C’est un fait constant que les jeunes poètes sont passionnés d’énergies. […] Pour la splendeur de ce spectacle, les poètes convoqueront les plantes, les étoiles, les vents et les graves animaux. […] De nouveau, les poètes se mêleront aux tribus. […] Dans la pensée de quelques jeunes poètes, les travaux quotidiens de l’homme paraissent mériter une consécration. […] Mais à une époque de profond repos il faut de pacifiques poètes.
De la physiologie poétique Les poètes théologiens, dans leur physique grossière, considérèrent dans l’homme deux idées métaphysiques, être, subsister. […] Les poètes théologiens ont senti, par une sorte d’instinct, cette dernière vérité ; et dans les poèmes d’Homère ils ont appelé l’âme (animus), une force sacrée, une puissance mystérieuse, un dieu inconnu. […] Aussi les poètes théologiens dirent que la mémoire (qu’ils confondaient avec l’imagination) était la mère des muses, c’est-à-dire des arts. […] Les poètes appellent cette partie præcordia ; ils attachent au foie de Titan chacun des animaux remarquables par quelque passion ; c’était entendre d’une manière confuse, que la concupiscence est la mère de toutes les passions, et que les passions sont dans nos humeurs. […] On doit comprendre d’après ce qui précède, pourquoi les descriptions héroïques, telles que celles d’Homère, ont tant d’éclat, et sont si frappantes, que tous les poètes des âges suivants n’ont pu les imiter, bien loin de les égaler.
Mais heureusement aussi il y eut, sinon pour l’effacer, au moins pour le faire oublier souvent, la femme d’esprit et la femme poëte. […] Et nous avons commencé par le poëte cette étude sur Mme de Girardin (voir le 3e volume des Œuvres et des Hommes, les poëtes, 1re série). Nous avons commencé par le poëte, parce que le poëte c’était le fond de sa nature, qu’elle a faussée, mais qui a toujours protesté ; — parce qu’où le poëte existe il est toujours l’axe du talent quelconque, qui roule, en brillant, par-dessus ! Une fois le poëte ou l’âme poétique mis hors de question en Mme de Girardin, nous sommes plus libre pour juger ce qu’elle a introduit d’artificiel et de volontaire dans son être ému ou inspiré. […] Elle avait été jusque-là une femme de lettres brillante et enviée, n’ayant été femme que les jours où elle avait été poëte, et ces jours-là, vous le verrez, furent moins nombreux que ces poésies, quoique plusieurs d’entre ces jours aient été très beaux !
… Le nom, ce nom fascinateur d’Alfred de Musset, de ce poète qui fut toutes nos âmes et toutes nos jeunesses, devait nécessairement nous attirer vers le livre qui promettait sa vie et par quelque main qu’il fût écrit. […] Il fallait nous donner la réalité de cette fougueuse et douloureuse vie de poète. […] ; excepté une phrase superbe du Poète déchu (un roman détruit), — mais Alfred de Musset n’est pas à cela près d’une belle phrase ! […] Alfred de Musset, cet amoureux immortel de femmes mortes maintenant, heureux par toutes, malheureux par une seule, a fini par mourir de celle-là… mais il a vécu par les autres, et vous n’empêcherez jamais l’imagination humaine, éprise de ses poètes, de s’intéresser à toutes celles qui ont doublé, par le bonheur qu’elles lui ont donné, les facultés du poète qu’elle a peut-être aimé le plus, et d’en désirer obstinément l’histoire. […] Après avoir fait résonner les fibres saignantes de son cœur, il nous les a dénudées pour nous montrer avec quoi est faite la voix du poète… Historiquement, lord Byron n’a rien laissé à écrire sur son compte à ceux qui viendront après lui.
Ainsi elle n’était pas que poète, cette enfant, elle était aussi la poésie, et tout ce qui aimait la poésie en fut enivré. […] Et puisque nous tenons une épave de ce qu’elle a perdu, dans ce volume de poésies, publiées aujourd’hui, voyons si son naufrage, comme poète, est un si grand malheur à déplorer. […] Les Improvisations, où le poète pleure sur le général Foy, chante le sacre du roi Charles X et quête pour les Grecs, ne méritent d’être mentionnées que pour prouver l’impuissance radicale de toute femme poète, quand il s’agit de chanter quoi que ce puisse être, en dehors de la maternité et de l’amour. […] Ce n’est pas un poète, c’est une harpiste. […] Ici, elle est poète, elle n’est pas bas-bleu.
Mais c’est du poëte, de l’immense poëte, qui s’ignorait, caché dans la sainte, qui s’ignorait aussi, que nous voulons vous parler ! […] Toute notre affaire à nous, — nous l’avons dit, — c’est de montrer le poëte qu’on ne voit pas plus que la sainte dans la sœur Emmerich ; le poëte, dans cette paysanne qui parle patois westphalien, invisible encore plus peut-être que la sainte, dans cette pauvre religieuse à névrose, et de rappeler, — mais non pas pour qu’il s’en corrige, — l’aimable accueil que, de toute éternité, le monde fait également à ses poëtes et à ses saints ! […] Mais heureusement pour nous, et j’ose dire heureusement pour elle, — car l’âme des saints doit être avide, même dans le ciel, de faire, par leur exemple, d’autres saints sur la terre, — il y eut dans sa vie, toujours cachée ou empêchée, le hasard providentiel de la rencontre d’un poëte et d’un cœur religieux, sans lequel nous n’aurions aujourd’hui ni l’immense poëte qu’elle fut, elle, ni la sainte aux grâces transcendantes, que M. […] Il fallut Brentano, — Brentano, ce poëte profond que le rationalisme allemand a dit égaré, parce qu’il est devenu catholique, — Clément Brentano qui, dès qu’il vit la sainte religieuse, s’arracha du front sa couronne de poëte, — de toutes les couronnes celle qui tient le plus au front des hommes, — et la mit aux pieds de l’Extatique, à ces pieds flamboyants et stigmatisés. […] C’était beau pour un poëte, mais voici plus beau !