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1351. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Au bout d’une des salles de la Mazarine un buste de lui existe en marbre, et fait pendant à celui de Racine ; j’ai souvent admiré le contraste, et je ne sais si c’est ce que l’ordonnateur a voulu marquer : ce sont bien certainement les deux esprits qui se ressemblent le moins, les deux écrivains qui se produisent le plus contrairement ; l’un encore tout farci de gaulois, cousu de grec et de latin, et d’une diction véritablement polyglotte, l’autre le plus élégant et le plus poli ; celui-ci le plus noble de visage et si beau, celui-là si fin. […] Quant au fond même des idées, la révolution fut plus lente à se produire ; on continua de vivre sur le xvie  siècle et sur ses résultats, jusqu’à ce que Descartes vint décréter à son tour l’oubli du passé, l’abolition de cette science gênante, et recommencer à de nouveaux frais avec la simplicité de son coup d’œil et l’éclair de son génie. […] La nature, jouant de son reste, ramassait toutes ses forces pour produire ce dernier bouquet d’illumination et d’artifice. […] On la dirait innée en quelques individus et produite par la nature, tant elle se prononce chez eux de bonne heure ; et, bien qu’elle se mêle dans la jeunesse au désir de savoir et d’apprendre, elle ne s’y confond pas nécessairement.

1352. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Produite par l’équilibre des passions conciliées dans l’âme heureuse et tranquille, ne puis-je pas appeler cette félicité intérieure de l’homme le sourire des Dieux, c’est-à-dire des sentiments pathétiques, remontés du théâtre sanglant de la tragédie humaine au séjour idéal de leur concorde harmonieuse ? […] VII L’Orient n’a rien produit du premier ordre dans l’art dramatique. […] Et, ainsi, ces tableaux où respire encore le bien-être, une sérénité naïve, sont en réalité les derniers grands résultats que produit la poésie du peuple grec. […] L’illusion d’Orgon trompé va jusqu’à produire une situation si pénible, que pour la lever il faut un deus ex machina.

1353. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Une crise décisive et favorable, attribuée par lui à un miracle de la Vierge, se produisit dans son état au printemps de 1586. […] La férocité septentrionale et le christianisme oriental avaient produit, par leur union, cette fleur étrange de civilisation destinée à une brillante et courte floraison en Occident. […] On répondit pour lui ce que Sophocle, accusé par son fils de faiblesse d’esprit à quatre-vingts ans, avait répondu pour lui-même, « Or l’homme capable d’avoir produit les chefs-d’œuvre de génie de son siècle prouvait assez par ses vers l’intégrité de son intelligence. » Toutefois le procès, embarrassé en formalités, subissait d’interminables délais. […] Sa Sainteté les a gracieusement reçus et a libéralement récompensé leur auteur en lui accordant deux cents écus de pension en Italie ; c’est plus que ce que la Jérusalem délivrée lui a jamais produit.

1354. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

— Génie et fécondité sont deux choses très voisines en effet : car qu’est-ce que le génie, sinon une puissance de fécondité, grâce à laquelle naissent les œuvres qui peuvent se montrer avec honneur devant Dieu et devant la nature, et qui, à cause de cela même, produisent des résultats et ont de la durée ?  […] — Les œuvres extraordinaires que ces hommes produisent, dit Goethe, supposent une organisation très délicate, car il faut qu’ils aient une sensibilité exceptionnelle et puissent entendre la voix des êtres célestes. […] Je vous l’ai déjà dit, tout expliquer avec soin n’était pas son affaire, et voilà peut-être pourquoi ses pièces produisent tant d’effet sur le théâtre. […] Et après les supplices que l’on endure, on n’est pas dédommagé par le plaisir que l’on éprouverait à voir la nature humaine et les caractères humains représentés avec exactitude ; il n’y a dans son livre ni nature ni vérité ; ses personnages principaux ne sont pas des êtres de chair et de sang, ce sont de misérables marionnettes, qu’il manie à son caprice, et auxquelles il fait faire toutes les contorsions et toutes les grimaces qui sont nécessaires aux effets qu’il veut produire.

1355. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Incontestablement cette vie de Jésus en plus de cent tableaux, cette représentation où se mêle à une habile retrouvaille de la réalité des milieux, des localités, des races, des costumes, le mysticisme du peintre, produit à la longue, par le nombre et la lente succession de ces études, un grand apitoiement, et même fait monter en vous une tristesse, au souvenir de ce juste, une tristesse attendrie qu’aucun livre ne vous apporte. […] » Vendredi 1er août J’ai, de temps en temps, une fatigue à continuer ce journal, mais les jours lâches, où cette fatigue se produit, je me dis : « Il faut avoir l’énergie de ceux qui écrivent mourants dans les glaces ou sous les tropiques, car cette histoire de la vie littéraire de la fin du xixe  siècle, sera vraiment curieuse pour les autres siècles. » Lundi 4 août En pensant aux choses magiques trouvées par ce siècle comme le phonographe, etc., etc., je me demande si les autres siècles ne trouveront pas encore des choses plus surnaturelles, et si à propos des livres perdus de l’antiquité, on ne trouvera pas le moyen, par une cuisine scientifique dans une boîte crânienne d’une momie d’Égypte ou d’un autre mort antique, de faire revivre la mémoire des livres lus par le possesseur de cette boîte crânienne. […] Il en a fait huit, il ne lui en reste plus que quatre… Il n’est pas tout à fait content de son livre, mais il ne faut pas le dire trop haut… ça pourrait nuire… et il y a d’autres livres dont il n’était pas content, et qui ont marché cependant… et puis, il n’est pas possible que tous les livres, quand on en produit un certain nombre, aient la même valeur… Enfin l’Argent, c’est bon comme mobile d’une action… mais dans l’Argent pris comme étude, il y a trop d’argent. » Samedi 18 octobre C’est superbe, les journalistes m’accusent de n’avoir ni patriotisme ni cœur, ils nient même mon affection fraternelle. […] Et c’est une petite joie intérieure, en interrogeant les menteuses photographies et les incomplets dessins étalés sur un divan, de faire revenir dans ce morceau de terre, petit à petit, et autant que le souvenir le permet, de faire revenir le profil aimé… Mardi 28 octobre C’est étonnant, comme toute ma vie, j’ai travaillé à une littérature spéciale : la littérature qui produit des embêtements.

1356. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

LE but de la Poésie chez tous les peuples a été de plaire & de plaire en remuant les passions ; ainsi c’est tantôt le langage des Dieux & tantôt celui des Démons, suivant les effets qu’elle produit. […] “Il ne lui restoit plus, dit-il, entre les mains que d’infames marchands d’esclaves, que de courtisanes impudiques, que de jeunes libertins, que de vieillards débauchés & corrompus :” & ce sont tous ces misérables qu’il a osé produire en françois. […] Il est toujours représenté comme le plus grand scélerat qu’ait produit Rome. […] Les Jésuites produisirent dans le dernier siécle divers Poëtes latins, & leur Parnasse n’a pas été stérile dans ce siécle-ci.

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