/ 1661
1069. (1903) Propos de théâtre. Première série

Son âme s’est épurée dans la solitude et est devenue celle d’un poète, d’un ascète et d’un saint. […] L’aube en blanchit le faîte, y fait comme une gloire adoucie et tendre, où s’envolerait une Espérance aux ailes épanouies… Des lévites sortant en foule de l’ombre de ces piliers ; à cette place, éclairée d’en haut, un trône de roi ou de pontife, le livre saint, l’arche, le glaive sacré, un grand prêtre appelant le peuple fidèle à la défense de quelque cause sainte. […] Prêtres saints, c’est à vous de prévenir sa rage. […] Des plus saintes familles Votre fils et sa sœur vous amènent les filles. […] Il fuit, par un motif de sainte terreur, devant Athalie qui arrive : Ah !

1070. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

» Car où trouver mieux que nos révérends, Willis le saint par exemple ? […] Ce qu’il expose, ce sont les grands intérêts de l’âme, « c’est la vérité, la grandeur, la beauté, l’espérance, l’amour, —  la crainte mélancolique subjuguée par la foi, —  ce sont les consolations bénies aux jours d’angoisse, —  c’est la force de la volonté et la puissance de l’intelligence, —  ce sont les joies répandues sur la large communauté des êtres, —  c’est l’esprit individuel qui maintient sa retraite inviolée, —  sans y recevoir d’autres maîtres que la conscience, —  et la loi suprême de cette intelligence qui gouverne tout1222. » Cette personne inviolée, seule portion de l’homme qui soit sainte, est sainte à tous les étages ; c’est pour cela que Wordsworth choisit pour personnages un colporteur, un curé, des villageois ; à ses yeux, la condition, l’éducation, les habits, toute l’enveloppe mondaine de l’homme est sans intérêt ; ce qui fait notre prix, c’est l’intégrité de notre conscience ; la science même n’est profonde que lorsqu’elle pénètre jusqu’à la vie morale ; car nulle part cette vie ne manque. « À toutes les formes d’être est assigné un principe actif ; —  quoique reculé hors de la portée des sens et de l’observation, —  il subsiste en toutes choses, dans les étoiles du ciel azuré, dans les petits cailloux qui pavent les ruisseaux, —  dans les eaux mouvantes, dans l’air invisible. —  Toute chose a des propriétés qui se répandent au-delà d’elle-même — et communiquent le bien, bien pur ou mêlé de mal. —  L’esprit ne connaît point de lieu isolé, —  de gouffre béant, de solitude. —  De chaînon en chaînon il circule, et il est l’âme de tous les mondes1223. » Rejetez donc avec dédain cette science sèche « qui divise et divise toujours les objets par des séparations incessantes, ne les saisit que morts et sans âme et détruit toute grandeur1224. » « Mieux vaut un paysan superstitieux qu’un savant froid. » Au-delà des vanités de la science et de l’orgueil du monde, il y a l’âme par qui tous sont égaux, et la large vie chrétienne et intime ouvre d’abord ses portes à tous ceux qui veulent l’aborder. « Le soleil est fixé, et magnificence infinie du ciel — est fixée à la portée de tout œil humain. —  L’Océan sans sommeil murmure pour toute oreille. —  La campagne, au printemps, verse une fraîche volupté dans tous les cœurs. —  Les devoirs premiers brillent là-haut comme les astres. —  Les tendresses qui calment, caressent et bénissent — sont éparses sous les pieds des hommes comme des fleurs1225. » Pareillement à la fin de toute agitation et de toute recherche apparaît la grande vérité qui est l’abrégé des autres. « La vie, la véritable vie, est l’énergie de l’amour — divin ou humain — exercée dans la peine, —  dans la tribulation, —  et destinée, si elle a subi son épreuve et reçu sa consécration, —  à passer, à travers les ombres et le silence du repos, à la joie éternelle1226. » Les vers soutiennent ces graves pensées de leur harmonie grave ; on dirait d’un motet qui accompagne une méditation ou une prière. […] Cependant la pauvre philosophie écossaise s’est desséchée ; parmi les agitations des sectes qui essayent de se transformer et de l’unitarisme qui monte, on entend aux portes de l’arche sainte bruire comme une marée la philosophie continentale.

