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345. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Ce que l’art vivifiait, la science le tue. […] Que se propose la science ? […] Vous êtes un chrétien, je suis un homme de science. […] Si la science n’était pas liée à la joie de la connaissance, à l’utilité de la connaissance, que nous importerait la science ? […] Il est certain qu’avec la science [la science philosophique, la science générale, la connaissance] on peut favoriser l’un et l’autre dessein.

346. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Lorry qui l’accusaient de trop efféminer la science et d’amollir le caractère de la profession en vue du succès : Mais s’il ne devait cet accueil, remarquait-il, qu’aux impressions d’une âme douce et compatissante, à cette pénétration, à cette sagacité particulières qui font deviner aux uns ce que les autres n’apprennent que par de longs discours, à cet art d’interroger la nature sans soulever le voile de la décence et sans alarmer la pudeur, combien ces considérations ajouteraient à notre estime pour M.  […] Quand ces développements concernent l’art même dont il traite et les sciences dont il est l’organe, ce ne sont point à proprement parler des lieux communs, ce sont des parties intégrantes et naturelles de son sujet. […] Par exemple, dans l’Éloge de M. de Montigny, amateur des sciences et des arts et administrateur éclairé, il nous le fait voir dans sa jeunesse tout près d’entrer dans une compagnie célèbre3 qui façonnait tous ses membres à son usage, mais contrarié heureusement dans son désir et se félicitant plus tard d’avoir échappé au danger des sectes, dont le grand inconvénient, dit Vicq d’Azyr, est « de ne voir dans le monde entier que deux partis, l’un pour lequel on ose tout, et le parti opposé contre lequel on se permet tout ». […] Vicq d’Azyr avait à un haut degré le sentiment de la connexion et de la solidarité des sciences : en ce sens il avait l’esprit éminemment académique et encyclopédique, et, s’il nous paraît de loin aujourd’hui avoir été avant tout de la famille de ceux qui sont des messagers publics et des organes applaudis, nul ne peut dire de cet homme de talent sitôt moissonné, qu’il n’eût pas été aussi, à d’autres moments, un investigateur heureux et un inventeur. […] [NdA] Voir aussi sur Buffon supérieur comme physicien et homme de science, la dixième des Lettres sur l’origine des sciences, par Bailly (1777), et les Observations faites dans les Pyrénées, par Ramond (1789), p. 312.

347. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Je ne saurais non plus admettre que les Romains, dès le siècle de Cicéron, et plus tard au temps de Virgile, de Sénèque, de Pline, à cette grande époque de l’unité de l’Empire et de la paix romaine, n’aient pas eu une pleine et vive conscience de ce que nous appelons civilisation, curiosité élevée, progrès des sciences, amélioration de la vie dans tous les sens ; vita, comme ils disaient. […] Sans cette force matérielle, n’oublions pas que rien de grand, presque rien, même dans la science, et dès qu’elle veut s’exercer au dehors, ne peut s’accomplir. Il y a bien les Académies, l’Académie des Sciences, et en particulier celle des Sciences morales et politiques, laquelle au premier abord semblerait répondre à l’objet et au vœu de M.  […] On cherche dans le passé les noms des quelques hommes qui ont assez aimé la science et la société en elles-mêmes pour s’y vouer avec cette ardeur. […] Le simple amour de la science et de ses applications salutaires, le spectacle grandissant de l’humanité émancipée, le caritas generis humani dans sa forme la plus haute, ne suffisent-ils pas à faire entreprendre cette sainte ligue, cette croisade dernière que M. 

348. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Sait-on d’où vient le nom de la partie des sciences philosophiques qu’on appelle la métaphysique ? […] Et ce nom, tout à fait accidentel et contingent, demeura ensuite à jamais celui de la science du suprasensible. […] Pour un livre de science, d’histoire et de droit, le nom à chercher est le plus simple, et le plus souvent c’est celui-là qui s’impose. […] On se pique davantage de science et d’exactitude que d’imagination et de couleur. […] Si de nos jours la science laisse aux livres de vulgarisation les titres fantaisistes, il n’en fut pas toujours ainsi.

349. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

La philologie moderne et la science des religions comparées ont renouvelé, depuis trente ans, l’interprétation du polythéisme hellénique. […] En France même, tous les historiens et tous les critiques des sciences religieuses l’ont généralement adoptée. […] En ce genre d’innovation, il ne convient, selon moi, d’adopter que ce qui est vraiment nécessaire, que ce qu’imposent, comme des faits acquis, les progrès de la science et de la critique.

350. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Dès son enfance, le jeune d’Aguesseau apprit toute chose, il continua d’apprendre toute sa vie, et l’on serait assez embarrassé de dire quelle science, quelle langue et quelle littérature il ne savait pas. […] Un de ses correspondants les plus ordinaires était M. de Valincour, cet ancien ami de Boileau et de Racine, amateur de toutes sciences et de toutes belles-lettres, esprit délicat, un peu singulier, d’une religion extrême, et qui, par la sévérité dont il était à l’égard de la métaphysique (tout en la possédant très bien), forçait souvent d’Aguesseau à en prendre la défense. […] Ainsi pour les sciences : « Un homme d’esprit, dit-il, veut tout lire et tout savoir ; il y goûte pendant longtemps un plaisir infini : mais après avoir bien lu, plus il a de lumières, plus il fait aussi de réflexions qui corrompent, pour ainsi dire, et qui empoisonnent pour lui toute la douceur de la science. » Et cet homme passe à un excès contraire, et il se met, de dépit, à condamner toutes les sciences en général, comme le misanthrope condamne tous les hommes. […] Il se reproche en un endroit assez vivement de n’avoir pas étudié, comme il aurait dû, l’histoire ; malgré les emplois importants dont il fut de bonne heure chargé, il aurait certes pu le faire encore : « Mais, d’un côté, les charmes des belles-lettres qui ont été pour moi, dit-il, une espèce de débauche d’esprit, et, de l’autre, le goût de la philosophie et des sciences de raisonnement, ont souvent usurpé chez moi une préférence injuste… » Pourtant, il s’en fallut de peu, nous raconte-t-il agréablement, qu’il ne se ruinât tout à fait dans l’esprit du père Malebranche, qui avait conçu une bonne opinion de lui par quelques entretiens sur la métaphysique ; mais ce père le surprit un jour un Thucydide en main, non sans une espèce de scandale philosophique. […] Et ce même chancelier pourtant, séduit par le plan que lui déroula Diderot, et par le pur amour des sciences, accorda en dernier lieu le privilège de l’Encyclopédie, dont les premiers volumes ne parurent, il est vrai, qu’après sa mort.

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