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30. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre II. Le Rire » pp. 28-42

Il n’y a plus de rire, si le désavantage de l’homme aux dépens duquel on prétendait nous égayer, nous fait songer, dès le premier moment, que nous aussi nous pouvons rencontrer le malheur. […] Un homme, dans la comédie ou dans la vie réelle, qui se fût avisé de suivre librement, et sans songer à rien, les élans d’une imagination folle, au lieu de faire rire la société de 1670, eût passé pour fou2. […] Alcibiade songeait fort peu, je crois, à imiter qui que ce fût au monde ; il s’estimait heureux quand il riait, et non pas quand il avait la jouissance d’orgueil de se sentir bien semblable à Lauzun, à d’Antin, à Villeroy, ou à tel autre courtisan célèbre de Louis XIV. […] Aujourd’hui, il n’y a plus de cour, ou je m’estime autant, pour le moins, que les gens qui y vont ; et en sortant de dîner, après la bourse, si j’entre au théâtre, je veux qu’on me fasse rire, et je ne songe à imiter personne.

31. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Crésus vit donc en songe Atys périr, blessé par une pointe de fer. […] répliqua le jeune homme, le songe que vous avez eu justifie la contrainte où vous me retenez, et je dois vous en savoir gré. Qu’il me soit permis cependant de vous dire que, dans ce moment, vous oubliez le sens véritable de votre songe, et il est facile de vous le prouver. […] — Seigneur, répondit Harpagus, jusqu’ici vous ne m’avez jamais vu songer à vous déplaire, et je ne me rendrai pas plus coupable à l’avenir. […] Il fit donc venir Cyrus et lui dit : « Enfant, sur la foi d’un vain songe, j’en ai mal usé avec toi ; ta bonne fortune t’a sauvé : sois joyeux.

32. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Or, tandis que l’infortuné se tordait dans les affres de l’écriture, je songeais (étendant ainsi la signification du livre de M.  […] Moins sanguins, plus chétifs, plus déprimés, plus nerveux, Servaise et ses pareils font songer à des damnés de Callot. […] Chacun songe à soi et se défie des autres, « … Silence.

33. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Car, songez un peu ! […] Y songez-vous ? […] Cela prouve enfin (songez donc ! […] Anissia lui fait horreur : il songe à la tuer. Il songe aussi à se pendre.

34. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXIV. Conférence sur la conférence » pp. 291-305

Je songeai à une manière plus modeste. […] Il y avait dix siècles qu’on faisait des conférences, que c’était un métier, le métier de rhéteur, auquel on se préparait longuement, quand saint Augustin, qui ne songeait pas alors à la sainteté, y gagnait cinquante mille francs par an, en improvisant sur Hélène ou sur Orphée, sur la pluie ou sur le beau temps. […] Catulle Mendès, morceaux certes d’élévation, nourris de souvenirs amusants et à qui ne manquent point les hauts points de vue, ont beau n’être que les coupures de ses livres de critique et d’histoire musicale, quand il les lit lui-même on l’acclame ; mais tout seul, auprès de son feu, on ne songerait pas à les lire, parce qu’on ne lit pas, parce qu’on est trop paresseux. […] Au sortir d’une conférence, nul ne songera à se dire fortifié ni même édifié, il se sera ou non amusé.

35. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

… Dans un des plus longs poèmes du recueil de Laurent Pichat, intitulé : Saint-Marc (le Saint-Marc de Venise), où se trouve, plus que partout ailleurs, cette idée qui, au fond, est la seule du livre : c’est que le monde entier, l’Antiquité, le Christianisme, le Moyen Age, toutes les religions, toute l’Histoire enfin, jusqu’à ce moment, ne sont plus qu’une pincée de poussière, un songe évanoui, évaporé, perdu, et qu’il n’en subsiste ni un sentiment, ni une croyance, ni une vérité, tandis que le xixe  siècle seul est la vie ! […] Qu’importe qu’un songe renaisse ? […] J’ai nourri le songe vainqueur ; J’ai brûlé des plus douces fièvres Il m’en reste un parfum au cœur, Il m’en reste du miel aux lèvres ! […]            D’un désespoir et d’un remord Je fis un suicide, enivré de mensonge, Et, dans ta profondeur me jetant par un songe,            Je t’empoisonnai de ma mort.

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