Ce n’est pas seulement la justice, dans certaines de ses applications sociales, qui manque à la morale théologique, c’est le principe même de la justice, la personnalité humaine, qu’on n’y retrouve plus, ou qu’on y retrouve tellement confondue avec la personnalité divine qu’il devient impossible à la conscience de l’homme religieux de fixer le degré de mérite de ses actes.
Ce sont les passions qui bouleversent et détruisent tout dans l’ordre social ; les passions sont par leur nature ennemies de l’esprit créateur et conservateur, et il est très singulier que dans les associations civiles il y ait des établissements publics formés tout exprès pour exciter les passions. […] C’est une maxime qui s’accorde très bien avec les grands principes de la liberté et de l’égalité, et surtout avec la tranquillité publique : il y a certaines bienséances sociales qu’on ne peut violer sans une indécence coupable : une tragédie est si peu de chose en comparaison du respect qui doit toujours environner les dépositaires de l’autorité, et tout ce qui les touche de près ! […] Le valet, dans l’ordre de la nature, vaut beaucoup mieux que son maître s’il est plus grand, plus fort, plus courageux ; mais dans la hiérarchie sociale, il n’est point son égal, quoiqu’il soit homme de bien et modeste avec courage : la société est essentiellement fondée sur l’inégalité : ce n’est point vanité, c’est prudence de cherchera s’assortir dans l’union conjugale, d’éviter une trop grande disproportion de naissance et de fortune. […] Il est donc bon de juger l’auteur autant et plus que l’ouvrage ; et quand l’auteur est reconnu n’employer son esprit, son imagination et ses grâces, que pour saper les fondements de la morale et renverser les principes de l’ordre social, c’est un acte de civisme de ne témoigner qu’une bien faible estime pour cet esprit dont il abuse, pour cette imagination si perfide et ces grâces si dangereuses. […] Qu’y a-t-il de plus contraire à l’ordre social, que la fortune des gens qui en sont indignes ?
Sa conception des Rougon-Maquart, qui est de montrer tous les états physiologiques et toutes les conditions sociales dans une seule famille, a en soi quelque chose d’énorme et de symétrique qui révèle chez son auteur le plus ardent idéalisme. […] Il nous fait comprendre mieux que personne le passage de l’ancien régime au nouveau, et il n’y a que lui pour bien montrer les deux grandes souches de notre nouvel arbre social : l’acquéreur de biens nationaux et le soldat de l’Empire. […] Dans l’ordre social, elle n’est qu’une machine, indispensable sans doute, et par là respectable, mais cruelle à coup sûr, puisqu’elle n’a d’autre fonction que de punir et qu’elle met en œuvre les geôliers et les bourreaux. […] Il avait gardé de son premier état un vif amour des choses militaires, et, bien qu’il ait traité avec talent d’innombrables sujets de politique, d’économie sociale et de littérature, ses plus belles pages sont inspirées par l’art de la guerre.
Mérimée lui disait : On a imaginé de faire un sacrement de ce qui n’aurait jamais dû être qu’une convention sociale. […] Il la remplace par la statistique, qui est proprement « la science des faits sociaux exprimés par des termes numériques ». […] Ces conditions enlèvent à la poésie du moyen âge beaucoup de ce qui fait le charme et la profondeur de celle d’autres époques : l’inquiétude de l’homme sur sa destinée, le sondement douloureux des grands problèmes moraux, le doute sur les bases mêmes du bonheur et de la vertu, les conflits tragiques entre l’aspiration individuelle et la règle sociale. » (Page 34.) […] Gaston Pâris conclut par ces belles paroles : « En somme, le grand intérêt de cette littérature, ce qui en rend surtout l’étude attrayante et fructueuse, c’est qu’elle nous révèle mieux que tous les documents historiques l’état des mœurs, des idées, des sentiments de nos aïeux pendant une période qui ne fut ni sans éclat ni sans profit pour notre pays, et dans laquelle, pour la première fois et non pour la dernière, la France eut à l’égard des nations avoisinantes un rôle partout accepté d’initiation et de direction intellectuelle, littéraire et sociale. » (Page 32.) […] C’est enfin une pièce politique, une étude sociale qui laisse bien loin, pour la justesse, l’étendue et la profondeur des vues, ces tragédies d’État dont on faisait grand cas dans notre xviie siècle français.
