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1103. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Ce qui est du moins indiscutable, c’est qu’en certaines circonstances la pénétration de la poésie par la musique peut se produire et qu’en pareil cas les œuvres poétiques d’une dizaine d’années en gardent l’ineffaçable empreinte. […] Mais il veut dire aussi que les Eglises sont des livres de pierre où les générations d’autrefois écrivaient leur pensée pour l’éternité ; qu’elles ont été des symboles compliqués, où le plan, les sculptures, les plus minces détails exprimaient des idées ; que, parlant ainsi aux initiés un langage mystérieux, elles parlaient en même temps aux yeux de la foule par leurs vitraux, leurs fresques, leur peuple de statues ; qu’elles ont matérialisé durant des siècles le génie poétique et les aspirations populaires ; que les cathédrales gothiques en particulier, par leur élan vers le ciel, par la hardiesse de leurs lignes verticales, ont rendu à merveille les espérances et les envolées mystiques d’un âge de foi tourné presque tout entier vers l’au-delà ; seulement que, l’imprimerie étant inventée, la pensée, au lieu de se pétrifier, devient oiseau, vole d’un bout du monde à l’autre, se rit du temps et de l’espace, sûre qu’elle est de pouvoir se multiplier à l’infini ; que désormais la Bible de marbre et de granit est vaincue et destinée à être remplacée par la Bible de papier, plus claire, plus mobile et, malgré l’apparence, plus durable. […] Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand ont d’abord restitué à la prose la faculté de parler aux yeux, et les poètes, après eux, ont si bien su opérer un rafraîchissement analogue du vocabulaire poétique que les faiseurs de paysages ou de portraits à la plume ont abondé en notre siècle.

1104. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Mais j’ai tenu à faire remarquer quel soin le maître a pris d’établir le lieu dramatique et de le rappeler sans cesse ; parce que ce souci prouve l’intention exclusivement poétique. […] Et puis, n’oublions pas de noter une unité bien précieuse que cette œuvre est seule à posséder parmi les crames ce Wagner : c’est qu’elle est exclusivement poétique. […] Renata Tebaldi a chanté Elsa, Renata Scotto a été une grande Kundry, Aureliano Pertile a été un très poétique Lohengrin.

1105. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

La musique La corrélation entre la pensée poétique et la pensée musicale est si intime chez Wagner, que tout essai de vraie chronologie musicale pour ses œuvres est chose bien délicate et bien sujette à caution. […] Voici, par exemple, quelques détails intéressants, mais qui viendront à l’appui de ce que j’avance. — Déjà en 1848, plusieurs mélodies qui aujourd’hui sont une partie importante de la charpente symphonique du Ring existaient. — Le thème principal de la Chevauchée des Walküres, par exemple, et la mélodie que le jeune Siegfried joue sur son cor sont de cette époque (Tappert), quoique les drames dans lesquels ils apparaissent maintenant pour la première fois et dans lesquels ils acquièrent leur caractère particulier et leur signification poétique n’existassent point à ce moment. — Des lettres de 1849 et 18 50 nous montrent Wagner impatient de se mettre à la partition de sa Mort de Siegfried, dont, dit-il, « la musique lui démange les doigts ». — De suite après avoir écrit son Jeune Siegfried, en 1851, il se mit à la musique, et nul doute que de nombreuses parties du premier acte et du second de notre Siegfried sont, pour la déclamation et pour le dessin mélodique général ; de cette année. […] Il faut marquer aussi que des ouvrages parus à droite et à gauche, et certaines études, publiées ici même, dont je parlerai tout à l’heure, ont pu aider à la compréhension de l’idéal du maître, surtout de son idéal poétique.

1106. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Le beau dans la douleur ; le pathétique, le serrement de cœur par la pitié au spectacle de la douleur d’autrui ; la consonance sublime entre le sanglot d’autrui et notre propre sanglotement intérieur ; la jouissance douloureuse, mais enfin la jouissance morale, de notre sympathie humaine pour la peine d’un être humain comme nous, l’ homo sum, humani nihil a me alienum du poète latin ; cette sympathie désintéressée qui fait à la fois la nature, la vertu et la dignité de l’être humain, sont partout dans cette scène poétique. […] Le poète s’y perd dans la métaphysique la plus subtile et la moins poétique. […] Et ce syllogisme-là conclut en moi avec tant de subtilité que toute autre démonstration me paraît stupide. » Il part de là pour chanter le Credo de la Trinité dans ces trois vers : « Et je crois en trois personnes éternelles ; et je les crois si triples et si une à la fois qu’elles admettent à la fois pour les nommer sunt et est (elles sont ou elle est). » Ici un poétique orgueil s’empare pindariquement du Dante, et il commence son vingt-cinquième chant par un triomphe anticipé qu’il se décerne à lui-même.

1107. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Louis Roche signale le silence de l’Art poétique. […] Faguet répond que dans l’Art poétique Boileau n’a nommé aucun de ses contemporains. […] De là j’ai passé au romantisme poétique et par le monde de Victor Hugo et j’ai eu l’air de m’y fondre. […] Il l’est même davantage, car Sainte-Beuve recherche les images et s’adonne (avec un peu d’excès) à la prose poétique. […] L’écriture est moins poétique que dans les traités précédents, mais ferme et pénétrante.

1108. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Il faudrait n’être aucunement poète, avoir une âme dénuée de toute intuition poétique, pour ne pas attribuer à ces premières impressions une importance justement contraire à celle que leur reconnaissait l’éducateur du Dauphin. […] Tâchons de reconstituer en elle la série des étapes qui aboutissent à cet effet particulier de condensation poétique, grâce à quoi l’on enferme, en la traduisant, une émotion vécue. […] … Et, du point de vue poétique, le seul où nous devions l’envisager, expressive alliance qui poursuit ses immédiates conséquences dans la production de l’auteur ! […] Imprimer un accent poétique à la doctrine de Schopenhauer, et du même coup faire sa soumission à l’esthétique baudelairienne, c’est l’argument suprême en faveur de la plasticité féminine ! […] Ce n’est pas qu’on ne rencontre, dans notre littérature contemporaine, des figures féminines issues d’une même veine poétique.

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