Et ce thème peut-être ne le reconnaîtrez-vous pas aisément dans la vision des deux grands artistes. […] Je ne sais rien de plus beau que ce court poème de remords et de terreur où le souvenir, plongeant dans le passé et tremblant de se reconnaître dans l’avenir, éclate en prière.
Bernis a le mérite de sentir un peu tard tous ces néants et ces vides profonds ; mais, en les déplorant, il n’a rien à mettre pour les remplir ; il n’est pas de ceux à qui on reconnaît le droit de dire : C’est moi !
On peut regretter en ce style incommode, dans lequel on s’adresse continuellement à lui à la seconde personne, de ne pas trouver l’agrément ni la rapidité des mémoires ordinaires, et de n’y reconnaître qu’à peine le trait d’expression et la marque originale du narrateur ou de l’inspirateur même : mais n’est-ce pas aussi un premier caractère d’originalité, et plus significatif que tous les autres, qu’une telle forme ainsi adoptée et imposée durant une narration si longue ; et n’y voit-on pas déjà le ton et l’étiquette rigoureuse qui régnait dans ce château de Sully quand on s’adressait au maître ?
» Il reconnaissait trop tard cette vérité, « qu’à mesure que nous descendons la vallée de la vie, nos infirmités demandent quelques-uns des soins et la société intérieure d’une femme ».
Car, tandis qu’il est là, tout blessé, à défendre vaillamment le petit pont qu’on reconnaît encore aujourd’hui sur les lieux et qu’il a rendu célèbre, tandis qu’entre son cousin le comte de Soissons à main droite et monseigneur Pierre de Neuville à gauche, il couvre de son mieux la position menacée du roi, Joinville nous raconte comment ils ont fort à faire pour résister à ces vilains Turcs et à d’autres gens du pays (de vrais vilains et paysansw) qui les viennent assaillir de feu grégeois et de coups de pierres : et quand il y avait une trop grande presse de ces vilains Sarrasins à pied, le comte de Soissons et lui (qui n’était blessé, dit-il, qu’en cinq endroits et son cheval en quinze) piquaient des deux et les chargeaient d’importance : « Le bon comte de Soissons, en ce point-là où nous étions, se moquait à moi et me disait : “Sénéchal, laissons huer cette canaille ; car, par la coiffe-Dieu (c’était ainsi qu’il jurait), encore en parlerons-nous de cette journée dans les chambres des damesx.” » Voilà bien un propos noble et militaire.
Il faut reconnaître les diverses familles d’esprits et de talents, et, pour ainsi dire, les différentes races.