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407. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Ces civilisations sont demeurées complètement étrangères à notre développement, et nous à elles, jusqu’à ce que, dans des siècles rapprochés, l’activité européenne incessante, le démon de la cupidité et du gain, ou le génie de la science et de la découverte, soient allés les visiter, les interroger, les effleurer, les harceler, comme on a fait et comme on fait encore de la Chine et du Japon, ou les conquérir et les exploiter, comme on a fait de l’Inde. […] On a du moins le siècle des Antonins, qui se défend et se proclame lui-même par son étendue et par la continuité de ses bienfaits. […] Je connais quelqu’un qui n’appelle jamais ce siècle des Antonins que le magnifique été de la Saint-Martin de l’ancienne philosophie. […] On jouit, sauf quelques menaces et des veilles pénibles aux frontières, de l’unité incontestée du monde romain, de ce qu’on a appelé « la majesté de la paix romaine. » Un écrivain qui n’est pas suspect d’optimisme, Tertullien, comparait l’univers, en ce siècle heureux, au verger riant d’Alcinoüs : « Le monde, disait-il, est comme le jardin de l’Empire. » Adrien, on le sait, rassemblait dans la villa magnifique qui porte son nom des échantillons de toutes les merveilles du monde : le monde à son tour, du temps d’Adrien et de ses deux successeurs, n’était pour le Romain qu’une magnifique villa, une villa Adriana en grand. […] Marc-Aurèle couronne ce siècle unique dans l’histoire par sa sagesse et par ses vertus : il est le plus philosophe et le plus humain de tous ceux qui ont jamais régné.

408. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Mais ce n’est pas du latin savant, du latin cicéronien, c’est du latin vulgaire parlé par le peuple et graduellement altéré, que sont sortis, après des siècles de tâtonnement, les différents dialectes provinciaux dont était celui de l’Île-de-France, lequel a fini par se subordonner et par supplanter les autres ; lui seul est devenu la langue, les autres sont restés ou redevenus des patois58. […] Je n’ai point à entrer dans cette discussion, ni à chicaner sur cette préférence ; ce que je voulais seulement remarquer, c’est que sous cette première forme lentement progressive et naturelle tous les mots français qui viennent du latin et par le latin du grec ont été adoucis, préparés, mûris et fondus, façonnés à nos gosiers, par des siècles entiers de prononciation et d’usage : ils sont le contraire de ce qui est calqué et copié artificiellement, directement. […] Les mots en ayant été prononcés et parlés par le peuple, des siècles durant, avant d’être notés et écrits, toutes ou presque toutes les lettres inutiles ont eu tout le temps de tomber et de disparaître. […] Ces mêmes historiens de la langue et qui l’admirent surtout aux xiie et xiiie  siècles, dans sa première fleur de jeunesse et sa simplicité, sont portés à proscrire, à juger sévèrement toute l’œuvre de la Renaissance, comme si elle n’était pas légitime à son moment et comme si elle ne formait pas, elle aussi, un des âges, une des saisons de la langue. […] Marie ; une opposition ou résistance soi-disant traditionnelle, témoin Nodier et son école ; un éclectisme progressif, éclairé et assez large, témoin le dictionnaire de l’Académie de 1835 ; mais, depuis lors, il faut le dire, le siècle ne paraît point s’être enhardi : il y aura de l’effort à faire pour introduire dans l’édition qui se prépare toutes les modifications réclamées par la raison, et qui fassent de cette publication nouvelle une date et une étape de la langue.

409. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Bans le siècle de la prose même, dans le siècle le plus didactique qui fut jamais, des prosateurs comme Montesquieu et Rousseau touchèrent à la poésie, — maladroitement, il est vrai, mais ils y touchèrent… Ils touchèrent à cette reine, bienfaisante et non pas dangereuse, qui ne fait pas mourir, comme la reine de l’ancienne étiquette espagnole, ceux qui l’ont touchée ; et à tous les deux, Montesquieu et Rousseau, il est resté quelque chose de ce contact éphémère : à l’un, dans le brillant diamanté de sa phrase, travaillée comme un vers, à l’autre, dans la passion malade de son accent et son harmonieuse mélancolie. […] J’arrive ainsi au livre le plus beau d’Alfred de Vigny prosateur, et peut-être au livre le plus beau du siècle, si la beauté suprême c’est la bonté, comme je le crois. […] Vigny est un enfant du siècle. […] — Tel est le siècle : ils n’y pensèrent pas ! « Oui, tel est le siècle. — C’est que la raison humaine est arrivée en ces hommes et doit arriver en tous à la résignation de notre faiblesse et de notre ignorance.

410. (1900) La culture des idées

Ce siècle est romain par l’imitation. […] Tout le siècle est dominé par ce grand fait littéraire. […] C’est la grossièreté du siècle qui a séduit M.  […] Enfin l’italien est le vestibule direct du latin qui, en ces siècles éloignés, a gardé son prestige sacré. […] Le français est-il plus difficile aujourd’hui qu’il y a un siècle ?

411. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Ces deux épopées ont chacune leur charme et leur valeur ; mais il est au moins douteux que toutes deux conviennent au siècle présent. […] Il y a donc un charme tout-puissant dans le génie de cet homme ; il a donc fasciné son siècle ? […] Et l’on accuse son siècle de l’avoir méconnu ! […] Hugo d’avoir parlé des variations et des transformations de la langue, sans essayer d’interpréter de siècle en siècle les révolutions de l’idiome par les révolutions nationales. […] Dans les pages publiées en 1819, sur l’interprète harmonieux de mademoiselle de Coigny, on lisait au commencement : « Un jeune homme élevé au milieu du siècle des idées nouvelles, de ce siècle remarquable par tant d’erreurs brillantes, s’attache servilement sur la trace des maîtres.

412. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Jamais, dans les vrais siècles de grandes et vertueuses œuvres, on n’a songé ainsi à étaler cette plainte secrète ; on travaillait, on mûrissait, et se sentir mûrir console des fleurs qu’on n’a plus : on croyait à ce perfectionnement intérieur qui va à l’inverse des grâces riantes et qui, en définitive, sait s’en passer. […] Notre jeune siècle poétique et lyrique, par cela même qu’il ne sait pas vieillir et qu’il étale à ce degré devant tous sa misérable faiblesse, trahit son point vulnérable, l’inspiration morale positive et la foi qui lui ont trop fait défaut. […] Le vent pousse à la Grèce pour le quart d’heure, et nous sommes voués dans ce siècle d’essais à toutes les renaissances.

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