déesses de la mort me verseront le breuvage immortel.

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