Aujourd’hui nous voudrions réfuter ceux qui s’alarment d’une comparaison superficielle de 1830 avec 1789 ; qui dirigent leur politique comme si de sombres catastrophes sociales étaient là toujours menaçantes devant eux ; et qui ne comprennent pas le moins du monde dans quelle acception véritable nous sommes revenus à 89, dans quel sens pacifique il est exact de dire que nous allons le continuer. […] Ces passions violentes et fatales, même dans leur générosité ; ces utopies politiques et sociales, filles du xviiie siècle, et qui étaient devenues le rêve des plus chauds et des plus nobles cœurs ; ce prestige républicain, attaché à certaines maximes, à certaines formes de gouvernement ; cette éducation de collège et de livres, toute romaine : et Spartiate, sans l’intelligence de ce qui diffère dans les temps modernes ; enfin la guerre au dehors qui excitait et commandait l’énergie en toutes choses : voilà les causes réelles qui renversèrent la Constitution de 91 : et qui eussent renversé toute autre eu sa place ; voilà, en y ajoutant les faits et les mille incidents qui survinrent, ce qui amena le 10 août, la Convention » et la Montagne.
La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n’est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé. […] Dans l’organisation que la France s’est faite au commencement du siècle, toutes les lignes générales de son histoire contemporaine étaient tracées, révolutions politiques, utopies sociales, divisions des classes, rôle de l’Église, conduite de la noblesse, de la bourgeoisie et du peuple, développement, direction ou déviation de la philosophie, des lettres et des arts.
Buffon n’écrivait pas davantage pour saper les institutions sociales ou les croyances morales. […] Il faisait de l’utilité sociale, du goût contemporain, la mesure de tout bien et de toute beauté.
Car un fait considérable se produit à la fin du règne de Henri IV, l’organisation de la classe aristocratique en société mondaine ; alors s’établissent les rapports, les habitudes, les formes de vie et d’esprit qui caractérisent « le monde » ; alors s’établit pour deux siècles la souveraineté sociale et littéraire de cette minorité fermée, élite sans doute, mais aussi coterie dans la nation. […] Et voici bien comment il faut entendre l’Asie : dans un temps où la représentation de la vie réelle, en sa simple et sérieuse apparence, n’est guère reçue dans l’art, où la nouvelle est condamnée au ton satirique ou comique, la vie pastorale est une transcription littéraire de la vie mondaine ; bergers et nymphes sont des hommes et des femmes qui n’ont rien à faire, et dont l’unique et capitale affaire résultera par conséquent des rapports sociaux : ces hommes et ces femmes se désirent, se poursuivent, s’évitent, exercent enfin la profession de l’amour. […] Il fut difficile aussi de parler à ce public de ce qui n’était pas lui : et par là la matière littéraire se restreignit encore ; l’homme, mais l’homme de la société, soumis aux rapports, aux lois, aux accidents sociaux, ayant affaire un peu a Dieu, beaucoup aux hommes, nullement à la nature, fut l’original nécessaire de tous les portraits. […] Ce fils d’un marchand de vins d’Amiens inaugure la puissance sociale de l’esprit ; sans naissance et ne s’en cachant pas, il se fait recevoir à l’Hôtel de Rambouillet, et y traite d’égal à égal avec tous. […] L’horreur du vulgaire naturel qui, appliquée aux menues circonstances de la vie sociale, produisait la recherche spirituelle des petits vers, tourne en passion du romanesque quand il s’agit de former une conception générale de la vie.
Les Confessions, le Contrat social, la Nouvelle Héloïse même, il y a là toute notre sentimentalité actuelle, la personnelle et la sociale, la passionnée et la perverse, la noble et la fangeuse. […] À travers tous ces romans, il est question des idées nouvelles, politiques, philosophiques, scientifiques, religieuses et sociales. […] Les combinaisons politiques et sociales qui ont ému Victor Hugo émouvaient Eschyle avant lui. […] Ces opinions diverses nous montrent comme tout se tient dans la question sociale. […] Dans cette ombre s’agite notre indécise vie sociale.
Quelquefois, par une conséquence naturelle, sa grande importance religieuse était sur le point de se changer en importance sociale. […] Les premiers chrétiens sont des visionnaires, vivant dans un cercle d’idées que nous qualifierions de rêveries ; mais en même temps ce sont les héros de la guerre sociale qui a abouti à l’affranchissement de la conscience et à l’établissement d’une religion d’où le culte pur, annoncé par le fondateur, finira à la longue par sortir. […] Toutes les révolutions sociales de l’humanité seront entées sur ce mot-là.