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422. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

, pour plaire à leurs maîtres qui étaient des soldats, ont laissé la comédie, et la tragédie, et le carmen saltare, et même le carmen seculare, pour raconter uniquement les sièges, les batailles, les villes prises et renversées, les traités violés et rompus. […] De nos jours, elle était la seule qui pût raconter dignement ce qui se passe dans ces petits salons dorés, sur ces sofas qui parlent, en présence des trumeaux et des boiseries rehaussées d’ornements, et de tout ce petit luxe bâtard auquel nous voulions bien croire encore, uniquement par respect pour mademoiselle Mars. […] Vous êtes jeune, que vous importe ce qu’on raconte de votre talent, de votre renommée et de vos succès de chaque jour ? […] De plus anciens que nous, raconteront la vie et le combat de mademoiselle Mars ; nous autres, qui étions plus jeunes qu’elle (aujourd’hui ce n’est pas beaucoup dire), nous l’avons vue à son zénith, et toute parée et toute éclatante des roses de sa couronne épanouie ! […] Le lendemain du jour où mademoiselle Mars prit congé de son public en deuil, chez un honnête citoyen que je ne veux pas nommer, deux braves comédiens du boulevard, faits pour mieux que cela, racontaient, en souriant, les heureuses misères de leur vie, et leur théâtre fermé.

423. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Croce raconte les diverses phases de cette erreur, depuis Aristote jusqu’à aujourd’hui ; et dans ses Problemi di estetica (p. 111) il revient à la charge en écrivant : « La concezione manualistica o enciclopedica della storia letteraria è uno dei più forti sostegni della sciagurata partizione per generi, che io considero nemico con cui non si patteggia e al quale ho giurato, come Annibaie ai Romani, guerra eterna. […] Pourtant, chez Belli déjà, il y a des réserves à faire sur l’œuvre considérée dans son ensemble… Cesare Pascarella, ce très grand poète si peu connu hors d’Italie, a raconté en cinquante sonnets la découverte de l’Amérique, et achève en ce moment une autre épopée, beaucoup plus considérable, également en sonnets ; je connais de ce poème des fragments admirables ; je crains pourtant qu’en faisant ainsi du sonnet une strophe, ou une laisse, Pascarella n’ait dépassé certaines limites qu’il est impossible de déterminer théoriquement mais qu’on sent bien dans la pratique. […] Ibsen a cherché mieux : ses personnages essentiels racontent eux-mêmes les faits qui précèdent et qui expliquent le drame ; mais ils racontent bribes par bribes ; il faut leur arracher la vérité ; de là une exposition qui se prolonge trop, qui semble un rébus attirant et décevant à la fois. — Les conventions ! […] Si Zola raconte l’histoire de Gervaise, mon imagination, excitée par lui, suffit pour voir la noce monter dans la colonne Vendôme et pour respirer, rue de la Goutte-d’Or, le parfum de l’oie rôtie. […] Au cours des trois ères racontées sommairement dans ce livre, le groupe de contiguïté dans lequel les principes se réalisent est toujours le même : la nation.

424. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Dans l’Edda de Sœmund, Regin raconte ce qui suit : « Notre frère Ottur nageait souvent dans une chute d’eau sous la forme d’une loutre. […] Ceux de nos compatriotes qu’obsède le désir d’entendre du Wagner font, sans hésiter, le voyage d’Allemagne et reviennent, éblouis, nous raconter les splendeurs de Tristan et des Maîtres Chanteurs. […] Charles Tardieu qui raconte aux lecteurs de l’Indépendance belge les peines et les joies du Graal ainsi que les épisodes principaux de ces mémorables soirées de Bayreuth, les dernières qui devaient être animées par la vivifiante présence de l’illustre compositeur. […] Jullien déclare qu’il veut « raconter la vie de Wagner, juger ses actes et ses œuvres … » Ainsi ce livre, qui eût pu être un précieux et unique recueil de documents, devient un exposé d’opinions personnelles.

425. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

* * * — Gavarni nous racontait aujourd’hui que, tout jeunet, il avait été envoyé chez M.  […] Valentin me racontait que, dans les premiers temps de son séjour à Paris, il était arraché de son lit, par la curiosité d’aller voir, place de la Bourse, aux vitrines d’Aubert, la lithographie du jour de Gavarni. […] Six heures pendant lesquelles ils se sont raconté ce qu’ils savaient déjà, l’un contant à l’autre sa propre histoire ; tout cela scandé à tout moment par : « Tu te souviens bien ?  […] Tout est souvenir historique en cet endroit : la maison de Lireux et les dîners du dimanche, la maison de Odilon Barrot et le kiosque aux rêveries constitutionnelles, la maison blanche bâtie par Charpentier où est mort Pradier, la maison de Pelletan, et un tas de maisons qui vous racontent de grandes passions et des histoires dramatiques de femmes connues.

426. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Nous trouvons Rose, tranquille, espérante, parlant de sa sortie prochaine, — dans trois semaines au plus, — et si dégagée de la pensée de la mort, qu’elle nous raconte une furieuse scène d’amour qui a eu lieu hier entre une femme couchée à côté d’elle et un frère des écoles chrétiennes, qui est encore là aujourd’hui. […] Une habitude, une affection de vingt-cinq ans, une fille qui savait notre vie, ouvrait nos lettres en notre absence, à qui nous racontions nos affaires. […] Elle me raconte comment Rose est morte, ne souffrant pour ainsi dire plus, se trouvant mieux, presque bien, toute remplie de soulagement et d’espérance. […] Préface de la première édition (1882)12 Aujourd’hui, lorsqu’un historien se prépare à écrire un livre sur une femme du passé, il fait appel à tous les détenteurs de l’intime de la vie de cette femme, à tous les possesseurs de petits morceaux de papier, où se trouve raconté un peu de l’histoire de l’âme de la morte.

427. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Le général du corps d’armée, voyant du haut de Notre-Dame-de-Lorette le coup de main réussir si pleinement, pleura, m’a raconté son officier d’ordonnance, qui vint m’apporter l’assurance que j’étais chevalier de la Légion d’honneur. […] On raconte, parmi les survivants de la Revue Critique, que des jeunes gens ont appris par cœur dans les tranchées cette prose fringante, dont les copies leur étaient envoyées par les jeunes filles dévouées à la cause que servait Gilbert, et qu’ils l’ont récitée à mi-voix sous les balles, comme un hommage à la mémoire de leur ami et comme un excitant de l’âme.‌ […] Celui-ci, dans une allocution, nous raconte qu’un colonel de cavalerie est venu le trouver en lui disant : « Monsieur, combien je vous envie et quelle gloire pour vous de commander un tel régiment ! […] Jules Véran me raconte qu’un soir, au Mort-Homme, quand l’heure de l’attaque approchait pour un régiment provençal et que les chefs inquiets d’un bombardement effroyable se demandaient si leur signal serait entendu, une voix entonna la Coupo santo de Mistral… C’est un hymne religieux, vous savez de quelle beauté, à la gloire de la terre et des traditions, et qui réunit dans l’enthousiasme tous les fils du génie provençal… Une voix entonna, tous s’y joignirent et, la minute sonnée, c’est aux accents de cette Marseillaise de Maillane que les soldais du 15e corps conquirent la citation dont ils sont aujourd’hui si fiers…

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