Jusqu’à ce jour, nos sottes conventions sociales ont admis que la mère était un être sacré, dont les faiblesses mêmes devaient être soigneusement cachées par les enfants, et qu’il en était d’elle comme de la patrie qu’on ne saurait maudire, sans se maudire un peu soi-même. […] … Ce fut signifié d’un ton, avec un regard où les fiertés de la femme prenaient leur revanche de toutes Les convenances et entraves sociales. […] Molière reprendrait aujourd’hui son moule pour y fourrer le vrai Tartuffe, vivant de popularité escamotée : non pas du tout ces petits Tartuffiaux qui font des livres en pâte de guimauve juive, mais le grand Tartuffe de notre époque, l’hypocrite social et politique qui attaque à la fois l’Église, la magistrature, l’armée et l’État, l’homme-poison, violent ou douceâtre, il importe peu, travaillant le suffrage universel comme on foule le raisin dans la cuvée, pour en exprimer quoi ? […] Tout naturellement, les jeunes gens s’épousent sans grands coups de théâtre, rien que par la force de l’amour et de la logique des choses, et le lecteur se sent tout heureux du bonheur mérité ses héros, parce que tous sont bons, honnêtes, en dehors des maladies sociales imposées aux personnages des romans vulgaires et qui s’appellent l’adultère, la trahison, la bassesse, etc. […] À côté d’études approfondies sur l’état social au dix-huitième siècle, il renferme des chapitres tout à fait piquants.
Enquête sociale chez l’un, histoire naturelle des familles chez l’autre, le titre variait ; chez l’un et chez l’autre, c’était, sans plus, le même positivisme de tête et la même crudité d’exécution. […] Et si ce ne serait pas, comme les matérialistes le veulent, que la moitié au moins, sinon toutes les lois de conscience, sont d’acquisition et d’appropriation aux besoins sociaux ? […] * * * J’imagine une sorte de défilé des nouvellistes, où nous verrions Monselet132, qui a gardé dans la vieillesse ses grâces aimables ; Aurélien Scholl, l’esprit fait homme ; Théodore de Banville, magnifique et abondant ; Paul Arène, baigné de soleil ; Maupassant, qui tient la vie dans une anecdote ; Armand Sylvestre, dont les larges gauloiseries éclatent tout d’un coup en couplets lyriques ; François Coppée, le poète des Contes en prose ; Catulle Mendès, le raffiné des Îles d’amour et du Nouveau Décaméron ; Quatrelles, l’humour, la verve, le diable-au-corps ; Maizeroy, confesseur né des Parisiennes, le moins discret et le plus coquet des confesseurs ; Arsène Houssaye, d’un charme alangui et doux ; Pierre Véron, un gamin de Paris promenant au hasard des jours sa belle humeur gouailleuse ; Augustin Filon, le pur lettré des Nouveaux contes ; Edmond Lepelletier, dont les Morts heureuses enferment de petites merveilles ; Ginisty, qui, avant de devenir le scrupuleux annotateur qu’on connaît, a écrit ce joli livre : Quand l’amour va, tout va ; Hugues le Roux, passé maître-chroniqueur et maître-romancier, maître-nouvelliste par surcroît ; Talmeyr, d’une pénétration si aiguë ; Montet, qui émeut ; Leroy, qui fait rire aux larmes ; Armand Dayot133, en qui le bon conteur s’allie au bon critique ; Destrem134, un Parisien de Paris, et c’est dire beaucoup ; Henry Carnoy, l’exquis élégiaque des Contes bleus ; Chavette, le Monnier des concierges ; Théo-Critt, le Chavette des casernes ; Dubut de Laforest, agrégé des hôpitaux, docteur en tératologie ; Paul Alexis, de Médan ; Jules Moinaux, du Palais ; Deschaumes, qui préluda par Les Monstres roses à cette belle et sérieuse étude : Le Grand Patriote ; Horace Berlin, trop oublié et dont les Croquis de province méritaient mieux ; Eugène Mouton, dont il n’y a qu’à citer L’Invalide à la tête de bois ; Harry Allis, observateur amer et souvent profond des misères de l’âme ; Champsaur135, qui est pour l’entrain et le vice de la lignée de Rivarol ; Eugène Guyon, l’élégant auteur des Soirées de la baronne ; Siébecker, plein de souffle ; Coquelin cadet, que les hypocondres élurent pour médecin ; Etincelle, qui prêche délicieusement le beau monde, dans sa chaire de la rue Drouot ; Auguste Germain, d’un « modernisme » à faire peur ; Pothey, qui est le roi de la charge ; Albert Cim, malicieux et fin ; Mme Mairet, d’une tenue de style toute parfaite dans les nouvelles de son Jean Méronde et de Paysanne ; Tiercelin, dont la muse s’ébat sans voiles au courant d’Amourettes ; Charles Buet, le très distingué polygraphe136 ; Méténier, qui pourrait bien avoir découvert nos bas-fonds sociaux ; Rachilde, une petite demoiselle alerte et polissonne, toute en nerfs et détraquée à ravir : Barracand, que couva la Revue bleue ; Rameau, le Robert-Houdin des Fantasmagories ; Adrien Marx, « fusil et plume » ; Alphonse Allais, l’ironiste en chef du Chat noir ; qui encore et quel biais prendre pour énumérer tous les dignes figurants de cette Courtille littéraire137 ?