C’est une exception prodigieuse, à ce point de vue, que l’Hamlet de Shakespeare ; et encore Shakespeare a-t-il employé mille ruses pour faire passer les interminables hésitations du prince rêveur. […] Il y a parmi ces objets une suite de masques d’or qui moulaient les visages des princes inconnus, ensevelis dans cette nécropole, voici trois mille ans.
Voici les poèmes d’Albert Giraud ; leur tenue parfaite, leur distinction un peu hautaine rappellent certains portraits de Van Dyck : Sur le rêve effacé d’un antique décor, Dans un de ces fauteuils étoilés de clous d’or Dont la rude splendeur ne sied plus à nos tailles, Le front lourd de pensées et balafré d’entailles Repose, avec l’allure et la morgue d’un roi, En un vaste silence où l’on sent de l’effroi, L’aventurier flamand qui commandait aux princes Et qui jouait aux dés l’empire et les provinces, Celui dont la mémoire emplit les grands chemins, Celui dont l’avenir verra les larges mains S’appuyer à jamais en songe sur l’Épée10. […] Puis, dans les décors éclatants d’autrefois, les princes arrogants et cruels, les fiers aventuriers chamarrés d’or… Certains tableaux des Dernières Fêtes sont aussi flambants : Primat de Chypre, prince évêque d’Amathonte Patrice de Byzance à la crosse d’orgueil, Sous les plis féminins de sa robe de honte, Monseigneur de Paphos rêve dans son fauteuil Parmi les longs reflets des lourdes draperies, Au souffle d’éventails de pourpre, regardé Du vitrail écarlate où des flammes fleuries Versent de l’or qui brûle et du soleil fardé, Et dans ce fier décor de rubis et de laves Qu’exaspère un désir d’être plus rouge encor, Écoute loin, là-bas, aux bouches des esclaves, Sangloter et saigner des fanfares de cor62.
Je prends, par exemple, ces lignes de la Revue de Paris, parues en juillet 1839, et qui sont de Jules Janin, lequel était, comme on sait, le « prince des critiques ». Voici comment ce prince s’exprimait au sujet des romanciers de son époque : Je vous répondrai que M. de Balzac n’est pas le roi des romanciers ; le roi des romanciers modernes c’est une femme, un de ces grands esprits… (Je passe plusieurs lignes de pathos sur George Sand). […] Vibrer avec l’Homère profond par une sympathie d’artiste, prolonger cette vibration en épousant l’élan vital de la poésie homérique, donner Télémaque et ses aventures comme postérité à Ulysse et à ses « erreurs », demeurer cependant dans une grisaille d’intellectualisme didactique qui ne se confond pas avec la grande fresque de la création originale et libre, — voilà ce qui en Fénelon nous désigne le principe — j’allais dire le prince — de la critique des beautés.
Mais je voudrais, qu’à l’exemple de ce prince qui avait un esclave pour lui dire : Souviens-toi que tu es homme, le poète eût auprès de lui un censeur, que sais-je, un journalier, qui lui dit à l’oreille : « Souvenez-vous que vous êtes faillible. » Or, pour empêcher que ce journalier ne se fît flatteur, ses gages devraient être en raison du nombre des fautes qu’il effacerait. […] Il y a encore des filous comme ceux de la cour des Miracles ; des mendiants qui vous tendent la main au jour, et la nuit vous coupent la bourse et la gorge, au besoin ; des boiteux qui se font de fausses entorses, des lépreux qui se font de fausses plaies, des culs-de-jatte qui courent plus vite que des gendarmes à cheval ; race infâme dont on retrouverait encore de beaux restes dans quelques cabarets de la Cité, mais dont le vrai type existait au xve siècle, grâce à une police maladroite et insuffisante, grâce au droit d’asile des églises, et à la protection toute particulière que les princes accordaient à la canaille, surtout Louis XI, qui l’aimait de toute la haine qu’il portait à la noblesse. C’est sous le règne de ce prince que se passe cette histoire.
Et il retrouve les raisons de cette Némésis, cette subtilité suprême de l’entretien de Solon et de Crésus, flottante entre le sourire qui comprend et la tristesse qui sait, — cette répugnance pour l’ύϐριϛ où se reconnaissent à travers les âges les princes de la culture. […] Un bourgeois donnerait cent louis, non un chèque ou nos papiers de banque, mais cent beaux et vrais louis de 1664, avec à fleur de coin le profil orgueilleux, royal, du prince ennemi de la fraude, cent louis d’or qui font au vers même, dans la voix, comme à une bourse pleine dans la main, sa substance et son poids, il donnerait ses cent derniers louis pour aplatir la figure de ce M.
Princes de la révolte, piliers de l’orgueil, la Mystique les dénonce en proie aux plus superbes des anges déchus et dit qu’ils marchent à l’avant-garde de l’Archi-Démon. — On peut en inférer que ce sont des hommes complets c’est-à-dire des bêtes de beauté conscientes. […] Concession excessive et sur laquelle il revient car il murmure bientôt : « Je rentre mes aspirations à la solitude nécessaire quand ce ne serait que pour paraître songer. » En somme : maladivement amoureux de soi-même, se gargarisant avec les sonorités verbales qu’il déforme ou qu’il accole à son gré, pour lui seul, érigeant en système de raffinement la pénurie de ses facultés créatrices, blotti en un coin d’ombre loin du conflit social, portant pour blason un serpent gelé qui se mord la queue sur fond de brume, Narcisse au trouble miroir où luisent à peine les faibles phosphores d’une décomposition d’art, prince de l’impuissance hautaine, tel apparaît le Décadent — tel apparaît aux intelligences sauves de son emprise M. […] Enfin, pour conformer tout à fait le gouvernement de la poésie au brillant système qui assume la charge de nous diriger dans l’existence, on pourrait décider que le prince élu régnera sept ans. […] Mallarmé, prince régnant, dirait seulement : « Je réclame la restitution de tout au silence impartial. » M.