/ 1999
591. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Suivant lui, la poésie et la musique se nuisent en s’associant, perdent chacune quelque chose de leur puissance et de leur beauté. […] Il est permis de rêver une entente plus fraternelle et plus heureuse entre les deux puissances. […] La musique, en outre, complète et renforce l’expression dont la poésie a revêtu les sentiments ; elle donne aux paroles et aux cris partis du cœur une puissance de pénétration plus grande ; elle leur donne en même temps une signification plus large, plus générale, en les traduisant dans une langue universelle. […] Le Roman de la Rose est comme un animal chimérique, ayant une tête d’agneau et un corps de loup ; il passe de l’allégorie quintessenciée à l’attaque violente de l’Église et des autres puissances. […] Il n’a guère montré son originalité, vrai siècle de commerce et d’industrie, que dans des ponts, des gares, des viaducs, des palais d’Exposition, constructions souvent énormes où le fer et le verre remplacent en partie les antiques matériaux et inaugurent peut-être un art nouveau, capable d’une hardiesse et d’une puissance plus grandes.

592. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

La preuve de l’impuissance d’esprit, c’est justement cette puissance du mot qui frappe par sa sonorité, non par l’enchaînement et la coordination avec les idées307. […] Le mauvais goût est un manque de mesure et de critique exercée sur soi, plutôt qu’un manque de puissance dans la production des idées et des images. […] Le mot, voilà le tyran des littérateurs de décadence : son culte remplace celui de l’idée ; au lieu du vrai, et par conséquent de la loi ou du fait, on cherche l’effet, c’est-à-dire une sensation forte révélant au lecteur une puissance chez l’auteur, n’ayant pour but que de satisfaire l’orgueil de l’un en même temps que la sensualité de l’autre. […] En un mot, l’œuvre littéraire est une suggestion d’une puissance d’autant plus grande qu’elle se cache sous la forme d’un simple spectacle ; et la suggestion peut être vers le mal comme vers le bien. […] Le principe de l’imitation, une des lois fondamentales de la société et aussi de l’art, fait la puissance de l’art pour le mal comme pour le bien.

593. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

« Nul sur la terre n’a sa puissance ; il a été créé pour ne rien craindre. […] C’est tout l’homme, c’est-à-dire c’est la soumission intelligente et raisonnée à la suprême volonté, qui n’est la suprême puissance que parce qu’elle est en même temps la suprême sagesse et la suprême bonté. […] L’homme ainsi doué se sent une puissance de vie intérieure qui userait des milliers de corps et des milliers de siècles sans avoir émoussé seulement sa faculté d’être, et il se sent accouplé par on ne sait quelle loi à une pincée d’argile corruptible, façonnée en organes qui tombent en ruines après un petit nombre de levers et de couchers de soleil, malgré tous ses efforts pour les réparer sans cesse et pour leur donner un peu de cette immortalité qu’il sent en lui. […] Que leur en coûtait-il de se dire, comme Job : Ce monde, œuvre évidente d’une puissance sans bornes, ne peut pas être en même temps l’œuvre d’une puissance folle.

594. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Le style des livres d’Audin, quand Audin est tout à fait éclos, ce style d’un carmin lumineux quand il écrit Luther ou Henri VIII, n’est pas plus la pâle forme littéraire de l’Essai que sa manière d’entendre l’histoire dans la Saint-Barthélemy n’est celle qu’il finit par dégager, lucide et vivante, du chaos sensible dans le quel elle plongea si longtemps… En se mesurant avec ce grand sujet vierge de la Saint-Barthélemy, qui n’avait encore inspiré que des déclamations ou des impostures, Audin eut plus d’instinct que de puissance, plus d’ailes pour aller à un beau et terrible sujet d’histoire que de serres pour le tenir et de regards pour le percer. […] L’Angleterre, nation superbement profonde, qui a donné au Roman tous ses développements et l’a élevé à ce degré de variété, d’analyse et de puissance qui ne peut pas être surpassé, l’Angleterre avait créé aussi la biographie. […] Et cette chaleur, de cœur ne se révèle pas seulement dans le Luther par l’unité de cette œuvre composite d’histoire et de biographie, elle s’atteste encore par cet esprit de polémique qui y circule d’un bout à l’autre avec une puissance de ressources et une longueur d’haleine qui n’y défaille pas un moment. […] L’antagonisme de la foi et de la raison, cet antagonisme profond comme l’homme et comme sa chute et qui est toute la métaphysique du catholicisme, — la lutte éternelle de ces deux principes dans le monde, — la nécessité, même pour la foi, de la puissance temporelle de la Papauté, contrairement à l’idée moderne que la Papauté gagnerait en autorité parmi les peuples en reprenant la robe déchirée de saint Pierre et en retournant aux Catacombes, — l’envahissement des dignités ecclésiastiques par les puînés des grandes maisons séculières, — le transport du saint-siège à Avignon, ces deux fautes que la papauté a rachetées en les payant avec des malheurs, — enfin cette préparation incessante, énorme et troublée du protestantisme, qui, si Luther avait manqué, se serait appelé d’un autre nom, tout cet ensemble, complet sinon de détail, au moins de déduction et de contour, promet et indique la main d’un maître. […] « Nous avons cherché, — dit-il quelque part, — à étudier la Papauté sous deux sortes d’aspects et telle qu’elle s’est produite à la Renaissance, comme fille du Christ, dans ses manifestations spirituelles, et comme Puissance mondaine, dans ses actes humains. » Assurément le double aspect devait s’accepter ; mais, entraîné par ses facultés, ayant précisément celles-là qui auraient fait de lui un Bacchant de la Renaissance, s’il avait vécu alors, Audin a trouvé sa Capoue historique dans ce siècle de Léon X, peint par lui avec un amour dangereux.

595. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Ici apparaît la puissance de cette forme d’art, si négligée en France pendant des années, qui s’appelle le roman psychologique. […] De tels écrivains ont une puissance souveraine. […] Donc la puissance de M.  […] Les œuvres très équilibrées sont des signes aussi, mais moins apparents, et de puissances moins déchaînées. […] Un système se dégage, dont les qualités et les défauts expliquent la puissance et les insuffisances des analyses qu’il a commandées.

596. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Et, comme ils l’aimaient et l’admiraient un peu en cachette de leur évêque, ce culte qu’ils me faisaient partager avait pour moi l’attrait de quelque chose de vaguement défendu ; et le Macchabée catholique m’apparaissait avec le prestige d’un héros réfractaire, d’un outlaw, suspect aux puissances établies. […] Il y a quelque chose d’extraordinaire chez l’auteur des Libres Penseurs et de Paris sous les deux sièges : c’est  étant donné sa foi qui le lie et l’emprisonne  la puissance, la souplesse et quelquefois l’audace avec laquelle il interprète tous les événements, grands et petits, selon cette foi. […] Il sentait que le dogme de l’infaillibilité aurait pour effet de grandir la situation morale du pontife, de le mettre décidément au-dessus des souverains, de lui rendre quelque chose de son rôle d’autrefois, de son rôle d’arbitre suprême entre les rois et les peuples ; que ce dogme, qui semblait aux « libéraux » rétrograde et gothique, ouvrirait à la papauté une ère de rajeunissement et de puissance renouvelée. […] Jamais Louis Veuillot n’a lié le sort de la vérité éternelle à celui d’aucune puissance passagère. […] Pensait-il que l’Église est aujourd’hui encore une si grande puissance morale que lui assurer toute la liberté c’est presque lui assurer la domination ?

/ 1999