Je m’en souviens bien. — Cela fait onze ans aujourd’hui depuis le tremblement de terre. — De tous les jours de l’année, c’est justement ce jour-là, — je m’en souviens bien, qu’elle fut sevrée. — J’avais mis de l’absinthe au bout de mon sein, — et j’étais assise au soleil contre le mur du pigeonnier. — Monseigneur et vous, vous étiez alors à Mantoue. — Oh ! […] Me souvenir de toi ? […] Me souvenir de toi ? — Oui, du registre de ma mémoire, — j’effacerai tous les tendres souvenirs vulgaires, — toutes les maximes des livres, toutes les empreintes, tous les vestiges du passé. — Et ton commandement seul y vivra. — Ô traître ! […] Elle chasse le monstre ; ses souvenirs de la nuit s’effacent dans un demi-jour vague, « comme des montagnes lointaines qui s’évanouissent en nuages. » Et les fées vont chercher dans la rosée nouvelle des rubis qu’elles poseront sur le sein des roses, et « des perles qu’elles pendront à l’oreille des fleurs315. » Tel est le fantastique de Shakspeare, tissu léger d’inventions téméraires, de passions ardentes, de raillerie mélancolique, de poésie éblouissante, tel qu’un des sylphes de Titania l’eût fait.
Au contraire, tel que nous le recevons des mains de Lénine, il abolit, de sa masse exacte, propre, ces répugnants petits menuets de souvenirs verlainiens. […] Pourquoi ces souvenirs ? […] ces souvenirs vieux de treize ans et sept semaines. […] Mais, conserver les témoins d’une servitude, c’est encore se complaire au souvenir de cette servitude, donc, fatalement y retomber. […] C’était, s’il m’en souvient, un brave patron-boulanger qui s’était retiré une fois fortune faite.
… je t’enverrai prochainement un livre, appelle-le comme tu voudras, des prières ou un trésor, pour te rappeler matin et soir les bons souvenirs de l’amitié et de l’amour. » Que ce soit à Lotte qu’il parle ainsi et qu’il semble adresser particulièrement son livre, on le conçoit : il espère plus d’indulgence et de grâce auprès d’elle qu’auprès de Kestner. […] Il a dans le passé, dans le souvenir des jours qu’il a vécu à Wetzlar, au sein de la famille allemande, entre Charlotte et Kestner, sa saison d’âge d’or, un cercle pur et lumineux que rien n’éclipsera : « Vous avez été pour moi jusqu’ici, écrira-t-il à Kestner des années après, l’idéal d’un homme heureux par l’ordre et par la modération des désirs. » — « J’apprends avec plaisir, lui dit-il encore, ce que vous m’écrivez de vos enfants. […] Puis, les années s’écoulant et la mort achevant d’épurer et de consacrer les souvenirs, le quatrième de ses douze enfants à qui elle avait transmis plus particulièrement sans doute une étincelle de son imagination et de sa douce flamme, s’aperçut qu’après tout il y avait là, mêlé à de l’affection véritable, un de ces rayons immortels de l’art que le devoir permettait ou disait de dégager, que c’était un titre de noblesse domestique, même pour son père, de l’avoir emporté sur Goethe, et que de la connaissance plus intime des personnes il allait rejaillir sur les plus modestes un reflet touchant de la meilleure gloire.
A mesure donc que le tumulte des souvenirs, qui redouble pour d’autres, s’éclaircit pour moi et s’apaise, je me replie de plus en plus vers ces figures nobles, humaines, d’une belle proportion morale, qui s’arrêtèrent toutes ensemble, dans un instinct sublime et avec un cri miséricordieux, au bord du fleuve de sang, et qui, par leurs erreurs, par leurs illusions sincères, par ces tendresses mêmes de la jeunesse que leurs farouches ennemis leur imputaient à corruption et qui ne sont que des faiblesses d’honnêtes gens, enfin aussi par le petit nombre de vérités immortelles qu’ils confessèrent, intéressent tout ce qui porte un cœur et attachent naturellement la pensée qui s’élève sans sophisme à la recherche du bonheur des hommes. […] Ces détails si vrais, si faciles, si heureux de présence d’esprit et de liberté d’expression, ces innocents et profonds souvenirs se jouant d’eux-mêmes dans le cadre sanglant, funèbre, qui les entoure, qui les resserre à chaque instant et qui bientôt va les supprimer avant la fin et les écraser, forment une des lectures éternellement charmantes et salutaires, les plus propres à tremper l’âme, à l’exhorter et à l’affermir en l’émouvant. […] On retrouve aussi, dans les lettres de consolation, quelques promesses de fidélité à des souvenirs assez intimes ; puis, au retour de Londres, l’expression d’une tendre inquiétude sur la mélancolie prolongée dont elle est témoin : mais tout se termine alors par l’aveu d’une nouvelle passion de Bancal, pour laquelle Mme Roland, en amie généreuse et dévouée, lui prodigue, avec ses conseils, des offres délicates d’intervenir.
En 1760, au Grandval, chez le baron d’Holbach, partagé entre la société la plus séduisante et les travaux de philosophie ancienne qu’il rédigeait pour l’Encyclopédie, ces circonstances d’autrefois lui revenaient à l’esprit avec larmes ; il remontait par la rêverie le cours de sa triste et tortueuse compatriote, la Marne, qu’il retrouvait là, sous ses yeux, au pied des coteaux de Chenevières et de Champigny ; son cœur nageait dans les souvenirs, et il écrivait à son amie, mademoiselle Voland : « Un des moments les plus doux de ma vie, ce fut, il y a plus de trente ans, et je m’en souviens comme d’hier, lorsque mon père me vit arriver du collège, les bras chargés des prix que j’avais remportés, et les épaules chargées des couronnes qu’on m’avait décernées, et qui, trop larges pour mon front, avaient laissé passer ma tête. […] Avant de reprocher à la philosophie de n’avoir pas compris le vrai et durable christianisme, l’intime et réelle doctrine catholique, il convient de se souvenir que le dépôt en était alors confié, d’une part aux jésuites intrigants et mondains, de l’autre aux jansénistes farouches et sombres ; que ceux-ci, retranchés dans les parlements, pratiquaient dès ici-bas leur fatale et lugubre doctrine sur la grâce, moyennant leurs bourreaux, leur question, leurs tortures, et qu’ils réalisaient pour les hérétiques, dans les culs de basse-fosse des cachots, l’abîme effrayant de Pascal.
» Prenez garde en effet, cherchez bien, rappelez vos souvenirs, et tantôt ce sera l’Arioste ou Pétrarque, tantôt Théocrite, ou tel auteur de l’Anthologie, ou tel italien-latin du xve siècle. […] Bonaventure des Periers, après avoir décrit, mais bien moins distinctement qu’Ausone, les vicissitudes rapides de chaque âge des rosés, conclut comme lui : …….Vous donc, jeunes fillettes, Cueillez bien tost les roses vermeillettes A la rosée, ains que le temps les vienne A deseicher : et tandis vous souvienne Que ceste vie, à la mort exposée, Se passe ainsi que roses ou rosée. […] On mit en oubli bien d’autres productions de la veille plus dignes de survivre, et dans un recueil des Marguerites poétiques, espèce d’Anthologie finale qui résume la fleur du xvie siècle20, je ne vois point qu’à l’article Roses on ait daigné se souvenir de cette pièce si gracieuse de Bonaventure des Periers.