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460. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

En troisième, Marmontel qui, en qualité de premier, se trouvait censeur de sa classe, et dès lors obligé de surveiller ses camarades, s’avise de vouloir capter leur faveur et d’aspirer à la popularité : Je me fis une loi, dit-il, de mitiger cette censure ; et, en l’absence du régent, pendant la demi-heure où je présidais seul, je commençai par accorder une liberté raisonnable : on causait, on riait, on s’amusait à petit bruit, et ma note n’en disait rien. […] Que ce ne soit pas une raison pour nous de lui refuser les qualités abondantes, naturelles et agréables, dont il fait preuve tout à côté. […] Cela touché, il faut vite reconnaître ses aimables qualités sociales, cette facilité à prendre à tout, cette finesse sous la bonhomie et cette cordialité qui sait trouver une expression ingénieuse : « J’ai toujours éprouvé, disait-il, qu’il m’était plus facile de me suffire à moi-même dans le chagrin que dans la joie. […] Il vécut assez pour voir le 18 Brumaire, mais pas assez pour entrer dans le nouveau siècle ; il expira avec celui même qui finissait, et dont il représente si bien les qualités moyennes, distinguées, aimables, un peu trop mêlées sans doute, pourtant épurées en lui durant cet honorable déclin.

461. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Tour à tour employé en Italie sous Catinat, sous Villeroi, sous Vendôme, il plaisait singulièrement à ce dernier dont il avait plus d’une qualité et plus d’un défaut. […] Évidemment Bonneval se trompait de date : il se croyait encore au temps de ses aïeux, sous la Ligue et sous la Fronde ; il oubliait que Louvois était venu, que la qualité et la bravoure ne dispensaient plus d’être exact et d’obéir, et que le régime de l’égalité s’appliquait désormais même à la guerre. […] Je dois vous apprendre que la grande noblesse du royaume sacrifie volontiers sa vie et ses biens pour le service du roi, mais que nous ne lui devons rien contre notre honneur ; ainsi, si dans le terme de trois mois je ne reçois pas une satisfaction raisonnable sur l’affront que vous me faites, j’irai au service de l’empereur, où tous les ministres sont gens de qualité et savent comment il faut traiter leurs semblables. […] Voltaire ajoute, en concluant : « On lui passera tout parce qu’il était un homme aimable. » Cette dernière qualité, il l’avait certainement : « Le voir et l’aimer est la même chose pour ceux qui en approchent », écrivait le chevalier de Bauffremont, qui l’avait visité à Constantinople en 1741, et qui l’avait trouvé gai et enjoué comme il était à vingt-cinq ans.

462. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Volney fit un voyage savant, exact, positif, et l’écrivit avec des qualités de style rares, bien qu’incomplètes. […] Quand il nous définit la qualité du sol de l’Égypte et en quoi ce sol se distingue du désert d’Afrique, ce « terreau noir, gras et léger », qu’entraîne et que dépose le Nil ; quand il nous retrace aussi la nature des vents chauds du désert, leur chaleur sèche, dont « l’impression peut se comparer à celle qu’on reçoit de la bouche d’un four banal, au moment qu’on en tire le pain » ; l’aspect inquiétant de l’air dès qu’ils se mettent à souffler ; cet air « qui n’est pas nébuleux, mais gris et poudreux, et réellement plein d’une poussière très déliée qui ne se dépose pas et qui pénètre partout » ; le soleil « qui n’offre plus qu’un disque violacé » ; dans toutes ces descriptions, dont il faut voir en place l’ensemble et le détail, Volney atteint à une véritable beauté (si cette expression est permise, appliquée à une telle rigueur de lignes), une beauté physique, médicale en quelque sorte, et qui rappelle la touche d’Hippocrate dans son Traité de l’air, des lieux et des eaux. […] Aucun animal ne présente une analogie si marquée et si exclusive à son climat : on dirait qu’une intention préméditée s’est plu à régler les qualités de l’un sur celles de l’autre. […] Chez Volney, il n’y a qu’une partie de ces qualités, le dessin dénué de tout ce qui anime ou qui embellit ; il n’a jamais la joie qui signale une conquête de l’esprit ou une jouissance de l’âme.

463. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

De plus, la qualité dominante du vrai critique, c’est cette même puissance de sympathie et de sociabilité qui, poussée plus loin encore et servie par des facultés créatrices, constituerait le génie. Pour bien comprendre un artiste, dit Guyau, il faut se mettre « en rapport » avec lui, selon le langage de l’hypnotisme ; et, pour bien saisir les qualités de l’œuvre d’art, il faut se pénétrer si profondément de l’idée qui la domine, qu’on aille jusqu’à l’âme de l’œuvre ou qu’on lui en prête une, « de manière à ce qu’elle acquière à nos veux une véritable individualité et constitue comme une autre vie debout à côté de la nôtre. » C’est là ce que Guyau appelle la vue intérieure de l’œuvre d’art, dont beaucoup d’observateurs superficiels demeurent incapables. […] Recommencer toujours à vivre, tel serait l’idéal de l’artiste : il s’agit de retrouver, par la force de la pensée réfléchie, l’inconsciente naïveté de l’enfant. » VI. — Ce qui est aux yeux de Guyau la règle suprême . de l’art, c’est cette qualité morale et sociale par excellence : la sincérité ; si donc il attache à la forme une très grande importance, il ne veut point qu’on sépare la forme du fond. […] Tout grand homme se sent providence, parce qu’il sent son propre génie. » On retrouvera dans ce livre les qualités maîtresses de Guyau : l’analyse pénétrante et en même temps la largeur des idées, un mélange de profondeur et de poésie, cette rectitude d’esprit jointe à la chaleur du cœur qui fait qu’on pourrait lui appliquer à lui-même ses deux beaux vers : Droit comme un rayon de lumière, Et comme lui vibrant et chaud.

464. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Le devoir du critique est de s’adresser directement à l’auteur et de lui signaler ses défauts ou d’encourager ses qualités. Il ne transformera en aucune façon la « manière » de cet auteur pour peu qu’elle soit personnelle, et l’auteur continuera à entretenir avec soin ses qualités et surtout ses défauts qui constituent sa « marque »18. […] Willy dont les procédés de réclame outrancière lui ont fait oublier les admirables qualités, des façons violentes d’apôtre chassant les marchands du temple. […] Les notices dont il a précédé ses rééditions suffisent à prouver que sa sensibilité n’est pas moindre que sa conscience d’érudit et qu’en plus de la patience, de la subtilité, de la méthode, il possède aussi les qualités du créateur.

465. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Désiré Nisard, dans ce célèbre manifeste, avait pris parti pour la réflexion, l’étude, la volonté inspirée, contre l’improvisation, la précipitation, le gaspillage ; parce qu’il s’était rangé du côté de la conscience littéraire contre les succès à tout prix et au rabais ; parce que, là comme dans ses autres écrits, il n’avait pas sacrifié toutes les qualités de l’écrivain à ce pittoresque que nous ne haïssons pas, mais qui avait positivement alors tourné la tête à toute la littérature ; parce qu’il honorait la tradition, qu’on ne respectait plus et même qu’on insultait très bien ; parce qu’il ne concevait pas la Critique en dehors de la morale chrétienne, quand le Beau seul suffit aux âmes, disaient les délicieux Esthétiques de ce temps ; parce qu’enfin il avait en lui la faiblesse la touchante faiblesse du xviie  siècle au lieu d’avoir l’orgueil insensé et insupportable du xixe , il fut bientôt classé, par les ardents et les rutilants de ce siècle-là, parmi les effacés, les chagrins, les retardataires, les professeurs d’ailleurs, les pédantisants ! […] — ne manquait d’aucune des ciselures recherchées par les amateurs d’ornements, car le manifeste en question est aussi étincelant de style qu’il est sensé de vue ; la littérature facile, ne pouvant nier la qualité des étrivières, nia celle de l’instrument avec lequel on les lui avait appliquées. […] Seulement, disons-le, mais non pour le lui reprocher, s’il n’a pas été un délicieux inventeur de qualités, les jours de réception à l’Académie, par exemple, il faut convenir qu’il a été souvent assez ingénieux, en nous les montrant, pour nous faire croire qu’il les créait ! […] Nisard, comme historien, comme appréciateur d’un ordre élevé en littérature, a mieux aujourd’hui que des qualités personnelles à mettre en balance avec les autres critiques contemporains.

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