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1039. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Et elle le rappelait surtout par la violence inouïe des sentiments, et par ce souffle de profond mysticisme qui l’élevait bien au-dessus d’un sentiment vulgaire et passager, et qui le rendait si profondément, si irrémédiablement tragique… Qu’on veuille bien relire Tristan ; et que ceux qui ont l’esprit faussé par les platitudes philosophiques tâchent à comprendre ce que signifient ces invocations de la Mort, seule réparatrice, et ces malédictions de l’Amour. — Notre maître était lui-même bien près du « Tod durch Liebesnoth ». […] En ouvrant la partition, nous trouvons à la première page un mot qui a rendu plus d’un critique perplexe : « Action en trois actes. » Des admirateurs y ont vu une intention profonde, des adversaires une impertinence, Il n’y a ni l’une ni l’autre. […] Ceci est un point si essentiel dans toute l’œuvre de la maturité de Wagner, qu’on ne peut espérer arriver à une compréhension un peu profonde de ce maître, si on ne l’a très clairement saisi. […] Mais précisément cette comparaison ferait ressortir les profondes différences entre ces deux œuvres et montrerait les caractères distinctifs de Tristan. […] Les motifs, par leur répétition, parleur enlacement du sujet, nous montrent derrière cette simple légende un sens plus profond.

1040. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

L’écrivain qui loin de chercher à s’effacer derrière son œuvre, emploie tout son art à mettre en lumière les particularités de son caractère et les grains de sable de sa vie, n’aura pas même abouti à faire saillir sa vraie personnalité ; car la personnalité a sa raison la plus profonde et la plus cachée dans le vieux fonds commun à tous. […] Car la passion est chose naturelle, trop naturelle même pour ne pas introduire un ton blessant, discordant dans le domaine de la beauté pure ; trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs désirs, les gracieuses mélancolies et les nobles désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la poésie… » Ce qui vaut mieux, chez Baudelaire, que cette prose alambiquée et froide, ce sont des vers comme ceux qu’il a intitulés : Elévation : Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des Par mers, delà le soleil, par-delà les éthers, Par-delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, Tu sillonnes gaîment l’immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté. […] Et maintenant, si nous voulions rechercher ce que devient chez nos contemporains cette anxiété de la mort, nous la retrouverions avec un Pierre Loti, par exemple, mais élargie, plus profonde et plus haute, tant il est vrai qu’il y a toujours des sentiments ou idées en progrès tandis que d’autres sont en décadence. […] Dire que la maladie, comme la monstruosité, est normale est parce qu’elle fatale, qu’elle vaut la santé parce qu’elle est tout aussi naturelle, c’est ne pas reconnaître un critérium de valeur naturelle dans l’intensité même et dans l’extension de la vie, ainsi que dans la conscience et la jouissance qui en sont la révélation intime. « Un préjugé seul, où réapparaissent la doctrine antique des causes finales et la croyance à un but défini de l’univers, peut, dit Paul Bourget, nous faire considérer comme naturels et sains les amours de Daphnis et de Chloé dans le vallon, comme artificiels et malsains les amours d’un Baudelaire dans le boudoir qu’il décrit, meublé avec un souci de mélancolie sensuelle :       Les riches plafonds,       Les miroirs profonds, La splendeur orientale,       Tout y parlerait       A l’âme en secret       Sa douce langue natale. […] Quant à placer, comme Baudelaire, la « langue natale de l’âme » dans les riches plafonds, les miroirs profonds et la splendeur orientale, c’est une de ces nombreuses absurdités qui remplissent ses vers et en font souvent la seule originalité : tout ce luxe faux et imaginaire, tout ce vain orientalisme n’est pas plus la langue natale de la vie que de l’« âme » : c’est un rêve artificiel et tout littéraire de l’imagination romantique.

1041. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

. —  Nul flambeau, nul témoin que la profonde nuit Qui ne raconte pas les secrets qu’on lui dit. […] Ou t’en vas-tu si belle, à l’heure du silence, Tomber comme une perle au sein profond des eaux ? […] Voulez-vous la prière, écoutez : Comme avec majesté sur ces roches profondes Que l’inconstante mer ronge éternellement, Du sein des flots émus sort l’astre tout-puissant, Jeune et victorieux, — seule âme des deux mondes ! […] Elle s’est élancée au sein des nuits profondes. […] Ou n’est-ce pas plutôt que cet ennui profond Que contient chaque coupe et qu’on savoure au fond Des ivresses du cœur, amère et fade lie, Fit détourner ta lèvre avec mélancolie… J’en étais là, quand le son de la corne du pâtre qui rassemble les vaches pour les ramener à l’étable se fit entendre dans la prairie au bas des chênes, et me rappela moi-même au foyer où j’étais attendu.

1042. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Flint, abondante et décisive, et n’exclut pas d’ailleurs une profonde admiration pour le chef de l’école éclectique française. […] A descendre à de telles précisions, on risque fort de méconnaître les différences profondes, essentielles, qui distinguent les phénomènes physiologiques des phénomènes moraux et sociaux. […] Enfin une méditation profonde et repliée sur elle-même, l’amour chaque jour plus vif et plus exclusif de la sagesse, portent la vieillesse à chercher toutes ses satisfactions dans la science. — L’enfance et l’art furent représentés par la Grèce, la jeunesse et la religion par le monde germano-chrétien ; l’Angleterre représente aujourd’hui l’âge mûr et l’industrie, et l’Allemagne, la nation de la science, fermera le cycle de la vie du genre humain. […] Le premier néglige volontairement l’étude des sciences naturelles ; le second écrit cette obscure et magnifique cosmogonie qui s’appelle le Timée ; mais s’il y proclame à chaque page le principe des causes finales, s’il a des vues ingénieuses, parfois profondes, sur l’organisation du corps humain et la disposition de ses parties, le symbolisme mystique qui remplit l’œuvre entière en exclut tout caractère vraiment scientifique. […] De là la sympathie profonde d’Aristote pour les êtres innombrables qui, par la variété de leurs formes et de leurs instincts, sollicitent l’admiration raisonnée du savant.

1043. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Le marquis d’Ars est un ancêtre de bronze, qui nous inspire le plus profond respect, comme tous les vieux fanatiques. […] Blessé au plus profond de sa chair autant que de son cœur, il empoigne Iza d’une main, la comtesse de l’autre, et les jette à la porte. […] Il s’en dégage un immense attendrissement, un sentiment de profonde charité humaine. […] Bergerat s’est arrêté, et l’idée me paraît juste, je dirais profonde, si toute cette mécanique morale n’était fort connue. […] Ce que respire toute la première partie de son discours, c’est un profond étonnement.

1044. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

» Cela me paraît d’une vérité profonde. […] Alceste vit tout seul, comme il l’a annoncé, à la campagne, dans une retraite profonde. […] Cela m’a semblé, à moi, d’une poésie profonde. […] Tous deux sont de profonds tactitiens et veulent bien nous exposer leurs combinaisons stratégiques. […] Il lui inspirait, une heure auparavant, la plus profonde horreur, et c’est elle qui l’a dénoncé.

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