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290. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

J’ai l’intention de continuer ce que j’avais déjà commencé à Tocqueville cet été, avec beaucoup d’entrain et de plaisir, qui était un récit de ce que j’avais vu dans la révolution de 1848 et depuis, choses et hommes. […] Je ne puis rencontrer cela qu’en écrivant l’histoire, en m’attachant à une époque dont le récit me serve d’occasion pour peindre les hommes et les choses de notre siècle, et me permettre de faire de toutes ces peintures détachées un tableau. […] Mais en y réfléchissant, il me vient de grandes hésitations à traiter le sujet de cette manière : ainsi envisagé, l’ouvrage serait une entreprise de très-longue haleine ; de plus, le mérite principal de l’historien est de savoir bien faire le tissu des faits, et j’ignore si cet art est à ma portée : ce à quoi j’ai le mieux réussi jusqu’à présent, c’est à juger les faits plutôt qu’à les raconter ; et, dans une histoire proprement dite, cette faculté que je me connais n’aurait à s’exercer que de loin en loin et d’une façon secondaire, à moins de sortir du genre et d’alourdir le récit. […] L’une de celles qui me troublent le plus l’esprit vient du mélange d’histoire proprement dite avec la philosophie historique ; je n’aperçois pas encore comment mêler ces deux choses (et il faut pourtant qu’elles le soient, car on pourrait dire que la première est la toile, et la seconde la couleur, et qu’il est nécessaire d’avoir à la fois les deux pour faire le tableau) ; je crains que l’une ne nuise à l’autre, et que je ne manque de l’art infini qui serait nécessaire pour bien choisir les faits qui doivent, pour ainsi dire, soutenir les idées ; en raconter assez pour que le lecteur soit conduit naturellement d’une réflexion à une autre par l’intérêt du récit, et n’en pas trop dire, afin que le caractère de l’ouvrage demeure visible.

291. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

La naïveté d’impressions et l’enfance de cœur qui éclatent dans son récit marquent le point de départ d’où il s’avança graduellement, à force d’expérience et d’étude, jusqu’aux dernières profondeurs de la même passion dans Phèdre. […] Un grand art de combinaison, un calcul exact d’agencement, une construction lente et successive, plutôt que cette force de conception, simple et féconde, qui agit simultanément et comme par voie de cristallisation autour de plusieurs centres dans les cerveaux naturellement dramatiques ; de la présence d’esprit dans les moindres détails ; une singulière adresse à ne dévider qu’un seul fil à la fois ; de l’habileté pour élaguer plutôt que la puissance pour étreindre ; une science ingénieuse d’introduire et d’éconduire ses personnages ; parfois la situation capitale éludée, soit par un récit pompeux, soit par l’absence motivée du témoin le plus embarrassant ; et de même dans les caractères, rien de divergent ni d’excentrique ; les parties accessoires, les antécédents peu commodes supprimés ; et pourtant rien de trop nu ni de trop monotone, mais deux ou trois nuances assorties sur un fond simple ; — puis, au milieu de tout cela, une passion qu’on n’a pas vue naître, dont le flot arrive déjà gonflé, mollement écumeux, et qui vous entraîne comme le courant blanchi d’une belle eau : voilà le drame de Racine. […] Soit dédain pour ces circonstances, soit difficulté de les exprimer en vers, Racine les a négligées dans le récit de Burrhus : il se borne à rendre l’effet moral de l’empoisonnement sur les spectateurs, et il y réussit ; mais on doit avouer que même sur ce point il a rabattu de la brièveté incisive, de la concision éclatante de Tacite. […] Nourri des livres sacrés, partageant les croyances du peuple de Dieu, il se tient strictement au récit de l’Écriture, ne se croit pas obligé de mêler l’autorité d’Aristote à l’action, ni surtout de placer au cœur de son drame une intrigue amoureuse (et l’amour est de toutes les choses humaines celle qui, s’appuyant sur une base éternelle, varie le plus dans ses formes selon les temps, et par conséquent induit le plus en erreur le poëte).

292. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Tous les récits, tous les portraits, tous les exposés d’affaires pourraient être détachés et proposés en modèle dans les écoles, avec les chefs-d’œuvre de la tribune antique. […] À part Charles XII, un contemporain que Voltaire ranime grâce aux récits de témoins oculaires, à part les vifs raccourcis, les lestes croquis d’Anglais, de Français, d’Espagnols, d’Italiens, d’Allemands qu’il sème en courant dans ses contes, ici encore où sont les hommes ? […] (Récit du comte Joseph de Maistre cité par Sainte-Beuve, Causeries du lundi, IV, 283.) […] Voir les principaux romans du dix-septième siècle, le Roman bourgeois de Furetière, la Princesse de Clèves par Mme de la Fayette, la Clélie de Mlle de Scudéry, et même le Roman comique de Scarron. — Voir les lettres de Balzac, de Voiture et de leurs correspondants, le Récit des grands jours d’Auvergne par Fléchier, etc.

293. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Les récits de l’Odyssée sur le meurtre d’Agamemnon diffèrent des traditions postérieures sur lesquelles Eschyle composa son drame. […] Avec l’instinct, et la sagacité du génie, Eschyle remania en tous sens le récit épique pour l’adapter à l’action tragique. […] Rien de grandiose comme la carte géographique dessinée en traînées de feu, qu’étale son récit. […] Thaltybios sent bien qu’il sort du ton de son rôle, qu’il devrait célébrer et non déplorer ; il se reproche « de profaner un jour heureux par des récits de malheurs ».

294. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

On sourit quand on pense que ce récit est de l’homme même dont les funérailles, quinze ans plus tard, égaleront en pompe et en majesté celles des plus grands rois. […] Le second entretien ou Dialogue, sous prétexte de reprendre la suite des explications de Mirabeau, va nous présenter celles de Mme de Monnier elle-même, et son récit. […] Chaque jour je le paraissais davantage, et M. de Montperreux se crut payé de retour longtemps avant que je le lui eusse appris. » Tout ce récit que Mirabeau met dans la bouche de Sophie, et qui fait le milieu du second Dialogue, est plein de noblesse, de raison, de dignité dans l’aveu d’une faute, d’une demi-faute. […] Le marquis n’eut pas l’ombre d’un soupçon : il le plaignit, il discuta tous les détails de son récit, et me laissa dans l’admiration, etc., etc., etc.

295. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Cet écrivain si regrettable, enlevé en 1846 à l’âge de quarante-sept ans, au moment où la renommée venait le couronner et où une sympathie universelle le récompensait de son long effort, avait laissé d’autres récits d’excursions encore que ceux que M.  […] Ses courts et brusques dessins, ses récits, sont une suite de jolis tableaux flamands, relevés tout aussitôt d’une saveur alpestre, de quelque chose de fruste (pour employer un de ses mots favoris) et d’un caractère sauvage : en même temps, il n’oublie jamais le côté humain, familier, vivant, qui doit animer le paysage, et qui lui ôte tout air de descriptif. […] Un des endroits de son récit qui m’a laissé le plus frais souvenir, c’est son excursion aux Mayens, près de Sion.

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