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351. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

« Un jour, j’ouvris sa porte, qui n’avait qu’un loquet ; la chambre n’offrait que la muraille et un étau ; cet homme, en sortant de dessous sa cheminée, à moitié malade, me dit : « Je croyais que c’était garnison pour la capitation ». » — Ainsi, quelle que soit la condition du taillable, si dégarni et si dénué qu’il puisse être, la main crochue du fisc est sur son dos. […] En Auvergne, où les hommes valides s’expatrient l’hiver pour chercher du travail, on prend les femmes672 : dans l’élection de Saint-Flour, il y a tel village où les quatre collecteurs sont en jupon. — Pour tous les recouvrements qui leur sont commis, ils sont responsables sur leurs biens, sur leurs meubles, sur leurs personnes, et, jusqu’à Turgot, chacun est solidaire des autres ; jugez de leur peine et de leurs risques ; en 1785673, dans une seule élection de Champagne, quatre-vingt-quinze sont mis en prison, et chaque année il y en a deux cent mille en chemin. « Le collecteur, dit l’assemblée provinciale du Berry674, passe ordinairement pendant deux ans la moitié de sa journée à courir de porte en porte chez les contribuables en retard. » Cet emploi, écrit Turgot675, cause le désespoir et presque toujours la ruine de ceux qu’on en charge ; on réduit ainsi successivement à la misère toutes les familles aisées d’un village. » En effet, il n’y a point de collecteur qui ne marche par force et ne reçoive chaque année676 « huit ou dix commandements ». […] C’est pourquoi, « si certaines paroisses s’avisent d’être exactes et de payer sans attendre la contrainte, le receveur, qui se voit ôter le plus clair de son bien, se met de mauvaise humeur, et, au département prochain, entre lui, MM. les élus, le subdélégué et autres barbiers de la sorte, on s’arrange de façon que cette exacte paroisse porte double faix, pour lui apprendre à vivre »  Un peuple de sangsues administratives vit ainsi sur le paysan. « Dernièrement, dit un intendant678, dans l’élection de Romorantin, il n’y eut rien à recevoir par les collecteurs dans une vente de meubles qui se montait à six cents livres, parce qu’elle fut absorbée en frais. […] Ainsi, tout l’impôt porte sur le peuple, et l’évêque, le marquis, le président, le gros négociant payent moins pour leur dîner de poisson fin et de becfigues que le calfat ou le porte-faix pour ses deux livres de pain frotté d’ail !

352. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Mais il faut y prendre garde cependant : quand cette confidence mérite d’être divulguée par les lecteurs d’élite, étonnés et charmés de ce qu’ils découvrent d’inattendu dans ces pages, la confidence ne reste pas longtemps un secret entre l’auteur et ses amis ; le public écoute aux portes, l’admiration passe du dedans au dehors par les trous de la serrure, et la France se dit avant qu’on y ait pensé : « J’ai un vrai poète de plus. » IV J’ai subi moi-même cet inconvénient de publicité éclose en une nuit, dans ma jeunesse : complétement inconnu la veille, j’étais célèbre le lendemain. […] Voilà cependant que la jolie fille de mon concierge, enfant de douze à quatorze ans, ouvre la porte de ma chambre au premier rayon d’un mois de printemps, avant l’heure ordinaire où elle m’apportait le journal matinal ; elle jette sur mon lit en souriant une petite lettre cachetée d’un énorme sceau de cire rouge avec une empreinte d’armoiries qui devaient être illustres, car elles étaient indéchiffrables. « Pourquoi riez-vous ainsi finement, Lucy ? […] Cette poésie qui marche à pied, qui ne se drape pas à l’antique, qui ne se met ni blanc ni rouge sur la joue, qui ne porte ni masque tragique ni masque comique à la main, mais qui a le visage véridique de ses sentiments, et qui parle la langue familière du foyer, cette poésie qui semble une nouveauté parce qu’elle est la nature retrouvée de nos jours sous les oripeaux de la déclamation et de la rhétorique en vers, sera la poésie de ce nouveau venu dans la famille qui chante. […] Souvenez-vous d’Homère suspendant une guirlande fleurie au seuil de la demeure où il avait passé la nuit, et de l’hymne qu’il chantait devant la porte avant de la quitter. […] Il porte sur le poing, comme un cheik du Liban, Son perroquet splendide à l’amitié jalouse, Et, près de lui, les paons errant sur la pelouse Ouvrent leur arc-en-ciel et perchent sur le banc.

353. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

« La solitude et le silence du lieu le glacent d’effroi ; il entrouvre des portes, il recule épouvanté du vide des appartements ; fatigué d’errer misérablement ainsi, le tribun militaire, Julius Placidus, le traîne hors du sale réduit où il est découvert, ses deux mains liées derrière le dos, ses habits déchirés : spectacle ignoble ! […] C’est dans ce portrait surtout qu’il faut étudier les véritables opinions de Tacite : on se caractérise par ses amitiés ; on se juge par les jugements qu’on porte sur les autres. […] « Les portes du temple s’ouvrirent d’elles-mêmes, raconte Tacite, et on entendit une voix, plus forte que toute voix humaine, dire : Les Dieux s’en vont. […] « Une multitude immense était accourue avec des lumières, et, quand on sut qu’Agrippine était sauvée, cette foule s’agitait et se groupait pour se féliciter mutuellement, quand l’aspect d’une troupe d’hommes armés, marchant dans une attitude menaçante, la dispersa de tous côtés. » XLVI « Anicétus, ayant investi la maison de campagne de sentinelles, et brisé la porte, arrête tous les esclaves qui s’offrent à lui jusqu’à ce qu’il touche à la chambre à coucher d’Agrippine. « Un petit nombre de serviteurs étaient restés aux abords de l’appartement ; tous les autres s’étaient dispersés sous la terreur des soldats qui forçaient les portes.

354. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Quand on lit les poëtes du xvie  siècle, parmi lesquels je ne comprends pas Malherbe, dont la première pièce durable porte la date de 1605, on est surpris du peu qu’ils ont exprimé d’idées générales. […] Le jugement que porte le même Roulliard sur ce qu’il avait vu de ses ouvrages originaux « qui me semble, dit-il, estrangement pesant et traisnassier », est rigoureusement vrai, sauf quelques pages de la préface des Vies, qui ne sont pas au-dessous des meilleures qu’on ait écrites au xvie  siècle. […] Cet examen qu’ils font d’eux-mêmes, sans règles, sans croyance, favorise la prépondérance de l’imagination, et la porte, tantôt par les raffinements du travail, tantôt par la négligence, vers ces choses indécises et spécieuses où la pensée est souvent déterminée par des consonnances de mots, et où l’esprit, cessant d’agir sur des objets réels, semble tourner sur lui-même. […] Y a-t-il une méthode dans cette sorte de journal de sa pensée, dont les feuillets se suivent sans se lier, qui porte des titres de chapitres, mais qui, selon l’humeur de l’écrivain, promet plus qu’il ne tient ; ou tient plus qu’il ne promet ? Montaigne est-il autre chose qu’un penseur capricieux et profond, qui, tantôt de son premier mouvement, tantôt sur l’invitation de l’auteur qu’il lit, de Plutarque le plus souvent, se porte ou se laisse mener vers tous les sujets de la méditation humaine ?

355. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Victor Hugo le porte dans le portrait physique ou moral de ses héros : Il y avait de l’illisible sur cette figure. […] S’il parvient dans la Légende des siècles à faire passionnément déclamer Dieu, saint Jean, Mahomet et Charlemagne, le Cid, les conseillers du roi Ratbert, des thanes écossais, une montagne et une stèle, on peut en conclure sa grande souplesse d’esprit, et aussi l’intérêt mal concentré, superficiel et passager, qu’il porte à toutes ces ombres et ces symboles. […] Toute cette foule, partagée en classes diverses, agit, vit et meurt d’une façon rectiligne, répète les mêmes actes et les mêmes paroles, fait les mêmes gestes et porte les mêmes mines du berceau au cercueil, sans que le poète se soucie de mettre au nombre de leurs composants un grain de la complexité, des contradictions et de l’instabilité que montrent tous les êtres vivants. […] Hugo porte dans sa conscience non plus des pensées, mais de purs mots ; tout deviendra clair. […] Le mot, s’il ne contient que les attributs les plus généraux, les plus caractéristiques et les plus simples de l’objet qu’il désigne, les porte en lui poussés à leur plus haute puissance.

356. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Il frappe à sa porte ; l’acheteur cependant s’impatiente et le traite comme un nègre. […] alors tu vas rester ici et garder la porte à ma place, pendant que j’entre à ta place. […] Tom Fashion frappe à la porte du château, qui à l’air d’un poulailler, et où on le reçoit comme dans une ville de guerre. […] Dès à présent il y entre, et ce théâtre lui-même en porte la marque. […] Désormais la comédie décline, et le talent littéraire se porte ailleurs.

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