Nous sommes encore trop accoutumés à trancher toutes ces questions d’après les suggestions du sens commun pour que nous puissions facilement le tenir à distance des discussions sociologiques. […] Pour qu’il n’y eût pas de crimes, il faudrait un nivellement des consciences individuelles qui, pour des raisons qu’on trouvera plus loin, n’est ni possible ni désirable ; mais pour qu’il n’y eût pas de répression, il faudrait une absence d’homogénéité morale qui est inconciliable avec l’existence d’une société.
Adjudant au 69e d’infanterie, il a obtenu une superbe citation à l’ordre de l’armée, la croix de guerre, la médaille militaire et la médaille anglaise. « Prie Dieu, écrit-il à un ami, pour que je porte allègrement la croix qui donne droit à la vraie récompense, la croix de souffrances, celle du Christ. » Telle est leur sublime ambition secrète. […] L’abbé Ligeard, du grand séminaire de Lyon, caporal au 28e bataillon de chasseurs alpins, avant de partir pour l’action, le jour même de sa mort, écrit : « J’offre ma vie pour que se dissipent les malentendus qui existent entre le peuple de France et les prêtres. » (Communiqué par l’A. […] Sergent d’abord, puis lieutenant, puis capitaine, il écrit à sa femme : « C’est une responsabilité, tu sais, ma compagnie : prie beaucoup pour que ton pauvre mari soit à la hauteur de la tâche et du rôle qu’il aura à remplir ; j’ai le frisson en pensant que de moi peut dépendre la vie de plusieurs. […] Prie donc bien pour que je sois à la hauteur et que je donne l’exemple ; et, ensuite, tu prieras pour que, si c’est la volonté de Dieu, nous puissions nous revoir et nous aimer longtemps encore… » Toutes ses lettres ont cet accent de foi ardente et raisonnée. […] Il prépare les siens au deuil : « Prie le bon Dieu bien fort, chère petite femme, pour que le grand déclanchement qui ne peut tarder beaucoup désormais soit couronné de succès… Dis-toi que la souffrance est une grâce qui nous est offerte par Dieu et un bienfait pour qui sait en profiter.
L’Histoire de Clément XIV, cette nouvelle histoire publiée par un prêtre élevé en dignité, consulteur des saintes congrégations de l’Index et du Saint-Office, préfet coadjuteur des archives secrètes du Vatican, traduite au même moment en trois langues différentes pour qu’elle ait son triple retentissement simultané, ce livre, qui fait bruit à Rome et qui fera probablement bruit dans le monde, n’est point, à coup sûr, un de ces livres qui naissent spontanément et sans dessein dans la pensée laborieuse d’un annaliste. […] Theiner, avec son histoire, serait de moitié dans le coup… Nous ne sommes pas tellement loin de la révolution française, de la révolution romaine et de toutes les autres révolutions qui ont fait ressembler l’Europe à la terre rompue d’un volcan, pour que la supposition d’un tel fait puisse être traitée de peur chimérique. […] En vérité, il faut avouer que s’il n’a pas eu un autre dessein que de relever Clément XIV dans le respect de la catholicité qui l’accuse, il n’aura pas assez réussi pour que, du haut de ses deux immenses volumes, piédestal épais d’une gloire manquée, il fasse répéter à l’histoire le mot d’ordre qu’il vient lui donner ! […] Selon nous, en dehors de toutes les discussions, la mémoire de Clément XIV est assez flétrie par l’abolition qu’il consentit ou qu’il voulut, puisqu’il la signa, pour que Crétineau-Joly n’ait besoin de rien ajouter à cette flétrissure, et pour que le P.
Intellectuellement orateur, mais empêtré dans un corps qui ne l’était pas, — car le corps, c’est la moitié de l’orateur, — sagace comme le bel œil noir, un peu couvert, de son portrait, le dit, mais lourd, épais et gauche de tournure et de mains, comme le dit son portrait encore, cet indigéré de discours accumulés au fond de sa pensée et qui ne passaient pas assez vite dans ses organes pour qu’il les dardât de la tribune à ses adversaires, il les expectorait dans ses pamphlets, et Dieu sait avec quelle abondance, quelle facilité, quel jet de salive ! […] Et je pourrais multiplier, si je le voulais, les exemples de ce style lâché qui est le style de Cormenin et des Orateurs ; mais j’en ai dit assez pour qu’on en ait l’idée et pour qu’on perde celle qu’on avait jusqu’ici gardée de lui, comme écrivain. […] Il n’avait pas non plus l’humeur de Timon, et si, par hasard, il en avait eu le figuier, il ne l’aurait pas gardé pour qu’on s’y pendit, mais pour en faire manger les figues à la ronde, n’étant pas mauvais, au fond, ce vieux Gaulois de Cormenin, découvert tout à coup sans bile, sans âcreté et sans mordant, et qui serait même bonhomme, sans son envie d’être dévorant et déchirant par amour pur du pamphlet et de cette vieille petite enragée de rhétorique !
Je ne serai pas plus dur que l’histoire qui l’atteste, en affirmant qu’il ne faut rien moins que du génie pour qu’une femme se fonde une réputation durable, en écrivant. […] Mondaine et pédante, superficielle et lourde, en même temps — car les bas-bleus ont ces défauts contradictoires, — Mme Sophie Gay, l’auteur de la Physiologie du Ridicule, au lieu de traiter sincèrement son sujet, en fait une mauvaise plaisanterie, et le rire de cette moqueuse n’est ni assez amer ni assez gai pour que nous puissions lui pardonner les mensonges et les superficialités de son ironie…. […] Observatrice myope, elle n’a vu, à ce qu’il paraît, que des ridicules gais, que les ridicules qui font rire et qui, pour cette raison, font rechercher par le monde ceux qui les possèdent pour qu’on puisse agréablement se moquer d’eux. […] Mais, quand on ne tient sous son pinceau que des ridicules, il faut les faire vivre le plus possible pour qu’on les voie bien ; il faut leur donner la couleur et le relief, et le mouvement et l’intensité de la vie ; et c’est là ce qui manque le plus aux ridicules de Mme Sophie Gay !
Mais pour que nous pensions à traiter, conformément à cet impératif, les individus avec lesquels nous entrons en relations, ne faut-il pas que nous ayons, au préalable, porté certains jugements de fait sur leur nature même Le premier élément constitutif de l’égalitarisme, c’est l’affirmation que l’humanité a une valeur propre, et que par suite tous les hommes ont des droits. Encore faut-il, pour que nous étendions à tous les individus quels qu’ils soient les conséquences de cette affirmation, que nous les ayons reconnus comme étant, les uns aussi bien que les autres, des hommes. […] Et sans doute, pour que l’inégalité des sanctions fût exactement proportionnée à l’inégalité des actions individuelles, il importerait que les conditions d’action fussent les mêmes pour tous les individus : qui veut mesurer exactement la différence de deux forces les fait partir du même niveau.