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677. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Il sentait qu’il avait fait une bonne prise : il lui importait de la garder. […] Ils poussèrent enfin vers Séville, en traversant la Sierra Morena à une demi-lieue de Séville, un conflit eut lieu entre le commandant de l’escorte et les guérillas qui sentaient que leur proie allait décidément leur échapper. […] Lorsqu’on vint me chercher pour partir, lorsqu’il fallut me séparer de mon général, de mes compagnons d’infortune, leur faire mes adieux, les forces m’abandonnèrent ; je tombai dans les bras du général, je pressais son cœur contre le mien, je le baignais de mes larmes et je sentis couler les siennes : « Mon ami, me dit-il d’une voix émue, pars, va porter de mes nouvelles à mon Octavie, va travailler à me rendre à son amour. » Je m’éloignai de lui à ces mots et me sentis entraîné, comme malgré moi ; je descendis sans m’en apercevoir les marches de la tour ; je traversai les portes de l’Alhambra, et je me trouvai sous la croisée du général. […] Le général, déjà affaibli, se sentit atteint, du premier jour : il jugea du caractère de son mal et de l’issue. […] Le général de Saint-Joseph, avant de mourir, eut à cœur de consacrer la mémoire de son ancien chef, et cette pieuse pensée lui a porté bonheur : l’humble Notice honore aujourd’hui, à son tour, et protège la mémoire de M. de Saint-Joseph ; elle donne de lui et de sa manière de sentir la plus respectable idée.

678. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Mais, pour lui, il ne s’est jamais posé le rôle, il ne s’est jamais dit que c’était embarrassant ; il a senti que c’était doux, près de soi, d’avoir un haut abri dans ses pensées ; et cependant il s’en est tiré mieux que tous les cadets de grands hommes en littérature : il a trouvé sa place par le naïf, le sensible et le charmant26. […] Xavier de Maistre ; son frère, dans sa manière supérieure, s’en permet souvent, et laisse sentir la recherche. […] On pourrait être longtemps avec lui dans un salon sans s’en douter ; il prend peu de part aux questions générales, et ne se met en avant sur rien ; il aime les conversations à deux : on croit sentir qu’il a longtemps joui d’un cher oracle, et qu’il a longtemps écouté. […] Aussi y est-on très-hospitalier aux lépreux ; on les accueille, on sent qu’on peut être demain comme eux ; l’idée de l’antique malédiction a disparu, et M. […] Valery, à qui le manuscrit avait été remis, se sentit d’un avis contraire, et on lui dut cette première édition à laquelle dans l’absence de l’auteur il apporta tous ses soins.

679. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Par la première, il se sentait excité à prendre rang dans le groupe des poëtes qui, dès 1819, faisaient ouïr les sons d’une lyre nouvelle. […] Cette intelligence secrète et sentie que n’ont pas eue tant d’estimables historiens, pourtant réputés à bon droit critiques, ce don, cet art particulier dont la sobre magie se dissimule à chaque pas, qui ne convertit pas tout en or, mais qui rend à tout ce qu’il touche la qualité propre et la vraie valeur, tient de très-près à l’esprit poétique, modéré et corrigé comme je l’entends. On a dit quelque part que le poëte, c’est celui qui ne sait pas, mais qui devine, qui sent et qui rend. […] En le lisant je me suis surpris plus d’une fois à penser que rien n’est beau comme le bon sens, lorsqu’il triomphe de la passion qu’on y sent subsister, qu’on y voit s’abaisser et frémir d’un air de noble coursier sous le frein. […] Je ne multiplierai pas les échantillons de détail ; mais l’influence espagnole elle-même, qui se fait sentir à cette époque Louis XIII, comme elle se prolongeait dans la littérature galloromaine, est une ressemblance de plus ; il y eut beaucoup d’auteurs gascons des deux parts.

680. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

C’est un jeu de l’esprit, un déguisement de l’imagination moderne, sous des fictions et sous des vêtements mythologiques ; on y sent l’imitation sublime, mais l’imitation en toutes les lignes ; Fénelon n’y est qu’un Homère dépaysé dans un autre peuple et dans un autre âge, chantant les fables à des générations qui n’y croient plus : là est le vice du poëme, mais c’était celui du temps. […] On y sent une prière, une adoration perpétuelle sous chaque parole, comme la chaleur sous la vie. […] J’ai souffert bien des maux ; mais un de mes plus grands était de ne pouvoir vous dire ce que je sentais pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentait par vos malheurs, au lieu d’en être refroidie… « … Ne montrez cette lettre à personne au monde, excepté à l’abbé de Langeron, car je suis sûr de son secret. […] Elle avait senti, à travers la mort du Dauphin, le frisson d’un règne futur. […] Il faut de plus en plus tâcher de plaire au roi, de s’insinuer dans son cœur, de lui faire sentir un attachement sans bornes, de le ménager, de le soulager par des assiduités et des complaisances convenables.

681. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

On le sent tout voisin de Gautier et de Baudelaire. […] Mais voici par où il sort du romantisme : il a senti le besoin de dompter son imagination, et il s’est mis à la rude école de la nature. […] Il sent dans Boileau un art impersonnel et la perfection d’une certaine technique. […] Tout ce qui est dans son œuvre impression personnelle et vécue, non pas seulement chose vue, mais chose sentie, ayant fait vibrer son âme douloureusement ou délicieusement, tout cela est excellent : il a été supérieur dans la description de tout ce qui intéressait sa sympathie. L’impersonnalité du savant n’a jamais été son fait : mais il a su objectiver sa sensation, remonter à la cause extérieure de son émotion, et, domptant le frémissement intérieur de son être, que l’on sent toujours et qui prend d’autant plus sur nous, il s’est appliqué à noter exactement l’objet dont le contact l’avait froissé ou caressé.

682. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Et l’on se sent si incapable d’une telle sublimité de conduite qu’on entre en confusion et qu’un peu d’irritation se mêle à notre émerveillement. […] On les voit, on les aime, on voudrait les étreindre, et on éprouve, à les découvrir là, un peu du plaisir qu’on sentirait à rencontrer des créatures de chair, élastiques et désirables, dans les clairières bleues du pays des ombres. […] L’étalage continuel de ce monde inaccessible a quelque chose d’impertinent et de désobligeant : vous nous faites bien durement sentir que nous ne sommes pas « nés ». […] Celui qui ne se croit pas obligé par un pouvoir extérieur et divin peut fort bien se sentir obligé par lui-même, par une irréductible noblesse de nature, par une générosité instinctive. […] Remarquez que sa faute même ne suffit point à le flétrir à nos yeux, tant nous sentons, malgré tout, de générosité en lui, et tant le châtiment de la faute est effroyable : souvenez vous qu’il en meurt, tout simplement.

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