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1160. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Elle est apparue dégouttante de sang et la torche au poing… » Cette sinistre vision du péril social ne rappelle guère les propos prêtés par les Goncourt à Rémonville, dans un souper d’écrivains, et tenus par lui sans aucun doute : « Et pour moi, mon cher, je vous le dis, le sommet moral de l’humanité, ce sont les Antonins… » C’est que le Rémonville de Charles Demailly et les autres convives de ces fraternelles agapes causaient comme ils travaillaient, comme ils vivaient, sous un régime d’autorité qui garantissait la paix à l’intérieur, et dans cette Europe, aménagée par le Congrès de Vienne, où des conflits comme ceux de 1870 et de 1914 paraissaient impossibles. […] » Qui ne se rappelle cette étonnante comparaison : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part », puis la page hallucinatoire où il nous rend sensible l’infini de la petitesse, en nous montrant chez un ciron « du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs », et là-dedans un abîme nouveau, une infinité d’univers, « dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible, et, dans cette terre, des animaux et enfin des cirons… » ? […] Il découvre, — c’est un texte qu’il ne faut pas se lasser de citer — « dans ce raccourci d’atome », tout un univers ; « des jambes d’abord avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs. » Et, poussant son analyse, une immensité lui apparaît, celle de l’infiniment petit, « des univers dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre ; des animaux et enfin d’autres cirons dans lesquels nous retrouverons ce que les premiers ont donné. » Il se perd dans cet abîme nouveau, comme suspendu entre deux mondes : celui qui l’écrase par sa grandeur, celui qui le confond avec sa petitesse. […] Ainsi se composent les volumes : Du Sang, de la Volupté et de la Mort ; Antori et Dolori Sacrum ; Greco ou le Secret de Tolède. […] J’ignore si l’auteur du Sang des Races a promené d’abord, dans le tumulte de la Canebière, quand il s’y rendait, des nostalgies de cet ordre et s’il est remonté, le soir, jusqu’à la gare de Saint-Charles, pour se repaître des gazettes parues le matin sur le boulevard.

1161. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Souvent sublimes et superbes, ils obéissent à je ne sais quel cri de l’instinct et à une noble chaleur du sang, comme les animaux généreux, lions ou taureaux ; ils ne savent pas bien ce qu’ils font. […] Baron, ayant vu le sang qu’il venoit de rendre, s’écria avec frayeur. — Ne vous épouvantez point, lui dit Molière, vous m’en avez vu rendre bien davantage. […] Enfin il rendit l’esprit entre les bras de ces deux bonnes sœurs ; le sang qui sortoit par sa bouche en abondance l’étouffa.

1162. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Chez les critiques littéraires, une transfusion de jeune sang s’est faite, et les plus arriérés, les plus inféodés au classicisme étroit, sont moins fermés, plus ouverts aux choses nouvelles de la littérature, tandis que les critiques dramatiques, surtout ceux des petits journaux populaires, des petits journaux illustrés, sont restés de vrais critiques du temps de la Restauration. […] Il lui revient du sang aux joues, de l’esprit dans les yeux ; son corps se pacifie, et il ne semble plus le souffreteux de l’arrivée. […] Là dedans, un petit homme au front socratique, aux oreilles rouges de sang, au nez sensuel où danse une verrue sur une narine, nous récite de sa poésie, dans la langue de musique du lieu.

1163. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Garni qui a pour patron, un hercule dans un tricot couleur sang de bœuf, ayant toujours à la portée de sa main deux nerfs de bœuf, et une semaine de revolvers. […] » Dimanche 25 janvier Vraiment, m’avoir refusé aux Français La Patrie en danger, cette pièce impartiale, où j’avais opposé au royalisme de mon comte et de ma chanoinesse, le beau républicanisme du jeune général, où j’avais fait de mon guillotineur, un espèce de fou humanitaire, le sauvant de l’horreur de son rôle de sang, pour accepter cette pièce irritante de Thermidor, pour accepter cette pièce écrite dans cette langue : « Et le colosse désarmé par un hoquet, vaincu par une phrase, étranglé par une sonnette. […] Mercredi 23 septembre À la suite d’une pêche où j’ai reçu sur le dos, en pleine Seine, un tel orage de pluie et de grêle, qu’il a fallu mettre les mains dans mes poches, pour qu’elles ne soient pas mises en sang par les grêlons, j’ai eu ce matin une crise hépatique, douloureuse en diable.

1164. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Il était à cheval, aux côtés de l’empereur, sur une éminence, au moment, où la canonnade était effroyable, quand tout à coup, l’empereur lui dit : « Larrey, votre cheval est tué. » Il descendait, et voyait à son cheval, un grand trou au poitrail, d’où jaillissait une fontaine de sang. […] Et aussitôt, que ma tante m’eut embrassé, son premier mot à sa femme de chambre, était : « Donne-moi un mouchoir. » Et je m’apercevais, qu’elle lui tendait le mouchoir de la nuit, plein de sang, et que ces maigres mains cherchaient à cacher. […] Samedi 24 décembre Si, à la suite des révélations de toutes les canailleries parlementaires, il n’y a pas une révolution, une émeute, au moins un bouillonnement dans la rue, ça prouvera que la France est une nation qui n’a plus de fer dans le sang, une nation anémiée, bonne pour la mort par l’anarchie ou par la conquête étrangère.

1165. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Mais ce ne sont là pour l’historien que des retours offensifs du passé, passagers ; et le principe marche : il a fait la jeune Italie, il s’esquisse dans la Douma, il triomphe à Lisbonne, il est dans la rue à Berlin, et s’affirme à Barcelone par le sang de Ferrer. […] Nous marchons à une révolution dont nul ne saurait prévoir la forme ; à ceux qui sont hantés par la Révolution française, la réalité donnera sans doute un démenti ; l’histoire a une variété de formes qui dépasse notre pauvre imagination ; nous y voyons triompher le christianisme par le sang des martyrs, la Renaissance sans violence, la Révolution par la guillotine ; elle trouvera autre chose encore, et à plus d’une reprise. […] Je ne vois pas chez lui une seule idée, valable pour nous, que notre moyen âge n’ait déjà vécue et que nous ne portions pas dans le sang.

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