Mais, disons-le, tout cela, si étonnant que ce puisse être, si produisant sur nous l’effet que les bijoux dont elles raffolent produisent sur les femmes, ne serait, après tout, rien de plus que le flamboyant écrin d’un Juif d’Orient venu à la foire de Beaucaire, si derrière toutes les ciselures et les pierreries de cette forme travaillée, exaspérée, diabolisée, qui est celle de Gozlan, il n’y avait pas la réalité toute-puissante, qui n’est plus de l’Orient, mais de l’Occident, et surtout de l’Occident-France, — et qui s’appelle dans ce pays-là simplement « l’esprit » !
Certes, voilà une réalité, s’il en fut jamais, et qui devait tenter la plume d’un maître.
C’est ainsi que les premiers poètes théologiens inventèrent la première fable divine, la plus sublime de toutes celles qu’on imagina ; c’est ce Jupiter roi et père des hommes et des dieux, dont la main lance la foudre ; image si populaire, si capable d’émouvoir les esprits, et d’exercer sur eux une influence morale, que les inventeurs eux-mêmes crurent à sa réalité, la redoutèrent et l’honorèrent avec des rites affreux.
C’est Héloïse et Abeilard dans la réalité, Roméo et Juliette dans la fiction. […] Pour moi, j’admets tout ; j’aime tout selon les heures, tour à tour ou même à la fois : la réalité basse et grotesque et la réalité noble et choisie, l’idéalisme classique, le romantisme et le naturalisme, Racine autant que Balzac, George Sand autant que Émile Zola, Bourget autant que Maupassant… J’aime tout, parce que tout est vrai, même les songes. […] Surtout elle a la chance d’être tombée sur des gens comme ces Villemer et ces d’Aléria ; car, dans la réalité, elle aurait beau être jolie et parfaite, on ne l’épouserait pas. […] Dans la réalité, votre viveur n’aurait jamais l’idée saugrenue de s’embarrasser de cette petite. […] Dans la réalité, un gentilhomme et une abbesse incrédules du xviiie siècle n’y auraient pas mis tant de façons.
Elsa et Lohengrin nous enseignent, pour l’avoir éprouvé, que le désir fait seul la beauté des choses, que l’imagination est tout et que la réalité n’est rien. […] Mais le poète idéaliste n’avait aucun souci de la réalité. […] Il avait cru d’abord à la réalité des phénomènes, et cette croyance lui avait causé beaucoup de contrainte et d’ennui. […] Oui, la seule mesure de la réalité des choses est l’intensité avec laquelle je les sens. […] Rien ne nous permet de distinguer une seule fois le rêve de la réalité.
Les chefs-d’œuvre les plus aimés, sinon les plus surprenants, sont encore des histoires d’amour… La conclusion, c’est que les diverses passions humaines étant, dans la réalité, constamment enchevêtrées, l’auteur dramatique qui, en haine du banal et par un goût prétendu de vérité, ne nous montre que les luttes de la cupidité et de l’ambition, fait une œuvre aussi artificielle que celui qui ne nous veut montrer que l’amour. […] Mais c’est que l’auteur a voulu nous présenter, en-face de la réalité des vices de notre bourgeoisie, l’idéal de la vertu bourgeoise. […] Ou, s’il est censé ne pas se rater sur la scène, on est tout de même sûr de le retrouver, pendant l’entr’acte, au foyer des artistes… Célénia ne sait plus bien : elle ne distingue pas nettement, à ce moment-là, la réalité de la fiction, la vie pour de bon, la vie sous le ciel, des représentations de la vie que le gaz éclaire entre les châssis de toile peinte. […] Puisque l’aspect des choses se ressemble si peu, c’est donc qu’elles ne sont qu’apparences vaines et qu’il y a derrière elles je ne sais quoi, qui est la seule réalité… Enfin, le poète a eu soin de maintenir son héroïne dans un état physiologique particulier, intermédiaire entre la vieille et le sommeil. […] Il me semble même quelle exagère inutilement et bien imprudemment l’intransigeance de ses prétentions ; que, dans la réalité, une fille qui jouerait la même scène à son vieux serait plus coulante et ne risquerait pas ainsi de tout perdre en voulant tout gagner.