1071. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Son père, capitaine de la marine marchande et occupé d’un petit commerce, était de vieille race bretonne (le nom de Renan est celui d’un des plus vieux saints d’Armorique). […] Je dis d’un sage et non pas d’un saint, car la sainteté suppose quelque chose d’excessif, d’enthousiaste, d’ascétique et de surhumain que Taine pouvait admirer, mais à quoi il ne prétendait pas. […] Ces causes étaient toutes nobles et saintes ; elles se résumaient dans les mots de paix, de justice, de progrès. […] Mais ce peuple s’appartient à lui-même, et je fais une injustice si je vais contre la chose sainte et inviolable, sa volonté ». […] « On pourrait me reprocher également, répliqua-t-il, d’être partial en faveur des Vaudois, comme plus tard en faveur de sainte Thérèse et de saint Ignace de Loyola.

1072. (1897) Aspects pp. -215

Des badigeonneurs de tombeaux, des moralistes estampillés vont de l’un à l’autre, rafraîchissant le crépi, fignolant des épitaphes : ici, l’honneur en légions, là, l’austère désintéressement, plus loin, la sainte démocratie. […] Elle aura de plus la satisfaction d’agir selon la sainte Démocratie et de se conformer aux immortels principes que nous portons tous dans notre cœur… Assez sur ce sujet car, au fond, les niaiseries parlementaires auxquelles s’appliquent maints poètes sont plus navrantes que risibles. […] Que m’importe de rentrer au Tout toujours vivant, pourvu que j’aie vécu selon moi-même pareil à l’arbre qui pousse, pareil à l’univers qui marche, pourvu que je jouisse, que je souffre — que j’aime. » Le christianisme reprend : « Vois mes saints. » Elle répond : « De Phryné offrant à tous sa gorge éclatante ou de sainte Angèle de Foligno qui suçait des croûtes de lépreux, je choisis Phryné. […] Sans cesse préoccupé du rythme général de l’humanité, la voulant sans patries, sans foi ni loi, belle et libre, Bakounine eût pu s’écrier comme le martyr Paulino Pallas : « Pour moi, la terre sainte, c’est l’univers entier !  […] Et, si votre volonté m’appelle à être le fossoyeur de votre sainte religion, ah !

1073. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Exprimer une idée, c’est-à-dire découvrir un rapport inconnu, prononcer la bonne parole, investir les hommes d’une sensibilité nouvelle, voilà une mission sainte et admirable. […] C’est ainsi qu’à l’épopée napoléonienne succédèrent aussitôt la Restauration, des décrets rétrogrades, la sainte alliance des peuples. […] Il a célébré les saintes mamelles des mères, richement épanouies pour la santé des futures races.

1074. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Dans tout cela, pas un atome du sentiment, qui, chez Simon Memmi, Filippo Lippi, Botticelli, Pietro di Cosima, enfin chez les plus petits primitifs, donnèrent à ces scènes, l’expression d’émotion recueillie, presque de componction, enfin de cette sainte placidité dans l’étonnement, angélisant, pour ainsi dire, les yeux de ceux qui assistent à un miracle. […] La rue lépreuse avec son air de cul-de-sac provincial, et qui fait brusquement le coude à une petite entrée de Saint-Germain-des-Prés : une rue où le bric-à-brac coulait sur le pavé, où des fauteuils étaient à cheval sur le ruisseau, une rue où l’on marchait au milieu de cadres dédorés, une rue où aux devantures et sur les portes, c’était un méli-mélo de vieux portraits sur des chaises n’ayant plus que des sangles, des tapisseries représentant des saintes brodées à l’aiguille, des crucifix, des portoirs de fayence, des fontaines de cuivre, des plats en étain, une ferronnerie et une ferraillerie moyenâgeuses, et des bouts de cors de chasse, passant sous des habits de membres de l’Institut, et des guitares pendues sur des châssis, représentant des têtes d’expression de femmes grecques en turban de Mme de Staël, peintes aux années philhellènes, et des ciels de lit aux vieilles soieries faisant des auvents de boutiques. […] Un saint, un grand seigneur, un propriétaire de deux millions de rente, un homme qui a eu une si bonne volonté au bien et au beau, — j’ai nommé le duc de Luynes, — un jour accablé par la vie, ne put retenir : « Mais je suis donc maudit ! 

/ 1661