Ses amis, et ils étaient nombreux encore, Cousin, Viguier, Patin, et bien d’autres m’en surent gré ; mais parmi les nouveaux venus, parmi ceux qui occupaient alors le devant de la scène et qui faisaient le plus de bruit, il y en eut d’assez pleins d’eux-mêmes, d’assez infatués et enivrés de l’orgueil de la vie, pour me reprocher ce souvenir donné à un humble mort, comme si par là on les volait eux-mêmes, insatiables qu’ils étaient, dans leur célébrité présente ; je recueillis de ce côté quelques injures127. […] Deux des neveux de Loyson, l’un ecclésiastique savant et distingué, professeur plein de doctrine et de mérite, l’autre prédicateur éloquent, dont la parole a de la flamme et des ailes, ont rajeuni ce nom et l’ont remis en circulation dans une partie de la jeunesse contemporaine. […] Loyson, spiritualiste et même expressément chrétien, est tout voisin de cette muse prochaine des Méditations ; il l’est par l’élévation de la pensée, par le sentiment ; mais l’imagination n’est pas à la hauteur, et trop nourri de l’ancien goût, trop plein des formes classiques un peu usées, il n’atteint pas à l’expression puissante.
En me retournant, je fus surpris de voir le duc de Laforce en habit de garde national, la baïonnette au bout du fusil, marcher résolument et plein d’enthousiasme patriotique derrière mon cheval ; cela me frappa : je sentis qu’un pays où l’élite de la jeunesse opulente se dévouait ainsi par l’énergie du sang pour sauver l’ordre au risque de sa vie ne périrait jamais. […] La salle à manger et les salons étaient remplis de jeunes ecclésiastiques ou aspirant à le devenir, pleins de mérite, dont quelques-uns, tels que les évêques de Perpignan et d’Orléans, n’ont pas depuis trompé les augures. […] Il y vécut en sage, repentant d’un peu trop de zèle ; il y mourut à la fleur de son âge, plein de mansuétude et de précoces vertus.
Mais l’essentiel est que ce droit un peu vague, bien que si réel, ne soit jamais supprimé, et que jamais les doctrines régnantes, au nom même du salut commun, ne puissent dire au poète, au littérateur, à l’érudit curieux, comme dans la banlieue d’une place de guerre le génie militaire dit à l’honnête homme, qui a sa métairie avec son petit bois et sa source d’eau vive : « Monsieur, nous avons besoin de ce petit coin qui vous sourit : il entre dans nos lignes, il nous le faut ; voilà le prix, soyez content, mais vous n’y rentrerez pas. » Ceux qui vivent des lettres, de l’amour des livres et des études, de ces passions après tout innocentes et désintéressées, peuvent céder un moment ce coin de leur être et le prêter à la chose et à la pensée publique, ils le doivent dans les cas urgents ; mais, ce cas cessant, ils rentrent de plein droit dans leur domaine. […] « Vivre à l’ombre de la beauté qu’on aime, à la regarder, à l’entendre, savez-vous une plus belle vie : une paresse agitée et contente, une oisiveté pleine de caprices ? […] c’est quand il parle de Molière qu’il arrive à la vérité pleine et courante, « la bonne, la franche, l’aimable, la vraie vérité ».
— a écrit tout un livre sur le meilleur thème à déclamation pour les lourdauds de l’impiété, et il n’a pas déclamé une seule fois contre la sainte Église romaine, et il a inventé un prêtre plein de faiblesses, hélas ! […] Le cadre où cette femme respire est un tableau, — un tableau très plein, très agité, très fourmillant, — et c’est même cela qui est la grande étude du livre. […] Il est noble enfin comme un prêtre, — plein de foi, de piété, de dévouement.
Le mieux donc et le plus sûr pour tout auteur qui se préoccupe du noble but qu’a en vue l’institution présente, c’est que la pensée morale préexiste dès l’origine de l’ouvrage, qu’elle en domine la conception, qu’elle le pénètre ensuite dans le détail par une intention pleine et droite, qu’on la sente circuler et ressortir à travers les égarements mêmes, les luttes de passions et les aventures qui sont du ressort de la scène. […] Mais à cette hauteur, la nature vraie, mâle ou tendre, fortement ou ingénument passionnée, la nature humaine encore vertueusement malade, si je puis dire, produit le plus souvent, grâce au génie et à un art tout plein d’elle, une impression morale qui ennoblit, qui élève, et qui surtout jamais ne corrompt.
Ses lettres, pleines d’éloquence et de vertueuse tristesse, ont souvent des pages dignes d’Oberman ; l’inspiration grandiose est la même, et il le cite à tout moment. […] (Voir le Semeur du 10 juillet 1834.) — Un ami qui voyageait aux bords du Léman m’écrivait en un style figuré, mais plein de sentiment : « N’est-ce pas que c’est d’Oberman que l’on rêve le plus le long du lac tout bleu et les yeux tournés vers le Môle ?