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634. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

On conçoit que la politique ne prête à un homme de talent qu’un emploi sans beauté, d’ailleurs tout à fait provisoire. […] Quand nous primes contact avec ces auteurs, leur talent ne nous toucha point. […] Des personnes pourvues de talent eurent le dessein d’égaler ces grands hommes, et chacun vit, à ses travaux, qu’un Vincent d’Indy, par exemple, réussissait de ténébreux pastiches.

635. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Mais si c’est l’architecture qui a donné naissance à la peinture et à la sculpture, c’est en revanche à ces deux arts que l’architecture doit sa grande perfection, et je vous conseille de vous méfier du talent d’un architecte qui n’est pas un grand dessinateur. […] Le talent d’agrandir les objets par la magie de l’art, celui d’en dérober l’énormité par l’intelligence des proportions, sont assurément deux grands talents ; mais quel est le plus grand des deux ?

636. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Chez lui, l’enthousiasme de l’homme double l’enthousiasme du poète, conditions excellentes dont le talent le plus abondant devrait bénéficier encore. […] Le caractère du talent de Belmontet est une fougue âpre et non sans fierté, qui rappelle en plus d’un endroit la manière de Lebrun, le lyrique, auquel il reste supérieur par la grandeur des sujets qu’il traite et l’ardeur de ses sentiments. Nous l’avons dit déjà : quel que soit le talent d’un homme qui ne serait ni Shakespeare ni Dante, c’est un titre presque audacieux, et qu’on ne pardonne qu’à la ferveur de l’enthousiasme, que le titre de Poésies de l’Empire ; mais, on doit en convenir, ce n’est, certes !

637. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Ce recueil de vers, fait par un artiste toujours inspiré, n’a pas cependant partout la même valeur poétique, et, je vous en préviens, ce n’est pas de celui qui joue avec son talent et son style et qui, par exemple, a écrit ces fameux : Sonnets gastronomiques, — lesquels ne sont, par parenthèse, que de brillantes et charmantes difficultés vaincues — ce n’est pas de cet artiste que je veux vous parler. […] Le caractère du talent de Monselet est bien là. […] III Ainsi, un poète, un poète de plus parmi les vrais poètes, voilà ce qu’apprend ce recueil des Poésies complètes de Monselet, réunissant tous les rayons éparpillés de son talent et nous faisant choisir entre tous celui-là qui plaît davantage, — le plus pénétrant et le plus pur… Certes !

638. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

D’abord, ils ont le mérite d’être très courts ; ils renferment quelquefois en peu de lignes, et d’autres fois en peu de pages, l’idée du caractère, des actions, des ouvrages de celui qu’il loue, ou du moins dont il parle ; car quelquefois il fait le portrait d’hommes plus célèbres que vertueux ; mais il les représente tels qu’ils sont, loue les vertus, admire les talents et déteste les crimes. […] En Espagne, vous trouverez Ferdinand-le-Catholique, qui chassa et vainquit les rois Maures, et trompa tous les rois chrétiens ; Charles-Quint, heureux et tout-puissant, politique par lui-même, grand par ses généraux, et cette foule de héros dans tous les genres qui servaient alors l’Espagne ; Christophe Colomb, qui lui créa un nouveau monde ; Fernand Cortez qui, avec cinq cents hommes, lui soumit un empire de six cents lieues ; Antoine de Lève qui, de simple soldat, parvint à être duc et prince, et plus que cela grand homme de guerre ; Pierre de Navarre, autre soldat de fortune, célèbre par ses talents, et parce que le premier il inventa les mines ; Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand Capitaine, mais qui put compter plus de victoires que de vertus ; le fameux duc d’Albe, qui servit Charles-Quint à Pavie, à Tunis, en Allemagne, gagna contre les protestants la bataille de Mulberg, conquit le Portugal sous Philippe II, mais qui se déshonora dans les Pays-Bas, par les dix-huit mille hommes qu’il se vantait d’avoir fait passer par la main du bourreau ; enfin, le jeune marquis Pescaire, aimable et brillant, qui contribua au gain de plusieurs batailles, fut à la fois capitaine et homme de lettres, épousa une femme célèbre par son esprit comme par sa beauté, et mourut à trente-deux ans d’une maladie très courte, peu de temps après que Charles-Quint eut été instruit que le pape lui avait proposé de se faire roi de Naples. […] Enfin, pour connaître l’esprit de ce temps-là, il ne sera pas inutile d’observer que Paul Jove loue avec transport ce Pic de La Mirandole, l’homme de l’Europe, et peut-être du monde, qui à son âge eût entassé dans sa tête le plus de mots et le moins d’idées ; qu’il n’ose point blâmer ouvertement ce Jérôme Savonarole, enthousiaste et fourbe, qui déclamant en chaire contre les Médicis, faisait des prophéties et des cabales, et voulait, dans Florence, jouer à la fois le rôle de Brutus et d’un homme inspiré ; qu’enfin il loue Machiavel de très bonne foi, et ne pense pas même à s’étonner de ses principes : car le machiavélisme qui n’existe plus sans doute, et qu’une politique éclairée et sage a dû bannir pour jamais, né dans ces siècles orageux, du choc de mille intérêts et de l’excès de toutes les ambitions joint à la faiblesse de chaque pouvoir, fait uniquement pour des âmes qui suppléaient à la force par la ruse, et aux talents par les crimes, était, pendant quelque temps, devenu en Europe la maladie des meilleurs esprits, à peu près comme certaines pestes qui, nées dans un climat, ont fait le tour du monde, et n’ont disparu qu’après avoir ravagé le globe.

639. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Comment en tout cas demeurer indifférents à la précision des causes qui préparent la formation d’un talent ? […] Mme Marcelle Tinayre a d’autres ambitions — et c’est peu d’avoir les ambitions… elle a encore le talent de ses ambitions. […] Pourquoi faut-il qu’intervienne cette notion de rivalité, dès que deux talents sont en face et s’opposent ? […] … De quel droit le talent vient-il à talent égal opposer l’exemple du génie ?  […] Quelle ressemblance psychique entre eux, si toutefois les qualités du talent qui les fixa diversifient leurs traits apparents !

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