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570. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Le poëte, pour tant de fatigues, pour tant de sacrifices, ne trouve ni joies ni récompenses, mais bien des ennuis qui paralysent son énergie. […] Un sujet particulier prend un caractère général et poétique, précisément parce qu’il est traité par un poëte. […] Vous connaissez Fürnstein, que l’on appelle le poëte de nature. […] Il est le poëte des émotions et des impressions, non des entrailles (exceptons toujours Werther). Gœthe avait beaucoup aimé Ovide dans sa jeunesse : c’était alors son poëte préféré.

571. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Je ne prendrai en Mme de Girardin que la femme, le poète de société et de théâtre, le moraliste du monde et de salon, Delphine, Corinne, et le vicomte Charles de Launay, rien que cela. […] pour défrayer de poésie toute une soirée, et surtout quand le poète est là brillant lui-même, spirituel et beau, et qui paie de sa présence. […] Tandis que le poète désabusé observe ainsi et raille, Napoline aime encore et croit : voilà le piquant de ce petit poème, qui n’a pas été, ce me semble, assez compris ni goûté. […] Et cet exemple, pour éviter tout parallèle voisin et désobligeant, je le prendrai chez un poète femme d’une autre nation. Mistress Félicia Hemans, poète anglais d’une grande distinction, d’une moralité profonde, d’une sensibilité naturelle, toujours revêtue d’imagination et voilée de modestie, a voulu exprimer aussi ce moment amer et cruel, deux fois amer pour un poète et pour une femme, où le cœur déplore la fleur première d’espérance et d’illusion qui s’est à jamais flétrie.

572. (1897) Aspects pp. -215

Émile Goudeau est un poète un peu hétéroclite. […] Il est un très bon poète. […] Rency est un très bon poète. […] Un poète s’est en allé à travers la vie. […] Maurice Magre est un bon poète.

573. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Tant soit peu injuste par représailles, elle eut ses prédilections et ses antipathies : Casimir Delavigne et surtout Béranger furent ses poètes ; et ils le méritaient bien sans doute ; mais d’autres aussi méritaient quelque estime, qui, après des succès de salon, n’obtinrent du public que peu d’attention et force plaisanteries. […] Se contentant de ses deux ou trois poètes favoris, il s’est peu inquiété d’en acquérir de nouveaux ; de sa part, les encouragements, et même eu dernier lieu les critiques, ont presque entièrement cessé. […] A chaque instant, ses affections mélancoliques et chrétiennes nous la montrent en harmonie avec ces modestes poètes qui ont pris pour devise le mot d’André Chénier : Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. […] La fougue du poète y est plus fréquemment tempérée par la grâce ; on peut citer le Sylphe, bien plus aimable que le Cauchemar, et la Grand mère, qui appelle un piquant contraste avec son homonyme dans Béranger. […] Un sentiment bien touchant qui respire dans ce même volume est celui de la tristesse et de la défaillance du poète à la vue des amertumes qu’il a rencontrées sur le chemin de la gloire.

574. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Car ce petit livre est une œuvre à part ; une conviction profondément nationale et religieuse l’a dicté au poète fervent ; il est destiné, comme un viatique moral, au peuple errant ou captif chez qui l’ancienne foi catholique semble avoir fait alliance avec le sentiment plus moderne de la liberté. […] Au milieu de ces conseils énergiques et simples donnés à ses compatriotes, il y a bon nombre de sévères paroles qui tombent de la bouche du poète sur l’étranger, sur nous autres Français aussi, accoutumés à plus de louanges. Ces mots d’étranger, d’ennemi, d’idolâtre, synonymes pour le poète, s’appliquent également à nous, qui avons manqué à notre belle mission de la guerre générale pour la cause des peuples. […] Le poète doit savoir bien mieux que nous sans doute quel est le langage qui leur va le plus au cœur. […] Le chaleureux Avant-propos que M. de Montalembert y ajoint, fort remarquable par les faits rassemblés, par l’invective de cœur et la science de style, ne nous a paru avoir d’autre défaut que d’être trop écrit au point de vue du poète.

575. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Rationaliste plus ou moins, malgré sa distinction d’intelligence, Louandre n’a pas compris tout ce qu’il pouvait tirer du sujet de son livre ; mais un poète ne s’y serait pas trompé. L’un des plus grands de ce siècle, et qu’on n’accusera pas, tout poète qu’il fut, de manquer du sens profond de la réalité, — car c’est précisément ce sentiment incomparable qui fit le plus pur de sa gloire, — Walter Scott avait pensé toute sa vie à traiter le sujet qui a tenté Louandre, et sur ses derniers jours il écrivit, trop à la hâte, hélas ! […] Ou il fallait l’écrire en philosophe, ou il fallait l’écrire en poète : en philosophe, qui distingue sous les faits leur racine dans la constitution même de l’esprit humain et le mystère à moitié éclairé de sa destinée, ou en poète, qui ne voit que la toute-puissance des faits et la fascination qu’ils exercent. […] Louandre n’a été ni assez philosophe ni assez poète ; il a été de l’entre-deux, et c’est dommage… Car, s’il avait pris les choses seulement par le côté poétique, il aurait pu nous donner un livre où la science du chroniqueur et de l’antiquaire se serait mêlée à ce qui fait vivre les livres plus que la science elle-même : le style, la couleur, l’émotion ! Plusieurs passages de son trop petit livre nous font regretter qu’il ne se soit pas laissé entraîner à la tentation de traiter son sujet en poète, sans parti pris, sans dogmatisme, évoquant la vie du passé qui nous fait tant rêver quand même elle ne nous instruit pas.

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