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459. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Voltaire y présente des mémoires sur le feu. […] Certes, l’édifice du passé, qui se construit ainsi laborieusement, présente encore de nombreuses lacunes et il y a apparence qu’il en présentera toujours ; ça et là se dressent des arches colossales qui ne se rejoignent pas ; tel pilier façonné, sculpté, demeure isolé ; mais peu à peu, parmi les matériaux gisant à terre ou enfouis dans le sol, il s’en trouve qui comblent les vides et viennent se placer sur les pierres d’attente ; les substructions acquièrent de jour en jour une solidité à toute épreuve ; certaines parties sont assises, selon le vœu de Thucydide, pour toujours. […] Elle ne présentait alors que des vérités éparpillées, des résultats fragmentaires et presque sans lien entre eux. […] Un style clair, qui vaut surtout par la logique, la précision des lignes, l’enchaînement serré des idées, qui n’admet guère que des épithètes abstraites et générales ; un théâtre où les personnages sont comme détachés de leur milieu et se meuvent dans un cadre vague, indéterminé, où ils se présentent presque comme de purs esprits dont les pensées et les sentiments méritent seuls l’attention ; des tragédies simples ; d’une structure rigide et géométrique, d’une sobriété de mise en scène qui montre qu’elles s’adressent à l’âme, non aux sens ; une littérature qui se concentre tout entière dans l’étude, de l’homme civilisé, qui ne daigne ou ne sait pas voir le reste de l’univers, qui ne connaît pas la campagne, qui soumet l’imagination, « la folle du logis », aux commandements de la raison, qui marche à pas comptés, d’une allure méthodique et posée.

460. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

On peut déjà prévoir quels seront les types plus achevés qu’imaginera un poète auquel les grandes catégories de l’humanité se présentent sous cet aspect. […] Sachant en gros les catastrophes et les conflits qu’elle peut présenter, ne tâchant pas de pénétrer dans le jeu de petits faits, d’incidents sans portée, de bévues et de hasards dont se composent les grands drames humains, les voyant de haut et de loin, comme un homme qui dans une montagne ne distinguerait pas les assises et dans une tour les moellons, M.  […] Il semble donc qu’en lui, à une seule impulsion de l’âme, à une conception, à une émotion, à une vision intérieures, correspondent une multitude d’expressions, qui se présentent tumultueusement, s’ordonnent, se rangent et sont issues de suite, tandis que les facultés intellectuelles restent inactives, attendant que ce flux ait passé, pour reprendre leurs fonctions intermittentes. […] Hugo s’en tient aux mots ; de là, l’air de famille de ses créatures similaires, et leur psychologie écourtée, qui se borne à assigner à chaque type les tendances convenables et conventionnelles, à rendre les vieillards vénérables elles mères tendres, les traîtres fourbes et les amantes éprises, sans nuance, sans complications et sans individualité, sans rien de ces contradictions abruptes et de ces hésitations frémissantes que présente tout être vivant. […] Brocat était définitive, si la faculté du langage devait avoir pour organe la troisième circonvolution fronlale gauche, on pourrait affirmer à coup sûr que cette partie chez le plus merveilleux orateur de l’humanité, doit présenter un développement monstrueux.

461. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

  Pour ce qui est du Quinquina, il faut bien que je vous en parle puisqu’il nous présente le talent de La Fontaine occupé à un singulier objet, et puisque, du reste, il y a, dans le Quinquina, des vers très remarquables. […] Rousseau, et c’est ce que soutient déjà La Fontaine, et je ne vois pas trop qui a présenté cette idée avant lui. […] Il y en a d’autres, mais c’est toujours la fleur de La Fontaine que je vous présente. […] Ce qu’on appelle « être toujours en scène », c’est ceci : c’est le don particulier, de la part de l’auteur, de présenter les choses de manière que nous ayons bien la sensation que nous les voyons, et non pas qu’on nous les récite. […] Mon très lettré ami M. de Couynart me fait remarquer : 1° qu’en 1680-1685 des essais assez nombreux d’acclimatation de Shakespeare en France avaient été faits et que La Fontaine avait pu jeter les yeux sur quelque oeuvre du dramatiste anglais   2° que la tragi-comédie de Statira, tirée par Pradon de la Cassandre de La Calprenède, jouée à la fin de 1679, avait été incriminée de mélange de trivialité et de tragique, et que, du reste, Pradon en 1684 ayant, par un factum, exercé des représailles contre Boileau, La Fontaine a pu, réveillé par ce factum contre son ami, se souvenir de Statira et y faire cette allusion prolongée que nous venons de voir ; M. de Couynart penche pour la seconde de ces hypothèses  J’y pencherais aussi, sans doute ; mais d’abord en 1684 Boileau et La Fontaine, compétiteurs à l’Académie, ne devaient pas être si bien ensemble que La Fontaine voulût venger Boileau de Pradon avec un tel éclat ; ensuite Statira présente-t-elle en effet un tel mélange de haut style et de bassesses ?

462. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Mais pour les esprits peu étendus encore, il suffit de leur présenter une ressemblance pour les persuader : Ménénius Agrippa n’eut besoin, pour ramener le peuple romain à l’obéissance, que de lui conter une fable dans le genre de celles d’Ésope. […] À l’appui de ces vérités nous présenterons les suivantes : chez les Grecs, le mot nom signifia la même chose que caractère 54, et par analogie, les pères de l’Église traitent indifféremment de divinis caracteribus et de divinis nominibus. […] Au contraire, plus elles présentent un grand nombre de mots dont l’origine est cachée, moins elles sont agréables, à cause de leur obscurité, de leur confusion, et des erreurs auxquelles elle peut donner lieu. […] Ainsi le chant uni aux vers devint de plus en plus rapide, en suivant exactement le progrès du langage et des idées. — Ces vérités philosophiques sont appuyées par la tradition suivante : l’histoire ne nous présente rien de plus ancien que les oracles et les sibylles ; l’antiquité de ces dernières a passé en proverbe. […] Telle est la forme des lois les plus anciennes, qu’elles semblent s’adresser à un seul homme ; d’un premier cas, elles s’étendaient à tous les autres, car les premiers peuples étaient incapables d’idées générales ; ils ne pouvaient les concevoir avant que les faits qui les appelaient se fussent présentés.

463. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Une préférence habituelle de l’esprit peut donner cette prééminence à une image qui, naturellement, resterait au second plan ; mais, si la volonté mentale n’intervient pas c’est l’image visuelle qui, le plus souvent, se présente en tête et en avant du groupe275 [§ 1]. […] 1° Observons d’abord que le mot conscience peut présenter quelque équivoque. […] Les plus perfides de ces associations sont celles que le langage exprime, non par une proposition, mais par un seul mot ; car analyser un concept, pour critiquer ensuite sa formation, est plus difficile qu’examiner une idée que le langage nous présente déjà sous une forme analytique. […] Bossuet (Logique, I, 3) la présente avec de sages réserves, Condillac sans réserve aucune. — Cf.  […] Mais le lapsus est toujours isolé dans la phrase de l’homme éveillé, tandis que, pendant le sommeil, la série entière des paroles est incohérente ; on pourrait dire que la parole du dormeur présente le lapsus à l’état continu.

464. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

La nouvelle édition que nous présentons au public est également beaucoup plus soignée que la première sous le rapport de l’impression et du papier. […] La délicatesse ne permet pas à Rodrigue, victorieux, de se présenter lui-même pour réclamer le prix du combat. […] Dans la pièce de Corneille, au contraire, c’est le maître qui est le menteur ; c’est un jeune homme bien né qu’on nous présente infecté de ce vice si bas ; et le valet, malgré la bassesse de sa condition, est le précepteur de son maître. […] Le vice qu’elle attaque y est présenté du côté plaisant et comique ; la censure est fine, enjouée, délicate ; l’esprit est égayé sans que le cœur soit révolté. […] Combien est plus touchant et plus digne de nos pleurs le prince qui contemple d’un œil sec les plus affreux dangers, et présente aux coups du sort un front serein, une âme inaltérable !

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