» * * * — Maintenant, quand j’écris un morceau de style, j’ai besoin avant de l’écrire, de m’entraîner, de me monter le bourrichon, comme disait Flaubert, en regardant des matières d’art colorées, mais une fois cette griserie cérébrale obtenue, il me faut éviter la vue de ces choses, tout le temps que j’écris.
Du reste, c’est un monsieur qui a des prétentions au style et aux lettres, qui est beau parleur ou croit l’être, qui récite au besoin un vers latin ou deux avant de conclure à la mort, qui cherche à faire de l’effet, qui intéresse son amour-propre, ô misère !
Il n’est pas facile de faire une dissertation philosophique plus nette, plus précise, avec des mots d’une propriété plus exacte, et en même temps avec cette grâce, cette facilité, cette souplesse de style… Donc, voilà la philosophie de La Fontaine dans ses traits généraux.
« Sophocle, dit un scoliaste, avait écrit des élégies et des péans, et une dissertation sur l’emploi du chœur, dans laquelle il contredisait Thespis et Chérile. » Cela même indique qu’il ne blâmait pas l’élévation lyrique d’Eschyle, bien qu’ailleurs il ait témoigné l’intention de ne pas suivre la hardiesse de ses plans et le caractère de son style.
Il doit être très difficile, dans cette langue-là, d’avoir un style personnel, plus difficile encore d’exprimer des idées un peu abstraites. […] Par leur costume, par leur coiffure, par leurs plaisanteries, par leur style, par toute leur allure, par les mille détails de leur vie matérielle, surtout par ceux qui nous rappellent quelle était, dans le premier quart de ce siècle, la valeur relative de l’argent, les personnages de Balzac sont plus loin de nous, en vérité, que les personnages de Beaumarchais, plus loin que les personnages des romans de Marivaux, aussi loin peut-être que les personnages du théâtre de Molière. […] Ces imaginations se déroulent dans un style extrêmement pénible, souvent pédantesque et ridicule et sans proportion avec les objets, tout en expressions superlatives ; un style qui est tantôt… je n’ose dire d’un imbécile et tantôt d’un très grand écrivain. […] Elle est, à mon gré, trop spirituelle, trop symétrique, trop habilement balancée ; j’y trouve trop de redoublements et d’oppositions de mots, trop de cliquetis ; elle sent le style de la chronique claquante et caracolante, telle que l’aimaient nos pères. […] Le style de la pièce est à la fois énergique et précis ; il abonde en expressions ramassées et singulièrement heureuses.
On ne peut traduire ces idées fichées en travers, qui déconcertent toute l’économie de notre style moderne. […] Il récrit le texte pour l’approprier à leur intelligence ; les jolis vers de Boëce, un peu prétentieux, travaillés, élégants, peuplés de souvenirs classiques, d’un style raffiné et serré, digne de Sénèque, se changent en une prose naïve, longue, traînante, et pourtant hachée, semblable à un conte de fées qu’une nourrice fait à un enfant, expliquant tout, recommençant et brisant les phrases, tournant dix fois autour d’un détail, tant il faut descendre pour se mettre au niveau de cet esprit tout neuf, qui n’a jamais pensé et ne sait rien70.