[Préface à : Du sang, de la volupté et de la mort (1894).]
Il faut la voir ; comment rendre le mouvement, la mêlée, le tumulte d’une foule d’hommes jetés confusément les uns à travers les autres ; comment peindre cet homme renversé qui a la tête fracassée et dont le sang s’échappe entre les doigts de la main qu’il porte à sa blessure ; et ce cavalier qui, monté sur un cheval blanc, foule les morts et les mourants.
mon ami, dit la jeune femme, cela ressemble à des taches de sang. […] Quand je revins en France, je demandai à passer avec mon grade dans les troupes de terre, ayant pris la mer en haine parce que j’y avais jeté du sang innocent. […] Or, durant quatorze années que j’ai vécu dans l’armée, ce n’est qu’en elle, et surtout dans les rangs dédaignés et pauvres de l’infanterie, que j’ai retrouvé ces hommes de caractère antique, poussant le sentiment du devoir jusqu’à ses dernières conséquences, n’ayant ni remords de l’obéissance ni honte de la pauvreté, simples de mœurs et de langage, fiers de la gloire du pays, et insouciants de la leur propre, s’enfermant avec plaisir dans leur obscurité, et partageant avec les malheureux le pain noir qu’ils payent de leur sang. […] Le besoin d’une circulation impossible ne cesse de tourmenter le sang de ce grand corps, ce sang qui ne se répand pas et bouillonne sans cesse. […] « La parole, qui trop souvent n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes ; ce que l’un dit légèrement ou avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang, et c’est pour cela qu’il est honoré de tous, par-dessus tous, et que beaucoup doivent baisser les yeux devant lui.
C’est la période des effusions de sang, des massacres, des troubles, des soulèvements qu’interrompent à peine de courtes trêves. […] Toutefois les conditions de la paix d’Alais, signée en 1629, prouvent que Richelieu fut assez clairvoyant et indépendant du « parti dévot » toujours avide de sang protestant, pour laisser aux Réformés l’exercice de leur culte et un certain droit à l’existence. […] Lorsque l’extermination parut complète et l’hérésie noyée dans le sang ou dans les larmes, l’œuvre catholique et royale fut prête à recevoir son couronnement. […] Mais pendant la dispute, le pied lui glisse dans le sang 85. » Le représentant le plus illustre de ce clergé qui aurait toujours, au dire de ses suppôts, répudié la violence, Bossuet, est, en réalité, un inquisiteur de race. […] Lorsque des centaines de mille d’entre eux eurent franchi les frontières, ce fut comme si des flots de sang se fussent échappés des veines de la France, qui en demeura languissante.
Voici quelques notes qui se rapportent au projet du premier chant et le caractérisent : « Il faut magnifiquement représenter la terre sous l’emblème métaphorique d’un grand animal qui vit, se meut et est sujet à des changements, des révolutions, des fièvres, des dérangements dans la circulation de son sang. » « Il faut finir le chant Ier par une magnifique description de toutes les espèces animales et végétales naissant ; et, au printemps, la terre prœgnans ; et, dans les chaleurs de l’été, toutes les espèces animales et végétales se livrant aux feux de l’amour et transmettant à leur postérité les semences de vie confiées à leurs entrailles. » Ce magnifique et fécond printemps, alors, dit-il, Que la terre est nubile et brûle d’être mère, devait être imité de celui de Virgile au livre II des Géorgiques : Tum Pater omnipotens, etc., etc., quand Jupiter De sa puissante épouse emplit les vastes flancs. […] Ce végétal est mangé par quelque animal ; alors ils se transforment en sang et en cette substance qui produira un autre animal et qui fait vivre les espèces… Ou, dans un chêne, ce qu’il y a de plus subtil se rassemble dans le gland. […] Tout ce peuple hébété que nul remords ne touche, Cruel même dans son repos, Vient sourire aux succès de sa rage farouche, Et, la soif encore à la bouche, Ruminer tout le sang dont il a bu les flots. […] Quand il n’a l’air que de traduire un morceau d’Euripide sur Médée : Au sang de ses enfants, de vengeance égarée, Une mère plongea sa main dénaturée, etc.
Engager la guerre générale avec l’Europe pour qu’un pacha factieux du Kaire fumât sa pipe à Damas, à Alep, à Constantinople, cela ressemblait tout à fait à la diplomatie prêchée aujourd’hui à la France par les publicistes garibaldiens, poussant la France à risquer ses trésors de paix, de sécurité, d’or et de sang français, pour qu’un duc de Savoie, brave, aventureux et ambitieux de chimères, fasse des entrées capitoliennes à Florence, à Rome et à Naples ! […] Si, au contraire, on est vaincu, démoralisation générale, mesures de terreur pour arracher l’or et le sang dévorés par la guerre universelle, résistance du peuple à livrer son or et ses enfants, accusations de trahison, spoliations, emprisonnements, échafauds, fin de la terreur par l’horreur du monde, ajournement à un autre siècle de la liberté. […] Malheur aux ministres qui trempent leurs noms, jusque-là honorables, dans le sang de cette diplomatie de l’insurrection par fantaisie, et de la guerre civile par volontaires ! […] Nous ne connaissons rien de plus beau dans l’organisation sociale qu’une armée donnant son sang pour la patrie.